Publiée le 16-01-2014
Par Grégor Puppinck, président de l'European Centre for Law and Justice. Il en ressort d’une part que ce texte ne viole aucune norme européenne ou internationale et d’autre part que tant les critiques des « pro-avortement » que l’optimisme des « pro-vie » sont excessifs.
[...] Le nouveau projet de loi du 20 décembre 2013 a pour objectif de sortir de cette logique de « l’avortement-liberté individuelle », et de rééquilibrer les droits des personnes impliquées, à savoir ceux de l’enfant à naître et de sa mère, ainsi que ceux des parents (en cas d’avortement sur une mineure), du personnel de santé et de la société toute entière.
Ce projet de loi ne se fonde pas sur l’idée qu’il y aurait, ou non, un droit à l’avortement, mais part du constat de la réalité première de l’existence réelle de l’enfant conçu : un être humain vivant existe dès avant la naissance et mérite protection. Cette réalité est souvent ignorée ou minorée par qui conçoit l’avortement avant tout comme une liberté individuelle.
L’existence de cet être humain vivant – bien qu’encore en gestation – exclut qu’une personne puisse avoir un pouvoir absolu sur sa vie, et donc puisse disposer d’un droit fondamental à l’avorter. Le point de départ de ce projet de loi rend donc impossible l’affirmation d’un droit à l’avortement. En revanche, il vise à tenir compte des droits de toutes les personnes impliquées dans l’avortement là où la loi de 2010 faisait prévaloir largement ceux de la mère. Il s’agit donc de trouver un meilleur équilibre entre les divers droits et intérêts en concurrence.
Il résulte de cette recherche d’équilibre que la vie de l’enfant à naître ne peut être sacrifiée que pour un motif proportionné. En revanche, lorsqu’aucun motif ne justifie une demande d’avortement, la vie humaine ne peut pas alors être sacrifiée, mais doit être protégée et accueillie, avec le soutien de la société. Par suite, le projet de loi a pour effet d’abolir l’avortement « sur demande ».
Le projet de loi précise les circonstances et les conditions dans lesquelles un avortement peut être pratiqué.
Concrètement, le texte prévoit que l’avortement est dépénalisé lorsqu’il est pratiqué :
- en cas de viol, pendant les douze premières semaines de la grossesse ;
- pendant les vingt-deux premières semaines de grossesse, en cas de nécessité attestée par un comité médical indépendant, et si aucune autre solution n’a pu être trouvée dans le cadre médical ou de toute autre manière, pour éviter un grave danger pour la vie ou la santé physique ou psychique de la femme enceinte. Ce danger grave pour la santé psychique de la mère peut résulter d’une malformation de l’enfant de nature à causer sa mort durant la grossesse ou peu après sa naissance. Le délai de vingt-deux semaines de grossesse correspond au seuil de viabilité de l’enfant fixé par l’Organisation Mondiale de la Santé ;
- jusqu’au terme de la grossesse lorsque l’enfant souffre d’une anomalie « incompatible avec la vie » non diagnostiquée durant les 22 premières semaines ou lorsque la poursuite de la grossesse fait courir un risque vital à la mère, sur attestation médicale.
En outre, le projet de loi rétablit plusieurs droits et obligations supprimés par la loi de 2010, en particulier le droit fondamental du personnel médical à l’objection de conscience, le droit des parents à être informés de la grossesse de leur fille mineure, et l’obligation d’information de la femme enceinte et le délai de réflexion. Enfin, il interdit la publicité en faveur de l’avortement.
Ce projet de loi va à l’encontre de la pensée dominante héritée de la fin des années 1960 et constitue un revirement politique. Bien que spectaculaire, ce revirement vient alimenter une tendance nouvelle, qui se veut réaliste et progressiste, et qui tend à remplacer la politique de « l’avortement systématique ». Cette politique est en train de s’ébaucher en Europe et aux Etats-Unis où plusieurs Etats ont récemment discuté et souvent adopté de nouvelles lois améliorant la protection de la vie humaine. C’est le cas au Royaume-Uni où il est régulièrement question de raccourcir le délai légal d’avortement[7], en, Suisse qui s’apprête à voter par référendum sur la suppression du financement public de l’avortement[8], en Russie qui a adopté des lois renforçant les droits de la mère et de l’enfant, en Pologne[9] dont le Parlement a adopté en première lecture de nouvelles restrictions, en Lettonie, en Lituanie[10] dont le parlement envisage actuellement l’abolition de l’avortement sur demande, en Hongrie qui a adopté en 2011 des lois protectrices de la famille et de l’embryon humain[11], de la Turquie[12], de la Macédoine qui a adopté le 10 juin 2013 une loi en ce sens[13], ou encore en Norvège[14] qui vient d’abaisser le délai légal de l’avortement, garantissant totalement le droit à la vie de l’enfant après 22 semaines. Cette tendance est encore plus marquée aux Etats-Unis où s’opère une véritable transition culturelle. Ainsi, entre 2010 et 2013, les Etats américains ont adopté 205 restrictions nouvelles à l’avortement, soit davantage que durant les dix années précédentes[15]. Ils ont notamment interdit l’avortement au-delà de 20 semaines dans une douzaine d’Etats[16], renforcé la protection des enfants à naître handicapés, imposé des conditions plus strictes aux cliniques, ou encore davantage encadré l’avortement chimique. Le Dakota du Nord a ramené le délai légal à six semaines. Dans le même sens, le nombre d’Etats hostiles à l’avortement a doublé entre 2000 et 2013, passant de 13 à 27[17]. Enfin, seuls 12% de la population américaine estiment encore que l’avortement est moralement acceptable, contre 49% qui le jugent immoral[18]. Le changement est autant profond que spectaculaire.
Ainsi, après avoir assez largement libéralisé la pratique de l’avortement, les pays occidentaux semblent ainsi aujourd’hui davantage considérer l’avortement comme un problème que comme une liberté et la solution aux difficultés sociales de la mère. Cette nouvelle politique ne vise pas seulement à améliorer la protection de la vie des enfants à naître. Elle vise aussi à soutenir les femmes enceintes et à briser leur solitude face à une grossesse inattendue, à responsabiliser les adultes, à soutenir les familles, ainsi qu’à soutenir la démographie et l’économie. Cette politique ne prétend pas supprimer tous les avortements, mais souhaite en réduire le nombre aux seuls cas exceptionnels liés à la santé de la mère.
Cette tendance est en partie motivée par une volonté de soutenir la démographie, mais aussi, probablement, par un « progrès des consciences » quant à la nature de la vie prénatale et de l’avortement. Les progrès de la biologie contribuent à faire prendre conscience de l’existence concrète de toute personne dès avant sa naissance. Quant à la violence et la souffrance causées par l’acte d’avortement lui-même, le discours militant sur l’avortement n’y apporte pas de réponse. Les nouvelles générations de médecins acceptent de moins en moins de le pratiquer. L’idée, héritée de la révolution sexuelle des années 1960, selon laquelle l’avortement serait un « progrès et une liberté » est remise en cause. Ainsi, après plusieurs décennies de pratique intensive, l’expérience conduirait des gouvernements à tenter une autre politique.
L’Espagne fait actuellement l’objet de vives critiques, comme le furent également les autres gouvernements européens désireux de limiter l’avortement. Ces gouvernements, pour certains, ont résisté aux critiques et sont parvenus à adopter leur projet de loi, d’autres ont cédé à la pression, comme la Turquie. C’est probablement pour répondre à ces critiques que le ministre espagnol de la Justice, Alberto Ruiz Gallardon, se rendra prochainement à Bruxelles ; mais son intention est d’abord d’expliquer et de promouvoir cette nouvelle politique en Europe. Il est « convaincu que cette initiative aura une suite dans d'autres parlements d'autres nations européennes »[19].
En raison des réactions provoquées par ce projet de loi, le European Centre for Law and Justice a réalisé une analyse en détail de ses principales dispositions, en les confrontant au droit en vigueur dans d’autres pays européens ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Il ressort de cette analyse que tant l’inquiétude des « pro-avortement » que l’optimisme des « pro-vie » sont excessifs. Juridiquement, ce projet de loi ne viole aucune norme européenne ou internationale. Au contraire, ce texte s’aligne sur les « standards » européens là où la loi de 2010 s’en était écartée. La décision de rétablir l’interdiction de l’avortement sur demande est la plus forte ; une telle interdiction est devenue minoritaire en Europe mais n’est pas un cas unique et ne viole pas le droit européen et international.
Cela étant, l’application future de ce projet de loi demeure imprévisible et dépendra largement des circonstances politiques et culturelles. Tout comme le gouvernement de M. Zapatero voulait inscrire un « droit à l’avortement » dans la culture espagnole, le gouvernement actuel souhaite promouvoir une culture qui protège la vie des enfants à naître, renforce la responsabilité des adultes et qui réponde positivement, autrement que par l’avortement, aux difficultés des femmes enceintes.
Le projet espagnol s’inscrit dans une tendance politique nouvelle tendant à améliorer la protection légale des enfants à naître face à l’avortement. Cette tendance politique est récemment devenue majoritaire aux Etats-Unis[20]. En Europe, elle commence à s’affirmer. Finalement, c’est sur le terrain politique et culturel que se joue le débat de l’avortement et de la protection de la vie.
En Espagne, comme dans le reste de l’Europe, le taux d’avortement est très élevé et constitue un problème de santé publique[21]. La question est de savoir si ce projet de loi sera accompagné d’un changement culturel, si une prise de conscience par la société de sa responsabilité de protéger et d’accueillir la vie s’ajoutera à l’actuelle prise de conscience de l’humanité de la vie prénatale et de la violence de l’avortement. La majorité des avortements est causée par des difficultés d’ordre socio-économiques, liées notamment aux ressources financières, au logement, à l’emploi[22] ou résulte des pressions du père. Plutôt que d’encourager l’avortement comme principale solution à ces difficultés, surtout en période de crise, la société et les gouvernements devraient assumer leurs responsabilités sociales. Une telle loi ne pourra réduire le taux d’avortement que si la société et les gouvernements s’engagent dans des politiques de prévention de l’avortement, en donnant aux femmes et aux couples les moyens d’assumer leurs responsabilités. La responsabilité de l’accueil de la vie ne devrait pas peser seulement sur la mère, mais aussi sur le père, et plus largement sur la société entière dont la vitalité est assurée par le renouvellement des générations.