L'intelligence artificielle

Publié le 2025-06-20

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2025

au 7 novembre 2025

 

 

9 mai 2025 – Homélie de la Messe Pro Ecclesia, célébrée par le Pape Léon XIV, en présence des Cardinaux électeurs, dans la Chapelle Sixtine

     Aujourd'hui encore, nombreux sont les contextes où la foi chrétienne est considérée comme absurde, réservée aux personnes faibles et peu intelligentes ; des contextes où on lui préfère d'autres certitudes, comme la technologie, l'argent, le succès, le pouvoir, le plaisir.

 

10 mai 2025 – Discours du Pape Léon XIV au Collège Cardinalice.

     Je voudrais que nous renouvelions ensemble, aujourd'hui, notre pleine adhésion au chemin que l'Église universelle suit depuis des décennies dans le sillage du Concile Vatican II. Le Pape François en a magistralement rappelé et actualisé le contenu dans l'Exhortation apostoliqueEvangelii gaudium, dont je voudrais souligner quelques aspects fondamentaux : le retour à la primauté du Christ dans l'annonce (cf. n° 11) ; la conversion missionnaire de toute la communauté chrétienne (cf. n° 9) ; la croissance dans la collégialité et la synodalité (cf. n° 33) ; l'attention au sensus fidei (cf. nos 119-120), en particulier dans ses formes les plus authentiques et les plus inclusives, comme la piété populaire (cf. n° 123) ; l'attention affectueuse aux plus petits et aux laissés-pour-compte (cf. n° 53) ; le dialogue courageux et confiant avec le monde contemporain dans ses diverses composantes et réalités (cf. n° 84 ; Concile Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes, 1-2).

     Il s'agit de principes évangéliques qui ont toujours animé et inspiré la vie et l'œuvre de la Famille de Dieu, de valeurs à travers lesquelles le visage miséricordieux du Père s'est révélé et continue de se révéler dans le Fils fait homme, espérance ultime de quiconque recherche sincèrement la vérité, la justice, la paix et la fraternité (cf. Benoît XVI, Lett. enc. Spe salvi, 2 ; François, Bulle Spes non confundit, n. 3).

     C'est précisément parce que je me sens appelé à poursuivre dans ce sillage que j'ai pensé à prendre le nom de Léon XIV. Il y a plusieurs raisons, mais principalement parce que le Pape Léon XIII, avec l'encyclique historique Rerum novarum, a abordé la question sociale dans le contexte de la première grande révolution industrielle ; et aujourd'hui l'Église offre à tous son héritage de doctrine sociale pour répondre à une autre révolution industrielle et aux développements de l'intelligence artificielle, qui posent de nouveaux défis pour la défense de la dignité humaine, de la justice et du travail.

 

12 mai 2025 – Discours du Pape Léon XIV aux journalistes, et professionnels de la communication du monde entier, venus à Rome (Extraits)

     Aujourd'hui, l'un des défis les plus importants est de promouvoir une communication capable de nous faire sortir de la « tour de Babel » dans laquelle nous nous trouvons parfois, de la confusion des langages sans amour, souvent idéologiques ou partisans. C'est pourquoi votre service, avec les mots que vous utilisez et le style que vous adoptez, est important. En effet, la communication n'est pas seulement la transmission d'informations, mais aussi la création d'une culture, d'environnements humains et numériques qui deviennent des espaces de dialogue et de confrontation. Et si l'on considère l'évolution technologique, cette mission devient encore plus nécessaire. Je pense en particulier à l'intelligence artificielle, avec son immense potentiel, qui exige toutefois responsabilité et discernement pour orienter les outils vers le bien de tous, afin qu'ils puissent produire des bénéfices pour l'humanité. Et cette responsabilité concerne tout le monde, proportionnellement à l'âge et aux rôles sociaux.

    

 

16 mai 2025 – Discours de Léon XIV aux membres du Corps Diplomatiques accrédités près le Saint-Siège (le terme apparait deux fois, plus une fois « virtuel »

     Dans notre dialogue, je voudrais que le sentiment d’appartenance à une famille prenne toujours le pas. En effet, la communauté diplomatique représente toute la famille des peuples, partageant les joies et les peines de la vie ainsi que les valeurs humaines et spirituelles qui l’animent. La diplomatie pontificale est, en effet, une expression de la catholicité même de l’Église et, dans son action diplomatique, le Saint-Siège est animé par une urgence pastorale qui le pousse non pas à rechercher des privilèges, mais à intensifier sa mission évangélique au service de l’humanité. Il combat toute indifférence et rappelle sans cesse les consciences, comme l’a fait inlassablement mon vénérable prédécesseur, toujours attentif au cri des pauvres, des nécessiteux et des marginalisés, mais aussi aux défis qui marquent notre temps, depuis la sauvegarde de la création jusqu’à l’intelligence artificielle.

     En plus d’être le signe concret de l’attention que vos pays accordent au Siège Apostolique, votre présence aujourd’hui est pour moi un don qui permet de renouveler l’aspiration de l’Église – et la mienne personnelle – à rejoindre et à étreindre tous les peuples et toutes les personnes de cette terre, désireux et en quête de vérité, de justice et de paix ! D’une certaine manière, mon expérience de vie, qui s’est déroulée entre l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud et l’Europe, est représentative de cette aspiration à dépasser les frontières pour rencontrer des personnes et des cultures différentes.

     Grâce au travail constant et patient de la Secrétairerie d’État, j’entends consolider la connaissance et le dialogue avec vous et vos pays, dont j’ai déjà eu la grâce d’en visiter un bon nombre au cours de ma vie, en particulier lorsque j’étais prieur général des Augustins. Je suis convaincu que la Divine Providence m’accordera d’autres occasions de rencontres avec les réalités dont vous êtes issus, me permettant ainsi de saisir les opportunités qui se présenteront pour confirmer la foi de tant de frères et sœurs dispersés à travers le monde, et pour construire de nouveaux ponts avec toutes les personnes de bonne volonté.

     Dans notre dialogue, je voudrais que nous gardions à l’esprit trois mots clés qui constituent les piliers de l’action missionnaire de l’Église et du travail diplomatique du Saint-Siège.

     Le premier mot est paix. Trop souvent, nous considérons ce mot comme “négatif”, c’est-à-dire comme la simple absence de guerre et de conflit, car l’opposition fait partie de la nature humaine et nous accompagne toujours, nous poussant trop souvent à vivre dans un “état de conflit” permanent : à la maison, au travail, dans la société. La paix semble alors n’être qu’une simple trêve, une pause entre deux conflits, car, malgré tous nos efforts, les tensions sont toujours présentes, un peu comme des braises qui couvent sous la cendre, prêtes à se rallumer à tout moment.

     Dans la perspective chrétienne – comme dans d’autres expériences religieuses – la paix est avant tout un don le premier don du Christ : « Je vous donne ma paix » (Jn 14, 27). Elle est cependant un don actif, engageant, qui concerne et implique chacun de nous, indépendamment de notre origine culturelle et de notre appartenance religieuse, et qui exige avant tout un travail sur soi-même. La paix se construit dans le cœur et à partir du cœur, en déracinant l’orgueil et les revendications, et en mesurant son langage, car on peut blesser et tuer aussi par des mots, pas seulement par des armes.

     Dans cette optique, je considère que la contribution que les religions et le dialogue interreligieux peuvent apporter pour favoriser des contextes de paix est fondamentale. Cela exige naturellement le plein respect de la liberté religieuse dans chaque pays, car l’expérience religieuse est une dimension fondamentale de la personne humaine, sans laquelle il est difficile, voire impossible, d’accomplir cette purification du cœur nécessaire pour construire des relations de paix.

     À partir de ce travail, auquel nous sommes tous appelés, il est possible d’éradiquer les prémices de tout conflit et de toute volonté destructrice de conquête. Cela exige également une sincère volonté de dialogue, animée par le désir de se rencontrer plutôt que de s’affronter. Dans cette perspective, il est nécessaire de redonner un souffle à la diplomatie multilatérale et aux institutions internationales qui ont été voulues et conçues avant tout pour remédier aux conflits pouvant surgir au sein de la Communauté internationale. Bien sûr, il faut encore la volonté de cesser de produire des instruments de destruction et de mort, car, comme le rappelait le  pape François dans son dernier Message Urbi et Orbi, « aucune paix n’est possible sans véritable désarmement [et] le besoin de chaque peuple de pourvoir à sa propre défense ne peut se transformer en une course générale au réarmement » [1].

     Le deuxième mot est justice. Poursuivre la paix exige de pratiquer la justice. Comme je l’ai déjà évoqué, j’ai choisi mon nom en pensant avant tout à Léon XIII, le Pape de la première grande encyclique sociale, Rerum novarum. Dans le changement d’époque que nous vivons, le Saint-Siège ne peut s’empêcher de faire entendre sa voix face aux nombreux déséquilibres et injustices qui conduisent, entre autres, à des conditions de travail indignes et à des sociétés de plus en plus fragmentées et conflictuelles. Il faut également s’efforcer de remédier aux inégalités mondiales, qui voient l’opulence et la misère creuser des fossés profonds entre les continents, entre les pays et même au sein d’une même société.

     Il incombe à ceux qui ont des responsabilités gouvernementales de s’efforcer à construire des sociétés civiles harmonieuses et pacifiées. Cela peut être accompli avant tout en misant sur la famille fondée sur l’union stable entre un homme et une femme, « une société très petite sans doute, mais réelle et antérieure à toute société civile » [2]. En outre, personne ne peut se dispenser de promouvoir des contextes où la dignité de chaque personne soit protégée, en particulier celle des plus fragiles et des plus vulnérables, du nouveau-né à la personne âgée, du malade au chômeur, que celui-ci soit citoyen ou immigrant.

     Mon histoire est celle d’un citoyen, descendant d’immigrés, lui-même émigré. Au cours de la vie, chacun d’entre nous peut se retrouver en bonne santé ou malade, avec ou sans emploi, dans sa patrie ou en terre étrangère : cependant sa dignité reste toujours la même, celle d’une créature voulue et aimée de Dieu.

     Le troisième mot est vérité. On ne peut construire des relations véritablement pacifiques, même au sein de la Communauté internationale, sans vérité. Là où les mots revêtent des connotations ambiguës et ambivalentes ou le monde virtuel, avec sa perception altérée de la réalité, prend le dessus sans contrôle, il est difficile de construire des rapports authentiques, puisque les prémisses objectives et réelles de la communication font défaut.

     Pour sa part, l’Église ne peut jamais se soustraire à son devoir de dire la vérité sur l’homme et sur le monde, en recourant si nécessaire à un langage franc qui peut au début susciter une certaine incompréhension. Mais la vérité n’est jamais séparée de la charité qui, à la racine, a toujours le souci de la vie et du bien de tout homme et de toute femme. D’ailleurs, dans la perspective chrétienne, la vérité n’est pas l’affirmation de principes abstraits et désincarnés, mais la rencontre avec la personne même du Christ qui vit dans la communauté des croyants. Ainsi, la vérité ne nous éloigne pas, mais au contraire elle nous permet d’affronter avec plus de vigueur les défis de notre temps comme les migrations, l’utilisation éthique de l’intelligence artificielle et la sauvegarde de notre Terre bien-aimée.   Ce sont des défis qui exigent l’engagement et la collaboration de tous, car personne ne peut penser les relever seul.

     Chers Ambassadeurs,

     mon ministère commence au cœur d’une année jubilaire, dédiée d’une façon particulière à l’espérance. C’est un temps de conversion et de renouveau, mais surtout l’occasion de laisser derrière nous les conflits et d’emprunter un nouveau chemin, animés par l’espérance de pouvoir construire, en travaillant ensemble, chacun selon ses sensibilités et ses responsabilités, un monde dans lequel chacun pourra réaliser son humanité dans la vérité, dans la justice et dans la paix. …

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[1]Message Urbi et Orbi, 20 avril 2025.

[2] Léon XIII, Lett. enc. Rerum novarum, 15 mai 1891, n.9.

 

17 mai 2025 – Discours du Pape Léon XIV aux membres de la Fondation Centesimus Annus Pro Pontifice

   Léon XIII — qui a vécu à une époque de transformations historiques majeures et bouleversantes — s’était donné pour objectif de contribuer à la paix en stimulant le dialogue social entre le capital et le travail, entre les technologies et l’intelligence humaine, entre les différentes cultures politiques, entre les nations

      …, la Doctrine sociale de l’Eglise est appelée à fournir des clés de lecture permettant d’établir un dialogue entre la science et la conscience, apportant ainsi une contribution fondamentale à la connaissance, à l’espérance et à la paix.

     La Doctrine sociale, en effet, nous enseigne à reconnaître que la manière dont nous abordons les problèmes est plus importante que les problèmes eux-mêmes ou que les solutions que nous leur trouvons : avec des critères d’évaluation, des principes éthiques et l’ouverture à la grâce de Dieu.

     La Doctrine sociale de l’Eglise, avec son regard anthropologique propre, vise à favoriser un véritable accès aux questions sociales : elle ne prétend pas détenir la vérité absolue, ni en matière d’analyse des problèmes, ni en ce qui concerne leur résolution. Au sujet de ces questions, il est plus important de savoir se rapprocher humblement plutôt que de fournir une réponse rapide sur la raison pour laquelle une chose s’est produite ou sur la façon dont la dépasser. L’objectif est d’apprendre à affronter les problèmes, qui sont toujours différents, car chaque génération est nouvelle, avec de nouveaux défis, de nouveaux rêves, de nouvelles interrogations.

     Nous avons ici un aspect fondamental pour construire une «culture de la rencontre» à travers le dialogue et l’amitié sociale. Pour la sensibilité de nombre de nos contemporains, les mots dialogue et doctrine paraissent opposés, incompatibles. Peut-être qu’en entendant le mot doctrine, nous pensons immédiatement à la définition classique: un ensemble d’idées propres à une religion. Et cette définition nous donne le sentiment de manquer de liberté pour réfléchir, remettre en question, chercher des alternatives.

     Il est donc urgent de montrer, à travers la Doctrine sociale de l’Eglise, qu’il existe un autre sens — prometteur — au mot doctrine, sans lequel même le dialogue devient vide. Ses synonymes peuvent être «science», «discipline» ou «savoir». Ainsi comprise, chaque doctrine est le fruit d’une recherche et donc d’hypothèses, de voix diverses, d’avancées et d’échecs, à travers lesquels elle tente de transmettre un savoir fiable, structuré et systématique sur un sujet donné. Ainsi, une doctrine n’équivaut pas à une opinion, mais devient un chemin commun, choral et même interdisciplinaire vers la vérité.

     L’endoctrinement est immoral, il empêche le jugement critique, porte atteinte à la liberté sacrée du respect de la conscience — même erronée —, et se ferme à de nouvelles réflexions parce qu’il rejette le mouvement, le changement ou l’évolution des idées face à de nouveaux problèmes. A l’inverse, la doctrine, entendue comme une réflexion sérieuse, paisible et rigoureuse, veut d’abord nous enseigner à nous approcher des situations, et avant tout, des personnes. De plus, elle nous aide à formuler un jugement prudentiel. Ce sont la rigueur, le sérieux et la sérénité que nous devons tirer de toute doctrine, même de la Doctrine sociale.

     Dans le contexte de la révolution numérique en cours, la mission d’éduquer au sens critique doit être redécouverte, expliquée et cultivée, en résistant aux tentations contraires qui peuvent même affecter le corps ecclésial. Il y a peu de dialogue autour de nous, et les paroles criées dominent, souvent accompagnées de fausses informations et de thèses irrationnelles proférées par quelques puissants. D’où l’importance primordiale de l’approfondissement, de l’étude, mais aussi de la rencontre et de l’écoute des pauvres, trésor de l’Eglise et de l’humanité, porteurs de points de vue marginalisés, mais indispensables pour voir le monde avec les yeux de Dieu. Ceux qui naissent et grandissent loin des centres de pouvoir ne doivent pas seulement être formés à la Doctrine sociale de l’Eglise, mais être reconnus comme des personnes qui la perpétuent et la mettent en pratique: les témoins d’engagement social, les mouvements populaires et les différentes organisations catholiques de travailleurs sont l’expression des périphéries existentielles où l’espérance résiste et germe toujours. Je vous recommande de donner la parole aux pauvres.

     Comme l’affirme le Concile Vatican II: «L’Eglise a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Evangile, de telle sorte qu’elle puisse répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques» (Const. past. Gaudium et spes, n. 4).

     … Il existe aujourd’hui un besoin généralisé de justice, une demande de paternité et de maternité, un profond désir de spiritualité, surtout chez les jeunes et les marginalisés, qui ne trouvent pas toujours de moyens efficaces pour s’exprimer. Il existe une attente croissante envers la Doctrine sociale de l’Eglise à laquelle nous devons répondre.

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[1]Message aux participants à l’Assemblée générale de l’Académie pontificale pour la vie, 3 mars 2025.

 

15 juin 2025 – Homélie du Pape Léon XIV lors de la Messe du Jubile du Sport, en la solennité de la Sainte Trinité

     Dans une société de plus en plus numérique, où les technologies, tout en rapprochant les personnes éloignées, éloignent souvent celles qui sont proches, le sport valorise le caractère concret du vivre ensemble, le sens du corps, de l’espace, de l’effort, du temps réel. Ainsi, contre la tentation de fuir dans des mondes virtuels, il aide à maintenir un contact sain avec la nature et avec la vie concrète, lieu seul où s’exerce l’amour (cf. 1 Jn 3, 18).

 

17 juin 2025 – Message du Pape Léon XIV aux participants à le 2ème Conférence annuelle sur l’IA, éthique et gouvernance d’entreprise les 19 et 20 juin

     A l’occasion de cette deuxième conférence annuelle de Rome sur l’Intelligence artificielle, j’exprime mes meilleurs vœux dans la prière à tous les participants. Votre présence témoigne du besoin urgent d’une réflexion sérieuse et d’un débat constant sur la dimension intrinsèquement éthique de l’IA, ainsi que sur sa gouvernance responsable. A cet égard, je suis heureux que le deuxième jour de la Conférence se déroule au Palais apostolique, ce qui manifeste clairement la volonté de l’Eglise de participer à ces débats qui touchent directement le présent et l’avenir de notre famille humaine.

     A côté de son extraordinaire potentiel au bénéfice de la famille humaine, le développement rapide de l’IA soulève également des questions plus profondes concernant l’utilisation appropriée de cette technologie pour édifier une société mondiale plus authentiquement juste et humaine. Dans ce sens, tout en étant sans aucun doute un produit exceptionnel du génie humain, l’IA est «avant tout un outil» (Pape François, Discours à la session du G7 sur l’Intelligence artificielle, 14 juin 2024). Par définition, les outils renvoient à l’intelligence humaine qui les a conçus et tirent une grande partie de leur force éthique des intentions des personnes qui les manipulent. Dans certains cas, l’IA a été utilisée de façon positive et même noble pour promouvoir une plus grande égalité, mais il existe également la possibilité qu’elle soit détournée à des fins égoïstes au détriment des autres, ou pire, pour fomenter les conflits et les agressions.

     Pour sa part, l’Eglise désire contribuer à un débat serein et éclairé sur ces questions urgentes en soulignant avant tout le besoin de mesurer les ramifications de l’IA à la lumière du «développement intégral de la personne et de la société» (Note Antiqua et Nova, n. 6). Cela implique de prendre en compte le bien-être de la personne humaine, non seulement du point de vue matériel, mais également intellectuel et spirituel; cela signifie sauvegarder la dignité inviolable de chaque personne humaine et respecter la richesse culturelle et spirituelle des peuples du monde. En définitive, les bénéfices ou les risques de l’IA doivent être évalués précisément en fonction de ce critère éthique supérieur.

     Malheureusement, comme le regretté Pape François l’a souligné, nos sociétés assistent aujourd’hui à une certaine «disparition ou du moins à une éclipse du sens de l’humain» et cela nous exhorte tous à réfléchir plus profondément sur la véritable nature et l’unicité de notre dignité humaine commune (Discours à la session du G7 sur l’Intelligence artificielle, 14 juin 2024). L’IA, en particulier l’IA générative, a ouvert de nouveaux horizons à différents et multiples niveaux, notamment en améliorant la recherche en matière de santé et de découverte scientifique, mais elle soulève également des questions préoccupantes sur ses possibles répercussions sur l’ouverture de l’humanité à la vérité et à la beauté, sur notre capacité distinctive à saisir et à interpréter la réalité. Reconnaître et respecter ce qui caractérise de façon unique la personne humaine est essentiel au débat de tout cadre éthique adéquat pour la gouvernance de l’IA.  

     Nous sommes tous, j’en suis certain, préoccupés pour les enfants et les jeunes, et les possibles conséquences de l’utilisation de l’IA sur le développement intellectuel et neurologique. Il faut aider nos jeunes, et non pas les entraver, dans leur parcours vers la maturité et la véritable responsabilité. Ils sont notre espérance pour l’avenir, et le bien-être de la société dépend de la capacité qu’ils pourront avoir de développer les dons et les aptitudes que Dieu leur a donnés, et de répondre aux défis de notre époque et aux besoins des autres avec un esprit libre et généreux. Aucune génération n’a jamais eu un tel accès rapide à la masse d’information désormais disponible grâce à l’IA. Mais une fois encore, l’accès à des données — bien qu’extensives — ne doit pas être confondue avec l’intelligence, qui implique nécessairement «l’ouverture de la personne aux questions ultimes de la vie et reflète une orientation vers le Vrai et le Bien» (Antiqua et Nova, n. 29). A la fin, la sagesse authentique est davantage liée à la reconnaissance de la véritable signification de la vie, qu’à la disponibilité de données.

     Chers amis, dans cette perspective, je forme le vœu que vos débats considéreront également l’IA dans le contexte de l’apprentissage intergénérationnel nécessaire qui permettra aux jeunes d’intégrer la vérité dans leur vie morale et spirituelle, éclairant ainsi leurs décisions mûres et ouvrant la voie à un monde de plus grande solidarité et unité (cf. ibid., n. 28). La tâche qui s’ouvre à vous n’est pas aisée, mais elle est d’une importance vitale. En vous remerciant pour vos efforts présents et futurs, j’invoque cordialement sur vous et vos familles les bénédictions divines de sagesse, de joie et de paix.

Du Vatican, le 17 juin 2025

Léon PP. XIV

 

21 juin 2025 – Discours du Pape Léon XIV lors du Jubilé des Pouvoirs Publics, et Parlementaires

     Venons-en à la troisième considération. Le degré de civilisation atteint dans notre monde, et les objectifs auxquels vous êtes appelés à répondre, trouvent aujourd’hui un grand défi dans l’intelligence artificielle. Il s’agit d’un développement qui apportera sans aucun doute une aide utile à la société, dans la mesure où, toutefois, son utilisation ne compromet pas l’identité et la dignité de la personne humaine, ni ses libertés fondamentales. En particulier, il ne faut pas oublier que le rôle de l’intelligence artificielle est d’être un instrument au service du bien de l’être humain, et non pour le diminuer ou en provoquer la perte. Le défi qui se profile est donc important, et exige une grande attention, une vision clairvoyante de l’avenir, afin de concevoir, dans un monde en rapide mutation, des styles de vie sains, justes et sûrs, en particulier pour les jeunes générations.

     La vie personnelle vaut beaucoup plus qu’un algorithme et les relations sociales ont besoin d’espaces humains bien plus riches que les schémas limités que peut préfabriquer une quelconque machine sans âme. N’oublions pas que bien qu’étant en mesure d’emmagasiner des millions de données et d’offrir en quelques secondes des réponses à de nombreuses questions, l’intelligence artificielle  demeure dotée d’une «mémoire» statique, sans comparaison possible avec celle de l’homme et de la femme, qui est au contraire créative, dynamique, générative, capable d’unir passé, présent et avenir dans une recherche vivante et féconde de sens, avec toutes les implications éthiques et existentielles qui en découlent (cf. François, Discours à la session du G7 sur l’intelligence artificielle, 14 juin 2024).

La politique ne peut ignorer un tel défi. Elle est, au contraire, appelée à répondre aux nombreux citoyens qui regardent à juste titre les défis liés à cette nouvelle culture numérique avec confiance mais aussi préoccupation.

     Saint Jean-Paul II, lors du Jubilé de l’an 2000, a indiqué aux hommes politiques saint Thomas More comme témoin à admirer et intercesseur sous la protection duquel placer leur engagement. En effet, Thomas More fut un homme fidèle à ses responsabilités civiles, précisément en vertu de sa foi, qui le conduisit à interpréter la politique non pas comme une profession, mais comme une mission pour la promotion de la vérité et du bien. Il «mit son activité publique au service de la personne, surtout quand elle est faible ou pauvre; il géra les controverses sociales avec un grand sens de l’équité; il protégea la famille et la défendit avec une détermination inlassable; il promut l’éducation intégrale de la jeunesse» (Lett. Ap. M.P. E Sancti Thomae Mori, 31 octobre 2000, n. 4). Le courage avec lequel il n’hésita pas à sacrifier sa vie pour ne pas trahir la vérité en fait pour nous, aujourd’hui encore, un martyr de la liberté et de la primauté de la conscience. Puisse son exemple être pour chacun de vous une source d’inspiration et d’orientation.

 

24 juin 2025 – Méditation du Pape Léon XIV lors du Jubilé des Séminaristes (plus de 4000 venus du monde entier) extraits

     Je vous invite à invoquer fréquemment l’Esprit Saint, pour qu’il façonne en vous un cœur docile, capable de percevoir la présence de Dieu, également en écoutant les voix de la nature, de l’art, de la poésie, de la littérature [5], de la musique, mais aussi des sciences humaines [6]. Dans le travail rigoureux des études théologiques, sachez aussi écouter avec un esprit et un cœur ouverts les voix de la culture, comme les défis récents de l’intelligence artificielle et celles des médias sociaux [7]. Surtout, à l’exemple de Jésus, sachez entendre le cri souvent silencieux des petits, des pauvres et des opprimés, et de tant de personnes, surtout des jeunes, qui cherchent un sens à leur vie.

 

10 juillet 2025 – Message du Pape Léon XIV signé du Vad Parolin, à l’occasion du Sommet AI FOR GOOD

     Au nom de Sa Sainteté Léon XIV, je voudrais adresser mes salutations cordiales à tous les participants au AI for Good Summit 2025, organisé par l’Union internationale des télécommunications (UIT), en collaboration avec d’autres agences des Nations unies, et co-organisé par le gouvernement suisse. Etant donné que ce sommet coïncide avec le 160e anniversaire de la fondation de l’UIT, je désire féliciter tous les membres et le personnel pour leur travail et leur engagement constant en vue de promouvoir la coopération mondiale afin d’apporter les bénéfices des technologies de la communication à toutes les personnes dans le monde.

     Connecter la famille humaine grâce à la communication télégraphique, radiophonique, téléphonique, numérique et spatiale présente des défis, en particulier dans les zones rurales et à faibles revenus, où environ 2,6 milliards de personnes n’ont toujours pas accès aux technologies de communication.

     L’humanité se trouve à un carrefour face à l’immense potentiel généré par la révolution numérique guidée par l’intelligence artificielle. L’impact de cette révolution est considérable, transformant des domaines tels que l’éducation, le travail, l’art, les soins de santé, l’administration, le domaine militaire et la communication. Ce changement historique exige responsabilité et discernement, afin de garantir que l’IA soit développée et utilisée pour le bien commun, en construisant des ponts de dialogue et en promouvant la fraternité, et en veillant à ce qu’elle serve les intérêts de l’humanité dans son ensemble.

     Alors que l’IA devient capable de s’adapter de manière autonome à de nombreuses situations en effectuant des choix purement techniques fondés sur des algorithmes, il est fondamental de prendre en compte ses implications anthropologiques et éthiques, les valeurs en jeu, les obligations et les cadres réglementaires nécessaires pour soutenir ces valeurs. En effet, même si l’IA peut simuler certains aspects du raisonnement humain et accomplir des tâches spécifiques avec une rapidité et une efficacité incroyables, elle ne peut reproduire le discernement moral ou la capacité à nouer des relations authentiques. Par conséquent, le développement de ces progrès technologiques doit aller de pair avec le respect des valeurs humaines et sociales, la capacité de juger avec une conscience tranquille et une plus grande responsabilité humaine. Ce n’est pas un hasard si cette époque de profonde innovation a poussé de nombreuses personnes à réfléchir sur ce que signifie être humains et au rôle de l’humanité dans le monde.

     Bien que la responsabilité de l’utilisation éthique des systèmes d’IA revienne en premier lieu à ceux qui les développent, les gèrent et les supervisent, cette responsabilité est également partagée par ceux qui les utilisent. L’IA nécessite donc une gestion éthique appropriée et des cadres réglementaires centrés sur la personne humaine, qui vont au-delà des simples critères d’utilité ou d’efficacité. En substance, nous ne devons jamais perdre de vue l’objectif commun de contribuer à cette «tranquillitas ordinis, c’est-à-dire la tranquillité de l’ordre», comme l’a définie saint Augustin (De Civitate Dei), et de promouvoir un ordre de relations sociales plus humain, ainsi que des sociétés pacifiques et justes au service du développement humain intégral et du bien de la famille humaine.

     Au nom du Pape Léon XIV, je souhaite profiter de cette occasion pour vous encourager à rechercher la clarté éthique et à établir une gestion coordonnée locale et mondiale de l’IA, fondée sur la reconnaissance commune de la dignité inhérente et des libertés fondamentales de la personne humaine. Le Saint-Père vous assure volontiers de ses prières dans votre engagement pour le bien commun.

 

29 juillet 2025 – Discours du Pape Léon XIV aux influenceurs et missionnaires du numérique

     la paix soit avec vous !

     Chers frères et sœurs, nous avons commencé avec cette salutation : la paix soit avec vous !

     Et combien nous avons besoin de paix en cette période déchirée par l’hostilité et les guerres. Et combien le salut du Ressuscité, « La paix soit avec vous ! » (Jn 20, 19), nous invite aujourd’hui au témoignage. La paix soit avec nous tous, dans nos cœurs et dans nos actions.

     Telle est la mission de l’Église : annoncer la paix au monde ! La paix qui vient du Seigneur, qui a vaincu la mort, qui nous apporte le pardon de Dieu, qui nous donne la vie du Père, qui nous montre le chemin de l’Amour !

     1. C’est la mission que l’Église vous confie également aujourd’hui, à vous qui êtes ici à Rome pour votre Jubilé, venus renouveler votre engagement à nourrir d’espérance chrétienne les réseaux sociaux et les milieux numériques. La paix doit être recherchée, annoncée, partagée partout, tant dans les lieux dramatiques de la guerre que dans le cœur vide de ceux qui ont perdu le sens de l’existence et le goût de l’intériorité, le goût de la vie spirituelle. Et aujourd’hui, peut-être plus que jamais, nous avons besoin de disciples missionnaires qui portent dans le monde le don du Ressuscité ; qui donnent voix à l’espérance que nous donne Jésus vivant, jusqu’aux extrémités de la terre (cf. Ac 1, 3-8) ; qui arrivent partout où il y a un cœur qui attend, un cœur qui cherche, un cœur qui a besoin. Oui, jusqu’aux confins de la terre, aux confins existentiels où il n’y a pas d’espoir.

     2. Dans cette mission, il y a un deuxième défi : dans les espaces numériques, cherchez toujours la “chair souffrante du Christ” dans chaque frère et sœur. Nous vivons aujourd’hui dans une culture nouvelle, profondément marquée et construite avec et par la technologie. C’est à nous – c’est à vous – de faire en sorte que cette culture reste humaine.

La science et la technique influencent notre façon d’être et de vivre dans le monde, jusqu’à impliquer même la compréhension de nous-mêmes et notre relation avec Dieu, notre relation les uns aux autres. Mais rien de ce qui vient de l’homme et de son ingéniosité ne doit être plié jusqu’à mortifier la dignité de l’autre. Notre mission, votre mission, est de nourrir une culture de l’humanisme chrétien, et de le faire ensemble. C’est là que réside pour nous tous la beauté du “réseau”.

     Face aux changements culturels, au cours de l’histoire, l’Église n’est jamais restée passive ; elle a toujours cherché à éclairer chaque époque de la lumière et de l’espérance du Christ, à discerner le bien du mal, ce qui était bon de ce qui devait être changé, transformé, purifié.

Aujourd’hui, dans une culture où la dimension numérique est omniprésente, à une époque où la naissance de l’intelligence artificielle marque une nouvelle géographie dans la vie des personnes et de la société tout entière, tel est le défi que nous devons relever, en réfléchissant à la cohérence de notre témoignage, à notre capacité d’écouter et de parler, de comprendre et d’être compris. Nous avons le devoir d’élaborer ensemble une pensée, d’élaborer un langage qui, en tant qu’enfants de notre temps, donnent voix à l’Amour.

     Il ne s’agit pas simplement de produire du contenu, mais de rencontrer des cœurs, de rechercher ceux qui souffrent, ceux qui ont besoin de connaître le Seigneur pour guérir de leurs blessures, pour se relever et trouver un sens à leur vie. Ce processus commence avant tout par l’acceptation de notre pauvreté, l’abandon de toute prétention et la reconnaissance de notre besoin inhérent de l’Évangile. Et ce processus est une entreprise commune.

     3. Cela nous amène à un troisième appel pour vous et c’est pourquoi je lance un appel à vous tous : “que vous alliez réparer les filets”. Jésus a appelé ses premiers apôtres alors qu’ils réparaient leurs filets de pêche (cf. Mt 4, 21-22). Il le demande aussi nous, il nous demande même, aujourd’hui, de construire d’autres filets : des réseaux de relations, des réseaux d’amour, des réseaux de partage gratuit, où l’amitié est authentique et est profonde. Des réseaux où l’on peut recoudre ce qui est déchiré, où l’on peut guérir de la solitude, sans compter le nombre d’abonnés, mais en expérimentant dans chaque rencontre la grandeur infinie de l’Amour. Des réseaux qui donnent plus de place à l’autre qu’à soi-même, où aucune “bulle” ne peut couvrir la voix des plus faibles. Des réseaux qui libèrent, des réseaux qui sauvent. Des réseaux qui nous font redécouvrir la beauté de se regarder dans les yeux. Des réseaux de vérité. Ainsi, chaque histoire de bien partagé sera le nœud d’un réseau unique et immense : le réseau des réseaux, le réseau de Dieu.

     Soyez donc vous-mêmes des agents de communion, capables de briser les logiques de division et de polarisation, d’individualisme et d’égocentrisme. Soyez centrés sur le Christ, pour vaincre les logiques du monde, des fausses nouvelles, de la frivolité, avec la beauté et la lumière de la Vérité (cf. Jn 8, 31-32).

     Et maintenant, avant de vous saluer avec la Bénédiction, en confiant au Seigneur votre témoignage, je tiens à vous remercier pour tout le bien que vous avez fait et que vous faites dans votre vie, pour les rêves que vous poursuivez, pour votre amour du Seigneur Jésus, pour votre amour de l’Église, pour l’aide que vous apportez à ceux qui souffrent, pour votre cheminement sur les routes numériques.

 

 

 

30 juillet 2025 – Enseignement du Pape Léon XIV lors de l’Audience Générale

     Notre époque a aussi besoin de guérison. Notre monde est traversé par un climat de violence et de haine qui porte atteinte à la dignité humaine. Nous vivons dans une société qui tombe malade à cause d'une « boulimie » des connexions des réseaux sociaux : nous sommes hyperconnectés, bombardés d'images, parfois même fausses ou déformées. Nous sommes submergés par de multiples messages qui suscitent en nous une tempête d'émotions contradictoires.

     Dans ce contexte, il est possible que nous ayons envie de tout éteindre. Nous pouvons en arriver à préférer ne plus rien entendre. Même nos paroles risquent d'être mal interprétées et nous pouvons être tentés de nous enfermer dans le silence, dans une incommunicabilité où, même si nous sommes proches, nous ne parvenons plus à nous dire les choses les plus simples et les plus profondes.

     À ce propos, je voudrais m'arrêter sur un passage de l'Évangile de Marc qui nous présente un homme qui ne parle pas et n'entend pas (cf. Mc 7, 31-37). Tout comme cela pourrait nous arriver aujourd'hui, cet homme a peut-être décidé de ne plus parler parce qu'il ne se sentait pas compris, et de devenir muet parce qu'il était resté déçu et blessé par ce qu'il avait entendu. En effet, ce n'est pas lui qui va vers Jésus pour être guéri, mais il est amené par d'autres personnes. On pourrait penser que ceux qui le conduisent vers le Maître sont ceux qui sont préoccupés par son isolement. La communauté chrétienne a également vu dans ces personnes l'image de l'Église, qui accompagne chaque personne vers Jésus afin qu'il écoute sa parole. L'épisode se déroule dans un territoire païen, nous sommes donc dans un contexte où d'autres voix tendent à couvrir la voix de Dieu.

     Le comportement de Jésus peut sembler étrange au premier abord, car il prend cette personne avec lui et l'emmène à l'écart (v. 33a). Il semble ainsi accentuer son isolement, mais à y regarder de plus près, cela nous aide à comprendre ce qui se cache derrière le silence et la fermeture de cet homme, comme s'il avait compris son besoin d'intimité et de proximité.

     Jésus lui offre tout d'abord une proximité silencieuse, à travers des gestes qui expriment une rencontre profonde : il touche les oreilles et la langue de cet homme (cf. v. 33b). Jésus n'use pas beaucoup de mots, il dit la seule chose qui lui est nécessaire à ce moment-là : « Ouvre-toi ! » (v. 34). Marc rapporte le mot en araméen, effatà, presque pour nous en faire ressentir “en direct” le son et le souffle. Ce mot, simple et magnifique, contient l'invitation que Jésus adresse à cet homme qui a cessé d'écouter et de parler. C'est comme si Jésus lui disait : « Ouvre-toi à ce monde qui t'effraie ! Ouvre-toi aux relations qui t'ont déçu ! Ouvre-toi à la vie que tu as renoncé à affronter ! ». Se fermer n'est en effet jamais une solution.

     Après sa rencontre avec Jésus, cette personne non seulement recommence à parler, mais elle le fait « correctement » (v. 35). Cet adverbe inséré par l'évangéliste semble vouloir nous en dire davantage sur les raisons de son silence. Peut-être cet homme avait-il cessé de parler parce qu'il avait l'impression de mal s'exprimer, peut-être ne se sentait-il pas à la hauteur.   Tous, nous faisons l'expérience d'être mal compris et de ne pas nous sentir compris. Nous avons tous besoin de demander au Seigneur de guérir notre façon de communiquer, non seulement pour être plus efficaces, mais aussi pour éviter de blesser les autres avec nos paroles.

     Reprendre correctement la parole est le début d'un cheminement, ce n'est pas encore le point d'arrivée. En effet, Jésus interdit à cet homme de raconter ce qui lui est arrivé (cf. v. 36). Pour vraiment connaître Jésus, il faut accomplir un cheminement, il faut rester avec Lui et passer aussi par sa Passion. Quand nous l'aurons vu humilié et souffrant, quand nous aurons fait l'expérience de la puissance salvifique de sa Croix, alors nous pourrons dire que nous l'avons vraiment connu. Pour devenir disciples de Jésus, il n'y a pas de raccourcis.

     Demandons au Seigneur de nous apprendre à communiquer de manière honnête et prudente. Prions pour tous ceux qui ont été blessés par les paroles des autres. Prions pour l'Église, afin qu'elle ne renonce jamais à sa mission d'amener les gens à Jésus, afin qu'ils puissent écouter sa Parole, en être guéris et devenir à leur tour porteurs de son message de salut.

 

 

2 août 2025 – Discours du Pape Léon XIV lors de la Veillée de Prière pour le Jubilé des Jeunes. – 1ère partie

     Chers jeunes, les relations humaines, nos relations avec les autres sont indispensables à chacun d’entre nous, à commencer par le fait que tous les hommes et toutes les femmes dans le monde naissent enfants de quelqu’un. Notre vie commence par un lien et c’est par les liens que nous grandissons. Dans ce processus, la culture joue un rôle fondamental : c’est le code avec lequel nous nous comprenons nous-mêmes et interprétons le monde. Comme un dictionnaire, chaque culture contient à la fois des mots nobles et des mots vulgaires, des valeurs et des erreurs qu’il faut apprendre à reconnaître. En recherchant passionnément la vérité, nous ne recevons pas seulement une culture, mais nous la transformons par nos choix de vie. La vérité, en effet, est un lien qui relie les mots aux choses, les noms aux visages. Le mensonge, en revanche, sépare ces aspects, générant confusion et malentendus.

     Aujourd’hui, parmi les nombreuses connexions culturelles qui caractérisent notre vie, Internet et les réseaux sociaux sont devenus « une extraordinaire opportunité de dialogue, de rencontre et d’échange entre les personnes, et donnent accès à l’information et à la connaissance » (Pape François, Christus vivit, n. 87). Cependant, ces instruments s’avèrent ambigus lorsqu’ils sont dominés par des logiques commerciales et des intérêts qui brisent nos relations en mille morceaux. À cet égard, le Pape François rappelait que parfois les « mécanismes de la communication, de la publicité et des réseaux sociaux peuvent être utilisés pour faire de nous des êtres endormis, dépendants de la consommation » (Christus vivit, n. 105). Nos relations deviennent alors confuses, anxieuses ou instables. De plus, comme vous le savez, il existe aujourd’hui des algorithmes qui nous disent ce que nous devons voir, ce que nous devons penser et qui devraient être nos amis. Nos relations deviennent alors confuses, parfois angoissantes. Car l’homme qui se laisse dominer par l’instrument devient lui-même un instrument : oui, un instrument du marché et, à son tour, une marchandise. Seules des relations sincères et des liens stables permettent à des histoires de vie heureuses de s’épanouir.

     Chers jeunes, tout personne désire naturellement cette vie bonne, comme les poumons aspirent à l’air, mais combien il est difficile de la trouver ! Comme il est difficile de trouver une authentique amitié. Il y a plusieurs siècles, saint Augustin a saisi le désir profond de notre cœur, qui est celui de tout cœur humain, même sans connaître le développement technologique actuel d’aujourd’hui. Lui aussi a connu une jeunesse tumultueuse, mais il ne s’est pas contenté de cela, il n’a pas réduit au silence le cri de son cœur. Augustin cherchait la vérité, la vérité qui ne déçoit pas, la beauté qui ne passe pas. Et comment l’a-t-il trouvée ?  Comment a-t-il trouvé une amitié sincère, un amour capable de donner l’espérance ? En rencontrant celui qui le cherchait déjà, en rencontrant Jésus-Christ. Comment a-t-il construit son avenir ? En le suivant, Lui son ami de toujours. Selon ses propres mots : “Aucune amitié n’est fidèle si ce n’est en Christ. - Saint Augustin nous dit : “Il n’y a pas d’amitié authentique si elle n’est pas en Christ. Et la véritable amitié est toujours en Jésus-Christ, avec vérité, amour et respect” - Et ce n’est qu’en Lui qu’elle peut être heureuse et éternelle” (cf. Réfutation De deux lettres des Pélagiens, I, I, 1) ; « c’est l’aimer véritablement un ami, que d’aimer Dieu en lui » (Sermon 336, 2), nous dit Augustin. L’amitié avec le Christ, qui est à la base de la foi, n’est pas seulement une aide parmi tant d’autres pour construire l’avenir, elle est notre étoile polaire. Comme l’écrivait le bienheureux Pier Giorgio Frassati, « vivre sans foi, sans un patrimoine à défendre, sans lutter pour la Vérité, ce n’est pas vivre, c’est simplement exister » (cf. Lettres, 27 février 1925). Lorsque nos amitiés reflètent ce lien intense avec Jésus, elles deviennent assurément sincères, généreuses et authentiques.

     Chers jeunes, aimez-vous les uns les autres ! Aimez-vous dans le Christ ! Sachez voir Jésus dans les autres. L’amitié peut vraiment changer le monde. L’amitié est un chemin vers la paix. L’amitié est le chemin vers la paix.

 

    2 octobre 2025 – Discours du Pape Léon XIV aux représentants de la « Confederación Médica Latinoiberoamericana y del Caribe » (CONFEMEL)
     De nombreux médecins ont consacré leur vie à leurs patients. Aujourd’hui, je voudrais rappeler le bienheureux José Gregorio Hernández, l’un des médecins les plus connus du Venezuela au début du XXe siècle. Je le considère comme un bon exemple pour vous : il a su unir ses compétences médicales avancées à son dévouement envers les plus pauvres, ce qui lui a valu le titre de « médecin des pauvres ». À la lumière de ces réflexions, je vous invite à approfondir toujours davantage l’importance de la relation médecin-patient. Une relation entre deux personnes, avec leur corps et leur intériorité, avec leur histoire. Cette conviction nous aide également à mieux situer la place de l’intelligence artificielle en médecine : elle peut et doit être une grande aide pour améliorer les soins cliniques, mais rien ne peut remplacer le médecin, car vous êtes, comme le disait le pape Benoît XVI, des « réserves d’amour, qui apportent sérénité et espérance aux souffrants » (Angélus, 1er juillet 2012). L’algorithme ne peut remplacer un geste de proximité ni une parole de consolation.

 

 

 

3 octobre 2025 – Discours du Pape Léon à la Garde Suisse

     Les défis auxquels fait face votre génération sont nombreux. Il s’agit de questions environnementales, de mutations économiques, de tensions sociales, de révolution numérique, d’intelligence artificielle et d’autres réalités complexes qui demandent un discernement et un sens de responsabilité.

9 octobre 2025 – Discours du Pape Léon XIV aux participants à la 39ème Conférence de l’Association Minds International

     Nous ne sommes pas condamnés à vivre dans un monde où la vérité ne se distingue plus de la fiction. Nous devons nous poser certaines questions cruciales à ce sujet.

Les algorithmes génèrent des contenus et des données à une échelle et à une vitesse sans précédent. Mais qui les contrôle ? L’intelligence artificielle transforme la façon dont nous recevons l’information et communiquons, mais qui la dirige et dans quel but ? Il faut veiller à ce que la technologie ne remplace pas l’être humain, et à ce que l’information ainsi que les algorithmes qui la régissent aujourd’hui ne soient pas entre les mains d’une poignée de personnes.

 

 

24 octobre 2025 – Discours du Pape Léon XIV aux Jésuites

      Nous vivons ce que beaucoup décrivent comme un changement d’époque, marqué par des mutations rapides de la culture, de l’économie, de la technologie et de la politique. L’intelligence artificielle et d’autres innovations transforment notre compréhension du travail et des relations humaines, soulevant même des questions sur l’identité de la personne. La dégradation écologique menace notre maison commune. Les systèmes politiques échouent souvent à répondre aux cris des pauvres. Le populisme et la polarisation idéologique creusent les divisions à l’intérieur des nations et entre elles. Beaucoup sont touchés par le consumérisme, l’individualisme et l’indifférence.
     … La technologie, et particulièrement l’intelligence artificielle, constitue aussi une frontière majeure. Elle porte un potentiel de développement humain, mais aussi des risques d’isolement, de perte de travail et de manipulation. L’Église doit orienter ces avancées d’un point de vue éthique, en défendant la dignité humaine et le bien commun. Il faut discerner comment utiliser les plateformes numériques pour évangéliser, former des communautés et contester les faux dieux du consumérisme, du pouvoir et de l’autosuffisance.

 

30 octobre 2025 - Discours du pape Léon XIV lors de la rencontre avec les étudiants à l’occasion du Jubilé du monde éducatif
       Il ne suffit pas d’avoir une grande science, si nous ne savons pas qui nous sommes et quel est le sens de la vie. Sans silence, sans écoute, sans prière, même les étoiles s’éteignent. Nous pouvons en savoir beaucoup sur le monde et ignorer notre cœur : vous aussi, il vous est arrivé de percevoir ce sentiment de vide, d’inquiétude qui ne nous laisse pas en paix. Dans les cas les plus graves, on assiste à des épisodes de détresse, de violence, d’intimidation, d’abus, voire à des jeunes qui s’isolent et ne veulent plus entrer en relation avec les autres. Je pense que derrière ces souffrances se cache aussi le vide creusé par une société incapable d’éduquer la dimension spirituelle, et pas seulement technique, sociale et morale de la personne humaine.
     Jeune homme, saint Augustin était un garçon brillant, mais profondément insatisfait, comme nous le lisons dans son autobiographie, Les Confessions. Il a cherché partout, entre la carrière et les plaisirs, et il a combiné toutes sortes de choses, mais sans trouver ni la vérité ni la paix. Jusqu’à ce qu’il découvre Dieu dans son cœur, en écrivant une phrase très dense, qui vaut pour nous tous : « Mon cœur est sans repos tant qu’il ne repose en Toi ». C’est cela éduquer à la vie intérieure : écouter notre inquiétude, ne pas la fuir ni la gorger de ce qui ne rassasie pas. Notre désir de l’infini est la boussole qui nous dit : « Tu mérites plus, tu es fait pour quelque chose de plus grand », « ne vivotez pas, mais vivez ».

     Le deuxième des nouveaux défis éducatifs est un engagement qui nous touche tous les jours et dont vous êtes les maîtres : l’éducation numérique. Vous y vivez, et ce n’est pas une mauvaise chose : il y a d’énormes possibilités d’étude et de communication. Mais ne laissez pas l’algorithme écrire votre histoire ! Soyez l’auteur : utilisez la technologie à bon escient, mais ne laissez pas la technologie vous utiliser.
     L’intelligence artificielle est aussi une grande nouveauté – l’une des rerum novarum, c’est-à-dire des choses nouvelles – de notre époque : cependant, il ne suffit pas d’être « intelligent » en réalité virtuelle, mais il est nécessaire d’être humain avec les autres, en cultivant l’intelligence émotionnelle, spirituelle, sociale, écologique. C’est pourquoi je vous dis : éduquez-vous à humaniser le numérique, en le construisant comme un espace de fraternité et de créativité, pas comme une cage où vous enfermer, pas comme une addiction ou une échappatoire. Au lieu de touristes sur le net, soyez des prophètes dans le monde numérique !

      À cet égard, nous avons devant nous un exemple de sainteté très actuel : saint Carlo Acutis. Un garçon qui n’est pas devenu esclave du réseau, mais qui l’a utilisé avec habileté pour faire le bien. Saint Carlo Acutis a uni sa belle foi à sa passion pour l’informatique, créant un site sur les miracles eucharistiques, et faisant ainsi d’Internet un outil d’évangélisation. Son initiative nous enseigne que le numérique est éducatif lorsqu’il ne nous enferme pas sur nous-mêmes, mais nous ouvre aux autres : lorsqu’il ne nous met pas au centre, mais nous concentre sur Dieu et sur les autres.
 

31 octobre 2025 – Discours du Pape Léon XIV avec les éducateurs, à l’occasion du Jubilé.

     Au sujet de l’intériorité, saint Augustin dit que « le son de nos paroles frappe vos oreilles ; le Maître est au-dedans» (In Epistolam Ioannis ad Parthos Tractatus 3,13), et ajoute : « Ceux que l’Esprit-Saint n’instruit pas au-dedans s’en vont sans avoir rien appris » (ibid.). Il nous rappelle ainsi qu’il est erroné de penser que de belles paroles ou de bonnes salles de classe, des laboratoires et des bibliothèques suffisent pour enseigner. Ce ne sont que des moyens et des espaces physiques, certes utiles, mais le Maître est à l’intérieur. La vérité ne circule pas à travers les sons, les murs et les couloirs, mais dans la rencontre profonde entre les personnes, sans laquelle toute proposition éducative est vouée à l’échec.

      Nous vivons dans un monde dominé par des écrans et des filtres technologiques souvent superficiels, dans lequel les élèves ont besoin d’aide pour entrer en contact avec leur intériorité. Et pas seulement eux. En effet, même pour les éducateurs, souvent fatigués et surchargés de tâches bureaucratiques, le risque est réel d’oublier ce que saint John Henry Newman résumait par l’expression : cor ad cor loquitur (le cœur parle au cœur) et que saint Augustin recommandait en disant : « Ne va pas au dehors, cherche en toi-même; la vérité réside dans l’homme intérieur » (De vera religione, 39, 72). Ce sont des expressions qui invitent à considérer la formation comme un chemin que les enseignants et les disciples parcourent ensemble (cf. Saint Jean-Paul II, Const. ap. Ex corde Ecclesiae, 15 août 1990, 1), conscients de ne pas chercher en vain mais, en même temps, de devoir continuer à chercher après avoir trouvé. Seul cet effort humble et partagé – qui, dans le contexte scolaire, prend la forme d’un projet éducatif – peut amener les élèves et les enseignants à se rapprocher de la vérité.

     Nous arrivons ainsi au deuxième mot : unité. Comme vous le savez peut-être, ma “devise” est : In Illo uno unum. Il s’agit là aussi d’une expression augustinienne (cf. Ennaratio in Psalmum 127, 3), qui nous rappelle que c’est seulement dans le Christ que nous trouvons véritablement l’unité, comme des membres unis à la Tête et comme des compagnons de route dans le parcours d’apprentissage continu de la vie.

     Cette dimension du “avec”, constamment présente dans les écrits de saint Augustin, est fondamentale dans les contextes éducatifs, comme défi à “se décentrer” et comme stimulant à grandir. C’est pourquoi j’ai décidé de reprendre et d’actualiser le projet du Pacte Éducatif Mondial, qui a été l’une des intuitions prophétiques de mon vénéré prédécesseur, le Pape François. Après tout, comme l’enseigne le Maître d’Hippone, notre être ne nous appartient pas : « Ton âme, dit-il, [...] n’est plus la tienne, mais celle de tous tes frères » (Ep. 243, 4, 6). Et si cela est vrai d’une manière générale, cela l’est d’autant plus dans la réciprocité typique des processus éducatifs, où le partage du savoir ne peut être qu’un grand acte d’amour.

     En effet, c’est précisément cela – l’amour – qui est le troisième mot. À ce propos, un distique augustinien donne matière à réflexion : « L’amour de Dieu est le premier qui est commandé, l’amour du prochain est le premier qui doit être pratiqué » (In Evangelium Ioannis Tractatus 17, 8). Dans le domaine de la formation, chacun pourrait alors se demander quel est l’engagement pris pour répondre aux besoins les plus urgents, quel est l’effort pour construire des ponts de dialogue et de paix, y compris au sein des communautés enseignantes, quelle est la capacité à dépasser les préjugés ou les visions limitées, quelle est l’ouverture dans les processus d’apprentissage commun, quel est l’effort pour aller à la rencontre et répondre aux besoins des plus fragiles, des pauvres et des exclus. Partager ses connaissances ne suffit pas pour enseigner : il faut aussi de l’amour. C’est seulement de cette manière que le savoir sera profitable à ceux qui le reçoivent, en soi et aussi et surtout pour la charité qu’il véhicule. L’enseignement ne peut jamais être séparé de l’amour, et l’une des difficultés actuelles de nos sociétés est de ne plus savoir valoriser suffisamment la grande contribution que les enseignants et les éducateurs apportent à la communauté à cet égard.   Mais attention : nuire au rôle social et culturel des formateurs, c’est hypothéquer l’avenir, et une crise de la transmission du savoir entraîne une crise de l’espérance.

     Et le dernier mot-clé est joie. Les vrais maîtres enseignent avec le sourire et leur pari est de réussir à éveiller des sourires au plus profond de l’âme de leurs disciples. Aujourd’hui, dans nos contextes éducatifs, il est préoccupant de voir se développer les symptômes d’une fragilité intérieure généralisée, à tous les âges. Nous ne pouvons fermer les yeux devant ces appels à l’aide silencieux ; nous devons au contraire nous efforcer d’en identifier les raisons profondes. L’intelligence artificielle, en particulier, avec ses connaissances techniques, froides et standardisées, peut isoler davantage des élèves déjà isolés, leur donnant l’illusion de ne pas avoir besoin des autres ou, pire encore, le sentiment de ne pas en être dignes. Le rôle des éducateurs, en revanche, est un engagement humain, et la joie même du processus éducatif est toute humaine, une « flamme qui fusionne les âmes et en fait une seule » (S. Augustin, Confessions, IV, 8,13).

     C’est pourquoi, très chers amis, je vous invite à faire de ces valeurs – intériorité, unité, amour et joie – les “points cardinaux” de votre mission auprès de vos élèves, en vous rappelant les paroles de Jésus : « chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). Frères et sœurs, je vous remercie pour le travail précieux que vous accomplissez ! Je vous bénis de tout cœur et je prie pour vous.

 

7 Novembre 2025 – Discours du Pape Léon XIV aux Membres de  l'Advisory Board de RCS Academy
     Je suis heureux de vous rencontrer en ces jours de travail intense pour vous : je sais que vous vous réunissez pour discuter de la possibilité d’un nouvel humanisme à l’ère numérique.  

      À mon salut, j’ajoute donc un encouragement particulier, car vous allez réfléchir sur la relation entre éthique et intelligence artificielle, sur la manière dont la communication peut être mise au service des personnes et ne pas devenir un système d’algorithmes reproduisant indéfiniment, sans conscience ni réflexion, nos raisonnements, en les transformant en simples données.
     L’Académie dont vous formez le conseil consultatif, la RCS Academy, est une école supérieure de formation dans les domaines du journalisme, de l’économie, de la communication et de l’entreprise. Vous êtes donc, vous aussi, confrontés à un enjeu éducatif majeur.
     L’éducation est ce qui rend effective et transformative l’égale dignité de tous les êtres humains, en favorisant une véritable citoyenneté locale et mondiale, fondée sur la participation, la solidarité et la liberté. Pour cette raison, l’éducation à la vie dans les environnements numériques et à la relation critique avec les intelligences artificielles est essentielle. Elle ne doit pas être séparée du développement intégral des personnes et des communautés.
     À cette fin, il faut éviter que, dans la surcharge d’informations et le vide de sagesse, se développent de nouvelles formes de déshumanisation et de manipulation, qui — sous des apparences trompeuses — fassent passer l’exploitation pour soin et le mensonge pour vérité.
      Votre travail est donc double : il s’agit d’informer de manière responsable et, en même temps, de permettre à vos destinataires d’exercer un jugement critique sur tout, afin de distinguer les faits des opinions, les vraies nouvelles des fausses.
Reconnaître et rendre accessibles les logiques qui génèrent les messages est essentiel pour agir avec conscience et responsabilité dans la construction commune du discours public. Les grandes entreprises ont un rôle crucial dans ces processus, non seulement comme mécènes culturels, mais aussi comme acteurs engagés en première ligne.
     Naturellement, ce travail attentif concerne aussi l’économie et les stratégies des entreprises, donc vous tous, vos objectifs de croissance et de communication. On entend parfois dire, en bon anglais : “Business is business!” En réalité, ce n’est pas le cas.
Aucun de vous n’est absorbé par une organisation au point d’en devenir un simple rouage ou une fonction. Et il n’existe pas non plus de véritable humanisme sans sens critique, sans remise en question constante, sans le courage de se poser des questions sur le sens de nos actions :  Où allons-nous ? Pour qui et pour quoi travaillons-nous ? Comment rendons-nous le monde meilleur ?
     De telles réflexions demandent courage et clairvoyance, car il n’y a pas d’avenir sans justice.
     En particulier, l’économie de la communication ne peut ni ne doit séparer son destin de celui de la vérité.
     La transparence des sources et de la propriété, la responsabilité (accountability), la qualité, la clarté et l’objectivité sont les clés qui ouvrent réellement à tous les peuples le droit à la citoyenneté. Une affirmation purement formelle de ce droit apparaîtrait autrement comme une blessure infligée à la société humaine et une trahison envers ses membres les plus faibles ou marginalisés (cf. Discours aux participants à la 39e conférence de l’Association Minds International, 9 octobre 2025).
     À cet égard, je vous invite à ne pas oublier le message que, depuis son dernier séjour à l’hôpital, le pape François avait adressé au directeur du Corriere della Sera. Il exhortait ainsi les professionnels de l’information :
     « Ressentez toute l’importance des mots. Ils ne sont jamais seulement des mots : ce sont des faits qui construisent les environnements humains. Ils peuvent relier ou diviser, servir la vérité ou s’en servir. Nous devons désarmer les mots, pour désarmer les esprits et désarmer la Terre. Il y a un grand besoin de réflexion, de calme, de sens de la complexité. » (Lettre au directeur du Corriere della Sera, 14 mars 2025).
     Ces paroles nous appellent à la responsabilité et à l’honnêteté dans l’accomplissement de nos rôles respectifs, afin de construire ensemble l’information de l’avenir.
     Cette œuvre exige créativité et vision. Elle requiert une pensée lucide et constructive, capable de libérer la communication de la précipitation des modes, des intérêts partiels, de la polémique qui n’éduque pas à l’écoute.
     Les “choses nouvelles” que nous devons affronter appellent des pensées nouvelles et des perspectives inédites, capables d’impliquer ceux qui, trop souvent, sont exclus ou instrumentalisés par des logiques de pouvoir.
     Telle est la mission de ceux qui font circuler les “nouvelles”.
     Le monde a besoin d’entrepreneurs et de communicateurs honnêtes et courageux, soucieux du bien commun.
     Je vous souhaite donc d’être toujours conscients de votre rôle, regardant au-delà de l’horizon étroit de ce qui semble être des avantages immédiats, mais qui appauvrit en réalité l’avenir.
     Que l’Évangile du Christ, toujours Bonne Nouvelle pour le monde, vous inspire sans cesse dans votre chemin.
     Et que ma bénédiction vous accompagne.

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