Publiée le 14-10-2024
Jean Paul II, le 31 octobre 1998, aux participants à la XIIIème Conférence Internationale sur le thème de la grandeur et du prix de la vie humaine, à tout âge et dans toute condition, organisée par le Conseil Pontificale pour la Pastorale de la Santé.
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Votre Conférence a voulu traiter le problème avec ce respect des personnes âgées qui resplendit dans la Sainte Ecriture quand elle nous montre les figures d'Abraham et de Sara (Gn 17, 15-22), décrit l'accueil que Syméon et Anne firent à Jésus (Lc 2, 23-28), appelle les prêtres du nom d'«Anciens» (Ac 14, 23; 1 Tm 4, 14; 5, 17-19; Tt 1, 5; 1 P 5, 1), résume l'hommage de toute la création dans l'adoration des vingt-quatre Anciens (Ap 4, 4) et, enfin, désigne Dieu lui-même comme «le Vieillard» (Dn 7, 9-22).
2. L'ensemble de votre réflexion souligne la grandeur et le prix très élevé de la vie humaine, dont la valeur subsiste à tout âge et dans toute condition. Ainsi est réaffirmé avec autorité l'Evangile de la vie que l'Eglise, sondant avec attention le mystère de la Rédemption, reçoit avec un étonnement toujours nouveau ; elle se sent alors appelée à l'annoncer aux hommes de tous les temps (cf. Evangelium vitae, n. 2).
Votre Conférence ne s'est pas seulement contentée de réfléchir sur les aspects démographiques, médicaux et psychologiques de la vieillesse, mais elle a aussi cherché à approfondir son discours en regardant attentivement ce que la Révélation présente à cet égard, le confrontant à la réalité que nous vivons. L'action que l'Eglise exerça tout au long des siècles a, elle aussi, été mise en lumière d'une manière historique et dynamique, avec des propositions de mise à jour, utiles et nécessaires, de toutes les initiatives d'assistance, dans une collaboration responsable avec les autorités civiles.
3. La vieillesse est le troisième âge de l'existence : la vie qui naît, la vie qui croît, la vie qui baisse, ce sont-là les trois moments du mystère de l'existence, de cette vie humaine qui «vient de Dieu; c'est son don, son image et son empreinte, la participation à son souffle vital» (Evangelium vitae, n. 39).
L'Ancien Testament promet aux hommes une longue vie en réponse de l'accomplissement de la Loi de Dieu : « La crainte du Seigneur prolonge les jours » (Pr 10, 27). La conviction commune était que l'on devait considérer le prolongement de la vie physique jusqu'à la « vieillesse heureuse » (Gn 25, 8), quand l'homme pouvait mourir « rassasié de jours » (Gn 25, 8), comme la preuve d'une bienveillance particulière de la part de Dieu. Il faut aussi redécouvrir cette valeur dans une société qui, très souvent, ne semble parler de la vieillesse qu'en termes de problème.
Prêter attention à la complexité des problèmes qui concernent le monde des personnes âgées, cela signifie pour l'Eglise scruter un « signe des temps » et l'interpréter à la lumière de l'Evangile. Ainsi, d'une manière adaptée à chaque génération, elle répond aux éternelles interrogations des hommes sur le sens de la vie présente et future, et sur leur rapport réciproque (cf. Gaudium et spes, 4).
4. Notre époque se caractérise par une augmentation de la durée de la vie qui, allant de pair avec un déclin de la fertilité, a conduit à un vieillissement notable de la population mondiale.
Pour la première fois dans l'histoire de l'homme, la société se trouve face à un profond bouleversement de la structure de la population, de sorte qu'elle est obligée de modifier ses stratégies d'assistance, avec des répercussions à tous les niveaux. Il s'agit de redessiner le projet de société et de rediscuter sa structure économique, comme aussi la vision du cycle de la vie et des interactions entre générations. C'est un vrai défi qui est posé à la société, et celle-ci se montre juste dans la mesure où elle répond aux besoins d'aide de tous ses membres : son degré de civilisation est proportionnel à la protection des composantes les plus faibles du tissu social.
5. Les personnes âgées doivent être appelées à participer elles aussi à cette ½uvre, alors que, très souvent, elles ne sont considérées que comme les destinataires d'interventions d'assistance. Avec les années, la population âgée peut parvenir à une très grande maturité dans les domaines de l'intelligence et de la sagesse. Aussi le Siracide nous avertit-il: «Tiens-toi dans l'assemblée des vieillards et, si tu vois un sage, attache toi à lui» (Si 6, 34). Et encore : « Ne fais pas fi du discours des vieillards, car eux-mêmes ont été à l'école de leurs parents ; c'est d'eux que tu apprendras la prudence et l'art de répondre à point nommé » (Si 8, 9). Il en découle que la personne âgée ne doit pas être vue seulement comme objet d'attention, de sollicitude et de service. Elle aussi a une précieuse contribution à apporter à la vie. Grâce au riche patrimoine d'expérience qu'elle a acquis tout au long des années, elle peut et elle doit être dispensatrice de sagesse, témoin de l'espérance et de la charité (cf. Evangelium vitae, n. 94).
Le rapport famille-personnes âgées doit être vu comme un rapport où l'on donne et où l'on reçoit. La personne âgée donne elle aussi : on ne peut ignorer son expérience qui a mûri au fil des années. Si cette expérience - comme cela peut arriver - n'est pas en harmonie avec les temps qui changent, il reste tout un vécu qui peut devenir source de nombreuses indications pour les proches, constituant la continuation de l'esprit de groupe, des traditions, des choix professionnels, des fidélités religieuses, etc. Nous connaissons tous les rapports privilégiés qui existent entre les personnes âgées et les enfants. Mais les adultes, eux aussi, s'ils savent créer autour des anciens un climat de considération et d'affection, peuvent puiser chez eux sagesse et discernement pour faire des choix prudents.
6. C'est dans cette perspective que la société doit redécouvrir la solidarité entre les générations : elle doit redécouvrir le sens et la signification de la vieillesse dans une culture trop dominée par le mythe de la productivité et de l'efficacité physique. Nous devons permettre à la personne âgée de vivre dans la sécurité et la dignité, et sa famille doit aussi être aidée dans le domaine économique, afin qu'elle constitue le lieu naturel des rapports entre les générations.
D'autres observations doivent encore être faites en ce qui concerne l'aide socio-sanitaire et de rééducation, qui s'avère bien souvent nécessaire. Les progrès des technologies au service de la santé allongent la durée de la vie, mais n'améliorent pas nécessairement sa qualité. Il faut élaborer des stratégies d'assistance qui tiennent compte, en premier lieu, de la dignité de la personne humaine et qui l'aident, autant que possible, à garder un sentiment d'estime de soi-même, afin qu'on n'en arrive pas, se sentant un poids inutile, à désirer et à demander la mort (cf. Evangelium vitae, n. 94).
7. Appelée à des gestes prophétiques dans la société, l'Eglise défend la vie depuis son commencement jusqu'à sa conclusion avec la mort. Surtout en ce qui concerne cette dernière phase qui, souvent, se prolonge pendant des mois et des années - ce qui crée de très graves problèmes -, je lance un appel solennel à la sensibilité des familles pour qu'elles sachent accompagner ceux qui leur sont chers jusqu'au terme de leur pèlerinage terrestre. Comment ne pas rappeler les paroles chaleureuses de l'Ecriture : « Mon fils, viens en aide à ton père dans sa vieillesse, ne lui fais pas de peine pendant sa vie. Même si son esprit faiblit, sois indulgent, ne le méprise pas, toi qui es en pleine force. Car une charité faite à un père ne sera pas oubliée et, pour tes péchés, elle te vaudra réparation. Au jour de ton épreuve, Dieu se souviendra de toi » (Si 3, 12-15).
8. Le respect que nous devons aux personnes âgées m'oblige à élever encore une fois la voix contre toutes ces pratiques qui abrègent la vie, et que l'on connaît sous le nom d'euthanasie.
Devant une mentalité sécularisée qui ne respecte pas la vie, spécialement quand elle est faible, nous devons souligner qu'elle est un don de Dieu, cette vie que nous nous efforçons tous de protéger. Ce devoir concerne, en particulier, ceux qui travaillent dans le monde de la santé, dont la mission spécifique est de devenir «les ministres de la vie» en toutes ses phases, spécialement en celles qui sont marquées par la faiblesse et la maladie.
« La tentation de l'euthanasie se révèle comme l'un des symptômes les plus alarmants de la "culture de mort", laquelle progresse surtout dans les sociétés de bien-être » (cf. Evangelium vitae, n. 64).
L'euthanasie est un attentat contre la vie qu'aucune autorité humaine ne peut légitimer, car la vie de l'innocent est un bien dont on ne peut disposer.
9. M'adressant maintenant à toutes les personnes âgées du monde, je voudrais leur dire : très chers frères et s½urs, ne vous découragez pas : la vie ne se termine pas ici, sur cette terre ; elle n'a ici-bas que son commencement. Nous devons être des témoins de la Résurrection ! La joie doit être ce qui caractérise la personne âgée ; une joie sereine, parce que les temps sont mûrs et qu'approche la récompense que le Seigneur Jésus a préparée pour son fidèle serviteur. Comment ne pas penser aux paroles touchantes de l'Apôtre Paul : « Je me suis bien battu, j'ai tenu jusqu'au bout de la course, je suis resté fidèle. Je n'ai plus qu'à recevoir la récompense du vainqueur : dans sa justice, le Seigneur, le juge impartial, me la remettra en ce jour-là, comme à tous ceux qui auront désiré avec amour sa manifestation dans la gloire » (2 Tm 4, 7-8) ?
Avec ces sentiments, j'accorde à tous ceux qui sont ici présents, à tous ceux qui vous sont chers et surtout aux personnes âgées, une affectueuse Bénédiction.