Publiée le 09-12-2020
extrait d'en entretien de Mgr Rougé, Evêque de Nanterre, dans LA NEF, de décembre 2020
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Les événements particulièrement forts de l’histoire, comme la crise sanitaire actuelle, peuvent constituer des occasions singulières de percevoir et l’énigme du péché et le mystère de la grâce pour que nous puissions progresser sur le chemin du salut.
L’expression « sauver des vies », qui constitue un leitmotiv de la crise sanitaire, est certes pleine d’ambiguïtés mais aussi et d’abord de promesses. Il est bienfaisant que la thématique du salut, parfois peu présente non seulement dans la mentalité contemporaine mais aussi dans la prédication chrétienne habituelle, retrouve droit de cité. Il est heureux que le caractère sacré de toute vie humaine soit affirmé et défendu. Encore faut-il qu’on ne confonde pas salut des personnes et survie des corps. Par sa mort et sa résurrection, le Christ nous délivre du péché et de la mort et nous ouvre les portes de la conversion du c½ur et de la vie éternelle. C’est à l’aune de cette profondeur, de cette ampleur de salut que l’authenticité du soin temporel des personnes doit être mesurée.
Ce n’est pas pour rien que les Écritures sont scandées par le refrain : « N’ayez pas peur ! » si cher au saint pape Jean-Paul II. La crise sanitaire a réveillé la conscience de la mort, ce qui peut être salutaire, mais sur le mode de la peur, ce qui est destructeur. La peur des autres, de la maladie, de la mort est sûrement plus grave et plus durable encore que le coronavirus. D’autant que le principe de précaution, qui devrait nous dissuader des transgressions éthiques et technologiques qui menacent la dignité humaine, est devenu un principe de peur généralisé qui freine fortement la capacité d’initiative et d’engagement. Il me semble que nous devrions passer d’un principe de précaution stérilisant à un principe de risque proportionné et raisonnable.
Nous pouvons en effet être saisis par un véritable vertige en ces temps de remise en cause généralisée de tous nos points d’appui éthiques essentiels. Cela dit, je trouve que cette crise sanitaire, qui a mis en lumière de manière renouvelée la place du corps et de la mort, peut sonner comme un bienfaisant rappel à l’ordre anthropologique. Voilà qui peut nous aider à pratiquer et diffuser une écologie humaine salutaire : toute vie, même fragile, a du prix ; nous sommes en relation les uns avec les autres par nos c½urs et nos corps, vulnérables, dignes, sexués ; la mort doit être envisagée par chacun et accompagnée par tous, humainement, spirituellement, liturgiquement. Notre société trans-humaniste, post-humaniste, se croyait toute-puissante, invulnérable. Une chauve-souris, un pangolin et un virus l’ont en quelque sorte dessaoulée. Voilà qui devrait et pourrait nous ramener à plus d’humilité et d’humanité. Je ne me fais pas d’illusion pour autant. Nous sommes dans le temps de la grande épreuve. Il nous faut encore et toujours, comme dit l’Apocalypse de saint Jean, laver nos vêtements dans le sang de l’Agneau.