Publiée le 23-12-2014
La vie est bonne par-dessus tout ; elle est bonne par elle-même ; le raisonnement n’y fait rien. On n’est pas heureux par voyage, richesse, succès, plaisir. On est heureux parce qu’on est heureux. Le bonheur, c’est la saveur même de la vie. La vie a goût de bonheur.
Le soleil est bon ; la pluie est bonne ; tout bruit est musique. Voir, entendre, flairer, goûter, toucher, ce n’est qu’une suite de bonheurs. Même les peines, même les douleurs, même la fatigue, tout cela a une saveur de vie.
Exister est bon ; non pas meilleur qu’autre chose ; car exister est tout, et ne pas exister n’est rien. S’il n’en était pas ainsi, aucun vivant ne durerait, aucun vivant ne naîtrait. Pensez qu’une couleur est joie pour les yeux.
Agir est une joie. Percevoir est une joie aussi, et c’est la même. Nous ne sommes point condamnés à vivre ; nous vivons avidement. Nous voulons voir, toucher, juger ; nous voulons déplier le monde. Tout vivant est comme un promeneur du matin. Toutes ces choses qui s’étagent jusqu’à l’horizon, elles n’ont de sens que parce que je les vois. Autrement ce ne seraient que des chatouillements au fond de mes yeux.
Mais je me dis : voilà un sentier, des arbres ; cette ligne bleue, c’est une colline où je marcherai. Cela se voit bien au théâtre, où les décorateurs ne nous montrent qu’une toile avec des couleurs dessus ; mais, tout de suite, nous renvoyons les lointains à leur place ; nous tirons à nous les premiers plans. Pour le monde réel autour de nous, c’est la même chose. Le vaste ciel n’est que du bleu dans mes yeux ; mais je l’étale au-dessus de ma tête.
Voir, c’est vouloir voir. Vivre, c’est vouloir vivre.
Toute vie est un chant d’allégresse. "
Alain (1868/1951)