Publiée le 28-03-2017
Depuis 18 mois, j'anime des sessions de formation sur la douleur et les soins palliatifs, à des personnels de santé de certaines EHPAD de mon département. Ces personnels sont des infirmier(e)s, des aides-soignant(e)s, des AMP et des ASH (agents de services hospitaliers).
Ces temps de formation sont l'occasion de réfléchir sur les pratiques de soins et d'acquérir de nouvelles connaissances. Elles sont aussi le lieu de longues discussions où de nombreuses questions sont soulevées.
L'une, abordée fréquemment, est celle de la rapidité avec laquelle meure un certain nombre de résidents de ces EHPAD dès que leur état de santé s'aggrave.
En effet, lorsque nous étudions la problématique de la douleur, de l'angoisse, de certaines agitations, des troubles du transit, de l'élimination, de l'alimentation ou encore de l'hydratation chez les patients en fin de vie, je questionne toujours les soignants sur la façon dont ils observent, évaluent, traitent et soulagent ces inconforts. Nous prenons le temps de l'écoute pour mieux comprendre les situations concrètes.
Afin de permettre aux personnels de bien comprendre l'objet de ces questions, je donne toujours des exemples concrets de personnes accompagnées sur mes lieux de travail.
Ainsi, j'explique que, pour chaque patient en fin de vie chez qui nous observons un inconfort, nous l'évaluons, nous nous efforçons de le comprendre et d'en trouver la source. A partir de cela, nous appliquons les traitements adaptés ou faisons des démarches afin de tenter de répondre au problème.
Ensuite, je précise que nous évaluons l'efficacité des traitements et le confort du patient, en veillant bien à ce que la thérapeutique ne soit pas trop ou insuffisamment dosée puis, sans cesse, nous réévaluons les problématiques et la justesse des traitements. L'objectif est de soulager tout en préservant la conscience de la personne, autant que cela est possible.
Pour d'appuyer la validité de ce travail, je donne l'exemple d'une étude faite dans une EHPAD de 2011 à la fin 2016.
Au cours de ces 6 années, 100 résidents sont décédés dont 60 accompagnés en soins palliatifs pendant quelques heures, plusieurs jours, semaines ou mois. Je précise que le souci d'un vrai confort du patient, d'une vraie recherche de compréhension de sa souffrance terminale et des réponses que nous avons toujours pu trouver, nous a évité d'avoir recours à toute forme de sédation terminale inadaptée pour ces patients. En effet, pour les 60 résidents accompagnés (entre 70 et 103 ans), aucun traitement sédatif ayant pour but ou comme conséquence désordonné, «d'éteindre la personne», ne fut mis en place. Pour autant, nous avons toujours veillé à soulager au mieux les symptômes et la souffrance globale terminale.
Lorsque j'explique cela aux soignants, voici la réponse inquiétante qui me revient à chaque série de formation.
«Chez nous, aucune question ne se pose ; tous les patients et ou résidents à un certain stade de leur fin de vie, sont mis systématiquement sous pousse-seringue électrique (PSE) de Morphine et d'anxiolytique (Tranxène, Valium ou Hypnovel) pour ne pas souffrir ou pour que cela ne dure pas trop longtemps. On ne se pose pas de questions. Ce qui compte c'est qu'ils ne souffrent pas. Bien souvent d'ailleurs, ils ne manifestent ni ne demandent rien ».
Tenant compte de cette remarque, je les interroge toujours : « Mais ne trouvez-vous pas cela curieux ? La Morphine, n'est-ce pas pour soulager la douleur ? Et le Tranxène, ou le Valium ou l'Hypnovel, n'est-ce pas pour soulager une angoisse ou un inconfort vécue comme tel ? Or, pour évaluer la teneur de toute souffrance, ne faut-il pas évaluer précisément les symptômes (à l'aide d'échelles adaptées :Hamilton, Doloplus, Algoplus, ECPA…) et d'être attentif à ne pas minimiser le risque de se tromper dans l'interprétation de la souffrance ? On comprend bien que se tromper peut avoir pour conséquence d'administrer, malgré soi, un traitement inadapté ! De plus on sait bien que ce genre de thérapie inappropriée peut provoquer des surdosages ou effets secondaires avec le risque de précipiter la mort.
Ne pensez-vous pas qu'il soit important que le médecin puisse prescrire des traitements convenables pour des problématiques précises ?
Après tout, vous, lorsque vous êtes malades, avant de vous prescrire un traitement, le médecin ne prend-il pas le temps de vous ausculter et de diagnostiquer précisément le problème afin d'ajuster une thérapeutique qui vous guérira ? Par exemple, est-ce qui lui viendrait à l'idée de traiter un rhume par un antiémétique ?(médication contre les nausées/vomissements)
Une aide-soignante a témoigné ainsi il y a quelques temps:
« Dans notre service, l'association de Morphine et d'Hypnovel (traitement anxiolytique, hypnotique, amnésiant, myorelaxant) est mis systématiquement en place dès qu'une personne en fin de vie est agitée ou inconfortable. On cherche jamais à savoir d'où vient le problème. De toute façon, ils ont du mal à communiquer.
Mais c'est bien vrai, maintenant que vous le dites, on ne se demande jamais de quoi nos patients souffrent précisément, s'ils attendent de retrouver un proche, s'ils ont besoin de se réconcilier avec une personne, s'ils veulent voir un prêtre, ni même s'ils ont besoin de quoi que ce soit etc... Par contre, on évalue la douleur ; mais, une fois que la morphine est mise en place, on n'a pas de réelle observation des signes de bon ou mauvais dosage. Et puis, quand ça dure, on ne se demande pas pourquoi ça dure, le médecin prescrit le traitement et l'infirmière met en place les seringues, ainsi la personne « ne souffre pas » et, en réalité, c'est vrai, elle meurt très vite, dans les 24 à 48h. Jamais on ne s'était posé de question éthique sur ces « sédations » terminales. De plus, des familles nous le demandent, alors on suit ! »
Une infirmière a témoigné elle aussi : « Parfois, lorsqu'on met ces traitements en place, on observe qu'ils sont encore plus agités, alors, comme on pense que l'inconfort se majore, on augmente les doses, et la personne décède encore plus vite ».
A cela, j'explique à l'infirmière que, « lorsque les patients s'agitent sous l'effet d'un traitement qui les endort trop, ce n'est parce qu'ils sont plus inconfortables, c'est souvent pour lutter contre l'effet sédatif du traitement qui va les « endormir » alors qu'ils ne sont pas encore prêts. »
En racontant cela, les soignants prennent conscience qu'ils vont peut-être trop loin dans ces traitements terminaux et que leur manque de questionnement et de recherche a finalement des conséquences pour les malades en fin de vie. Même si leur intention n'est pas directement euthanasique, il y a quand même une vraie dérive !!!
Une aide-soignante reconnaît que voir toutes ces seringues posées systématiquement, justement sans se questionner ni même sans réflexion collégiale, cela la gêne.
En écoutant le personnels soignants, je remarque que ces traitements mis parfois de façon intempestive aux malades, ne le sont jamais à leur demande mais toujours à l'initiative des soignants ou sur sollicitation des familles qui souffrent elle-même !!!
L'inconvénient de la Loi Claeys/Léonetti est qu'elle a légalisé indirectement cet exercice; ainsi cette pratique qui était régulière mais cachée jusqu'à maintenant (ne nous voilons pas la face !) devient aujourd'hui totalement légale (article 3), encouragée, voire même « morale ».
Ce que j'entends depuis plusieurs mois est bien de cet ordre. Finalement, on sédate dès qu'on pense qu'il y a souffrance ou pour qu'il n'y ai pas souffrance ou « pour pas que ça dure » !!! Du coup, la conséquence est l'absence de questionnement des soignants sur les sources des souffrances de leurs patients, sur leur exercice professionnel ou sur ce que leur dit leur conscience. Les soignants ne mesurent pas la dérive dans laquelle ils s'engouffrent et encore moins le nombre de patients dont ils volent la mort...
Et pourtant, derrière LA souffrance , il y a tant de souffrances…. dont un grand nombre ne se soulage pas par des traitements médicamenteux. Ce n'est pas en éteignant le patient qu'on éteint la souffrance !!!!
Force est de constater ,à la suite du vote de cette loi, la dérive euthanasique grave qui continue de se passer, et dont je suis malgré moi témoin, dans un silence mystérieusement « contagieux »….
Odile, infirmière, 9 mars 2017.