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Europe : l'Appel de Compostelle de Jean Paul II

Publiée le 03-06-2024

9 novembre 1982 l’Appel de Compostelle, proclamé dans la cathédrale de Snatiago de Compostelle, en présence du Roi d’Espagne. Le matin, le Pape avait célébré la Sainte Messe en présence de 500 000 fidèles.

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MAJESTÉS, MESDAMES ET MESSIEURS,

MES FRÈRES,

     l. Alors que je termine mon pèlerinage en terre espagnole, je m'arrête dans cette splendide cathédrale, si étroitement liée à l'apôtre Jacques et à la foi de l'Espagne. Permettez-moi, avant tout, de vivement remercier sa Majesté le roi pour les paroles significatives qu'il m'a adressées au début de cette cérémonie.

    

 

     Ce lieu, si cher aux Galiciens et à tous les Espagnols, a été dans le passé un centre d'attraction et de convergence pour l'Europe et toute la chrétienté. C'est pourquoi j'ai voulu rencontrer ici les éminents représentants des organismes européens, des évêques et des organisations du continent. A tous j'adresse mon défèrent et cordial salut, et avec vous je voudrais réfléchir ce soir sur l'Europe.

     Mon regard s'étend, en cet instant, sur tout le continent européen, sur l'immense réseau de voies de communications unissant les villes et les nations qui le composent, et je revois ces chemins qui, depuis le Moyen Age, ont conduit et conduisent vers Saint-Jacques-de-Compostelle - comme le montre l'Année sainte, qui se célèbre cette année — d'innombrables pèlerins, attirés par la dévotion à l'apôtre.

     Depuis les XIe et XIIe siècles, sous l'impulsion des moines de Cluny, les fidèles de tous les coins de l'Europe accourent toujours plus nombreux vers le tombeau de Jacques, rolongeant jusqu'à l'endroit que l'on considérait alors comme la « Finis terrae », lecélèbre « chemin de saint Jacques », que les Espagnols avaient déjà parcouru en pèlerins, et trouvant l'aide et

la protection dans des figures exemplaires de chante comme saint Dominique de la Calzada et saint Jean Ortega, ou dans des lieux comme le sanctuaire de la Vierge du Chemin.

      Arrivaient ici de France, d'Italie, d'Europe centrale, des pays nordiques et des nations slaves, des chrétiens de toute condition sociale, des rois aux plus humbles habitants des hameaux; des chrétiens de tout niveau spirituel, depuis des saints comme François d'Assise et Brigitte de Suède (pour ne pas citer tant d'autres Espagnols), jusqu'aux pêcheurs publics en quête de pénitence.

     L'Europe tout entière s'est trouvée elle-même autour du « mémorial » de Saint-Jacques, aux siècles mêmes où elle s'édifiait en continent homogène et spirituellement unique. C'est pourquoi Goethe lui-même suggérera que la conscience de l'Europe est née en pèlerinage.

 

     2. Le pèlerinage de Saint-Jacques fut l'un des points forts qui favorisèrent la compréhension mutuelle de peuples européens si différents, comme les Latins, les Germains, les Celles, les Anglo-Saxons et les Slaves.

     Le pèlerinage rapprochait, mettait en contact et unissait entre eux ces nations qui, siècles après siècles, convaincus par la prédication des témoins du Christ, embrassaient l'Évangile et, dans le même temps, on peut l'affirmer, naissaient comme peuples et comme nations.

     L'histoire de la formation des nations européennes va de pair avec celle de leur évangélisation ; à tel point que les frontières européennes coïncident avec celles de la pénétration de l'Évangile. Après vingt siècles d'histoire, malgré les conflits sanglants qui ont opposé les peuples européens, et malgré les crises spirituelles qui ont marqué la vie du continent — jusqu'à poser à la conscience de notre temps de graves interrogations sur son sort à venir - on doit affirmer que l'identité européenne est incompréhensible sans le christianisme et que c'est précisément en lui que se trouvent ses racines communes qui ont permis la maturation de la civilisation d'un continent, de sa culture, de son dynamisme, de son esprit d'entreprise, de sa capacité d'expansion constructive, y compris dans les autres

continents ; en un mot, tout ce qui constitue sa gloire.

     Et de nos jours encore, l'âme de l'Europe reste unie car, en plus de son origine commune, elle possède des valeurs chrétiennes et humaines identiques, comme la dignité de la personne humaine, le sens profond de la justice et de la liberté, l'application au travail,  l'esprit d'initiative, l'amour de la famille, le respect de la vie, la tolérance et le désir de coopération et de paix, toutes valeurs qui la caractérisent.

 

     3. Je porte mon regard sur l'Europe comme sur le continent qui a le plus contribué au développement du monde, aussi bien dans le domaine des idées que dans celui du travail, des sciences et des arts. Et tandis que je bénis le Seigneur de l'avoir éclairée de sa lumière

évangélique depuis les débuts de la prédication apostolique, je ne peux passer sous silence l'état de crise dans lequel elle se trouve, au seuil du troisième millénaire de l'ère chrétienne.

     Je m'adresse à des représentants d'organisations créées pour la coopération européenne, et à des frères dans l’épiscopat des différentes Églises locales d'Europe. La crise atteint la vie civile comme la vie religieuse. Dans le domaine civil, l'Europe est divisée.

     Des fractures artificielles privent ses peuples du droit de se rencontrer tous dans un climat d'amitié ; et du droit à unir librement leurs efforts et leur créativité au service d'une vie sociale pacifique, ou d'une contribution solidaire pour résoudre les problèmes qui touchent les autres continents. La vie civile se trouve marquée par les conséquences d'idéologies sécularisées, qui vont de la négation de Dieu ou de la limitation de la liberté religieuse à l'importance prépondérante attribuée au succès économique par rapport aux valeurs humaines du travail et de la production ; du matérialisme et de l'hédonisme, qui sapent les

valeurs de la famille nombreuse et unie. celles de la vie dès la conception et de la protection morale de la jeunesse, jusqu'à un « nihilisme » qui désarme la volonté d'affronter les problèmes cruciaux comme le sont ceux des nouveaux pauvres, des émigrés, des minorités ethniques et religieuses, du bon usage des moyens d'information, tout en armant les mains du terrorisme.

     En outre, l'Europe est divisée sur le plan religieux : non pas tant ni principalement à cause des divisions qui se sont produites au cours des siècles, que parce que les baptisés et les croyants ont abandonné les raisons profondes de leur foi et la vigueur doctrinale et morale de cette vision chrétienne de la vie qui garantit l'équilibre des personnes et des communautés.

 

     4. C'est pourquoi, moi, Jean-Paul, fils de la nation polonaise qui s'est toujours considérée comme européenne par ses origines, ses traditions, sa culture et ses relations vitales ; slave parmi les Latins et latine parmi les Slaves; moi, successeur de Pierre sur le siège de Rome, siège que le Christ a voulu placer en Europe qu'il aime à cause des efforts qu'elle a faits pour

diffuser le christianisme à travers le monde. Moi, évêque de Rome et pasteur de l'Église universelle, depuis Saint-Jacques-de-Compostelle, je lance vers toi, vieille Europe, un cri plein d'amour : Retrouve-toi toi-même. Sois toi-même. Découvre tes origines. Ravive tes racines.   Revis ces valeurs authentiques qui ont rendu ton histoire glorieuse, et bienfaisante ta présence sur les autres continents. Reconstruis ton unité spirituelle, dans un climat de plein respect des autres religions et des libertés authentiques. Rends à César ce qui est à

César et à Dieu ce qui est à Dieu. Ne t'enorgueillis pas de tes conquêtes au point d'en oublier leurs éventuelles conséquences négatives. Ne te laisse pas abattre par la perte quantitative de ta grandeur dans le monde, ou par les crises sociales et culturelles qui te touchent

aujourd'hui. Tu peux être encore un phare de civilisation et un élan de progrès pour le monde. Les autres continents te regardent et attendent aussi de toi la réponse que saint Jacques a donnée au Christ : « Je le peux. »

 

     5. Si l'Europe est une, et elle peut l'être dans le respect dû à toutes ses différences, y compris celles des divers systèmes politiques; si l'Europe se remet à penser dans la vie sociale, avec la vigueur contenue dans certaines affirmations de principes comme celles

de la Déclaration universelle des droits de l'homme, de  la Déclaration européenne des droits de l'homme, de l'Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe; si l'Europe recommence à agir, dans la vie plus spécifiquement religieuse, avec la connaissance et le respect dus à Dieu, fondement de tout droit et de toute justice; si l'Europe ouvre de

nouveau les portes au Christ et n'a pas peur d'ouvrir à sa puissance de salut les frontières des États, les systèmes économiques et politiques, les vastes domaines de la culture, de la civilisation et du développement (cf. discours de Jean-Paul II, 22 octobre 1978) (2), son avenir ne sera pas dominé par l'incertitude et la crainte, mais s'ouvrira au contraire à une nouvelle

période de vie, aussi bien intérieure qu'extérieure, bénéfique et décisive pour le monde constamment menacé par les nuages de la guerre et par la possibilité d’un holocauste nucléaire.

 

     6. En ce moment me viennent à l'esprit les noms de grandes personnalités : hommes et femmes qui ont apporté splendeur et gloire à ce continent par leur talent, leur capacité et leurs vertus. La liste en est si longue parmi les penseurs, les scientifiques, les artistes,

les explorateurs, les inventeurs, les chefs d'État, les apôtres et les saints, que je ne puis l'abréger. Tous représentent un patrimoine stimulant d'exemple et de confiance. L’Europe a encore en réserve des énergies humaines incomparables, capables de la soutenir dans

ce travail historique de renaissance continentale et de service de l'humanité.

     Il m'est maintenant agréable de rappeler avec simplicité la force d'esprit de Thérèse de Jésus, dont j’ai voulu tout particulièrement honorer la mémoire au cours de ce voyage, et la générosité de Maximilien Kolbe, martyr de la chanté dans le camp de concentration d’Auschwitz, que j'ai récemment proclamé saint.

     Mais les saints Benoît de Nurcie et Cyrille et Méthode, patrons de l'Europe, méritent une mention particulière. Dès les premiers jours de mon pontificat, je n ai cessé de souligner ma sollicitude pour la vie de l'Europe et d'indiquer quels sont les enseignements qui proviennent de l'esprit et de l'action du « patriarche de l'Occident » et des deux « frères grecs », apôtres des peuples slaves.

     Saint Benoît a su allier la romanité à l'Évangile, le sens de l'universalité et du droit à la valeur de Dieu et de la personne humaine. Par sa phrase bien connue, « Ora et labora » - prie et travaille —, il nous a laissé une règle encore valable aujourd'hui pour l'équilibre de la

personne et de la société, menacées par la prédominance de l'avoir sur l'être.

     Les saints Cyrille et Méthode surent devancer certaines conquêtes, qui ont été assumées pleinement par l'Église dans le Concile Vatican II, sur l'inculturation du message évangélique dans les diverses civilisations, en prenant la langue, les coutumes et l'esprit de la race dans toute la plénitude de leur valeur. Et ils le réalisèrent au IXe siècle avec l'approbation et le

soutien du Siège apostolique, permettant ainsi la présence du christianisme parmi les peuples slaves, présence qu'encore aujourd'hui on ne peut supprimer, malgré les vicissitudes actuelles contingentes. J'ai consacré aux trois patrons de l'Europe des pèlerinages,

des discours, des documents pontificaux et un culte public, en implorant sur le continent leur protection et en montrant en même temps leurs pensées et leur exemple aux nouvelles générations.

     L'Église est, en outre, consciente de la place qui lui revient dans la rénovation spirituelle et humaine de l'Europe. Sans revendiquer certaines positions qu'elle a occupées jadis et que l'époque actuelle considère comme totalement dépassées, l'Église elle-même, en

tant que Saint-Siège et communauté catholique, offre son service pour contribuer à la réalisation de ces objectifs destinés à procurer aux nations un authentique bien-être matériel, culturel et spirituel. C'est pourquoi elle est aussi présente au niveau diplomatique, par l'intermédiaire de ses observateurs dans les divers organismes communautaires non politiques ; pour la même raison, elle entretient des relations diplomatiques les plus larges possibles avec les États ; pour la même raison elle a participe, en tant que membre, à la Conférence d'Helsinki et la rédaction de son important Acte final, ainsi qu'aux réunions de

Belgrade et de Madrid, cette dernière ayant repris ses travaux aujourd'hui et pour laquelle je formule les meilleurs v½ux en des moments qui ne sont pas faciles pour l'Europe.

     Mais c'est la vie ecclésiale qui est principalement en cause, afin de continuer à donner un témoignage de service et d'amour, pour contribuer à dépasser les crises actuelles du continent, comme j'ai eu l'occasion de le répéter récemment au Symposium du Conseil des

conférences épiscopales européennes (cf. Discours de Jean-Paul II, 5 octobre 1982) (3).

 

     7. L'aide de Dieu est avec nous. La prière de tous les croyants nous accompagne. La bonne volonté de nombreuses personnes inconnues, artisans de paix et de progrès, est présente au milieu de nous, garantissant que ce message adressé aux peuples de l'Europe va tomber dans une terre fertile.

     Jésus-Christ, Maître de l'histoire, maintient l'avenir ouvert aux décisions généreuses et libres de tous ceux qui, accueillant la grâce des bonnes inspirations, s’engagent dans une action décidée pour la justice et la chanté, dans le cadre du plein respect de la vérité et de

la liberté.

     Je recommande ces pensées à la Très Sainte Vierge pour qu'elle les bénisse et les fasse fructifier, et, en rappelant le culte rendu à la Mère de Dieu dans les nombreux sanctuaires d'Europe, de Fatima à Ostra Brama, de Lorette à Czestochowa, je lui demande de

recevoir les prières de tant de c½urs pour que le bien continue à être une joyeuse réalité en Europe  et que le Christ garde toujours notre continent uni à Dieu

 

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