Publiée le 04-04-2015
Voici la méditation du Vendredi Saint, 3 avril 2015, de la Neuvaine pour la France, écrite par Mgr Aillet.
« Il y a grande pitié au Royaume de France », disait Jeanne d’Arc ! Sans céder au pessimisme, nous pouvons être à juste titre troublés devant la crise que traversent nos sociétés de vieille tradition chrétienne gagnées par la sécularisation, où l’on vit comme si Dieu n’existait pas et où règne « la dictature du relativisme ». On y assiste à des poussées de violence aveugle qui se répandent de manière inquiétante, sous l’effet d’une culture immanentiste qui a rejeté toute transcendance et qui fait le lit du fondamentalisme religieux ou du nihilisme le plus destructeur. Comme le Pape François l’a déclaré devant le Parlement européen : « C’est l’oubli de Dieu et non sa glorification qui engendre la violence ». On peut à bon droit être sensible aussi à la crise de l’Eglise que le Pape Benoît XVI mettait au compte de ce qu’il appelait le « Concile des medias » qui a souvent supplanté le vrai Concile Vatican II, c’est-à-dire le Concile des Pères, qui ne peut être reçu que dans la foi et qui a sans doute porté aussi de nombreux fruits dans la vie de l’Église depuis cinquante ans. Cependant, à partir d’une interprétation d’ordre politique, le Concile des medias, affirmait notre Pape émérite lors de sa dernière rencontre avec le Clergé de Rome, « a créé tant de calamités, tant de problèmes, réellement tant de misères : séminaires fermés, couvents fermés, liturgie banalisée… » (14 février 2013). D’où le découragement de beaucoup face à l’avenir.
La France, Fille aînée de l’Eglise, est appelée depuis l’interpellation du Bourget par le Pape Jean Paul II, lors de son premier voyage apostolique dans notre pays, à un sérieux examen de conscience. C’est d’abord vrai de l’Etat laïque, qui tend à imposer une laïcisation radicale de la société, en reniant les racines chrétiennes de notre culture. Une société sans mémoire est une société sans avenir ! Et cette amnésie volontaire n’est pas sans effet boomerang aujourd’hui. Mais c’est vrai aussi de la communauté ecclésiale qui s’est parfois repliée sur son fonctionnement, et qui, selon une interprétation politique de la vie de l’Eglise, donne une importance démesurée à la « sacra potestas », jusqu’à s’enliser dans des querelles de pouvoir qui finissent par paralyser tout élan apostolique. Sans compter l’« apostasie silencieuse » qui gagne parfois nos rangs, selon les mots de saint Jean Paul II.
Je ne dis pas que la situation de la France défigurée d’aujourd’hui et amputée de son âme chrétienne, n’ait pas besoin d’un engagement politique renouvelé. Mais, comme l’affirmait Marthe Robin, « l’action déborde de la prière ». Le relèvement de la France exige d’abord des fils de l’Eglise qu’ils s’engagent résolument à prier, à se laisser attirer dans l’offrande d’amour du Christ et à faire miséricorde. C’est la leçon du Vendredi-Saint !
« Toute la prière des hommes vers Dieu et toute la réponse de Dieu aux hommes passent par la croix du Christ », écrivait le Cardinal Journet. La France a besoin de notre prière, pas une prière à la légère, mais une « prière de lutte », celle qui rejoint « le grand cri et les larmes » du Christ sur la croix, intercédant solennellement pour les pécheurs : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » ! C’est la grande prière universelle da la liturgie du Vendredi Saint que nous faisons nôtre intensément. Toutes ces impasses nous les confions dans la foi au Christ crucifié et ressuscité, sûrs que c’est dans son Mystère pascal que s’ouvrira pour nous un passage, une Pâque d’Espérance ! Et nous savons que sa prière a été exaucée, en raison de son obéissance ! Nous aussi, nous voulons entrer dans l’obéissance du Christ, « lui qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix » (Ph 2, 8), en unissant à son sacrifice, par notre communion eucharistique, toute notre vie, à commencer par nos épreuves, celles par lesquelles « nous continuons dans notre chair, ce qui manque aux souffrances du Christ pour son Corps qui est l’Eglise » (Col 1, 24). Là nous nous laissons attirer dans son offrande d’amour, en communion étroite avec tous ceux qui souffrent pour le Nom de Jésus. Je pense à ces chrétiens d’Orient, en particulier ceux que j’ai visités dans les camps de réfugiés d’Erbil : menacés de mort, expulsés, dépossédés par les Islamistes, ils vivent dans une précarité et une peur qui font particulièrement honte à la France qui avait un devoir de les protéger ; et pourtant, ils n’éprouvent pas de colère contre Dieu, ils pardonnent même à leurs ennemis, ils n’ont pas renié leur foi : « Ils m’ont tout pris », me disait ce Chaldéen réfugié à Erbil, ajoutant dans un large sourire : « mais il y une chose qu’ils ne m’ont pas prise, c’est la foi, car Jésus est Sauveur ! ». Et n’oublions pas la miséricorde ! La limite posée par Dieu au Mal qui se déploie dans le monde, aux idéologies du Mal qui continuent sous des formes larvées à défigurer la dignité de la personne humaine, c’est précisément la Miséricorde. Avec la neuvaine de sainte Faustine qui commence en ce Vendredi-Saint, nous implorerons la Miséricorde du Seigneur pour la France : « Que Dieu nous prenne en pitié et nous bénisse ! ».