Publiée le 04-08-2009
La Croix : Pourquoi le pape a-t-il souhaité consacrer une année aux prêtres ?
Cardinal Claudio Hummes : Parce que l'Église marche avec les pieds des prêtres. Ils sont en première ligne. S'ils trébuchent, l'Église ralentit.
S'ils s'affaiblissent spirituellement, l'Église s'affaiblit. Il paraît donc important d'encourager une vision positive du prêtre. Sans occulter les éléments négatifs : on a ainsi beaucoup parlé de la pédophilie, et d'autres déviations et abus. Ils existent, et il faut les condamner. Mais la grande majorité des prêtres est fidèle à son sacerdoce.
Vatican II a remis en lumière le rôle des laïcs. Comment peut se faire l'articulation entre laïcs et prêtres ?
Cette tension est normale et féconde : là où il n'y a pas de tension, il n'y a pas de vie ! Mais il est important que les laïcs respectent la figure du prêtre : celui-ci est configuré à Jésus-Christ, tête et pasteur de l'Église. L'institution n'a pas inventé le prêtre. C'est le Christ qui le donne à l'Église et le configure sacramentellement à lui-même comme Tête du Peuple de Dieu. Le prêtre arrive dans une paroisse envoyé par le Christ, et non parce qu'il a pris le pouvoir par une sorte de coup d'État, ou qu'il a été choisi par la communauté. Il faut ainsi approfondir l'identité sacerdotale, qui n'est pas celle des laïcs. Les laïcs ne peuvent se substituer aux prêtres. Et en même temps, comme le pape le rappelle, les laïcs sont coresponsables de la mission et de l'évangélisation : ils ne doivent pas considérer que le prêtre en porte seul toute la responsabilité, et qu'ils sont seulement là pour l'aider. Cette Année du prêtre devrait permettre aux conférences épiscopales de réfléchir à cette tension, de clarifier les vocations de chacun. Il ne faut pas laisser l'évêque seul face à ce problème…
Pensez-vous que le thème du célibat, de l'ordination des hommes mariés, va revenir sur le devant de la scène ?
Ce n'est pas le thème de cette année. Notre objectif est d'encourager et de soutenir la grande majorité des prêtres, fidèles à leur engagement.
Dans sa lettre aux prêtres, le pape a évoqué les trois vœux religieux (chasteté, pauvreté, obéissance). Les prêtres diocésains doivent-ils eux aussi suivre un modèle religieux ?
C'est une tradition qui vaut pour toute l'Église, reprise par le concile Vatican II. Ces vœux que font explicitement les religieux concernent aussi les laïcs et donc les prêtres. L'obéissance, pour le prêtre, c'est avant tout l'obéissance à la Parole de Dieu. La lecture de la Parole de Dieu est essentielle pour le prêtre : il doit se mettre dans la lumière de Dieu, sinon le ciel se referme…
Le pape a proposé le curé d'Ars comme modèle à l'ensemble des prêtres. En quoi son exemple peut-il être utile aujourd'hui ?
Le curé d'Ars a vécu dans un monde extrêmement difficile pour la foi. Après la Révolution française, les fondements de l'Église avaient été fortement contestés, et la pratique était devenue rare. Face à ces difficultés, Jean-Marie Vianney a choisi de s'occuper de chacun, sans laisser personne de côté. Il ne diabolise jamais ce monde, mais au contraire, l'évangélise avec joie. Aujourd'hui, de même, les prêtres ne doivent pas diaboliser cette nouvelle culture en regrettant un monde qui n'est plus, ou en rêvant d'un avenir qui n'existe pas. Il faut rappeler que cette culture a besoin d'être évangélisée.
Quelles sont les richesses de ce monde d'aujourd'hui sur lesquelles le prêtre peut s'appuyer ?
Les progrès des sciences – je pense à la génétique – permettent une meilleure compréhension de la création, d'où une attitude de respect, qui va de l'écologie jusqu'à l'adoration ; les progrès de la médecine, qui permettent de soulager la souffrance, ce qui devrait donner une nouvelle liberté pour affronter le mystère du mal et de notre destin éternel ; les progrès technologiques qui permettent une culture du réseau : sans s'en rendre esclave, elle peut être mise au service de la Parole, permettre aux amoureux de la Vérité de partager leur recherche… Toute nouvelle richesse est à la fois une tentation et une chance inouïe de se mettre au service du créateur.
Pourquoi cette insistance sur le sacrement de réconciliation, que le pape veut replacer au cœur du ministère du prêtre ?
Le curé d'Ars fut un grand confesseur : il passait parfois plus de seize heures dans son confessionnal, y compris l'hiver, alors que les églises n'étaient pas chauffées… Les fidèles en ressortaient heureux. On dirait aujourd'hui que les confessions étaient pour lui un formidable instrument de marketing, car ceux qui s'étaient confessés, ensuite, parlaient aux autres de la joie qu'ils ressentaient… Ce sacrement permettait au curé d'Ars d'apporter la paix.
C'est bien tout son sens : la paix intérieure, avec Dieu, et avec les autres. Le monde a besoin de paix. Sur ce plan, le prêtre joue un rôle essentiel, non seulement pour les catholiques, mais aussi pour toute la société. La fonction sociale du prêtre, avec son attention aux plus démunis, son action pour les pauvres, est très importante.
On a le sentiment d'une division entre deux générations de prêtres, les plus anciens, qui, après Vatican II, ont souhaité s'ouvrir au monde, et des jeunes prêtres, qui veulent un engagement plus identitaire…
Ce phénomène me paraît plutôt européen. Il faut s'opposer à la tentation du ghetto, de la résistance, qui s'explique souvent par la peur. Le prêtre est envoyé dans le monde, dans notre monde, et il doit y aller joyeusement, sans diaboliser ce monde.
À la lumière des statistiques des vocations de prêtres, le catholicisme a-t-il un avenir en Europe ?
Oui. Pour l'Église universelle, l'Europe reste un socle extrêmement important. L'Europe est culturellement et profondément chrétienne. Elle doit encore pouvoir nourrir de cette richesse le reste du monde. En Asie, on parle de forte croissance, mais, en nombre absolu, la présence catholique reste minoritaire. L'Amérique latine, en revanche, est un continent catholique.
Certes, l'Église est soumise à la concurrence des sectes. C'est pourquoi la 5e Conférence des Églises d'Amérique latine, à Aparecida, a mis autant l'accent sur la mission. Sinon, on laisse le champ libre aux Églises sectaires.
La Croix 4.8.2009 - Recueilli par Dominique QUINIO, Isabelle de GAULMYN et Frédéric MOUNIER