Publiée le 24-06-2019
Le Cardinal Robert Sarah, préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, a prononcé une conférence à Paris en l’église Saint-François-Xavier le 25 mai 2019. Voici le texte intégral de cette remarquable conférence.
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Chers amis,
Permettez-moi de remercier tout d’abord Monseigneur Michel Aupetit, Archevêque de Paris et le Curé de cette paroisse saint François-Xavier, le Père Lefèvre-Pontalis pour leur accueil si fraternel.
Je dois vous présenter mon dernier livre : Le soir approche et déjà le jour baisse. J’y analyse la crise profonde que vit l’Occident, crise de la foi, crise de l’Eglise, crise sacerdotale, crise d’identité, crise du sens de l’homme et de la vie humaine, l’effondrement spirituel et ses conséquences.
Je voudrais ce soir vous redire ces convictions profondes qui m’habitent en les mettant en perspective avec l’émouvante visite que j’ai faite hier. Il y a quelques heures j’étais à la cathédrale Notre-Dame de Paris. En entrant dans cette église éventrée, en contemplant ses voûtes effondrées, je n’ai pu m’empêcher d’y voir un symbole de la situation de la civilisation occidentale et de l’Église en Europe.
Oui, aujourd’hui de tout côté, l’Église semble être en flamme. Elle semble ravagée par un incendie bien plus destructeur que celui de la cathédrale Notre-Dame. Quel est ce feu ? Il faut avoir le courage de lui donner son nom. Car, « mal nommer les choses, c’est augmenter le malheur du monde. »
Ce feu, cet incendie qui ravage l’Église tout particulièrement en Europe, c’est la confusion intellectuelle, doctrinale et morale, c’est la couardise de proclamer la vérité sur Dieu et sur l’homme et de défendre et transmettre les valeurs morales et éthiques de la tradition chrétienne, c’est la perte de la foi, de l’esprit de foi, la perte du sens de l’objectivité de la foi et donc la perte du sens de Dieu. Comme l’écrivait Jean-Paul II dans Evangelium Vitae : « Quand on recherche les racines les plus profondes du combat entre la « culture de vie » et la « culture de mort »… il faut arriver au cœur du drame vécu par l’homme contemporain: l’éclipse du sens de Dieu et du sens de l’homme, caractéristique du contexte social et culturel dominé par la sécularisation qui, avec ses prolongements tentaculaires, va jusqu’à mettre parfois à l’épreuve les communautés chrétiennes elles-mêmes… ce qui aboutit à une sorte d’obscurcissement progressif de la capacité de percevoir la présence vivifiante et salvatrice de Dieu »[1].
Chers amis, la cathédrale Notre-Dame avait une flèche qui était comme un doigt tendu vers le ciel. Cette flèche semblait nous orienter vers Dieu. Au cœur de Paris, elle semblait dire à chacun le sens ultime de toute vie.
Cette flèche symbolisait bien l’unique raison d’être de l’Église : nous conduire vers Dieu, nous orienter vers Lui. Une Église qui ne serait pas orientée vers Dieu est une Église qui meurt et s’effondre. La flèche de la cathédrale de Paris s’est effondrée : ce n’est pas un hasard ! Notre-Dame de Paris symbolise tout l’Occident. A force de se détourner de Dieu, l’Occident s’effondre.
Elle symbolise la grande tentation des chrétiens d’Occident : à force de ne plus être tournés vers Dieu, à force de se tourner vers eux-mêmes, ils meurent.
Je suis persuadé que cette civilisation vit une crise mortelle. Comme à l’époque de la chute de Rome, les élites d’aujourd’hui ne se soucient que d’augmenter le luxe de leur vie quotidienne et les peuples sont anesthésiés par des divertissements de plus en plus vulgaires.
Comme évêque, je me dois de prévenir l’Occident ! L’incendie de la barbarie vous menace ! Et qui sont les barbares ?
Les barbares sont ceux qui haïssent la nature humaine, Les barbares sont ceux qui bafouent le sens du sacré, Les barbares sont ceux qui méprisent et manipulent la vie et veulent « augmenter l’homme » !
Quand un pays est prêt à laisser mourir de faim et de soif un homme en état de grande faiblesse et de dépendance, il marche sur les voies de la barbarie ! Le monde entier a regardé la France hésiter à nourrir Vincent Lambert, un de ses enfants les plus faibles. Mes chers amis, comment votre pays pourrait-il après cela donner au monde des leçons de civilisation ?
Quand un pays s’arroge le droit de vie et de mort sur les plus petits et les plus faibles, quand un pays assassine les enfants à naître dans le sein de leurs mères, il marche vers la barbarie !
L’occident est aveuglé par sa soif de richesses ! L’appât de l’argent que le libéralisme répand dans les cœurs endort les peuples ! Pendant ce temps, la tragédie silencieuse de l’avortement et de l’euthanasie continue. Pendant ce temps, la pornographie et l’idéologie du genre mutilent et détruisent les enfants et les adolescents.
Nous sommes habitués à la barbarie, elle ne nous surprend même plus !
La civilisation occidentale est en profonde décadence et en ruine, malgré ses succès scientifiques et technologiques fantastiques et les apparences de prospérité ! Comme la cathédrale Notre-Dame : elle vacille. Elle a perdu sa raison d’être : montrer Dieu et conduire à Dieu. Sans la flèche qui couronne l’édifice, les voûtes s’effondrent.
Je veux pousser un cri d’alarme qui est aussi un cri d’amour et de compassion pour l’Europe et l’Occident : Un Occident qui renie sa foi, son histoire, ses racines chrétiennes est condamné au mépris et à la mort ! Il n’est plus semblable à une belle cathédrale fondée sur la foi, mais plutôt à une ruine qui n’a plus de sens !
En perdant le sens de Dieu, on a sapé le fondement de toute civilisation humaine. Une cathédrale proclame par son architecture verticale que nous sommes faits pour Dieu. Au contraire, l’homme séparé de Dieu est réduit à sa seule dimension horizontale.
Si Dieu perd son caractère central et son primat, l’homme perd sa juste place, il ne trouve plus sa place dans la création, dans les relations avec les autres. Le refus moderne de Dieu nous enferme dans un nouveau totalitarisme: celui du relativisme qui n’admet aucune loi si ce n’est celle du profit. Il faut briser les chaînes que cette nouvelle idéologie totalitaire veut nous imposer ! Si l’homme refuse et se coupe de Dieu, il ressemble à un fleuve immense et majestueux, mais coupé de sa source, tôt ou tard, il sèchera et disparaîtra. Si l’homme nie Dieu et le rejette, il ressemble à un arbre géant qui n’a plus de racine : il mourra sans délai. Nicolas Berdiaeff a raison de dire : « Si Dieu n’est pas, alors l’homme n’est pas non plus, voilà ce que notre époque découvre de façon expérimentale. La nature du socialisme est mise à nu et démasquée, ses limites dernières sont manifestes ; de même est mis à nu et démasqué le fait que l’irréligion, la neutralité religieuse n’existent pas, qu’à la religion du Dieu vivant est seulement opposée la religion du diable, qu’à la religion du Christ est seulement opposée la religion de l’Antéchrist ; le royaume de l’humanisme neutre qui voulait s’installer dans la sphère moyenne, entre ciel et enfer, se décompose, et alors se découvre l’abime supérieur et inférieur. Au Dieu-Homme est opposé, non pas l’homme du Royaume neutre et moyen, mais l’homme-dieu, l’homme qui s’est mis lui-même à la place de Dieu. Les pôles opposés de l’être et du néant se découvrent »[2].
Refuser à Dieu la possibilité d’entrer dans tous les aspects de la vie humaine revient à condamner l’homme à la solitude. Il n’est plus qu’un individu isolé, sans origine ni destin. Il se retrouve condamné à errer dans le monde comme un barbare nomade, sans savoir qu’il est fils et héritier d’un Père qui l’a créé par amour et l’appelle à partager son bonheur éternel.
Seul, errant dans un champs de ruines, voilà ce qu’est devenu l’homme moderne, voilà ce que j’ai expérimenté hier en visitant Notre-Dame en ruine.
La crise spirituelle que je décris concerne le monde entier. Mais elle a sa source en Europe. Le rejet de Dieu est né dans les consciences occidentales. L’effondrement spirituel a donc des traits proprement occidentaux. Je voudrais relever en particulier le refus de la paternité. On a convaincu nos contemporains que pour être libre il fallait ne dépendre de personne. Il y a là une erreur tragique.
Les occidentaux sont persuadés que recevoir est contraire à la dignité de la personne humaine. Or l’homme civilisé est fondamentalement un héritier, il reçoit une histoire, une culture, un nom, une famille, une langue, une religion, une foi, une tradition, une patrie.
C’est ce qui le distingue du barbare. Refuser de s’inscrire dans un réseau de dépendance, d’héritage et de filiation nous condamne à entrer nus dans la jungle de la concurrence d’une économie laissée à elle-même.
Les bâtisseurs de Notre-Dame avaient profondément inscrit en eux ce sens de la dépendance et de la transmission. Ils travaillaient sur des décennies et des siècles, pour leurs descendants, bien souvent sans jamais voir eux-mêmes l’achèvement de leur travail. Ils se savaient héritiers et voulaient transmettre l’héritage.
Parce que l’homme moderne refuse de s’accepter comme héritier, il se condamne à l’enfer de la mondialisation libéral où les intérêts individuels s’affrontent sans autre loi que celle du profit à tout prix.
Mais dans mon livre j’ai voulu rappeler aux occidentaux que la raison véritable de ce refus d’hériter, de ce refus de la paternité est au fond le refus de Dieu. Je discerne au fond des cœurs occidentaux un profond refus de la paternité créatrice de Dieu.
Pourtant, nous recevons de Dieu notre nature d’homme et de femme. « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu, il le créa, homme et femme, il les créa » (Gn 1, 27). Or, cela devient insupportable aux esprits modernes. L’idéologie du genre est ainsi le refus de recevoir de Dieu une nature sexuée. Certains, en Occident, vont jusqu’à se révolter, à se rebeller et à combattre contre Dieu. Ils s’opposent frontalement à leur Créateur et Père. Alors, ils se mutilent horriblement et inutilement pour changer de sexe. Mais ils ne changent fondamentalement rien dans leur structure d’homme et de femme. En fait, ils matérialisent et rendent plus radicales leur opposition et leur révolte contre Dieu. La loi naturelle est violemment rejetée et combattue par la philosophie et l’esprit modernes. Or, saint Jean définit ainsi le péché : « Tout homme qui commet le péché lutte contre Dieu ; car le péché, c’est la lutte contre Dieu » (1 Jn 3, 4). Cette négation est l’aboutissement du rejet de Dieu, de la proclamation de la liberté sans limites comme valeur absolue et de la justification du péché. On en trouve un parfait exemple dans l’idéologie du genre.
L’Occident refuse de recevoir, il n’accepte que ce qu’il construit lui-même. Le transhumanisme est l’ultime avatar de ce mouvement. Même la nature humaine, parce qu’elle est un don de Dieu, devient insupportable à l’homme d’Occident.
Cette révolte est en son essence spirituelle. Elle est la révolte de Satan contre le don de la grâce !
Au fond, je crois que l’homme d’Occident refuse d’être sauvé par pure miséricorde. Il refuse de recevoir le salut et veut le bâtir par lui-même. Les « valeurs occidentales » promues par l’ONU reposent sur un refus de Dieu que je compare à celui du jeune homme riche de l’Évangile. Dieu a regardé l’Occident et il l’a aimé parce qu’il a fait de grandes choses. Il l’a invité à aller plus loin mais l’Occident s’est détourné, il a préféré les richesses qu’il ne devait qu’à lui-même.
Je crois que les grandes cathédrales d’Occident n’ont pu être bâties que par des hommes de grande foi et de grande humilité qui étaient profondément heureux de se savoir fils de Dieu. Elles sont comme un chant de joie, une hymne à la gloire de Dieu sculptée dans la pierre et peinte dans les vitraux. Elles sont l’œuvre de fils qui aiment et adorent leur Père du Ciel ! Tous étaient heureux de graver sur la pierre l’expression de leur foi et de leur amour pour Dieu, et non la gloire de leur nom. Leurs chefs d’œuvre devaient glorifier et louer uniquement Dieu. L’homme moderne occidental est trop triste pour réaliser de tels chefs d’œuvre.
Il a choisi d’être orphelin et solitaire, comment chanterait-il la gloire du Père éternel dont il a tout reçu ? Alors que faire ? Devant les ruines de Notre-Dame, certains sont tentés de se dire, voilà un édifice qui a fait son temps. Bâtissons quelque chose de neuf, de plus moderne.
Bâtissons quelque chose à notre image ! Un édifice qui dise, non plus la gloire de Dieu, mais la gloire de l’homme, la puissance de la science et de la modernité.
De même, certains regardent l’Église catholique et disent : cette Église a fait son temps, changeons-la, faisons une Église nouvelle, à notre image.
Ils pensent : l’Église n’est plus crédible, elle n’est plus audible dans les médias. Elle est trop marquée par les scandales de pédophilie, d’homosexualité dans le clergé. Un nombre important de son clergé a une conduite perverse. Il faut la changer, la réinventer.
Le célibat sacerdotal parait trop difficile en nos temps ? Rendons-le optionnel.
L’enseignement moral de l’Évangile paraît trop exigeant ? Amoindrissons-le. Diluons-le dans le relativisme et le laxisme. Occupons-nous davantage des questions sociales.
La doctrine catholique passe mal dans les médias ? Changeons-la. Adoptons-la aux mentalités et aux perversités morales de notre temps. Adaptons-nous à la nouvelle éthique mondiale promus par l’ONU et l’idéologie du genre.
On veut faire de l’Église une société humaine et horizontale. On veut lui faire parler un langage médiatique. On veut la rendre populaire. Mais une telle Église n’intéresse personne !
Mes chers amis, le monde n’a rien à faire d’une Église qui ne lui renverrait que sa propre image !
L’Église n’a d’intérêt que parce qu’elle nous permet de rencontrer Jésus. Elle n’a d’utilité que parce qu’elle est une porte qui nous conduit vers l’intime réalité du mystère divin et nous permet de regarder Dieu les yeux dans les yeux. Elle n’est légitime que parce qu’elle nous transmet la Révélation. Quand l’Église se surcharge de structures humaines, elle fait obstacle au rayonnement de Dieu en elle et par elle.
L’Église doit être comme une cathédrale. Tout en elle doit chanter la gloire de Dieu. Elle doit sans cesse orienter notre regard vers Lui, comme la flèche de Notre-Dame pointée vers le Ciel.
Mes chers amis, nous avons à refaire la cathédrale. Nous devons la refaire à l’identique, exactement telle qu’elle était auparavant. Nous n’avons pas à inventer une nouvelle Église. Nous avons à nous convertir pour laisser à nouveau l’Église rayonner, pour que l’Église soit à nouveau une cathédrale qui chante la gloire de Dieu et conduise les hommes à Lui. Alors, que devons-nous faire en priorité ?
Je vous réponds sans hésiter : Vous voulez relever l’Église ? Alors, mettez-vous à genoux !
Vous voulez relever cette si belle cathédrale qu’est l’Église catholique ? Mettez-vous à genoux !
Car une cathédrale est d’abord un lieu où les hommes peuvent s’agenouiller, une cathédrale est l’écrin de la présence de Dieu dans le Très Saint-Sacrement.
La première des urgences est de retrouver le sens de l’adoration ! La perte du sens de
l’adoration de Dieu est la matrice de tous les incendies et de toutes les crises qui secouent aujourd’hui le monde et l’Eglise.
Mais nous manquons d’adorateurs ! Le monde meurt parce qu’il manque d’adorateurs ! L’Église se dessèche faute d’adorateurs qui étanchent sa soif ! Nous manquons de gens qui se mettent à genoux comme Jésus lorsqu’il s’adresse à son Père et notre Père : « Puis, Jésus s’éloigna d’eux d’environ un jet de pierre et, fléchissant les genoux, il priait… Père, éloigne de moi ce calice ! Cependant, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se fasse » (cf. Lc 22, 41 ; Mt 26, 39 ; Mc 14, 35).
Nous ne retrouverons le sens de la dignité de la personne humaine que si nous acceptons de reconnaître la transcendance de Dieu. L’homme n’est grand et n’atteint sa plus haute noblesse que lorsqu’il se met à genoux devant Dieu. L’homme grand est humble et l’homme humble est à genoux !
Mes amis, s’il vous arrive parfois de désespérer devant les puissances de ce monde. S’ils vous arrivent de baisser les bras devant les puissances de ce monde, alors souvenez-vous, jamais personne ne pourra vous enlever la liberté de vous mettre à genoux ! Si des prêtres impies abusent de leur autorité et vous brutalisent pour vous empêcher et vous interdire de vous mettre à genoux pour recevoir la sainte Communion, ne perdez pas votre calme et votre sérénité devant Jésus-Eucharistie. Ne leur résistez pas, priez plutôt pour ces prêtres dont le comportement blasphème et profane Celui qu’ils tiennent dans leurs mains. Essayez d’imiter l’humilité de Dieu et mettez à genoux votre cœur, votre volonté, votre intelligence, votre amour propre et tout votre être intérieur. Là les impies ne peuvent vous atteindre. Ils n’y ont pas accès, car votre cœur ou votre être intérieur, c’est le domaine exclusif de Dieu. Un homme à genoux est plus puissant que le monde ! Il est un rempart inexpugnable contre l’athéisme et la folie des hommes. Un homme à genoux fait trembler l’orgueil de Satan !
Vous tous qui, aux yeux des hommes, êtes sans pouvoir et sans influence, mais qui savez rester à genoux devant Dieu, n’ayez pas peur de ceux qui veulent vous intimider ! Votre mission est grande, elle consiste à « empêcher que le monde se défasse » !
Je vous le dis en particulier à vous les malades, vous les faibles de corps ou d’intelligence, vous qui souffrez de handicap, vous que la société trouvent inutiles et veut supprimer : quand vous priez , quand vous adorez, vous êtes grands ! Vous avez une particulière dignité parce que vous ressemblez singulièrement au Christ crucifié. Permettez-moi de vous le dire, l’Église tout entière se met à genoux devant vous parce que vous portez son image, sa présence ! Nous voulons vous servir, vous aimer, vous consoler, vous apaiser. Nous voulons aussi apprendre de vous. Vous nous prêchez l’Évangile de l’adoration dans la souffrance. Vous êtes un trésor !
Une cathédrale n’a plus de sens si personne n’y vient adorer ! Si personne ne vient s’y prosterner, à genoux, devant Dieu. Elle n’a plus de sens si la liturgie qu’on y célèbre n’est pas toute entière conçue pour nous orienter vers Dieu, vers sa croix. Il faudra donc, pour notre cathédrale, des prêtres pour y célébrer la liturgie de la messe et la liturgie des Heures.
Pour que le peuple de Dieu adore, il faut que les prêtres et les évêques soient les premiers adorateurs. Ils sont appelés à se tenir constamment devant Dieu. Leur existence est destinée à devenir une prière incessante et persévérante, une liturgie permanente. Ils sont les premiers de cordée.
Il n’est pas rare que des évêques et des prêtres négligent l’adoration, ils sont alors centrés sur eux-mêmes et leurs activités, préoccupés des résultats humains de leur ministère. Ils ne trouvent pas de temps pour Dieu, parce qu’ils ont perdu le sens de Dieu. Dieu n’a plus beaucoup de place dans leur vie.
Mes chers amis, je suis persuadé qu’au cœur de la crise de l’Église, il y a une crise sacerdotale, une crise des prêtres. Si la cathédrale s’écroule, c’est que l’identité sacerdotale s’est écroulée la première. On a enlevé aux prêtres leur identité. On leur a fait croire qu’ils devaient être des hommes d’affaire, des hommes efficaces, actifs et présents partout et à tout moment.
Or un prêtre est fondamentalement un continuateur parmi nous de la présence du Christ. Il est essentiellement un adorateur, un homme qui se tient constamment devant Dieu. On ne doit pas le définir par ce qu’il fait mais par ce qu’il est : or, il est ipse Christus, il est le Christ lui-même.
La découverte de nombreux abus sexuels sur mineurs commis par des prêtres révèle une crise spirituelle profonde. Bien sûr, il y a des facteurs sociaux : la crise des années 60, l’érotisation de la
société, qui rejaillissent dans l’Église. Mais il faut avoir le courage d’aller plus loin. Comme l’a si bien dit tout récemment Benoît XVI, les racines de cette crise sont spirituelles. La raison ultime des abus ou d’une vie morale incompatible avec le célibat sacerdotal est en définitive l’absence concrète de Dieu dans la vie des prêtres. On a vu depuis longtemps se répandre une vie sacerdotale qui n’est plus déterminée par la foi. Or, s’il est une vie qui doit être entièrement et absolument déterminée par la foi, c’est bien la vie sacerdotale. En dernière analyse, la raison des abus sexuels est l’absence de Dieu. C’est seulement là où la foi ne détermine plus les actions de l’homme que de tels faits sont possibles. Comme nous le rappelle le Pape Benoît XVI « il est important de comprendre que le fondement permanent et vivant de notre célibat, c’est l’Eucharistie. Comme prêtres, le centre de notre vie doit être réellement la célébration quotidienne de la sainte Eucharistie. Ici sont centrales les paroles de la consécration: « Ceci est mon corps, ceci est mon sang ». Nous parlons donc in persona Christi. Le Christ nous permet d’utiliser son « moi », nous parlons avec le « moi » du Christ, le Christ nous « attire en lui » et nous permet de nous unir à Lui, il nous unit avec son « moi ». Et ainsi à travers cette action, le fait qu’Il nous « attire » à lui-même, de telle façon que notre « moi » s’unisse au sien, réalise la permanence, l’unicité de son sacerdoce… C’est cette union avec son « moi » qui se réalise dans les paroles de la consécration… Cette unification de son « moi » avec le nôtre implique que nous sommes « attirés » aussi dans sa réalité de Ressuscité… Le célibat est une anticipation rendue possible par la grâce du Seigneur qui nous « attire » à lui, vers le monde de la résurrection »[3]. Cela exige une vie de prière intime. Un prêtre qui ne prie pas, qui ne vit pas concrètement comme un autre Christ est coupé de son être, de sa source. Il finit par mourir ou basculer dans la toute-puissance et la perversité.
J’ai dédié ce livre aux prêtres du monde entier parce que je sais qu’ils souffrent. Beaucoup se sentent abandonnés. Nous, évêques, nous portons une lourde responsabilité dans la crise du sacerdoce. Avons-nous été pour eux des pères ? Les avons-nous écoutés, compris, guidés ? Leur avons-nous donné l’exemple ?
Bien souvent les diocèses se transforment en structures administratives. Les réunions, les conférences, les commissions, les voyages se multiplient.
L’évêque devrait être le modèle du sacerdoce. Mais nous sommes loin d’être les premiers à prier en silence et à chanter l’Office dans nos cathédrales. Je crains que nous nous égarions dans des responsabilités profanes et secondaires.
La place d’un prêtre est sur la Croix. Quand il célèbre la messe, il est à la source de toute sa vie, c’est-à-dire à la Croix. Le célibat est un des moyens concrets qui nous permet de vivre ce mystère de la Croix dans nos vies. Le célibat inscrit la Croix jusque dans notre chair. C’est pour cela que le célibat est insupportable pour le monde moderne. Le célibat sacerdotal est un scandale pour les modernes, parce que la Croix est un scandale.
Dans ce livre, j’ai voulu encourager les prêtres. J’ai voulu leur dire : aimez votre sacerdoce ! Soyez fier d’être crucifiés avec le Christ ! N’ayez pas peur de la haine du monde ! J’ai voulu dire mon affection de père et de frère pour les prêtres du monde entier ! Je voudrais devant vous et avec vous dire mon affection profonde aux prêtres fidèles du monde entier ! Je veux devant vous et avec vous leur rendre hommage !
Chers amis, aimez vos prêtres ! Ne les remerciez pas pour ce qu’ils font mais pour ce qu’ils sont ! Chers amis, ne vous laissez pas troubler par les enquêtes tendancieuses qui vous présentent la situation désastreuse d’ecclésiastiques irresponsables à la vie intérieure anémiée, aux commandes du gouvernement même de l’Église ; restez sereins et confiants comme la Vierge et saint Jean au pied de la Croix. Les prêtres, les évêques et les cardinaux sans morale ne terniront en rien le témoignage lumineux des plus de quatre cent mille prêtres à travers le monde qui, chaque jour et dans la fidélité, servent saintement, joyeusement et humblement le seigneur !
Chers amis, Je crois qu’il nous faut être réalistes et concrets. Oui, il y a des pécheurs. Oui, il existe des prêtres, des évêques et même des cardinaux infidèles qui manquent à la chasteté mais aussi, et c’est tout aussi grave, à la vérité de la doctrine ! Le péché ne doit pas nous surprendre. En revanche il faut avoir le courage de l’appeler par son nom. Nous devons avoir le courage de retrouver les voies du combat spirituel : la prière, la pénitence et le jeûne. Nous devons avoir la lucidité de punir les infidélités. Nous devons trouver les moyens concrets de les prévenir. Je crois que sans une vie de prière commune, sans un minimum de vie fraternelle et commune entre prêtres, la fidélité est une illusion. Nous devons nous tourner vers le modèle des Actes des apôtres. Mais je veux vous le répéter à vous, prêtres et religieux cachés et oubliés, vous que la société méprise parfois, vous qui êtes fidèles aux promesses de votre ordination, vous faites trembler les puissances de ce monde !
Vous leur rappelez que rien ne résiste à la force du don de votre vie pour la vérité. Vous leur rappelez la présence vitale et indispensable de Dieu pour l’avenir de l’humanité. Votre présence est insupportable au prince du mensonge.
Sans vous, chers frères prêtres et consacrés, l’humanité serait moins grande, mois radieuse et moins belle ! Sans vous les cathédrales seraient des édifices sans vie et inutiles !
Vous êtes le rempart vivant de la vérité parce que vous avez accepté de l’aimer jusqu’à la Croix. Chers frères prêtres, chers religieux et religieuses, l’expérience de la Croix est l’expérience de la vérité de notre vie ! L’homme ou le clerc qui proclame la vérité de Dieu monte immanquablement sur la Croix. Il connaîtra la passion, la crucifixion et la mort de la Croix. Tous les chrétiens, et les prêtres en particulier, sont constamment sur la Croix pour que, par leur témoignage, brille la vérité et que soit détruit le mensonge. De façon éminente, nous portons partout et toujours dans notre corps les souffrances de mort de Jésus, pour que la vie de Jésus soit, elle aussi, manifestée dans notre corps (cf. 2 Co 4, 10).
J’entends souvent dire que le célibat des prêtres n’est qu’une question de discipline historique. Je crois fermement que c’est faux. Comme nous le disions plus haut, le célibat révèle l’essence même du sacerdoce chrétien, c’est-à-dire la parfaite configuration, la totale identification du prêtre au Christ, Grand Prêtre de la Nouvelle Alliance et des biens à venir (He 9, 11). En ce sens, le prêtre n’est pas seulement un alter Christus, un autre Christ, il est vraiment ipse Christus, le Christ lui-même. Par la consécration eucharistique, il est totalement configuré au Christ, il est comme « transsubstantié », transformé, changé en Christ. Et parce que le Christ et les Apôtres ont vécu parfaitement la chasteté et le célibat comme signe de leur don total et absolu au Père, il est donc fondamental aujourd’hui encore de considérer le célibat comme une exigence vitale pour l’Eglise. En parler comme d’une réalité secondaire est blessant pour tous les prêtres du monde ! Je suis intimement persuadé que la relativisation de la loi du célibat sacerdotal revient à réduire le sacerdoce à une simple fonction. Or, la prêtrise n’est pas une fonction mais un état. Être prêtre, ce n’est pas d’abord faire, c’est être. C’est être le Christ ; c’est être le prolongement de la présence du Christ parmi les hommes. Le Christ est vraiment l’époux de l’Église. Et il a aimé l’Eglise et s’est livré pour elle afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d’eau qu’une parole accompagne, car il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache, ni ride, ni rien de tel, mais sainte et immaculée (Ep 5, 25-27). Le prêtre à son tour se donne comme le Christ s’est donné pour toute l’Église. Le célibat manifeste ce don, il en est le signe concret et vital. Le célibat est le sceau de la Croix sur notre vie de prêtre ! Il est un cri de l’âme sacerdotal qui proclame l’amour pour le Père et le don total de soi à l’Église!
La volonté de relativiser le célibat revient à mépriser ce don radical que tant de prêtres fidèles ont vécu depuis leur ordination. Je veux clamer avec tant de mes frères prêtres ma profonde souffrance devant le mépris du célibat sacerdotal ! Certes, il peut arriver une faiblesse dans ce domaine. Mais celui qui tombe se relève immédiatement et poursuit sa route à la suite du Christ avec plus de fidélité et de détermination.
Et puis, chers amis, que faudra-t-il encore à notre cathédrale ? Il lui faudra des piliers solides pour porter ses voûtes. Quels seront ces piliers ? Sur quel fondement appuyer l’élancement gracieux des nervures gothiques ? Je crois que l’on peut dire que la doctrine catholique reçue des apôtres est le seul fondement solide possible.
Si chacun défend son opinion, ses hypothèses théologiques, sa nouveauté, ou une approche pastorale qui contredit les exigences de l’Evangile et le Magistère pérenne de l’Eglise, alors la division se répandra partout.
Je suis meurtri de voir tant de pasteurs brader la doctrine catholique et installer la division parmi les fidèles. Nous devons au peuple chrétien un enseignement clair, ferme et stable. Comment accepter que les évêques ou les conférences épiscopales se contredisent entre elles ? Là où règne la confusion, Dieu ne peut habiter ! Car Dieu es Lumière et Vérité.
L’unité de la foi suppose l’unité du magistère dans l’espace et dans le temps. Quand un enseignement nouveau nous est donné, il doit toujours être interprété en cohérence avec l’enseignement qui précède. Si nous introduisons des ruptures et des révolutions, nous brisons l’unité qui régit la sainte Église au travers des siècles. Cela ne signifie pas que nous soyons condamnés au fixisme. Mais toute évolution doit être une meilleure compréhension et un approfondissement du passé. L’herméneutique de réforme dans la continuité que Benoît XVI a si clairement enseignée est une condition sine qua non de l’unité. Ceux qui annoncent à grand fracas le changement et la rupture sont des faux prophètes ! Ils ne cherchent pas le bien du troupeau. Ce sont des mercenaires introduits en fraude dans la bergerie !
Notre unité se forgera autour de la vérité de la doctrine catholique et de l’enseignement moral de l’Eglise. Il n’y a pas d’autres moyens. Vouloir gagner la popularité médiatique au prix de la vérité revient à faire l’œuvre de Judas ! N’ayons pas peur ! Quel cadeau plus merveilleux offrir à l’humanité que la vérité de l’Évangile ? Quel trésor plus précieux lui offrir que la lumière de l’Evangile et la Sagesse de Dieu, c’est-à-dire Jésus-Christ (1 Co 1, 24).
Certains chrétiens semblent vouloir se priver de cette lumière et de cette sagesse. Ils se contraignent à voir le monde avec un regard sécularisé. Pourquoi ? Est-ce un désir d’être accepté par le monde ? Un désir d’être comme tout le monde ?
Je me demande si, au fond, cette attitude ne masque pas tout simplement la peur qui nous fait refuser d’entendre ce que Jésus lui-même nous dit : « Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde. » Quel honneur, mais aussi quelle responsabilité ! Quelle charge ! Renoncer à être le sel de la terre, c’est condamner le monde à rester fade et sans goût, renoncer à être la lumière du monde, c’est le condamner à l’obscurité, c’est l’abandonner dans les ténèbres de la rébellion contre Dieu ! Nous ne devons pas nous y résoudre !
Tournons-nous vers le monde, mais pour lui porter la seule lumière qui ne trompe pas : Lorsque l’Église se tourne vers le monde, cela ne peut pas signifier qu’elle supprime le scandale de la Croix, mais uniquement qu’elle le rend de nouveau accessible dans toute sa nudité. Chers amis, j’ai été spirituellement très ému par une photographie publiée au lendemain de l’incendie de Notre-Dame de Paris. On y voit l’intérieur de l’église encombré de débris encore fumant. Mais au-dessus de ces monceaux de poutres calcinés et de pierres arrachées, la croix lumineuse installée par le cardinal Lustiger est encore debout ! « Stat Crux, dum volvitur rbis » : « la Croix demeure tandis que le monde tourne ». Le monde tourne et s’écroule, seule la Croix demeure stable et nous indique la direction du salut. Seule demeure la vérité de la Croix, la vérité de la doctrine catholique.
Si pour l’Église se tourner vers le monde signifiait se détourner de la Croix, cela la conduirait non pas à un renouveau, mais à la mort !
Il y a, chez beaucoup de chrétiens une peur et une répugnance à témoigner de la foi ou à porter au monde la lumière de l’Evangile. Notre foi est devenue tiède, tel un souvenir qui s’estompe peu à peu. Elle devient comme un brouillard froid. Alors nous n’osons plus affirmer qu’elle est l’unique lumière du monde. Pourtant, nous avons à témoigner non de nous-mêmes, mais de Dieu qui est venu à notre rencontre et s’est révélé en Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai Homme.
Il est donc urgent d’insister sur l’enseignement du catéchisme aux adultes comme aux enfants. Nous disposons pour cela d’un merveilleux outil : le Catéchisme de l’Église catholique et son Compendium.
La défaillance de la catéchèse conduit bien des chrétiens à entretenir une forme de flou autour de la foi ou de syncrétisme religieux. Certains choisissent de croire à tel article du Credo et rejettent tel autre. On en vient même à faire des sondages sur l’adhésion des catholiques à la foi chrétienne… La foi n’est pas un étal de marchand où l’on choisirait les fruits et légumes qui nous conviennent ! En la recevant, c’est Dieu tout entier que nous recevons ! J’appelle solennellement les chrétiens à aimer les dogmes, les articles de foi, et à les chérir. Aimons notre catéchisme ! Si nous le recevons non seulement avec les lèvres mais avec le cœur, alors, par les formules de la foi, nous entrerons vraiment en communion avec Dieu. Il est temps d’arracher les chrétiens aux discours ambigus et confus de certains prélats ou au relativisme ambiant qui anesthésie les cœurs et endort l’amour ! Souvenez-vous du témoignage clair et ferme de Pierre : « Il n’y a pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes par lequel nous devions être sauvés, sinon par le nom de Jésus le Nazaréen » (Ac 4, 10-12). Songeons à tous ces chrétiens d’Afrique, d’Asie et du Moyen Orient qui se font égorger pour le nom de Jésus !
Il est temps que la foi devienne pour les chrétiens le trésor le plus intime et le plus précieux. Songeons à tous ces martyrs morts pour la pureté de leur foi .
On mesure, à notre apathie devant les déviations doctrinales, la tiédeur qui s’est installée parmi nous. Il n’est pas rare de voir enseignées de graves erreurs dans les universités catholiques ou dans les publications officiellement chrétiennes. Personne ne réagit ! Nous autres évêques, nous nous contentons de mises au point prudentes et timorées. Prenons garde, un jour les fidèles nous demanderont des comptes. Ils nous accuseront devant Dieu de les avoir livrés aux loups, et d’avoir déserté notre poste de pasteur défendant la bergerie.
Comprenez-moi bien : Mon cri est un cri d’amour ! Notre foi conditionne notre amour pour Dieu. Défendre la foi, c’est défendre les plus faibles, les plus simples, et leur permettre d’aimer Dieu en vérité. Chers amis, nous devons brûler d’amour pour notre foi. Nous ne devons pas la diluer dans des compromissions mondaines. Nous ne devons pas la falsifier, la corrompre. Il en va du salut des âmes, les nôtres et celles de nos frères ! Le jour où nous ne brûlerons plus d’amour pour notre foi, le monde mourra de froid, privé de son bien le plus précieux. C’est à nous qu’il revient de défendre et d’annoncer la foi !
Qui aujourd’hui se lèvera pour annoncer aux villes d’Occident la foi qu’elles attendent ? Qui se lèvera pour annoncer la vraie foi aux musulmans ? Ils la recherchent sans le savoir. Ils se tournent vers l’islamisme parce que l’Occident leur offre comme unique religion la société de consommation.
Qui seront les missionnaires dont le monde a besoin ? Qui seront les missionnaires qui enseigneront l’intégrité de la foi à tant de catholiques qui ignorent ce à quoi ils croient ? Ne mettons plus la lumière de la foi sous le boisseau, ne cachons plus ce trésor qui nous a été donné gratuitement ! Osons annoncer, témoigner, catéchiser !
Nous ne pouvons plus nous dire croyants et vivre en pratique comme des athées !
La foi éclaire toute notre vie familiale, professionnelle, culturelle, pas seulement notre vie spirituelle. En Occident, on voit certains se réclamer de la tolérance ou de la laïcité, pour imposer une forme de schizophrénie entre la vie privée et la vie publique. La foi a sa place dans le débat public ! Nous devons parler de Dieu, non pour l’imposer mais pour le révéler et le proposer. Dieu est une lumière indispensable pour l’homme.
Mes chers amis, pour achever notre cathédrale, il faut encore des vitraux. Ils apportent parmi nous la présence lumineuse, joyeuse et colorée des Saints du Ciel.
Nous avons besoin de saints qui osent porter un regard de foi sur toute chose, qui osent s’éclairer à la lumière de Dieu. Mes amis serons-nous ces saints que le monde attend ? Vous, chrétiens d’aujourd’hui, vous serez les saints et les martyrs que les nations attendent pour une nouvelle évangélisation ! Vos patries ont soif du Christ ! Ne les décevez pas ! L’Église vous confie cette mission !
Je crois que nous sommes à un tournant de l’histoire de l’Église. Oui, elle a besoin d’une réforme profonde et radicale qui doit commencer par une réforme du mode de vie des prêtres. Mais tous ces moyens sont au service de sa sainteté. L’Église est sainte en elle-même. Nous empêchons sa sainteté de rayonner par nos péchés et nos préoccupations mondaines. Il est temps de faire tomber toutes ces surcharges pour laisser enfin apparaître l’Église telle que Dieu l’a modelée.
On croit parfois que l’histoire de l’Église est marquée par les réformes de structures. Je suis certain que ce sont les saints qui changent l’histoire. Les structures suivent ensuite et ne font que pérenniser l’action des saints. Quand Dieu appelle, il est radical ! Cela signifie qu’Il va jusqu’au bout, jusqu’à la racine. Chers amis, nous ne sommes pas appelés à être des chrétiens médiocres ! Non, Dieu nous appelle tout entier jusqu’au don total, jusqu’au martyr du corps ou du cœur ! Il nous appelle à la sainteté : « Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint » (Lv 19, 1).
Dans la conclusion de mon livre, je parle de ce poison dont nous sommes tous victimes : l’athéisme liquide. Il infiltre tout, même nos discours d’ecclésiastiques. Il consiste à admettre, à côté de la foi, des modes de pensée ou de vie radicalement païens et mondains, réellement opposés à l’Evangile, et nous nous satisfaisons de cette cohabitation contre-nature ! Cela montre que notre foi est devenue liquide et sans consistance !
La première réforme à faire est dans notre cœur. Elle consiste à ne plus pactiser avec le mensonge de l’athéisme liquide. La foi est en même temps le trésor que nous voulons défendre et la force qui nous permet de le défendre.
De tout mon cœur de pasteur, je veux inviter aujourd’hui les chrétiens à la conversion. Nous n’avons pas à créer des partis dans l’Église. Nous n’avons pas à nous proclamer les sauveurs de telle ou telle institution. Tout cela contribuerait au jeu de l’adversaire. En revanche, chacun de nous peut prendre cette résolution : le mensonge de l’athéisme ne passera plus par moi. Je ne veux plus renoncer à la lumière de la foi, je ne veux plus, par commodité, par paresse ou par conformisme, faire cohabiter en moi la lumière et les ténèbres ! C’est une décision très simple, à la fois intérieure et concrète. Elle changera notre vie dans ses plus infimes détails. Il ne s’agit pas de partir en guerre. Il ne s’agit pas de dénoncer des ennemis. Il ne s’agit pas d’attaquer ou de critiquer. Il s’agit de rester fermement fidèle à Jésus-Christ, à son Evangile et au mystère de l’Eglise. Si on ne peut changer le monde, on peut se changer soi-même. Si chacun le décidait humblement, alors le système du mensonge s’écroulerait de lui-même, car sa seule force est la place que nous lui faisons en nous !
Mes chers amis, l’Occident a bâti des cathédrales merveilleuses. Elles risquent aujourd’hui de devenir des musées sans âme. Mais un monde où les cathédrales seraient ainsi devenues comme des cadavres de pierres serait un monde triste, vain et privé de sens.
Permettez-moi pour conclure de citer encore Benoît XVI : « l’homme a besoin d’un appel fait à son âme, qui puisse le porter et le soutenir. Il a besoin d’un espace pour son âme. C’est cela que symbolise une Cathédrale. Mais, un édifice ne devient cathédrale que grâce à des hommes qui construisent cet espace de l’âme, des hommes qui transforment les pierres en cathédrale et par là maintiennent ouvert pour tous l’appel de l’infini, appel sans lequel l’humanité étouffe. L’humanité a besoin de « serviteurs de la cathédrale » dont la vie désintéressée et pure rende Dieu crédible. »
Mes chers amis, je vous invite à mon tour être ces bâtisseurs de cathédrale.
Nous devons créer des lieux où les vertus puissent fleurir. Il est temps de retrouver le courage de l’anticonformisme. Les chrétiens doivent avoir la force de former des oasis où l’air soit respirable, où, tout simplement, la vie chrétienne soit possible.
J’appelle les chrétiens à ouvrir des oasis de gratuité dans le désert de la rentabilité triomphante ! Oui, vous ne pouvez rester seuls dans le désert de la société sans Dieu. Un chrétien qui reste seul est un chrétien en danger ! Il finira par être dévoré par les requins de la société marchande. Les chrétiens doivent se regrouper en communautés autour de leurs cathédrales : les maisons de Dieu. Nous devons créer des lieux où l’air soit respirable, ou tout simplement, la vie chrétienne soit possible. Nos communautés doivent mettre Dieu au centre ! Au centre de nos vies, au centre de nos pensées, au centre de notre agir, de nos liturgies et de nos cathédrales. Dans l’avalanche de mensonge, on doit pouvoir trouver des lieux où la vérité soit non seulement expliquée mais expérimentée. Il s’agit tout simplement de vivre l’Évangile ! Non pas de le penser comme une utopie, mais d’en faire concrètement l’expérience ! La foi est comme un feu ! Il faut être soi-même brûlant pour pouvoir la transmettre. Veillez sur ce feu sacré ! Qu’il soit votre chaleur au cœur de l’hiver de l’Occident. Quand un feu éclaire la nuit, les hommes se rassemblent peu à peu autour de lui. Telle est notre espérance. Telle est notre cathédrale.
Cardinal Robert Sarah