Publiée le 24-09-2010
Un projet de résolution européenne visant à contrôler et limiter le recours à l'objection de conscience à l'avortement sera débattu et soumis au vote de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, à Strasbourg, le 7 octobre prochain. Son titre : « L'accès des femmes à des soins médicaux légaux : le problème du recours non réglementé à l'objection de conscience. » Un projet liberticide exorbitant, qui a déjà été approuvé par la Commission des Affaires sociales, de la santé et de la famille
Ce texte constitue une étape décisive de l'offensive lancée par les lobbies pro-avortement à l'encontre du droit à l'objection de conscience. Ce qui est en cause, c'est le statut des lois qui portent atteinte aux principes fondateurs et non-négociables de la vie sociale, notamment celles qui autorisent l'avortement, mais aussi l'euthanasie ou, par ricochet juridique, le mariage homosexuel.
Ce projet exorbitant pose de graves questions morales et politiques : ce que ces lois autorisent constitue-t-il un droit ? Ce soi-disant droit peut-il être mis en balance avec le refus de tuer ou de porter atteinte à l'intégrité de la famille quand ce refus s'exprime par voie d'objection de conscience ? Peut-il même créer une obligation d'y prêter la main ?
Délation et fichage
Dans le cas présent, le texte déposé vise directement l'avortement, et indirectement l'euthanasie active. Il va très loin. Il demande aux États membres du Conseil de l'Europe de limiter le droit à l'objection de conscience aux seuls médecins directement et personnellement impliqués, et le retirer à leurs auxiliaires (infirmiers, anesthésistes, etc.) ainsi qu'aux institutions (hôpitaux et cliniques).
Ce n'est pas tout. En dépit de son objection de conscience personnelle, le médecin aurait plusieurs obligations :
fournir à toute personne qui le demande toutes les informations dont elle a besoin sur toutes les options disponibles (donc sur les possibilités d'avorter),
l'envoyer vers un praticien qui effectuera le « traitement » en cause,
vérifier ensuite qu'elle a effectivement bénéficié du « traitement » demandé,
en cas d'urgence ou en cas d'absence de ressource alternative, pratiquer lui-même ce « traitement » (donc l'avortement).
Enfin, les États membres devraient créer un registre des médecins objecteurs de conscience qui seraient tenus de s'y inscrire, et organiser des voies de recours à leur encontre.
En d'autres termes, ces propositions organisent un fichage généralisé, un contrôle juridictionnel et des voies de contrainte à l'encontre des médecins opposés à l'avortement. Elles constituent la conclusion d'un rapport présenté par Mme McCafferty (photo), parlementaire britannique appartenant au groupe socialiste de l'Assemblée du Conseil de l'Europe, rapport élaboré dans le cadre de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille [1].
Comment peut-on en arriver là ?
Ce n'est pas la première fois qu'une telle offensive est lancée. En 2005, un organe officiel de la Commission européenne, le « réseau d'experts indépendants en matière de droits fondamentaux » avait réussi à bloquer la conclusion d'un accord entre la Slovaquie et le Saint-Siège, qui devait servir de cadre à la reconnaissance d'un droit effectif à l'objection de conscience [2].
Cette fois-ci, l'offensive se déroule au Conseil de l'Europe. Elle prend toujours la même forme.
D'abord on cache la réalité sous des euphémismes. On parle moins d'avortement que de « santé reproductive » afin de faire entrer la revendication dans le cadre général du droit à la santé et aux soins, moins d'euthanasie active que de « situation de fin de vie », etc.
Ensuite, on transforme ce qui n'est qu'une faculté ouverte par la loi, ou plus précisément une dérogation à un principe général de protection de la vie et de l'intégrité humaines, en un droit : l'argument consiste à dire que ce que la loi permet devient automatiquement un droit pour celui qui prétend en user.
Puis on place ce soi-disant droit sur un pied d'égalité avec les droits attachés à la liberté de conscience (d'où dérive l'objection de conscience) qui eux, sont expressément protégés par toutes les conventions et déclarations internationales relatives aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales.
Enfin on tire argument de quelques cas particuliers ou de situations extrêmes, abusivement généralisés, pour déclarer que le soi-disant droit à l'avortement subi des entraves ou des restrictions inacceptables et que celles-ci doivent contrecarrées par de nouvelles règles juridiques.
En fait, et le rapport de Mme McCafferty est très clair sur ce point, sont directement visés les médecins catholiques qui s'avèrent majoritairement opposés à la pratique de l'avortement, et à travers eux ces pays où les catholiques sont assez nombreux et influents pour que l'avortement n'y soit pas totalement banalisé. Sont visés la Pologne, l'Italie, Malte et la Slovaquie, à qui on oppose les pays où le droit à l'objection de conscience médicale est le plus sévèrement encadré et l'avortement le plus facile, comme la France ou la Grande-Bretagne, qui devraient servir de modèle.
On ne peut s'empêcher de faire le rapprochement avec l'affaire « Lautsi » qui concerne la présence des crucifix dans les salles de classe en Italie, et qui a défrayé la chronique l'an dernier et encore au printemps [3] : le jugement que doit rendre la CEDH sur ce litige est attendu dans les prochains jours.
Rendre l'objection de conscience impossible
Si la proposition déposée par Mme McCafferty est adoptée, cela signifiera que tout médecin, même personnellement opposé à l'avortement, sera obligé de le pratiquer dans certains cas, et de toutes façons contraint d'y coopérer directement et indirectement, sans le moindre égard envers sa responsabilité morale et professionnelle.
En fait, l'un des objectifs du texte McCafferty est de transformer le « droit » de l'objection de conscience tel qu'il est énoncé par les « clauses de conscience » actuelles en une « exception » à la règle générale. Objectif profondément symbolique : le « droit à l'avortement » deviendrait la règle et l'objection de conscience l'exception.
Le fait que presque toutes les législations relatives à l'avortement contiennent une clause de conscience constitue pourtant une reconnaissance explicite de l'immoralité de ces pratiques comme de l'absence d'un droit individuel d'y avoir accès. Réduire le droit fondamental de l'objection morale à une simple « exception », reviendrait à inverser le rapport moral entre l'avortement et l'objection de conscience. C'est l'objection de conscience qui serait en quelque sorte immorale car contraire au droit à l'avortement.
Au fond, et Mme McCafferty le dit expressément, la mauvaise foi des objecteurs de conscience devrait être présumée : ce serait à eux de prouver que leur objection est réellement fondée sur leurs convictions et qu'elle est de bonne foi. Ce renversement de la charge de la preuve servirait à fonder les recours juridictionnels qui seraient intentés contre eux, afin de les condamner et de rendre l'objection de conscience pratiquement impossible avant de l'interdire purement et simplement.
L'enjeu du vote
L'enjeu du vote est très important. Certes, objectera-t-on, cette recommandation n'aurait pas de valeur juridiquement contraignante. Mais en réalité, il s'agit d'un moment décisif dont il faut bien mesurer les répercussions.
Le Conseil de l'Europe est une organisation intergouvernementale, distincte de l'Union européenne, créée par le traité de Londres en 1949 et qui siège à Strasbourg. Elle compte aujourd'hui 45 membres dont plusieurs pays non européens. Elle est spécialisée dans la protection des droits de l'homme et a servi de cadre à l'adoption d'une série de conventions internationales dont la plus connue et la plus importante est la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. Les violations de cette convention peuvent faire l'objet de recours juridictionnels devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), juridiction internationale dont les décisions s'imposent aux États qui ont accepté sa compétence, parmi lesquels se trouve la France.
Cette cour a acquis un réel leadership en matière de libertés publiques, au point que la Cour de justice de l'Union européenne (qui siège à Luxembourg) s'y réfère directement. Ce leadership vient d'être renforcé par l'adhésion de l'Union européenne en tant que telle (et non plus seulement par l'entremise de ses États membres) à la Convention de sauvegarde, en application du traité de Lisbonne qui le lui a permis. Le sens du vote, n'en doutons pas, inspirera directement la CEDH dans l'interprétation qu'elle donnera de ladite Convention de sauvegarde, et notamment de l'article 9 qui protège la liberté de pensée, de conscience et de religion.
C'est pourquoi le projet McCafferty donne lieu à une intense mobilisation de tous ceux qui défendent la liberté de conscience. Citons en particulier le Centre européen pour la loi et la justice (ECLJ), une ONG vouée à la protection des droits humains et de la liberté religieuse, qui a lancé une campagne de dénonciation des erreurs et des biais contenus dans le rapport en question comme en témoigne le mémorandum [4] qu'il a diffusé à tous les parlementaires.
Il souligne que le droit d'objection de conscience dérive directement de la liberté de conscience garantie par l'article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme, et qu'il est universellement reconnu en Europe et dans la plupart des conventions internationales relatives aussi bien aux droits de l'homme qu'à l'exercice de la médecine. Selon la convention, ce droit implique nécessairement de ne pas coopérer à un acte mauvais, même indirectement, sauf à violer la conscience ; il implique également l'immunité de celui qui l'invoque et l'absence de toute discrimination à son endroit et ne peut pas être contrebalancé par de soi-disant droits qui, en réalité n'existent pas.
En disposer autrement serait la négation même de la liberté de conscience. Voilà l'enjeu du prochain vote : il touche aux fondements de notre société.
Espérons que les parlementaires membres de l'Assemblée du Conseil de l'Europe le comprendront.
[1] Le rapport est disponible sur le site du Conseil de l'Europe, onglets Assemblée parlementaire/documents de travail.
[2] Cf. François de Lacoste Lareymondie, « L'Union européenne menace le droit à l'objection de conscience », Liberté politique n° 33, printemps 2006.
[3] Cf. François de Lacoste Lareymondie, Les crucifix italiens devant le gouvernement des juges, Libertepolitique.com, Décryptage, 25 juin 2010.
[4] Disponible sur son site : www.eclj.org