Publiée le 19-03-2020
Elle pose ensuite le problème de la participation au bien commun et de la solidarité, en nous invitant à aborder, sur la base du principe de subsidiarité, les différentes contributions que les acteurs politiques et sociaux peuvent apporter à la solution de ce grave problème et à la reconstruction de la normalité, une fois l'épidémie derrière nous. Il est devenu évident que ces contributions doivent être articulées entre elles, convergentes et coordonnées. Le financement des soins de santé, un problème que le coronavirus met très clairement en évidence, est un problème moral central dans la poursuite du bien commun. Il est urgent de réfléchir tant aux objectifs du système de santé qu'à sa gestion et à l'utilisation des ressources, car l'examen du passé récent laisse constater une réduction significative du financement des établissements de soins de santé. L'épidémie menace en effet la fonctionnalité des filières productives et économiques, et leur blocage, s'il se prolonge, entraînera des faillites, du chômage, de la pauvreté, des difficultés et des conflits sociaux. Le monde du travail sera soumis à de grands bouleversements, de nouvelles formes de soutien et de solidarité seront nécessaires et des choix drastiques devront être faits. La question économique renvoie à celle du crédit et à la question monétaire et, par conséquent, aux relations de l'Italie avec l'Union européenne dont dépendent dans notre pays les décisions finales dans ces deux domaines. Cela soulève à nouveau la question de la souveraineté nationale et de la mondialisation, faisant ressortir la nécessité de réexaminer la mondialisation comprise comme une machine systémique mondialiste, qui peut aussi être très vulnérable précisément en raison de son interrelation interne rigide et artificielle, de sorte que, lorsqu'un point névralgique est touché, elle provoque des dommages systémiques globaux difficiles à corriger. Lorsque les niveaux sociaux inférieurs sont soustraits à la souveraineté, tous seront emportés. D'autre part, le coronavirus a également mis en évidence les « fermetures » des États, incapables de coopérer réellement même s'ils sont membres des institutions supranationales auxquelles ils appartiennent. Enfin, l'épidémie a posé le problème de la relation du bien commun avec la religion catholique et de la relation entre l'État et l'Église. La suspension des messes et la fermeture des églises ne sont que quelques aspects de ce problème.
Tel semble donc être le tableau complexe des problèmes posés par l'épidémie du coronavirus. Ce sont des sujets qui interpellent la doctrine sociale de l'Église, c'est pourquoi notre Observatoire se sent appelé à proposer une réflexion, en sollicitant d'autres contributions dans ce sens. L'encyclique Caritas in Veritate de Benoît XVI, écrite en 2009 au moment d'une autre crise, affirme : « La crise nous oblige à reconsidérer notre itinéraire, à nous donner de nouvelles règles et à trouver de nouvelles formes d’engagement, à miser sur les expériences positives et à rejeter celles qui sont négatives. La crise devient ainsi une occasion de discernement et elle met en capacité d’élaborer de nouveaux projets. » (n. 21).
Les sociétés étaient et sont toujours traversées par diverses formes idéologiques de naturalisme que l'expérience de cette épidémie pourrait corriger. L'exaltation d'une nature pure et originellement non contaminée dont l'homme serait le pollueur était intenable ; elle l'est encore moins aujourd'hui. L'idée d'une Terre-Mère dotée à l'origine de son propre équilibre harmonieux avec l'esprit de laquelle l'homme devrait se connecter pour trouver la bonne relation avec les choses et avec lui-même est une absurdité que cette expérience pourrait faire disparaître. La nature doit être gouvernée par l'homme et les nouvelles idéologies panthéistes (et pas seulement elles) postmodernes sont inhumaines. La nature, au sens naturaliste du terme, produit également des déséquilibres et des maladies et c'est pourquoi elle doit être humanisée. Ce n'est pas l'homme qui doit se naturaliser, mais la nature qui doit être humanisée.
La Révélation nous enseigne que la création est confiée à la garde et à la gouvernance de l'homme en vue du but ultime qui est Dieu. L'homme a le droit, parce qu'il en a le devoir, de gérer la création matérielle, de la régir et d'en tirer ce qui est nécessaire et utile pour le bien commun. La création est confiée par Dieu à l'homme, à son intervention selon la raison et à sa capacité de sage domination. L'homme est le régulateur de la création, et non l'inverse.
Le terme « Salus » signifie santé, au sens sanitaire du terme, et il signifie également salut, au sens éthico-spirituel et surtout religieux. L'expérience actuelle du coronavirus témoigne une fois de plus que les deux significations sont liées. Les menaces pour la santé du corps induisent des changements dans les attitudes, dans la façon de penser, dans les valeurs à défendre. Ils mettent à l'épreuve le système moral de référence de la société tout entière. Elles exigent des comportements éthiquement valables, elles remettent en cause des attitudes égoïstes, désengagées, indifférentes, d'exploitation. Elles mettent en évidence des formes d'héroïsme dans la lutte commune contre la contagion et, en même temps, des formes de pillage de ceux qui profitent de la situation. La lutte contre la contagion exige une recomposition morale de la société en termes de comportement sain, solidaire et respectueux, peut-être plus importante que la recomposition des ressources. Le défi de la santé physique est donc lié au défi de la santé morale. Nous devons repenser en profondeur les dérives immorales de notre société, à tous les niveaux. Souvent, les malheurs naturels ne sont pas entièrement naturels, mais ont derrière eux les attitudes moralement désordonnées de l'homme. L'origine du COVID-19 n'est pas encore définitivement clarifiée ; elle pourrait même s'avérer ne pas être d'origine naturelle. Mais même si son origine purement naturelle est admise, son impact social remet en cause l'éthique communautaire. La réponse n'est pas et ne sera pas seulement scientifico-technique, mais aussi morale. Après la réponse technique, la grave crise du coronavirus devrait faire revivre la moralité publique sur une nouveau fondement solide.
La participation éthique est nécessaire parce que le bien commun est en jeu. L'épidémie du coronavirus contredit tous ceux qui ont soutenu que le bien commun en tant que fin morale n'existe pas. Si tel était le cas, à quoi s'engageraient et pour quoi se battraient toutes les personnes à l'intérieur et à l'extérieur des institutions ? À quel engagement les citoyens seraient-ils appelés par des ordonnances restrictives si ce n'est à un engagement moral pour le bien commun ? Sur quelle fondement dit-on qu'un certain comportement est « obligatoire » en ce moment ? Ceux qui ont nié l'existence du bien commun ou qui en ont confié la mise en ½uvre aux seules techniques, mais non à l'engagement moral pour le bien, sont aujourd'hui contredits par les faits. C'est le bien commun qui nous dit que la santé est un bien que nous devons tous promouvoir. C'est le bien commun qui nous dit que le mot Salus a deux significations.
Cette expérience du coronavirus va-t-elle être portée au point d'approfondir et d'élargir cette notion de bien commun ? Alors que nous nous battons pour sauver la vie de tant de personnes, les procédures d'avortement procurés ne cessent pas, ni la vente de pilules abortives, ni les pratiques euthanasiques, ni les sacrifices d'embryons humains et bien d'autres pratiques contre la vie et la famille. Si l'on redécouvre le bien commun et la nécessité d'une participation commune et concertée en sa faveur dans la lutte contre l'épidémie, il faut avoir le courage intellectuel et la volonté d'étendre le concept aussi loin qu'il doit naturellement l'être.
La mobilisation permanente contre la propagation du coronavirus a impliqué de nombreux niveaux d'action, parfois bien coordonnés, parfois moins. Il existe différentes tâches que chacun a effectuées en fonction de ses responsabilités. Une fois la tempête passée, on pourra faire le point de ce qui n'a pas fonctionné correctement dans la chaîne de subsidiarité, et redécouvrir l'important principe de subsidiarité afin de mieux l'appliquer – et de l'appliquer dans tous les domaines. Une expérience en particulier doit être valorisée : la subsidiarité doit être « pour » et non comme une « interdiction de » : elle doit être pour le bien commun et, par conséquent, elle doit avoir un fondement éthique et non pas seulement politique ou fonctionnaliste. Un fondement éthique fondé sur l'ordre naturel et finalisé de la vie sociale. L'occasion est propice à l'abandon des visions conventionnelles des valeurs et des objectifs sociaux.
Un point important maintenant mis en évidence par la crise coronavirus est le rôle subsidiaire du crédit. Le blocage de grands secteurs de l'économie pour assurer une plus grande sécurité sanitaire et réduire la propagation du virus provoque une crise économique, notamment en termes de liquidités, pour les entreprises et les ménages. Si la crise dure longtemps, on s'attend à une crise de la circularité de la production et de la consommation, avec le spectre du chômage. Face à ces besoins, le rôle du crédit peut être fondamental et le système financier pourrait se racheter des nombreuses délabrements condamnables du passé récent.
L'expérience actuelle du coronavirus nous oblige également à reconsidérer les deux concepts de mondialisation et de souveraineté nationale. Il existe une mondialisation qui voit la planète entière comme un « système » de connexions et d'articulations rigides, une construction artificielle régie par des initiés, une série de vases communicants apparemment inébranlables. Cependant, un tel concept s'est également avéré faible car il suffit de frapper le système à un moment donné pour créer un effet domino d'avalanche. L'épidémie peut mettre en crise le système de santé, les quarantaines mettent en crise le système productif, ce qui provoque l'effondrement du système économique, la pauvreté et le chômage faisant que le système de crédit n'est plus alimenté, l'affaiblissement de la population l'expose à de nouvelles épidémies et ainsi de suite dans une série de cercles vicieux de dimension planétaire. La mondialisation présentait jusqu'à hier ses splendeurs et ses gloires de fonctionnement technico-fonctionnel parfait, de certitudes incontestables sur l'obsolescence des États et des nations, de valeur absolue de la « société ouverte » : un seul monde, une seule religion, une seule morale universelle, un seul peuple mondialiste, une seule autorité mondiale. Mais un virus peut alors suffire à faire tomber le système, puisque les niveaux de réponse non globaux ont été désactivés. L'expérience que nous vivons nous met en garde contre une « société ouverte » ainsi comprise, à la fois parce qu'elle se place entre les mains du pouvoir de quelques-uns et parce que quelques autres mains pourraient la faire tomber comme un château de cartes. Cela ne signifie pas qu'il faille nier l'importance de la collaboration internationale qu'exigent les pandémies, mais cette collaboration n'a rien à voir avec les structures collectives, mécaniques, automatiques et systémiques mondiales.
L'expérience de ces jours a montré une fois de plus une Union européenne divisée et fantôme. Des différends égoïstes sont apparus entre les États membres plutôt que la coopération. L'Italie est restée isolée, elle a été laissée seule. La Commission européenne est intervenue tardivement et la Banque centrale européenne est intervenue mal. Face à l'épidémie, chaque État a pris des mesures pour se fermer. Les ressources nécessaires à l'Italie pour faire face à la situation d'urgence, qui en d'autres temps aurait été les siennes propre comme par exemple avec la dévaluation de la monnaie, dépendent maintenant des décisions de l'Union devant lesquelles elle doit se prosterner.
Le coronavirus a définitivement démontré le caractère artificiel de l'Union européenne, incapable de faire coopérer entre eux les États auxquels elle a été superposée par l'acquisition de la souveraineté. Le manque de liant moral n'a pas été compensé par un liant institutionnel et politique. Il faut prendre acte de cette fin peu glorieuse, par coronavirus, de l'Union européenne et penser qu'une collaboration entre les Etats européens dans la lutte pour la santé est également possible en dehors des institutions politiques supranationales.
Le mot Salus signifie, comme nous l'avons vu, aussi le salut, et pas seulement la santé. La santé n'est pas le salut, comme les martyrs nous l'ont appris, mais dans un certain sens, le salut donne aussi la santé. Le bon fonctionnement de la vie sociale, avec ses effets bénéfiques également sur la santé, a également besoin du salut promis par la religion : « L'homme ne se développe pas uniquement par ses propres forces » (Caritas in Veritate, 11).
Le bien commun est de nature morale et, comme nous l'avons dit plus haut, cette crise devrait conduire à la redécouverte de cette dimension, mais la morale ne vit pas de sa vie propre, car elle est incapable en dernière analyse d'être son propre fondement. Se pose ici le problème de la relation essentielle que la vie politique entretient avec la religion, celle qui garantit le mieux la vérité de la vie politique. L'autorité politique affaiblit la lutte contre le mal, comme c'est le cas également avec l'épidémie actuelle, lorsqu'elle assimile les saintes messes à des initiatives récréatives, pensant qu'elles devraient être suspendues, peut-être même avant de suspendre d'autres formes de rassemblement qui sont certainement moins importantes. Même l'Église peut se tromper lorsqu'elle n'affirme pas, pour le même bien commun authentique et complet, la nécessité publique des saintes messes et de l'ouverture des églises. L'Église apporte sa contribution à la lutte contre l'épidémie sous les différentes formes d'assistance, d'aide et de solidarité qu'elle sait mettre en ½uvre, comme elle l'a toujours fait par le passé dans des cas similaires. Il convient toutefois de rester très attentif à la dimension religieuse de sa contribution, afin qu'elle ne soit pas considérée comme une simple expression de la société civile. C'est la raison de l'importance ce que le pape François a dit lorsqu'il a prié le Saint-Esprit de donner aux « pasteurs la capacité pastorale et le discernement nécessaires pour prendre des mesures qui ne laissent pas seul le peuple fidèle de Dieu. Que le peuple de Dieu se sente accompagné par les pasteurs et le réconfort de la Parole de Dieu, des sacrements et de la prière », naturellement avec le bon sens et la prudence que la situation exige.
Cette urgence du coronavirus peut être vécue par tous « comme si Dieu n'existait pas » et en ce cas, la phase suivante, lorsque l'urgence prendra fin, appliquera également une telle vision des choses comme une suite logique. De cette façon, cependant, le lien entre la santé physique et la santé morale et religieuse que cette douloureuse urgence a mis au jour aura été oublié. Si, au contraire, on ressent le besoin de revenir à la reconnaissance de la place de Dieu dans le monde, alors les relations entre la politique et la religion catholique et entre l'État et l'Église pourront également prendre le bon chemin.
L'urgence de l'épidémie actuelle interpelle profondément la doctrine sociale de l'Église. Il s'agit d'un patrimoine de foi et de raison qui, à l'heure actuelle, peut apporter une grande aide dans la lutte contre l'infection, lutte qui doit concerner tous les niveaux de la vie sociale et politique. Surtout, il peut apporter une aide en vue du post-coronavirus. Nous avons besoin d'une vue d'ensemble qui n'exclut aucune perspective vraiment importante. La vie sociale exige cohérence et synthèse, surtout en cas de difficultés. C'est pourquoi, dans les difficultés, les hommes qui savent regarder en profondeur et vers le haut peuvent trouver des solutions et même des occasions d'améliorer les choses par rapport au passé.