Publiée le 29-11-2024
12 septembre 2008 - Benoit XVI à Notre-Dame de Paris (extraits)
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Béni soit Dieu qui nous permet de nous retrouver en un lieu si cher au c½ur des Parisiens, mais aussi de tous les Français ! Béni soit Dieu, qui nous donne la grâce de Lui faire l'hommage de notre prière vespérale pour Lui rendre la louange qu'Il mérite avec les paroles que la liturgie de l'Église a héritées de la liturgie synagogale pratiquée par le Christ et par ses premiers disciples ! Oui, béni soit Dieu de venir ainsi à notre aide - in adiutorium nostrum - pour nous aider à faire monter vers Lui l'offrande du sacrifice de nos lèvres !
Nous voici dans l'église-mère du diocèse de Paris, la cathédrale Notre-Dame, qui se dresse au c½ur de la cité comme un signe vivant de la présence de Dieu au milieu des hommes. Mon prédécesseur Alexandre III en posa la première pierre, les Papes Pie VII et Jean-Paul II l'honorèrent de leur visite, et je suis heureux de m'inscrire à leur suite, après y être venu voici un quart de siècle pour y prononcer une conférence sur la catéchèse. Il est difficile de ne pas rendre grâce à Celui qui a créé la matière aussi bien que l'esprit, pour la beauté de l'édifice qui nous reçoit. Les chrétiens de Lutèce avaient déjà construit une cathédrale dédiée à saint Étienne, premier martyr, mais, devenue trop exigüe, elle fut remplacée progressivement, entre le XIIe et le XIVe siècle, par celle que nous admirons de nos jours. La foi du Moyen Age a bâti les cathédrales, et vos ancêtres sont venus ici pour louer Dieu, lui confier leurs espérances et lui dire leur amour. De grands événements religieux et civils se sont déroulés dans ce sanctuaire où les architectes, les peintres, les sculpteurs et les musiciens ont donné le meilleur d'eux-mêmes. Qu'il suffise de rappeler, parmi bien d'autres, les noms de l'architecte Jean de Chelles, du peintre Charles Le Brun, du sculpteur Nicolas Coustou et des organistes Louis Vierne et Pierre Cochereau. L'art, chemin vers Dieu, et la prière chorale, louange de l'Église au Créateur, ont aidé Paul Claudel, venu assister aux vêpres du jour de Noël 1886, à trouver le chemin vers une expérience personnelle de Dieu. Il est significatif que Dieu ait illuminé son âme précisément pendant le chant du Magnificat,dans lequel l'Église écoute le cantique de la Vierge Marie, sainte Patronne de ces lieux, qui rappelle au monde que le Tout-Puissant a exalté les humbles (cf. Lc 1, 52). Théâtre de conversions moins connues, mais non moins réelles, chaire où des prédicateurs de l'Évangile, comme les Pères Lacordaire, Monsabré et Samson, ont su transmettre la flamme de leur passion aux auditoires les plus variés, la cathédrale Notre-Dame demeure à juste titre l'un des monuments les plus célèbres du patrimoine de votre pays. Les reliques de la Vraie Croix et de la Couronne d'épines, que je viens de vénérer, comme on le fait depuis saint Louis, y ont trouvé aujourd’hui un écrin digne d'elles, qui constitue l'offrande de l'esprit des hommes à l'Amour créateur.
Témoin de l'échange incessant que Dieu a voulu établir entre les hommes et Lui, la Parole vient de retentir sous les voûtes historiques de cette cathédrale pour être la matière de notre sacrifice du soir, souligné par l'offrande de l'encens qui rend visible notre louange à Dieu. Providentiellement, les paroles du psalmiste décrivent l’émotion de notre âme avec une justesse que nous n'aurions osé imaginer : «Quelle joie quand on m'a dit : nous irons dans la maison du Seigneur ! »(Ps 121, 1). Laetatus sum in his quae dicta sunt mihi :la joie du psalmiste, enclose dans les paroles mêmes du psaume, se répand dans nos c½urs et y suscite un profond écho. Notre joie est bien d'aller dans la maison du Seigneur, car, les Pères nous l'ont enseigné, cette maison n'est autre que le symbole concret de la Jérusalem d'en haut, celle qui descend vers nous (cf. Ap 21, 2) pour nous offrir la plus belle des demeures. « Si nous y séjournons,écrit saint Hilaire de Poitiers, nous sommes concitoyens des saints et membres de la famille de Dieu, car c'est la maison de Dieu »(Traité sur le Psaume 121, 2). Et saint Augustin renchérit : « Ce psaume aspire à la Jérusalem céleste... C'est un cantique des degrés, qui ne sont pas faits pour descendre, mais pour monter… Dans notre exil, nous soupirons, mais nous rencontrons parfois des compagnons qui ont vu la cité sainte et qui nous invitent à y courir »(Enarratio sur le Psaume 121, 2). Chers amis, au cours de ces vêpres, nous rejoignons par la pensée et dans la prière les innombrables voix de ceux et de celles qui ont chanté ce psaume, ici même, avant nous, depuis des siècles et des siècles. Nous rejoignons ces pèlerins qui montaient vers Jérusalem et vers les degrés de son Temple, nous rejoignons les milliers d'hommes et de femmes qui ont compris que leur pèlerinage sur la terre trouverait son terme au ciel, dans la Jérusalem éternelle, et qui ont fait confiance au Christ pour les y mener. Quelle joie, en effet, de nous savoir invisiblement entourés par une telle foule de témoins !
Notre marche vers la cité sainte ne serait pas possible, si elle ne se faisait en Église, germe et préfiguration de la Jérusalem d'en haut. « Si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain »(Ps126, 1). Qui est ce Seigneur, sinon Notre Seigneur Jésus Christ. C'est Lui qui a fondé son Église, qui l'a bâtie sur le roc, sur la foi de l'Apôtre Pierre. Comme le dit encore saint Augustin, « c'est Jésus Christ, Lui-même, Notre Seigneur qui construit son temple. Beaucoup se fatiguent à bâtir, mais si le Seigneur n’en construit un, c'est en vain que travaillent ceux qui construisent »(Traité sur le Psaume 126, 2). Or, chers amis, Augustin se pose la question de savoir quels sont ces travailleurs ; et il répond lui-même : « Ceux qui prêchent dans l'Église la parole de Dieu, qui administrent les sacrements. Nous courons tous maintenant, nous travaillons tous, nous édifions tous»,mais c'est Dieu seul qui, en nous, « édifie, qui avertit, qui ouvre l'intelligence, qui applique notre esprit aux vérités de la foi »(ibid.).Quelle merveille revêt notre action au service de la Parole divine ! Nous sommes les instruments de l'Esprit ; Dieu a l'humilité de passer par nous pour répandre sa Parole. Nous devenons sa voix, après avoir tendu l'oreille vers sa bouche. Nous mettons sa Parole sur nos lèvres pour la donner au monde. L'offrande de notre prière est agréé par Lui et Lui sert pour se communiquer à tous ceux que nous rencontrons. En vérité, comme Paul le dit aux Éphésiens, « Il nous a comblés de sa bénédiction spirituelle en Jésus Christ»(1, 3),puisqu'il nous a choisis pour être ses témoins jusqu'aux extrémités de la terre et qu'il nous a élus dès avant notre conception, par un don mystérieux de sa grâce.
Le Verbe, Sa Parole, qui depuis toujours était auprès de Lui (cf. Jn1, 1),est né d'une Femme, est né sujet de la Loi, « pour racheter ceux qui étaient sujets de la Loi et pour faire de nous des fils » (Ga4, 4-5). Dieu a pris chair dans le sein d'une Femme, d’une Vierge. Votre cathédrale est une vivante hymne de pierre et de lumière à la louange de cet acte unique de l'histoire de l'humanité : la Parole éternelle de Dieu entrant dans l'histoire des hommes à la plénitude des temps pour les racheter par l’offrande de lui-même dans le sacrifice de la Croix. Nos liturgies de la terre, tout entières ordonnées à la célébration de cet Acte unique de l'histoire ne parviendront jamais à en exprimer totalement l'infinie densité. La beauté des rites ne sera, certes, jamais assez recherchée, assez soignée, assez travaillée, puisque rien n'est trop beau pour Dieu, qui est la Beauté infinie. Nos liturgies de la terre ne pourront jamais être qu'un pâle reflet de la liturgie céleste, qui se célèbre dans la Jérusalem d'en haut, objet du terme de notre pèlerinage sur la terre. Puissent, pourtant, nos célébrations s'en approcher le plus possible et la faire pressentir !
Dès maintenant, la Parole de Dieu nous est donnée pour être l'âme de notre apostolat, l'âme de notre vie de prêtres. Chaque matin, la Parole nous réveille. Chaque matin, le Seigneur Lui-même nous « ouvre l'oreille »(Is 50, 5) par les psaumes de l'Office des lectures et des Laudes. Tout au long de la journée, la Parole de Dieu devient la matière de la prière de l'Église tout entière, qui veut ainsi témoigner de sa fidélité au Christ. Selon la célèbre formule de saint Jérôme, qui sera reprise au cours de la XIIe Assemblée du Synode des Evêques, au mois d’octobre prochain : « Ignorer les Écritures, c'est ignorer le Christ »(Prologue du commentaire d'Isaïe).Chers frères prêtres, n'ayez pas peur de consacrer beaucoup de temps à la lecture, à la méditation de l'Écriture et à la prière de l'Office Divin ! Presque à votre insu la Parole lue et méditée en Église agit sur vous et vous transforme. Comme manifestation de la Sagesse de Dieu, si elle devient la «compagne» de votre vie, elle sera votre « conseillère pour le bien »,votre « réconfort dans les soucis et dans la tristesse »(Sg8, 9).
« La Parole de Dieu est vivante, énergique et plus coupante qu'une épée à deux tranchants »,comme l'écrit l'auteur de la Lettre aux Hébreux (He4, 12). À vous, chers séminaristes, qui vous préparez à recevoir le sacrement de l'Ordre, afin de participer à la triple charge d’enseigner, de gouverner et de sanctifier, cette Parole est remise comme un bien précieux. Grâce à elle, que vous méditez quotidiennement, vous entrez dans la vie même du Christ que vous serez appelés à répandre autour de vous. Par sa parole, le Seigneur Jésus a institué le Saint Sacrement de son Corps et de son Sang ; par sa parole, il a guéri les malades, chassé les démons, pardonné les péchés ; par sa parole, il a révélé aux hommes les mystères cachés du Royaume. Vous êtes destinés à devenir dépositaires de cette Parole efficace, qui fait ce qu'elle dit. Entretenez toujours en vous le goût de la Parole de Dieu ! Apprenez, grâce à elle, à aimer tous ceux qui seront placés sur votre route. Personne n'est de trop dans l'Église, personne ! Tout le monde peut et doit y trouver sa place.