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La grande tentation de notre temps : réduire le nombre de convives à la table de l'humanité pour ne pas toucher au prétendu bonheur déjà acquis par certains

Publiée le 21-09-2024

     Mgr Schooyans a été un serviteur courageux de l’Evangile de la Vie. Dans son livre « l’Evangile face au désordre mondial » à lire ou relire, il aborde des questions décisives pour l’humanité. Dans sa préface du 25 avril 1997, le cardinal Ratzinger, futur Pape Benoit XVI écrit : «  Comment une idéologie lugubre qui recommande comme prix d'un pansexualisme débridé la stérilisation, l’avortement, la contraception systématique et même l'euthanasie pourrait-elle rendre aux hommes la joie de vivre, et d'aimer ? »

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   "Depuis le début de l’illuminisme la foi dans le progrès a toujours mis à part l'eschatologie chrétienne et l'a finalement remplacée tout à fait. Le bonheur n'est plus attendu dans l'au-delà mais dans ce monde. L'attitude d'Albert Camus qui à la parole du Christ «mon royaume n'est pas de ce monde »oppose résolument l'affirmation « mon royaume est de ce monde » est emblématique de la disposition de l'homme moderne. Si la foi dans le progrès était encore au siècle dernier un optimisme générique qui attendait de la marche triomphale des sciences l'amélioration progressive de la condition du monde et le rapprochement toujours plus serré d'une espèce de paradis cette foi a pris dans notre siècle une forme politique.

     D'une part il y a eu les systèmes d'orientation marxiste qui promettaient de faire atteindre le règne désiré de l'homme par la voie de la politique tracée par leur idéologie ; une tentative qui a manifestement échoué. D'autre part il y a pour construire le futur les tentatives qui puisent de manière plus ou moins profonde aux sources des traditions libérales.

 

     Sous le titre de Nouvel Ordre Mondial ces tentatives prennent une configuration toujours plus définie ; elles se réfèrent de manière toujours plus caractérisée à l'ONU et à ses Conférences internationales en particulier à celles du Caire et de Pékin qui laissent transparaître une philosophie de l'homme nouveau et du monde nouveau lorsqu'elles veulent tracer les chemins pour y arriver.

     Pareille philosophie n'est plus utopiste au sens où l'était le rêve marxiste ; au contraire elle est très réaliste : elle détermine les limites du bien-être recherché à partir des limites des moyens pour l'atteindre et recommande par exemple sans chercher à se justifier de ne pas se préoccuper de soigner ceux qui n'ont plus de productivité ni de qualité de vie à espérer. De plus elle n'attend plus que les gens qui se sont habitués à la richesse et au bien-être soient prêts aux nécessaires sacrifices mais recommande au contraire des voies pour réduire le nombre des convives à la table de  l'humanité afin qu'au moins ne soit pas touché le prétendu bonheur déjà acquis par certains.

     Le caractère typique de cette nouvelle anthropologie qui devrait être la base du Nouvel Ordre Mondial se dévoile surtout dans l'image de la femme dans l'idéologie du « Women's empowerment», proposée par Pékin. Le but en est l'auto-réalisation de la femme qui a pour principaux obstacles la famille et la maternité. Ainsi la femme doit-elle être libérée surtout de ce qui la caractérise et fait simplement sa spécificité : celle-ci est appelée à disparaître devant une « Gender equity and equality » devant un être humain indistinct et uniforme dans la vie duquel la sexualité n'a d'autre sens qu'une drogue voluptueuse dont on peut se servir n'importe comment.

     Dans la peur de la maternité qui s'est emparée d'une grande partie de nos contemporains joue certainement aussi quelque chose d'encore plus profond : l'autre est toujours finalement le concurrent qui m'enlève une partie de ma vie une menace pour mon moi et mon libre développement. Il n'y a plus aujourd'hui une «philosophie de l'amour» mais seulement une «philosophie de l'égoïsme». Que moi je puisse m'enrichir simplement dans le don que je puisse me retrouver justement à partir de l'autre et à travers mon être-pour-autrui voilà qui est refusé comme une illusion idéaliste. Mais c'est justement par là que l'homme est trompé. En effet là où on lui déconseille d'aimer on lui déconseille finalement d'être homme.

     Ainsi au stade de développement actuel d'une nouvelle image d'un nouveau monde on arrive au point où le chrétien - non seulement lui mais lui en tout cas – se doit de protester. Il faut remercier Michel Schooyans pour avoir dans ce livre donné une voix énergique à la protestation nécessaire. Il nous montre comment l'idée des droits de l'homme qui caractérise l'époque moderne et qui est si importante et si positive sous de nombreux aspects souffre depuis le début du fait qu'elle est fondée

seulement sur l'homme et donc sur sa capacité et sa volonté de mettre en ½uvre la reconnaissance générale de ces droits. Si au début le reflet de la lumineuse image chrétienne de l'homme a protégé l'universalité des droits de nouvelles questions naissent à mesure que cette image s'estompe.    

     Comment les droits des plus humbles seraient-ils respectés et promus quand notre conception de l'homme est si souvent fondée comme dit l'auteur «sur la jalousie l'angoisse la peur et même la Haine ?

     Comment une idéologie lugubre qui recommande comme prix d'un pansexualisme débridé la stérilisation, l’avortement, la contraception systématique et même l'euthanasie pourrait-elle rendre aux hommes la joie de vivre, et d'aimer ? » (ch. 6).

     C'est ici que se découvre clairement ce que le chrétien a de positif à offrir dans la lutte pour l'histoire future.  En effet il ne suffit pas qu'il oppose l'eschatologie à l'idéologie des constructions «postmodernes » de l'avenir. Bien sûr il doit le faire aussi et résolument : là-dessus notre voix est certainement devenue dans les dernières décennies trop faible et trop timide. En effet l'homme dans sa vie terrestre est un fétu qui reste sans signification si l'on détourne le regard de la vie éternelle. La même chose vaut pour l'histoire dans son ensemble.

     On ne peut imposer à demain des modèles d'aujourd'hui qui demain seront les modèles d'hier. Mais l'on doit toutefois tracer les propositions d'un chemin vers le futur d'un dépassement commun des nouveaux défis historiques. C'est ce que fait Michel Schooyans dans la deuxième et troisième partie de son livre. Il propose surtout en contraste avec la nouvelle anthropologie les traits essentiels de l'image chrétienne de l'homme et les applique ensuite de manière concrète aux grands problèmes du futur ordre mondial (surtout dans les chapitres 10-12). Il donne ainsi à l'idée si souvent exprimée par le Pape Jean Paul II, d'une «civilisation de l'amour» un contenu concret politiquement réaliste et réalisable.

     Le livre de Michel Schooyans entre ainsi au c½ur des grands défis de notre heure historique avec vivacité et grande compétence. Il faut espérer qu'il soit lu par des personnes d'orientations très diverses qu'il suscite une vive discussion et contribue ainsi à préparer le futur avec des modèles qui soient dignes de la grandeur de l'homme et assurent aussi la dignité de ceux qui ne peuvent se défendre eux-mêmes."

 

 

Joseph Card. Ratzinger

Rome 25 avril 1997

 

 

 

 

 


 

 

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