Publiée le 21-10-2024
16 octobre 2011 – Hom élie de Benoit XVI lors de la Messe pour la Nouvelle Evangélisation, Basilique Saint-Pierre
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Nous nous arrêtons à présent sur le passage de l’Evangile. Il s’agit du texte sur la légitimité de l’impôt à payer à César, qui contient la célèbre réponse de Jésus : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22, 21). Mais, avant d’arriver à ce point, il y a un passage qui peut se référer à ceux qui ont la mission d’évangéliser. En effet, les interlocuteurs de Jésus — les disciples des Pharisiens et les Hérodiens — s’adressent à Lui en des termes élogieux, en disant : « Nous savons que tu es véridique et que tu enseignes la voie de Dieu en vérité sans te préoccuper de qui que ce soit » (v. 16). C’est précisément cette affirmation qui, bien que suscitée par l’hypocrisie, doit attirer notre attention. Les disciples des Pharisiens et les Hérodiens ne croient pas ce qu’ils disent. Ils l’affirment uniquement comme une captatio benevolentiae pour se faire entendre, mais leur c½ur est bien loin de cette vérité ; au contraire, ils veulent attirer Jésus dans un piège pour pouvoir l’accuser. Pour nous, en revanche, cette expression est précieuse et vraie : en effet, Jésus est véridique et enseigne la voie de Dieu en vérité, sans se préoccuper de qui que ce soit. Lui-même est ce « chemin de Dieu », que nous sommes appelés à parcourir. Nous pouvons rappeler ici les paroles de Jésus lui-même, dans l’Evangile de Jean : « Je suis le chemin, la vérité, la vie » (14, 6). A ce propos, le commentaire de saint Augustin est illuminant : « Il lui fallait dire [...]: “Je suis la voie, et la vérité et la vie”, puisque, étant connu le chemin par lequel il marchait, il ne restait à connaître que l'endroit où il allait, [...] parce qu'il allait à la vérité, à la vie ... Et nous, où allons-nous, si ce n'est à lui-même ? et par où y allons-nous, si ce n'est par lui-même ? » (In Ioh 69, 2). Les nouveaux évangélisateurs sont appelés à marcher en premier sur cette Voie qui est le Christ, pour faire connaître aux autres la beauté de l’Evangile qui donne la vie. Et sur ce chemin, on ne marche jamais seul, mais accompagné : c’est une expérience de communion et de fraternité qui est offerte à ceux que nous rencontrons, pour leur faire partager notre expérience du Christ et de son Eglise. Ainsi, le témoignage uni à l’annonce peut ouvrir le c½ur de ceux qui sont à la recherche de la vérité, afin qu’ils puissent parvenir au sens de leur vie.
Une brève réflexion également sur la question centrale de l’impôt à César. Jésus répond par un réalisme politique surprenant, lié au théocentrisme de la tradition prophétique. L’impôt à César doit être payé, car l’effigie sur la pièce de monnaie est la sienne ; mais l’homme, chaque homme, porte en lui une autre image, celle de Dieu, et c’est donc à Lui et à Lui seul que chacun doit sa propre existence. Les pères de l’Eglise, en partant du fait que Jésus fait référence à l’image de l’empereur frappée sur la pièce de monnaie de l’impôt, ont interprété ce passage à la lumière du concept fondamental d’homme image de Dieu, contenu dans le premier chapitre du Livre de la Genèse. Un auteur anonyme écrit : « L’effigie de Dieu n’est pas frappée sur l’or, mais sur le genre humain. La monnaie de César est l’or, celle de Dieu est l’humanité ... Donne donc ta richesse matérielle à César, mais réserve à Dieu l’innocence unique de ta conscience, où Dieu est contemplé ... En effet, César a exigé que son effigie apparaisse sur chaque pièce, mais Dieu a choisi l’homme, qu’il a créé, pour refléter sa gloire » (Anonyme, ¼uvre incomplète sur Matthieu, homélie 42). Et saint Augustin a utilisé à plusieurs reprises cette référence dans ses homélies : « Si César cherche son effigie sur la monnaie — affirme-t-il —, Dieu ne cherche-t-il point son image dans l’homme ? » (En. in Ps., Psaume 94, 2). Et encore : « Il en est de Dieu comme de César, qui exige que son image soit frappée sur la monnaie ; [...] rendez à Dieu votre âme marquée à la lumière de sa face [...]. Le Christ habite chez l’homme intérieur » (ibid., Psaume 4, 8).
Cette parole de Jésus est riche de contenu anthropologique, et ne peut être réduite à son seul domaine politique. L’Eglise ne peut donc se limiter à rappeler aux autres la juste distinction entre la sphère d’autorité de César et celle de Dieu, entre le domaine politique et le domaine religieux. La mission de l’Eglise, comme celle du Christ, consiste essentiellement à parler de Dieu, à faire mémoire de sa souveraineté, à rappeler à tous, en particulier aux chrétiens qui ont égaré leur identité, le droit de Dieu sur ce qui lui appartient, c’est-à-dire notre vie.