Publiée le 02-03-2018
Lettre du card. Pietro Parolin, secrétaire d’État du Vatican, a envoyé une lettre au président de l’Académie pontificale pour la vie, Mgr Paglia, à l’occasion d’un congrès international intitulé « Soins palliatifs : partout et par tout le monde. Soins palliatifs dans toutes les régions. Soins palliatifs dans toutes les religions ou croyances ». Organisé par l’Académie pontificale pour la vie, il se tient à Rome les 28 février et 1er mars 2018.
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Excellence,
Au nom du Saint-Père François et en mon nom personnel, je vous adresse mes salutations cordiales, ainsi qu’aux organisateurs et aux participants au congrès sur les soins palliatifs. Il s’agit de questions qui concernent les derniers moments de notre vie terrestre et qui mettent l’être humain face à une limite qui semble insurmontable pour la liberté, suscitant parfois rébellion et angoisse. C’est pourquoi, dans la société actuelle, on cherche de nombreuses manières à l’éviter et à le supprimer, négligeant d’écouter l’indication inspirée du psaume : « Apprends-nous la vraie mesure de nos jours : que nos cœurs pénètrent la sagesse. » (89,12). Nous nous privons ainsi de la richesse qui, précisément se cache dans la finitude et d’une occasion de mûrir une manière de vivre plus sensée sur le plan personnel et social.
Les soins palliatifs, au contraire, ne cèdent pas à ce renoncement à la sagesse de la finitude et c’est là un autre motif de l’importance de ces thèmes. Ils indiquent en effet une redécouverte de la vocation plus profonde de la médecine, qui consiste avant tout à prendre soin : leur tâche est de toujours soigner, même s’il n’est pas toujours possible de guérir. Certes, l’entreprise médicale se base sur un engagement inlassable à acquérir de nouvelles connaissances et à combattre un nombre toujours plus grand de maladies. Mais les soins palliatifs attestent, à l’intérieur de la pratique clinique, de la conscience que la limite requiert non seulement d’être combattue et dépassée, mais aussi reconnue et acceptée. Et cela signifie de ne pas abandonner les personnes malades, mais au contraire d’être proche d’elles et de les accompagner dans la difficile épreuve qui se manifeste à la fin de la vie. Quand toutes les ressources du « faire » semblent épuisées, c’est précisément alors qu’émerge l’aspect le plus important dans les relations humaines, qui est celui de l’ « être » : être présent, être proche, être accueillant. Cela comporte aussi de partager l’impuissance de celui qui atteint le point extrême de sa vie. Alors la limite peut changer de signification : non plus le lieu de la séparation et de la solitude, mais une occasion de rencontre et de communion. La mort elle-même est introduite dans un horizon symbolique à l’intérieur duquel elle peut apparaît non pas tant comme le terme contre lequel la vie se brise et succombe, mais plutôt comme l’accomplissement d’une existence gratuitement reçue et amoureusement partagée.
La logique des soins rappelle en effet cette dimension de mutuelle dépendance d’amour qui émerge, certes, avec une particulière évidence dans les moments de maladie et de souffrance, surtout à la fin de la vie, mais qui en réalité traverse toutes les relations humaines et en constitue même la caractéristique la plus spécifique. « N’ayez de dette envers personne, sauf celle de l’amour mutuel, car celui qui aime les autres a pleinement accompli la Loi » (Rm 13,8) : c’est ainsi que nous avertit et nous réconforte l’apôtre. Il semble alors raisonnable de jeter un pont entre ces soins que l’on a reçus depuis le début de la vie et qui ont permis à celle-ci de se déployer pleinement et les soins à offrir de manière responsable aux autres, au long des générations jusqu’à embrasser toute la famille humaine. C’est sur ce chemin que peut s’allumer l’étincelle qui relie l’expérience du partage plein d’amour de la vie humaine jusqu’à son mystérieux départ, avec l’annonce évangélique qui voit tout le monde comme des enfants du même Père et qui reconnaît en chacun son image inviolable. Ce lien précieux défend une dignité humaine et théologale qui ne cesse de vivre, pas même avec la perte de la santé, du rôle social et du contrôle sur son propre corps. C’est alors que les soins palliatifs montrent leur valeur, non seulement pour la pratique médicale – pour que, même lorsqu’ils agissent avec efficacité en réalisant des guérisons parfois spectaculaires, on n’oublie pas cette attitude de fond qui est à la racine de toute relation de soins – mais aussi plus généralement pour toute la coexistence humaine.
Votre programme de ces journées met bien en évidence la multiplicité des dimensions qui entrent en jeu dans la pratique des soins palliatifs. Une tâche qui mobilise de nombreuses compétences scientifiques et d’organisation, relationnelles et communicationnelles, incluant l’accompagnement spirituel et la prière. Outre les différentes figures professionnelles, il faut souligner l’importance de la famille pour ce parcours. Elle revêt un rôle unique comme lieu où la solidarité entre les générations se présente comme constitutive de la communication de la vie et où l’aide réciproque s’expérimente aussi dans les moments de souffrance et de maladie. Et c’est précisément pour cela que, dans les phases finales de la vie, le réseau familial, pour fragile et désagrégé qu’il puisse apparaître dans le monde actuel, constitue cependant toujours un élément fondamental. Nous pouvons certainement apprendre beaucoup sur ce point des cultures où la cohésion familiale, même dans les moments de difficulté, est tenue en grande considération.
Un thème très actuel, pour les soins palliatifs, est celui de la thérapie de la douleur. Déjà le pape Pie XII avait clairement légitimé, la distinguant de l’euthanasie, l’administration d’analgésiques pour alléger des douleurs insupportables impossibles à traiter autrement, même si, dans la phase de mort imminente, ils devaient être la cause d’un raccourcissement de la vie (cf. Acta Apostolicae Sedis XLIX [1957],129-147). Aujourd’hui, après de nombreuses années de recherche, le raccourcissement de la vie n’est plus un effet collatéral fréquent mais la même interrogation est soulevée avec de nouveaux produits pharmaceutiques qui agissent sur l’état de conscience et rendent possible différentes formes de sédation. Le critère éthique ne change pas, mais l’emploi de ces procédures requiert toujours un discernement attentif et beaucoup de prudence. Elles sont en effet très exigeantes pour les malades comme pour les proches et pour les soignants : avec la sédation, surtout quand elle est prolongée et profonde, cette dimension relationnelle et communicative, que nous avons vu être cruciale dans l’accompagnement des soins palliatifs, est annulée. La sédation est donc toujours au moins en partie insuffisante, de sorte qu’elle doit être considérée comme un remède extrême, après avoir examiné et clarifié avec attention les indications.
La complexité et l’aspect délicat des thèmes présents dans les soins palliatifs demandent de continuer la réflexion et d’en diffuser la pratique pour en faciliter l’accès : un devoir où les croyants peuvent trouver des compagnons de route dans de nombreuses personnes de bonne volonté. Et il est significatif que, dans cette perspective, soient présents à votre rencontre des représentants de différentes religions et de différentes cultures, dans un effort d’approfondissement et dans un engagement partagé. Dans la formation des professionnels de la santé aussi, de ceux qui ont des responsabilités publiques et dans toute la société, il est important que ces efforts soient fournis ensemble.
Tout en recommandant de prier pour son ministère, le Saint-Père vous envoie de tout cœur, Excellence, ainsi qu’à tous les participants au congrès, la bénédiction apostolique. J’y unis mes vœux personnels et je vous adresse mes sentiments les plus sincères.