Publiée le 20-02-2020
Source Maurizio Blondet
Traduction benoit et moi
Voici un hommage à Jacinta, fillette intrépide. Je regarde sa photo, celle des trois enfant prise par je ne sais quel gentilhomme qui avait un appareil.
Tous trois froncent les sourcils, comme le faisaient autrefois les paysans devant l'appareil photo, avant la civilisation de l'image, ils semblent renfrognés, mais c'est parce que le photographe tournait le dos au soleil, et ils étaient éblouis - et intimidés. Ils sont en habits de fête, Francisco portant un couvre-chef tricoté, les deux fillettes ont la tête couverte non par un voile, mais par une sorte de couverture épaisse. Une image de folklore.
Jacinta, pourtant, se démarque: elle est visiblement la plus petite, elle doit avoir huit ans, elle a mis la main sur sa hanche en un geste impérieux, d'une élégance innée, et nous regarde droit dans les yeux, oui, nous. Les yeux, et la bouche bien fermée (tous les trois cachent des secrets qui ne seront pas révélés sinon des décennies plus tard: trop intimes pour en parler, dira la survivante) expriment un sentiment précis: la détermination. La détermination d'accepter aussi cela «pour les pécheurs». Ce ne fut pas leur moindre tourment, alors, d'être entourés des foules, la curiosité des étrangers, les personnes inconnues qui leur posaient des questions indiscrètes; nous savons que Jacinta en particulier, courait se cacher. A présent, prenant la pose, adorable fillette, Jacinta offre aussi ce sacrifice avec un détermination absolue.
Une décision, on sait quand elle l'a prise. «La vision de l'enfer suscita en Jacinta une telle horreur que toutes les pénitences et mortifications ne lui semblaient rien pour réussir à libérer des âmes» , a écrit Lucia. «Souvent, elle s'asseyait et elle commençait, toute pensive: "l'enfer, l'enfer! Comme j'ai de la compassion pour les âmes qui y vont! Et les gens, là-dedans, brûlent comme du bois au feu!"». Et toute tremblante, elle s'agenouillait, les mains jointes pour réciter la prière que la Sainte Vierge nous avait enseignée: O mon Jésus, pardonne-nous nos péchés, libère-nous du feu de l'enfer, et porte [-nous] dans le ciel ....».
La Dame leur avait demandé: «Voulez-vous vous offrir à Dieu, prêts à supporter toutes les souffrances qu'Il voudra vous envoyer, en réparation pour les péchés par lesquels il est offensé et comme supplique pour la conversion des pécheurs?».
«Oui, nous le voulons», avaient-ils répondu tous trois, ardents. Depuis lors, dans leurs journées passées parmi les cailloux, à surveiller les moutons, ils faisaient la course pour inventer des sacrifices; ils trouvèrent une corde laissée par un charetier, rugueuse et grossière, qui faisait «horriblement mal», et ils s'en firent trois silices, sans savoir ce que c'était. Jacinta était pleine d'initiatives pour inventer des sacrifices. «Donnons nos provisions à ces pauvres enfants pour la conversion des pécheurs».
«Quand nous avions une épreuve à supporter, Jacinta demandait toujours: "Tu as déjà dit à Jésus que c'était par amour pour lui?". Et joignant ses petites mains, elle levait les yeux au ciel et disait: "O Jésus, c'est par amour pour vous et pour la conversion des pécheurs"».
Les trois enfants furent mis en prison: on voulait leur arracher leur secret. Jacinta crut que ses parents l'avaient abandonnée «et elle disait, avec des larmes coulant sur ses joues: "ni les tiens ni les miens ne sont venus nous voir! Ils ne se soucient pas de nous!"». Elle avait sept ans. «Ne pleure pas, offrons tout à Jésus» , dit son frère Francisco, et il fit l'offrande: "O mon Jésus, c'est par amour pour vous et pour la conversion des pécheurs"». En prison, «nous décidâmes de réciter le Rosaire. Jacinta sortit une médaille qu'elle avait autour du cou, et demanda à un détenu de l'accrocher à un clou au mur, et à genoux devant la médaille, nous avons commencé à prier. Les prisonniers aussi prièrent avec nous, pour autant qu'ils savaient prier, ou au moins restèrent à genoux».
Quand elle tomba malade, Lucia venait la voir et «il y avait toujours un groupe consistant d'enfants devant la porte, qui me demandaient s'ils pouvaient venir la voir. Elle s'entretenait avec eux, leur enseignait les prières, et à chanter, et leur conseillait de ne pas faire de péchés pour ne pas offenser le Seigneur, et ne pas aller en enfer».
A cette fillette furent envoyées des visions impressionnantes du futur. Un jour, à midi, près du puits, à l'improviste, Lucia dit: «N'as-tu pas vu le Saint-Père?» Non. «Je ne sais pas comment ça se fait, mais j'ai vu le Saint-Père dans une très grande maison, à genoux devant une table, pleurant, les mains sur son visage; à l'extérieur de la maison, il y avait beaucoup de gens et quelques-un lui jetaient des pierres, d'autres lançaient des malédictions et lui disaient beaucoup de gros mots. Nous devons beaucoup prier pour lui!».
Un soir, en 1917, elle dit à sa cousine: «Ne vois-tu pas toutes ces routes, tous ces sentiers et ces champs pleins de gens qui pleurent parce qu'ils ont faim et n'ont rien à manger? Et le Saint-Père dans une église en prière devant le C½ur Immaculé de Marie? Et plein de gens qui prient avec lui?»
Un jour, elle resta toute pensive. «Jacinta, à quoi tu penses?». «A la guerre qui va venir, tant de gens doivent mourir! Et presque tous vont en enfer! Tant de maisons doivent être détruites et beaucoup de prêtres tués. Tu vois, je vais au ciel et toi, quand tu verras de nuit la lumière dont la Dame a dit qu'elle viendra avant (1), viens toi aussi». Elle voyait, à ce qu'on croit, la Seconde Guerre mondiale, les bombardement des villes, les combattants qui vont «presque tous en enfer», parce que c'était la guerre des idéologies athées de masse, des millions d'hommes se massacrèrent pour de nouvelles croyances aveugles et sombres.
En Octobre 1918 le frère et la soeur tombèrent malades. Jacinta dit à Lucia: «La Sainte Vierge est venue nous voir et elle a dit que bientôt, elle viendra prendre Francisco ... A moi, elle a demandé si je voulais convertir plus de pécheurs. J'ai dit que oui. Elle m'a dit que j'irai à l'hôpital, et que là, je souffrirai beaucoup. Je souffrirai pour la conversion des pécheurs, en réparation des péchés contre le C½ur Immaculé et par amour pour Jésus. J'ai demandé si tu viendrais avec moi. Elle a dit non et c'est la chose que je regrette le plus. Elle m'a dit que ma mère m'amènerait [à l'hopital] et ensuite je resterai là-bas, toute seule!».
Je regarde sa photo. Cette petite fille de huit ans, avec ce petit visage doucement renfrogné, le petit corps frêle et sans défense, qui reste seule dans la misère d'un lit d'hôpital loin, dans une ville inaccessible par ses parents, petite malade incurable et qui sait quel mal elle endure. Padre Pio a dit une fois: être «malade parmi des gens que tu déranges, voilà une bonne mortification». Nous ne saurons jamais les humiliations secrètes dont a souffert Jacinta, les manques d'affection, toujours entourée par des visages étrangers et des c½urs froids; jamais une caresse de la maman, la solitude la plus désolée.
«Jacinta retourna encore pour un certain temps à la maison de ses parents vers la fin de Août 1919, avec une large plaie ouverte sur la poitrine». Une plaie ouverte sur sa poitrine. Elle subit les soins douloureux (inutiles, elle savait, elle, à quoi elle devait cette plaie) «sans une plainte, sans montrer la moindre impatience. Ce qui lui coûtait le plus, c'étaient les visites fréquentes et les interrogations des gens, dont elle ne pouvait désormais plus se cacher. "J'offre aussi ce sacrifice pour les pécheurs" - disait-elle».
En Décembre de la même année 1919, elle reçut de nouveau la visite de la Vierge. «Elle m'a dit que j'irai à Lisbonne dans un autre hôpital; que je ne reverrai plus ni toi ni mes parents; et qu'après avoir beaucoup souffert, je mourrai seule; mais que je ne dois pas avoir peur, qu'elle viendra là pour me chercher et me porter au ciel».
Et c'est ce qui se passa. Amenée à l'hôpital à Lisbonne (un autre que celui dans lequel elle avait été deux mois auparavant) puis transférée dans un orphelinat dirigé par des religieuses à Lisbonne, puis dans un autre hôpital encore. Toujours seule. Et avec cette grande plaie ouverte sur sa poitrine. Dans un de ses derniers jours, quelqu'un lui demanda si elle voulait voir sa maman. Jacinta dit: «Ma famille ne durera pas longtemps. Bientôt, nous nous rencontrerons au ciel ...».
Au cours des quatre derniers jours, la Dame lui enleva toute les douleurs. Jacinta est morte le 20 Février 1920, son frère Francisco avait été appelé au ciel presque un an avant. Elle n'avait pas encore dix ans.
Je me rends compte que cette histoire, petit hommage à l'enfant la plus héroïque dont j'ai jamais entendu parlé, sera comprise par beaucoup comme une preuve de la cruauté du Ciel. La pédagogie qui a cours actuellement épargne aux enfants la vue du grand-père mort, pour qu' «ils n'aient pas de traumatisme», encore plus une description de l'enfer, parce que sinon ils ont peur; et même, ils ne doivent pas non plus connaître les vieilles fables, parce qu'«elles sont angoissantes». Il ne faut pas faire peur aux enfants, ainsi, ils grandiront sûrs d'eux-mêmes, «sans traumatismes» et «sans complexes»; il faut les exempter de toutes les duretés de la vie, les couvrir des vêtements de marque, les préparer à comprendre qu'il est important de «réussir» leur épargner les punitions, et surtout ne leur imposer aucun devoir. L'expression «voulez-vous vous sacrifier pour ...?» est interdite par nous. «voulez-vous vous offrir à Dieu pour...?» suscite même quolibets et exécration.
Ainsi, même comme adultes grands et gros et expérimentés - je parle avant tout de moi - on se soustrait à la question «Voulez-vous vous offrir à Dieu?», même quand on comprend avec la raison que c'est la question la plus importante pour nous les hommes, que c'est notre 'oui' qu'il veut, et que nous ne devons pas en avoir peur parce que «qui veut sauver sa vie la perdra».
La pédagogie de là-haut est clairement différente. Jacinta, qui ne savait même pas lire, a répondu ce 'oui' dont nous ne sommes pas capables, inconditionnel et déterminé. Elle a subi des cruautés? Elle-même s'en offenserait: c'est moi qui l'ai voulu! Pour les pécheurs!
Quant au succès dans la vie auquel nous devons préparer nos enfants ... à présent les trois petits sont dans cette lumière qu'ils ont vue quand la Dame a ouvert ses mains: «nous communiquant une lumière tellement intense, une sorte de reflet qui sortait et nous pénétrait dans la poitrine et dans le plus intime de l'âme, nous faisant nous voir en Dieu, qui était cette lumière, plus clairement que nous nous voyons dans le meilleur des miroirs».
Lucia raconte que «ce qui impressionnait ou absorbait le plus Francisco (le plus contemplatif et rêveur, ndlr ) c'était Dieu, la Trinité, dans cette lumière immense qui nous pénétrait au plus profond de l'âme». Il disait: J'ai bien aimé voir le Seigneur et encore plus de le voir dans cette lumière où nous étions nous aussi. Nous brûlions dans cette lumière qui est Dieu et nous ne nous consumions pas. Comment Dieu est-il? On ne peut pas le dire».
Alors, je prie Jacinta. Avec l'espoir ténu de la voir - d'une très lointaine pénombre - là dans cette lumière, sa petite main sur la hanche tandis qu'elle donne l'autre à la Vierge maman, qui brûle sans se consummer, [et] avec un geste du bras, lui dire merci de loin, très loin: merci Jacinta pour ce que tu as aussi fait pour moi.
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(1) Dans la nuit du 25 au 26 Janvier 1938, les ciels de toute l'Europe furent illuminés par un phénomène que les scientifiques interprétèrent comme une aurore boréale. S½ur Lucie y discerna au contraire la grande lumière prédite par la Dame comme annonciatrice de la guerre mondiale imminente, et elle redoubla ses efforts pour que le Vatican accomplisse les demandes formulées par la Vierge; elle écrivit une lettre directement à Pie XI.