Zenit a interrogé Mgr Pierre-Antoine Bozo, membre du Conseil permanent de la Conférence épiscopale française depuis 2022, et porte-parole des évêques de France sur la fin de vie. Mgr Bozo a été nommé ce 19 août évêque coadjuteur du diocèse de la Rochelle et Saintes, après avoir été évêque de Limoges pendant 8 ans
Zenit : La première mouture du texte de loi sur « l’aide active à mourir » a été adoptée en France le 27 mai. Comment voyez-vous la suite des événements et quels sont les enjeux sociétaux majeurs autour des problèmes liés à la vie et à la mort ? « Ce qui humanise, c’est la relation aimante et le soutien inconditionnel » © Domaine public « Ce qui humanise, c’est la relation aimante et le soutien inconditionnel »
Mgr Pierre-Antoine Bozo : La suite annoncée des événements consistera en l’examen par les sénateurs des deux textes, sur les soins palliatifs et sur « l’instauration d’une aide à mourir », à partir d’octobre. Les enjeux sociétaux sont considérables. Ils concernent en premier lieu l’interdit civilisationnel fondamental du meurtre, que la proposition de loi remet en cause, risquant d’ouvrir une brèche qui ne se refermera pas, mais également la capacité d’une société à prendre en charge jusqu’au bout, quel qu’en soit le coût humain et financier, les plus vulnérables : personnes malades, âgées ou handicapées.
Une telle évolution législative ne pourrait pas être interprétée autrement par les plus vulnérables que comme une forme d’injonction à bien vouloir quitter la scène… Dans tous les cas, elle les obligerait à se poser une question nouvelle : dois-je continuer de vivre ? La réponse ne sera évidemment pas la même pour ceux qui sont très entourés, dans de bonnes conditions de prise en charge et pour les personnes les plus seules ou les moins bien soignées.
Zenit : Concernant les questions de fin de vie, est-ce que le monde politique a aussi le souci de se mettre à l’écoute des différentes religions, et notamment de l’Église catholique ? Et que fait l’Église pour se faire entendre ?
Mgr P. A. Bozo : Formellement oui, l’audition des représentants des cultes fait partie du processus d’élaboration de la loi sur un tel sujet. L’Église catholique, avec d’autres, a sur ce thème quelque chose à dire, non pour préserver les intérêts de ses membres, mais pour le bien commun le plus largement compris. Si elle est « experte en humanité » selon saint Paul VI, c’est à cause des lumières qu’elle reçoit de la Révélation biblique mais aussi de sa riche expérience dans l’accompagnement du deuil et de la fin de vie.
L’Église parle donc quand on le lui demande, par exemple lors des auditions devant les députés ou sénateurs, mais elle tente aussi de se faire entendre lorsqu’on ne le lui demande pas, « à temps et à contretemps » disait saint Paul (2 Tm 4, 2), sans rien imposer à personne.
Zenit : On dit souvent que l’euthanasie permet à la personne d’avoir la liberté de choisir quand elle doit mourir. Est-ce une véritable liberté intérieure ?
Mgr P. A. Bozo : Le subjectivisme et l’individualisme qui marquent notre culture encouragent un tel raisonnement : ma vie m’appartient, comme mon corps, et j’en dispose comme je veux. Pourtant, nous ne nous donnons pas la vie à nous-mêmes, nous la recevons. Ceux qui ne reconnaissent pas que la vie est donnée par Dieu doivent au moins reconnaître qu’elle leur est donnée par d’autres qu’eux-mêmes, de qui ils dépendent et avec qui ils sont en interdépendance.
Cette évidence liée à notre origine et à la dimension sociale, communautaire de toute vie, ne peut pas ne pas nous interroger sur notre fin et sur le fait que nous ne sommes pas seuls : notre vie compte pour d’autres que nous-mêmes.
Zenit : Dans la lettre pastorale de la CEF de novembre 2022, les évêques ont écrit : « Donner la mort pour supprimer la souffrance n’est ni un soin ni un accompagnement : c’est au contraire supprimer la personne souffrante et interrompre toute relation ». Pouvez-vous développer ? « Ne dévoyons pas la fraternité » : déclaration des évêques de France sur le projet de loi sur la fin de vie, 19 mars 2024 « Ne dévoyons pas la fraternité » :
Mgr P. A. Bozo : C’est le leitmotiv des soignants spécialisés dans la fin de vie et les soins palliatifs : donner la mort n’est pas un soin. C’en est même la négation. Soigner, ce n’est pas nécessairement guérir, c’est prendre soin, soulager les souffrances. Notre refus de donner la mort n’est ni une invitation à souffrir, ni une injonction à l’acharnement thérapeutique. La douleur est à combattre et il peut être légitime d’interrompre les soins.
Les progrès extraordinaires de la médecine palliative permettent, lorsque les moyens sont réunis pour l’exercer, de venir à bout des « douleurs réfractaires », notamment par le moyen des sédations réversibles et dans les cas ultimes, de la sédation profonde et continue jusqu’au décès, prévue, dans des conditions strictement encadrées par la loi Claeys-Leonetti de 2016
. Cette loi a été votée à la quasi-unanimité et répond aux demandes liées aux douleurs réfractaires. Pourquoi rompre cet équilibre pour un projet qui divise profondément les citoyens et que rejettent très majoritairement les soignants et la totalité des responsables des cultes ?
Zenit : Pouvez-vous expliquer les différences entre le suicide assisté, l’euthanasie et l’aide à mourir ? Et les soins palliatifs ne sont-ils pas justement une « aide à mourir » dans la dignité, en opposition avec « l’aide active à mourir » décrite dans le texte de loi ?
Mgr P. A. Bozo : Votre question montre la perversion possible du langage. Au sens premier de l’expression, « l’aide à mourir » est quelque chose de très beau et de très nécessaire : c’est l’accompagnement jusqu’au bout de la personne en fin de vie, en prenant soin d’elle dans toutes les composantes de son être : physique, psychique, relationnel, spirituel, pour l’aider à affronter ce moment incontournable de toute vie : celui de la mort. C’est précisément le projet des services de soins palliatifs.
Ce que la proposition de loi présente comme « aide à mourir », sans employer le mot d’euthanasie, consiste non pas à accompagner ceux qui vont mourir mais à faire mourir – fut-ce pour des raisons compassionnelles – ce qui risque de devenir insidieusement désengagement et indifférence.
Le suicide assisté consiste à fournir les moyens à une personne pour qu’elle se donne elle-même la mort. Le 10 septembre prochain, sera célébrée la journée mondiale de prévention du suicide. Le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes et connaît une forte croissance chez les personnes âgées. Comment peut-on en même temps prévenir le suicide et en donner les moyens ?
Zenit : Quelles sont les initiatives ecclésiales aujourd’hui pour les personnes en fin de vie, mettant l’accent sur la dignité de la personne, la fraternité et l’accompagnement ?
Mgr P. A. Bozo : La fin de vie est un moment important pour chacun et pour les familles. Si certaines sont vécues dans des conditions dramatiques, j’ai été souvent le témoin de fin de vie très belles. Il est important de dire cela aussi. L’heure ultime peut être une heure de grâce pour le mourant et pour son entourage.
Des centaines de bénévoles chez nous œuvrent dans la pastorale de la santé, le service évangélique des malades et bien souvent de manière la plus anonyme, en visitant les personnes seules, isolées, malades. Et comment ne pas mentionner, parmi d’autres, l’admirable œuvre des Petites Sœurs des Pauvres, dont la mission est d’accueillir et d’accompagner jusqu’au terme de leur vie les personnes âgées, spécialement les plus pauvres ?
Zenit : Quel message d’espérance l’Église peut-elle faire entendre au monde et surtout aux malades en fin de vie ? Intervention de Mgr Bozo sur KTO le 21 mai 2025 à propos du projet de loi débattu à l'Assemblée nationale
Mgr P. A. Bozo. : Ce qui humanise, c’est la relation aimante et le soutien inconditionnel : « Nous ne vous abandonnerons pas. » Ils sont possibles à toutes les étapes de la vie. Ils sont exigeants et demandent beaucoup, en fin de vie. Quand les personnes mourantes savent qu’elles ne seront pas abandonnées, qu’elles comptent pour d’autres, alors leur vie garde du sens. C’est la traduction concrète, fraternelle, de l’affirmation de la dignité infinie de toute personne.
Une statistique est marquante : en entrant en unité de soins palliatifs, 3 % seulement des personnes demandent l’euthanasie. Et entre 50 et 90 % de ces personnes, selon les études, ne persistent pas dans leur demande, une fois prises en charge. Voilà le sondage d’opinion le plus convaincant !