Publiée le 06-11-2009
Article de Pierre-Olivier Arduin, sur Liberté Politique
Dans l'étude qui lui a été commandée par le Premier ministre pour nourrir le débat sur la révision des lois françaises de bioéthique, le Conseil d'État a proposé une « meilleure prise en compte de l'intérêt de l'enfant ». Ainsi, outre des réticences sur le dispositif du bébé-médicament, les sages ont émis des réserves sur « l'accueil d'embryon » — autrement dit la procréation volontaire… d'un orphelin.
L'ACCUEIL D'EMBRYONS est une éventualité peu connue qui fait pourtant partie intégrante de l'arsenal de la médecine de la reproduction actuelle. Du fait des enjeux psychosociaux qu'il soulève, ce mode de procréation est en effet loin d'être anodin. « Faut-il maintenir la possibilité de l'“accueil d'embryons humains” ? » s'interroge le Conseil d'État dans son rapport [1].
Prévues dès la loi de bioéthique de 1994, les modalités de réalisation de l'accueil d'embryon n'ont été définitivement insérées dans le Code de santé publique qu'après la parution du décret du 2 novembre 1999. La pratique effective de cette activité d'assistance médicale à la procréation (AMP) n'a cependant débuté qu'en 2004 avec les toutes premières naissances enregistrées en France.
Lorsqu'il abandonne son projet parental après un parcours d'AMP, le couple a le choix entre demander l'arrêt simple de la conservation de ses embryons surnuméraires, les céder à la recherche ou consentir à ce qu'ils soient accueillis par un autre couple stérile. La loi précise que cette dernière possibilité s'exerce à titre dérogatoire et doit rester exceptionnelle. En outre, l'accueil d'embryon est soumis à une décision de l'autorité judiciaire dont le formalisme le rapproche de l'adoption.
Des procédures complexes et… mal suivies
Après avoir renoncé à son projet parental, le couple donneur doit consentir par écrit auprès de l'équipe du centre qui stocke ses embryons restants afin que ceux-ci puissent être « donnés » à un autre couple. Trois mois plus tard, après la fin des premiers entretiens, il doit à nouveau approuver son choix auprès du centre AMP d'accueil dont dépend le couple receveur. Son consentement est alors transmis à un juge du tribunal de grande instance (TGI) qui peut procéder à l'audition des « parents » du ou des embryons transférés.
En ce qui concerne le couple receveur, l'accueil d'embryon doit être subordonné à la confirmation médicale qu'une assistance médicale avec don de gamètes n'a pu aboutir. On remarque donc qu'il n'y a pas obligation de constat d'une double stérilité masculine et féminine pour ouvrir droit à ce mode de procréation. Cela dit, après consultation d'un psychologue ou d'un psychiatre et prise en charge par l'équipe du centre agréé pour l'accueil, le consentement écrit doit être visé par le président du TGI ou son délégué dont dépend le couple d'accueil. Le juge décide ou non d'accepter la demande après avoir éventuellement diligenté une enquête sociale pour vérifier ses capacités d'accueil comme dans une procédure d'adoption. L'article L. 2141-6 stipule en effet que « l'accueil d'embryon est subordonné à une décision de l'autorité judiciaire, le juge […] fait procéder à toutes investigations permettant d'apprécier les conditions d'accueil que ce couple est susceptible d'offrir à l'enfant à naître sur les plans familial, éducatif et psychologique ». En pratique, cet article reste assez souvent lettre morte comme l'a reconnu le Comité consultatif national d'éthique : « Il faut reconnaître que les pratiques réelles sont très variables suivant les TGI et que la plupart des présidents de ces tribunaux ne font pas procéder à l'enquête sociale [2]. »
Le problème de la filiation
Une fois que la procédure a abouti à une grossesse, la filiation de l'enfant sera établie comme dans le cadre d'une AMP avec don de gamètes étrangers au couple. Contrairement à l'adoption où c'est le jugement qui crée la filiation, tout se passe ici comme si le couple avait procréé naturellement ; ce qui lui permettra d'ailleurs de garder le secret à l'égard de l'enfant lui-même sur sa conception. Enfin, l'article L. 2141-6 rappelle que le principe d'anonymat prévaut de manière intangible : « Le couple accueillant l'embryon et celui y ayant renoncé ne peuvent connaître leurs identités respectives. » Selon le bilan de l'Agence de la biomédecine, il y a eu 55 tentatives réalisées en 2005 ayant abouti à 18 grossesses (6 enfants nés, 10 grossesses évolutives dont deux gémellaires) et 57 actes en 2006 avec 14 grossesses (10 enfants nés, 4 grossesses évolutives).
Aujourd'hui, « des voix s'élèvent contre ce dispositif qui soulève effectivement de nombreuses interrogations », admet le Conseil d'État. Peut-on encore les ignorer alors que le Parlement s'apprête en 2010 à revoir sa copie en matière de législation bioéthique ?
Procréer un orphelin
Ce mode de procréation revient ni plus ni moins à faire naître en toute connaissance de cause un enfant qui sera orphelin de père et de mère. Les conséquences sur sa santé psychologique ne peuvent échapper à personne. « Un tel parcours impose à l'enfant une trop grande dissociation de parenté [...]. Il est à craindre que l'on fasse porter à l'enfant des contraintes psychologiques. De quelle histoire celui-ci va-t-il hériter ? [3] » avait osé demander le CCNE en 2005. On imagine le poids que celui devra porter s'il apprend la façon dont il est venu au monde. Malgré toute l'affection qu'il aura pu recevoir de la part du couple d'accueil, l'enfant ne pourra pas ne pas éprouver un sentiment de profonde injustice. N'a-t-il pas été écarté par ses parents pour des raisons qu'il ne connaîtra jamais ? Il devra vivre en outre avec l'idée qu'il a des frères et/ou des sœurs de sang qui, plus chanceux que lui, n'ont pas tiré la mauvaise carte au grand jeu de la procréation artificielle.
Pourquoi ses parents l'ont-ils laissé dans le tube à essai ? Leur était-il donc si difficile de poursuivre leur « projet parental » pour le sortir du congélateur ? Et d'ailleurs, ne ressentent-ils pas aujourd'hui au moins quelque remords après avoir fait ce choix ? Car les parents d'origine ne pourront pas éluder son existence : quelque part, ils ont un enfant qui est biologiquement le leur et qui a atterri dans une famille d'accueil dont ils ne savent rien. Quant aux enfants qu'ils ont gardés, en général deux selon les statistiques, comment regarderont-ils leurs parents s'ils apprennent que ceux-ci ont « donné » celui ou celle qu'ils sont en droit de considérer comme leur frère ou leur sœur ? De proche en proche, c'est toute la structure familiale qui est contaminée par une violence psychogène telle, qu'on voit mal comment elle pourra être assumée par les protagonistes. Le Conseil d'État ne peut que le constater : « L'enfant, n'étant rattaché sur le plan génétique à aucun de ses parents, [est] ainsi d'autant plus susceptible d'entrer dans une quête complexe de ses origines. »
Faudra-t-il conseiller au couple receveur de garder le secret comme certains l'ont envisagé ? Une solution que ne partage pas le Conseil d'État qui y voit là un mensonge tout aussi délétère que la vérité elle-même : « Permettre à une femme de porter un enfant qui lui est génétiquement étranger, comme il est génétiquement étranger à son futur père légal, peut induire l'acceptation d'un mensonge à l'origine même de la vie d'un être humain, ce qui n'est pas sans incidence sur le développement de l'enfant. »
On peut d'ailleurs se demander quelle peut bien être la motivation profonde du couple d'accueil. Cet enfant n'étant pas le fruit de leur chair, pourquoi vouloir privilégier cette « adoption prénatale » plutôt que d'ouvrir leur foyer à un enfant orphelin déjà là ? La seule différence entre les deux options réside dans le fait que la mère pourra dans la première combler son envie de grossesse. Mais la médecine de la reproduction n'outrepasse-t-elle pas une fois de plus ses droits en répondant à tous les désirs ? Le gynécologue-obstétricien Jean Thévenot ne craint pas de proposer un autre chemin :
« Combien d'enfants sont seuls au monde, sans parents, lesquels sont morts de maladie ou assassinés par leurs semblables ? Combien d'enfants sont entassés dans des orphelinats ? [...] La planète regorge d'enfants en mal d'accueil familial. Sachant que les techniques de procréation médicalement assistée sont réservées aux pays riches, et que les trois quarts de l'humanité n'ont accès qu'à la fécondation naturelle, ne faut-il pas que nous facilitions les démarches d'adoption qui devraient aujourd'hui être la voie naturelle prioritaire à toutes les démarches des couples en mal de parentalité ? [4] »
Un moratoire sur la création d'embryons surnuméraires
Les modalités de l'accueil d'embryon semblent être l'exact opposé de celles des mères porteuses. Avec la gestation pour autrui, on valorise le tout génétique en désirant un enfant de soi, quitte à louer un utérus et instrumentaliser une mère porteuse pour parvenir à ses fins. Avec l'accueil d'un embryon génétiquement étranger, on ne tient aucun compte de l'ascendance biologique dans la construction de l'identité d'un enfant pour assouvir un désir de grossesse.
Dans les deux cas, les lourdes contraintes qui pèsent sur l'origine de l'enfant suffisent à les condamner fermement. Il apparaît en l'espèce impossible de persister à légitimer la procédure de l'accueil d'embryon qui menace l'épanouissement de l'enfant qui en est issu. Sa suppression par le législateur serait la marque d'une décision humaine. Encore faudrait-il également s'interroger sur le maintien de la congélation d'embryons surnuméraires qui est la structure portante de toutes les transgressions actuelles. Il y a donc urgence à débattre du principe même de la cryoconservation embryonnaire à l'origine de nombreux maux. À ce titre, la demande de moratoire sur la fabrication d'embryons en surnombre par l'Alliance pour les droits de la vie est particulièrement pertinente.
On peut penser que l'autorisation dérogatoire de ce mode de transfert d'embryons inscrit dans la loi de bioéthique de 1994 visait à atténuer dans les esprits la brutalité de la seule possibilité laissée aux couples qui abandonnaient leur « projet parental » : la destruction pure et simple de leurs embryons « en trop » par arrêt de la congélation. La seconde alternative qui leur fut offerte en 2004 – les céder gracieusement aux scientifiques – fut encore pire.
Plusieurs responsables politiques à l'époque, plutôt que de remettre en question le bien-fondé de ce principe, ont voulu ainsi offrir « une chance à la vie ». Ils ont d'ailleurs fermement refusé le terme de « don d'embryon » en privilégiant celui d'accueil qui se retrouve dans tous les textes juridiques qui régissent cette pratique. On donne une chose, laquelle peut faire l'objet d'un contrat de donation, mais on accueille une personne. Malgré cette pirouette sémantique sensée nous rassurer, force est de reconnaître que l'accueil d'embryon ne constitue qu'une énième transgression procréative résultant du stockage des embryons et dont les multiples dommages collatéraux ne laissent pas d'inquiéter.
*Pierre-Olivier Arduin est le directeur de la Commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon.
[1] Conseil d'État, La révision des lois de bioéthique, La documentation française, Paris, 2009, p. 59.
[2] CCNE, Accès aux origines, anonymat et secret de la filiation, avis n. 90, 24 novembre 2005.
[3] Ibid.
[4] André-Robert Chancholle et Michel Nodé-Langlois (dir.), Faire naître, Artège, Perpignan, 2009, p. 157.