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Xavier Darcos : Caritas in veritate, "une clarté traversant les sombres nuées"

Publiée le 04-08-2009

Source : L'Osservatore Romano du 3-4 août 2009

Malaise dans la civilisation

S'adressant à un monde déboussolé, inégalitaire et traumatisé par les spasmes d'une crise globale, l'encyclique ‘Caritas in veritate' vient à point nommé, telle une clarté traversant les sombres nuées. Elle permet à S.S. le pape Benoît XVI de repréciser la doctrine de l'Église face aux réalités sociales de ce temps, livré aux lois cyniques du profit et à une interdépendance économique dérégulée. Elle vient annoncer que d'autres pistes sont possibles et nécessaires. Elle va puiser, dans la source du message chrétien, l'espérance d'orientations et de solutions novatrices.

Benoît XVI célèbre la ‘charité', vertu cardinale de la foi, élan de l'âme vers autrui, « voie maîtresse de la doctrine sociale de l'Église ». Il se situe donc dans le sillage lumineux du ‘Rerum novarum' de Léon XIII et du ‘Populorum progressio' de Paul VI. Le pape, d'emblée, ressaisit le fondement du christianisme (l'amour, le partage et la justice) pour y trouver remède aux tactiques égoïstes du chacun-pour-soi. Il rappelle que l'Évangile ouvre un chemin pour une société de liberté et d'équité. Car « un Christianisme de charité sans vérité peut facilement être confondu avec un réservoir de bons sentiments, utiles pour la coexistence sociale, mais n'ayant qu'une incidence marginale ».

Jean-Paul II avait frappé l'opinion par le combat de l'Esprit qu'il incarna contre le marxisme soviétique et stalinien. Mais il critiqua aussi les dérives du capitalisme généralisé et anomique. Avec le même souffle, le pape Benoît XVI dresse un constat sévère des dérives criminelles de la mondialisation, dues à une finance fondée sur le gain immédiat de quelques-uns. Ses analyses sont précises, illustrées et vastes. Elles démontrent l'aliénation d'une humanité, ravagée par une inégalité insupportable entre les êtres, les sociétés et les nations.

Ce constat, assombri par la crise actuelle, exige une redéfinition du développement – qu'on ne saurait réduire à une simple croissance économique continue. Le pape en stigmatise, dans leurs diverses formes visibles, les évidents ratages : exclusion, marginalisation, misère et mépris des droits humains fondamentaux. Le processus de développement a besoin d'un guide : la vérité. « L'amour dans la vérité », c'est « la force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et de l'humanité tout entière ». Sinon, « l'agir social devient la proie d'intérêts privés et de logiques du pouvoir, qui ont pour effets d'entraîner la désagrégation de la société ».

Ouvrons les yeux : le progrès vorace, fondé sur des ressorts matériels et spéculatifs, a échoué. Le monde se dévore lui-même, tel Cronos mastiquant ses propres enfants. L'Église propose un autre choix : un « développement intégral », qui assure une émancipation humaniste partagée. Car la croissance est un bienfait, la mondialisation n'engendre pas forcément une catastrophe, la technique n'est pas en soi perverse, mais ces forces brutes doivent être subordonnées à une éthique. Dans ce monde en désarroi, les expériences les plus prometteuses ont commencé par établir de nouvelles relations entre les hommes. Benoît XVI appelle à généraliser ces essais, à explorer les voies du don, de la gratuité, de la répartition. Il condamne la vacuité d'un relativisme aveugle qui prive les hommes d'un sens à leur vie collective. Il blâme ainsi les deux dangers qui menacent la culture : un éclectisme où tout se vaut, sans repères ni hiérarchies, et une uniformisation des styles de vie.

Face au fiasco de l'avoir et au chaos de l'être, Benoît XVI réclame une nouvelle alliance entre foi et raison, entre la lumière divine et l'intelligence humaine. Même si elle « n'a pas de solutions techniques à offrir », l'Église détient « une mission de vérité à remplir » en vue d'une « société à la mesure de l'homme, de sa dignité et de sa vocation ».

Car, si l'on approfondit les apparences, les causes du sous-développement ne sont pas d'abord d'ordre physique. Elles résident davantage dans le manque de fraternité entre les hommes et les peuples : « La société toujours plus globalisée nous rapproche, mais elle ne nous rend pas frères. » Le pape lance un appel pour que cette crise nous oblige à reconsidérer notre itinéraire, car, tandis que la richesse mondiale croît, les disparités augmentent. Ce magma, érodant les valeurs, conduit à mépriser la vie dans ses spécificités, à décourager la natalité, à opprimer la liberté religieuse, à terroriser la spiritualité, à décourager la confiance et l'expansion. Il s'agit simplement que les hommes prennent conscience de ne former qu'une seule famille, ce qui exige le retour à des valeurs inusitées : don, refus du marché comme lien de domination, abandon du consumérisme hédoniste, redistribution, coopération, etc.

La pensée du pape entrevoit le cauchemar d'une humanité enivrée par la prétention prométhéenne de « se recréer en s'appuyant sur les prodiges de la technologie », tels le clonage, la manipulation génétique, l'eugénisme. Mais la source de ces déviances reste unique : la déshumanisation. Car, où que nous vivions et à quelque degré de responsabilité que nous nous situions, chacun de nous peut renouer avec l'amour et le pardon, le renoncement au superflu, l'accueil du prochain, la justice et la paix. Cette conduite relevait de l'exigence morale. Elle est devenue une condition de survie.

La lecture de cette encyclique, portée d'une ferveur spirituelle magnifique, ne donne pas l'impression d'une méditation abstraite ou d'une oraison. Rarement un pape aura touché d'aussi près le réel pour en disséquer les maux et pour proposer, avec pragmatisme et lucidité, les plus utiles contrepoisons. Puisse son message être entendu !

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