Publiée le 25-10-2024
5 octobre 2008 – Homélie de Benoit XVI lors de la Messe d’ouverture du Synode – Basilique St Paul Hors les Murs (extrait)
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L'image de la vigne, avec celle des noces, décrit donc le projet divin du salut, et se présente comme une allégorie touchante de l'alliance de Dieu avec son peuple. Dans l'Evangile, Jésus reprend le cantique d'Isaïe, mais l'adapte à ses auditeurs et à la nouvelle heure de l'histoire du salut. L'accent n'est pas tant mis sur la vigne que sur les vignerons, auxquels les "serviteurs" du maître demandent, en son nom, le loyer du terrain. Mais les serviteurs sont maltraités et même tués. Comment ne pas penser aux épreuves du peuple élu et au sort réservé aux prophètes envoyés par Dieu ? A la fin, le propriétaire de la vigne fait une dernière tentative : il envoie son propre fils, convaincu que lui, au moins, ils l'écouteront. C'est le contraire qui arrive : les vignerons le tuent justement parce qu'il est le fils, autrement dit l'héritier, convaincus de pouvoir ainsi prendre facilement possession de la vigne. Nous assistons donc à un saut de qualité par rapport à l'accusation de violation de la justice sociale, telle qu'elle émerge du cantique d'Isaïe. Nous voyons clairement ici comment le mépris pour l'ordre donné par le maître se transforme en mépris envers lui : ce n'est pas la simple désobéissance à un précepte divin, c'est le véritable rejet de Dieu : le mystère de la Croix apparaît.
Ce que dénonce la page évangélique interpelle notre manière de penser et d'agir. Elle n'évoque pas seulement l'"heure" du Christ, du mystère de la Croix à ce moment-là, mais aussi celui de la présence de la Croix dans tous les temps. Elle interpelle, d'une manière particulière, les peuples qui ont reçu l'annonce de l'Evangile. Si nous regardons l'histoire, nous sommes obligés de noter assez fréquemment la froideur et la rébellion de chrétiens incohérents. Suite à cela, Dieu, même s'il ne manque jamais à sa promesse de salut, a souvent dû recourir au châtiment. On pense spontanément, dans ce contexte, à la première annonce de l'Evangile, de laquelle surgiront des communautés chrétiennes d'abord florissantes, qui ont ensuite disparu et ne sont plus rappelées aujourd'hui que dans les livres d'histoire. Ne pourrait-il pas advenir de même à notre époque ? Des nations un temps riches de foi et de vocations perdent désormais leur identité propre, sous l'influence délétère et destructive d'une certaine culture moderne. On y trouve celui qui, ayant décidé que "Dieu est mort", se déclare "dieu" lui-même, et se considère le seul artisan de son propre destin, le propriétaire absolu du monde.
En se débarrassant de Dieu et en n'attendant pas de Lui son salut, l'homme croit pouvoir faire ce qui lui plaît et se présenter comme seule mesure de lui-même et de sa propre action. Mais, quand l'homme élimine Dieu de son propre horizon, qu'il déclare Dieu "mort", est-il vraiment plus heureux ? Devient-il vraiment plus libre ? Quand les hommes se proclament propriétaires absolus d'eux-mêmes et uniques maîtres de la création, peuvent-ils vraiment construire une société où règnent la liberté, la justice et la paix ? N'arrive-t-il pas plutôt - comme nous le démontre amplement la chronique quotidienne - que s'étendent l'arbitraire du pouvoir, les intérêts égoïstes, l'injustice et l'exploitation, la violence dans chacune de ses expressions ? Le point d'arrivée, à la fin, est que l'homme se retrouve plus seul et la société plus divisée et confuse.
Mais les paroles de Jésus contiennent une promesse : la vigne ne sera pas détruite. Alors qu'il abandonne à leur destin les vignerons infidèles, le maître ne se détache pas de sa vigne et la confie à d'autres serviteurs fidèles. Ceci indique que, si dans certaines régions la foi s'affaiblit jusqu'à s'éteindre, il y aura toujours d'autres peuples prêts à l'accueillir. C'est justement pour cela que Jésus, alors qu'il cite le Psaume 117 [118]: "La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la tête de l'angle" (v.22), assure que sa mort ne sera pas la défaite de Dieu. Une fois tué, Il ne restera pas dans la tombe, au contraire, et celle qui semblait justement être une défaite totale, marquera le début d'une nouvelle victoire. A sa passion douloureuse et à sa mort sur la croix succédera la gloire de sa résurrection. La vigne continuera alors à produire du raisin et sera louée par le maître "à d'autres vignerons, qui lui en livreront les fruits en leur temps" (Mt 21, 41).
L'image de la vigne, avec ses implications morales, doctrinales et spirituelles, reviendra dans le discours de la Dernière Cène, lorsque, prenant congé des Apôtres, le Seigneur dira : "Je suis la vigne véritable et mon Père est le vigneron. Tout sarment en moi qui ne porte pas de fruit, il l'enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, pour qu'il porte encore plus de fruit" (Jn 15, 1-2). A partir de l'événement pascal, l'histoire du salut connaîtra donc un tournant décisif, et en seront protagonistes ces "autres vignerons" qui, greffés comme bourgeons choisis sur le Christ, véritable vigne, porteront des fruits abondants de vie éternelle (cf. Prière lors de la Collecte). Nous faisons partie, nous aussi, de ces "vignerons", greffés au Christ qui veut devenir lui-même la "vraie vigne". Prions pour que le Seigneur, qui nous donne son sang et qui se donne Lui-même dans l'Eucharistie, nous aide à "porter du fruit" pour la vie éternelle et pour notre temps.
Le message réconfortant que nous recueillons de ces textes bibliques est la certitude que le mal et la mort n'ont pas le dernier mot, mais que c'est le Christ qui gagne à la fin. Toujours ! L'Eglise ne se lasse pas de proclamer cette Bonne Nouvelle, comme cela arrive aujourd'hui aussi, dans cette Basilique dédiée à l'Apôtre des Nations qui, le premier, diffusa l'Evangile dans de vastes régions de l'Asie mineure et de l'Europe. Nous renouvellerons de manière significative cette annonce durant la xii assemblée générale ordinaire du synode des évêques, qui a pour thème : "La Parole de Dieu dans la vie et la mission de l'Eglise". Je voudrais ici vous saluer tous avec une affection cordiale, vénérables pères synodaux, ainsi que tous ceux qui prennent part à cette rencontre comme experts, auditeurs et invités spéciaux. Je suis en outre heureux d'accueillir les délégués fraternels des autres Eglises et communautés ecclésiales. Au secrétaire général du synode des évêques et à ses collaborateurs va l'expression de la reconnaissance de tous pour l'important travail réalisé au cours de ces derniers mois, ainsi que mes meilleurs v½ux pour le travail qui les attend durant les prochaines semaines.
Quand Dieu parle, il sollicite toujours une réponse ; son action salvifique requiert la coopération humaine ; son amour attend quelque chose en retour. Que ne se réalise jamais, chers frères et s½urs, ce que dit le texte biblique à propos de la vigne : "Il attendait de beaux raisins : elle donna des raisins sauvages" (cf. Is 5, 2). Seule la Parole de Dieu peut changer profondément le c½ur de l'homme, et il est alors important que chaque croyant et chaque communauté entrent dans une intimité toujours plus grande avec elle.