Cette lettre a été distribuée, en format papier, lors de toutes les messes du dimanche 18 mai 2025. Extrait :
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1. – En 2019, à l’occasion du vote d’une proposition de loi levant la sanction pénale encourue par les femmes ayant avorté, les Conseillers Nationaux affirmaient, dans une déclaration solennelle, avoir atteint un point d’équilibre au regard des dispositions constitutionnelles de notre Principauté. Depuis, plusieurs d’entre eux ont changé d’avis, au risque d’entamer le crédit de la parole politique.
2. – Une nouvelle proposition de loi vise à dépénaliser l’avortement pour le corps médical et le personnel hospitalier, s’il est pratiqué à la demande de la femme enceinte avant la fin de la douzième semaine de grossesse, et avant la seizième semaine s’il existe une présomption suffisante que cette grossesse est la conséquence d’un acte criminel.
3. – J’ai déjà eu l’occasion de faire connaître ma préoccupation face à cette nouvelle proposition de loi. Le débat sur l’avortement a surgi soudainement dans l’agenda politique monégasque, porté par une campagne médiatique, alors qu’il ne figurait pas dans le programme électoral de la majorité élue. Ce revirement inattendu a entraîné d’ailleurs des dissensions au sein du Conseil National, puisque tous les élus n’ont pas signé ce nouveau texte. Je m’interroge sur ce qui a pu rendre ce sujet si urgent après deux modifications législatives votées sur cette question en 2009 et en 2019. On invoque le résultat d’une consultation lancée par le Conseil National en septembre dernier, où près de 80 % des personnes ayant répondu se sont déclarés favorables à une nouvelle évolution législative. Ce chiffre doit être relativisé. Un sujet aussi grave peut nuire au maintien de notre cohésion nationale, à la fois précieuse et fragile. Il ne devrait pas être traité sans permettre une juste compréhension des enjeux, qui vont bien au-delà de ce qui apparaît de prime abord. Comme l’a souvent illustré le saint Pape Jean-Paul II, les normes morales ne se définissent pas au suffrage universel.
4. – Les Conseillers Nationaux affirmaient en 2019 que l’avortement est un sujet particulièrement sensible et douloureux pour les femmes qui y ont recours. J’ajoute qu’il l’est aussi pour tout homme et pour la société tout entière. En effet, il concerne la dignité absolue de la personne humaine et de la juste autonomie personnelle, la défense de la vie et des plus faibles, la philosophie du droit et la compréhension qu’une société a d’elle-même, le fondement de ses institutions et, finalement, sa vision de l’Homme.
5. – À Monaco, en 2009, l’IMG a été dépénalisée, sous certaines conditions restrictives, pour répondre à des situations médicales complexes. Mon prédécesseur avait alors attiré l’attention de tous sur le danger qu’il y a toujours à légiférer à partir de cas particuliers et dramatiques alors que la loi est et doit rester, par principe et par définition juridique, un acte général et impersonnel. En 2019, le vote de la dépénalisation pour la femme avait été joint à des recommandations visant à améliorer l’accompagnement des mères et des familles confrontées à des grossesses non désirées, à renforcer la prévention des pratiques à risque et l’information des jeunes comme des adultes. Ces recommandations restent d’impérieuse actualité. Il y a là un beau défi à relever pour promouvoir la vie et non la mort. L’Église sera toujours présente pour une ambitieuse politique de la famille à Monaco.
6. – En Principauté, nous sommes fiers de défendre nos spécificités. Parmi elles, se trouve la confessionnalité de l’État. La religion d’État ne peut être réduite à une simple tradition : elle structure le droit monégasque lui-même ; elle est indissociable de notre identité nationale. L’article 9 de la Constitution fait des principes de la religion catholique le fondement des institutions publiques et des lois. Si, au regard du droit, chaque individu demeure libre, en conscience et à titre personnel, de pratiquer la religion de son choix ou aucune, l’État, en revanche, pour sa part et à titre collectif, a fait le choix, tout aussi libre et déterminé, de puiser sa philosophie politique et son inspiration juridique dans un système précis de références morales et de valeurs sociales. Si en France, par exemple, la laïcité irrigue l’ensemble du droit et l’action de l’État, ici à Monaco, c’est la foi catholique, dont le corpus de doctrine sociale et éthique est particulièrement développé. Fondant notre identité, elle est porteuse d’Espérance et constitue le ferment d’une convergence humaine civilisationnelle fondée sur la Vérité et la Vie.
7. – Concernant le droit à la vie et la compréhension de la nature du fœtus, la position de l’Église ne relève pas uniquement de la foi. Elle s’appuie entre autres sur des fondements philosophiques de conception de l’Homme partagés par d’autres que les croyants, et sur des données scientifiques dont les progrès ont confirmé aux yeux de tous les enseignements de la morale chrétienne en la matière. La biologie et la génétique expliquent désormais scientifiquement que la vie humaine commence dès la conception. L’embryon n’est pas un simple amas de cellules, ni une cellule du corps de la mère qui serait un prolongement de son propre corps ; il est une entité distincte. Ce nouvel être vivant appartient pleinement à l’espèce humaine : organisme unique, porteur d’un patrimoine génétique propre, qui n’est ni celui du père, ni celui de la mère, il n’est ni un animal, ni un végétal, ni une chose. La mère ne porte pas le néant ou la mort, mais déjà la vie humaine. Dès le IIe siècle, Tertullien en avait la prescience en affirmant : « Il est déjà un homme celui qui le sera ».
8. – À partir de sa conception, le développement de l’embryon ne connaît pas de sauts qualitatifs, mais une progression continue, ordonnée et sans rupture : le cœur commence à battre, les organes se forment, l’activité cérébrale émerge, la silhouette devient reconnaissable. Le fœtus est programmé pour se développer selon sa propre dynamique, et aucun seuil arbitraire (douze semaines, viabilité, naissance, etc.) ne peut fonder avec cohérence le début du respect dû à la vie humaine. La viabilité du fœtus, c’est-à-dire sa capacité à survivre en dehors de l’utérus, est un critère médical, relatif aux capacités des technologies disponibles, mais il ne peut devenir un critère moral qui en viendrait à déterminer son humanité. Un fœtus non viable est un être humain en développement, certes dépendant du corps de sa mère, mais sa dignité humaine ne peut dépendre ni de son niveau de conscience, ni de sa viabilité, ni d’un degré d’autonomie. Sans quoi, au cours de leur vie, des personnes dépendantes de traitements, de soins ou d’assistance pourraient se voir, au même titre, exclues du droit à vivre. La dignité humaine est un fait. Elle s’applique à tout être humain parce qu’il est, et non parce qu’il est capable ou viable. La vie humaine ne se définit pas par son autonomie mais par sa dignité – qui ne peut être accordée ou retirée par une loi civile.
9. – Le pape François a multiplié, ces dernières années, des formules choc, pour rappeler la gravité de l’avortement justifiant son opposition et celle de l’Église. Mais il nous est impossible de comprendre cette position, si nous oublions qu’elle s’articule à sa vision de « l’écologie intégrale », explicitée dans l’encyclique ‘Laudato Si’. Sa dénonciation de l’avortement doit se comprendre d’un point de vue moral certes, mais aussi comme un refus absolu de la « culture du déchet », qui supprime ce que nous ne désirons pas et qui nous encombre. Dans le domaine de l’écologie, nous savons à quel point notre Principauté, à la suite de son Souverain,se veut être exemplaire. Il y aurait une contradiction flagrante à vouloir respecter les forces de vie de la Nature en encourageant la culture de mort contre l’espèce humaine en ses membres les plus fragiles.
10. – Certains affirment que cette évolution législative serait nécessaire pour se mettre en adéquation avec le monde occidental. Or quatre pays membres du Conseil de l’Europe (Pologne, Malte, Andorre, Liechtenstein) – dont les deux premiers sont aussi membres de l’Union Européenne – ont une législation sur l’avortement plus restrictive qu’à Monaco. Aucun consensus ne se dégageant au sein du Conseil de l’Europe, la Cour Européenne des Droits de l’Homme reconnaît aux États une marge d’appréciation en matière de protection de l’enfant à naître. Il n’y a donc aucune contrainte législative pour les différents pays. Chacun est libre, en fonction de ses spécificités, d’apprécier le juste équilibre entre le droit à la vie prénatale et le choix des femmes.
11. – Aujourd’hui, si une femme choisit d’avorter en se rendant dans un pays où la législation l’y autorise, la loi monégasque ne la sanctionne pas. Ce n’est pas là un sujet d’hypocrisie, mais la reconnaissance par l’État de la liberté individuelle d’adhérer ou non aux références morales et aux valeurs sociales qui sont les siennes. L’hypocrisie serait caractérisée, au contraire, par l’affirmation d’un système de valeurs dont on se revendiquerait, mais dont on rejetterait, dans la pratique, les éléments les plus fondamentaux.
12. – Ce serait là un changement de société, un point de non-retour, le franchissement d’un cap anthropologique majeur, où le droit n’assurerait plus la protection des plus faibles. Cela entraînerait nécessairement une altération substantielle de nos Institutions, avalisant le fait que la Principauté ne se reconnaîtrait plus dans les références morales et les valeurs sociales du catholicisme. Est-ce ce que veulent vraiment les Monégasques ? Cela prend-il en compte les aspirations des nombreux Résidents qui ont choisi Monaco ?
13. – Depuis les origines, la religion catholique est constitutive de l’âme monégasque. C’est en prince chrétien, descendant d’une dynastie chrétienne d’une fidélité constante et éprouvée à l’Église de Rome, qu’en 1962 le Prince Rainier III a expressément inscrit la religion catholique au fronton de la nouvelle Constitution, selon – rappelons-le – le souhait unanime des élus nationaux de l’époque. À Monaco plus qu’ailleurs, qu’on soit croyant ou incroyant, pratiquant ou non, personne ne saurait contester que la religion réponde à son étymologie de « relier / religare », elle, dont la nature communautaire a fortement contribué à l’unité et à la singularité des Monégasques parmi les autres peuples. La sauvegarde de cette unité, autour de notre Prince souverain, nécessite le respect de ces principes fondamentaux et demeure un impératif pour chacune des autorités et institutions publiques de notre Pays. Soyons donc fiers de nos valeurs et cohérents dans nos actes, même juridiques !
14. – Parce que nous, habitants de Monaco et fidèles de l’Église catholique, nous aimons ce pays, nous voulons préserver son intégrité culturelle et son identité constitutionnelle. Nous prions pour que la foi demeure vive, non seulement dans les us et coutumes locales, mais encore et surtout dans les cœurs comme dans les mœurs. Nous voulons nous engager pour que, face aux détresses des femmes, des mères et des familles, l’avortement ne devienne pas la seule option envisagée, mais qu’elles soient accompagnées pour surmonter leurs difficultés, pour leur offrir une véritable et juste autonomie et leur permettre d’accueillir sereinement la Vie.
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