Très Saint Père,
C'est un honneur pour le gouvernement français, pour toutes les personnes présentes dans cette salle, et bien sûr pour moi-même et pour ma famille, de vous accueillir aujourd'hui au Palais de l'Elysée.
Tout au long de son histoire, la France n'a cessé de lier son destin à la cause des arts, des lettres, de la pensée, toutes ces disciplines qui forment cet art de vivre au plus haut de soi-même et qu'on appelle culture. En consacrant à Paris l'une des étapes de votre visite, en choisissant le collège des Bernardins, au coeur du quartier latin, pour prononcer l'un des discours les plus attendus de votre voyage, en acceptant l'invitation de l'Institut, vous honorez la France au travers d'un attribut qui lui est donc particulièrement cher : sa culture, une culture vivante qui plonge ses racines entremêlées dans la pensée grecque et judéo-chrétienne, dans l'héritage médiéval, la Renaissance et les Lumières ; une culture que vous connaissez admirablement bien et que vous aimez.
Qu'ils soient catholiques ou fidèles d'une autre religion, croyants ou non croyants, tous les Français sont sensibles à votre choix de Paris pour vous adresser cet après-midi au monde de la culture, vous qui êtes, profondément, un homme de conviction, de savoir et de dialogue. Vous renouvelez l'honneur fait à la France par votre prédécesseur Jean-Paul II et son magistral discours de 1980 à l'UNESCO, dont l'histoire n'a cessé depuis de vérifier les intuitions profondes et la largeur de vue.
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Pour les millions de Français catholiques, votre visite est un évènement exceptionnel. Elle leur procure une joie intense et suscite de grandes espérances. Il est naturel que le Président de la République, le gouvernement, l'ensemble des responsables politiques de notre pays, s'associent à cette joie, comme ils s'associent régulièrement aux joies et aux peines de tous nos compatriotes quels qu'ils soient. Je veux, en votre présence, adresser aux catholiques de France tous mes voeux pour la réussite de cette visite.
J'ai souhaité que soient présents dans cette salle un certain nombre d'entre eux, connus ou moins connus, mais engagés dans tous les secteurs de la société : mouvements de jeunesse et éducation, secteur social et associatif, santé, entreprise, syndicalisme, administration et vie politique, journalisme, communauté scientifique, monde du sport, des arts et du spectacle, monde de la littérature et des idées, et bien sûr institutions ecclésiales. Ils sont le visage d'une Eglise de France diverse, moderne, qui veut mettre toute son énergie au service de sa foi.
Sont également présents dans cette salle, et je les en remercie, les représentants des autres religions et traditions philosophiques, et beaucoup de Français agnostiques ou non croyants, eux aussi engagés pour le bien commun. Dans la République laïque qu'est la France, tous vous accueillent avec respect en tant que chef d'une famille spirituelle dont la contribution à l'histoire du monde et de la civilisation n'est ni contestable, ni contestée.
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Très Saint Père, le dialogue entre la foi et la raison a occupé une part prépondérante dans votre cheminement intellectuel et théologique. Non seulement vous n'avez cessé de soutenir la compatibilité entre la foi et la raison, mais encore vous pensez que la spécificité et la fécondité du christianisme ne sont pas dissociables de sa rencontre avec les fondements de la pensée grecque.
La démocratie non plus ne doit pas se couper de la raison. Elle ne peut se contenter de reposer sur l'addition arithmétique des suffrages, ni sur les mouvements passionnés des individus. Elle doit également procéder de l'argumentation et du raisonnement, rechercher honnêtement ce qui est bon et nécessaire, respecter des principes essentiels reconnus par l'entendement commun. Comment d'ailleurs la démocratie pourrait-elle se priver des lumières de la raison sans se renier elle-même, elle qui est fille de la raison et des Lumières ? C'est là une exigence quotidienne pour le gouvernement des choses publiques et le débat politique.
Aussi est-il légitime pour la démocratie et respectueux de la laïcité de dialoguer avec les religions. Celles-ci, et notamment la religion chrétienne avec laquelle nous partageons une longue histoire, sont des patrimoines vivants de réflexion et de pensée, pas seulement sur Dieu, mais aussi sur l'homme, sur la société, et même sur cette préoccupation aujourd'hui centrale qu'est la nature. Ce serait une folie de nous en priver, tout simplement une faute contre la culture et contre la pensée. C'est pourquoi j'en appelle à une laïcité positive.
En cette époque où le doute, le repli sur soi, mettent nos démocraties au défi de répondre aux problèmes de notre temps, la laïcité positive offre à nos consciences la possibilité d'échanger, par delà les croyances et les rites, sur le sens que nous voulons donner à nos existences.
La France a engagé, avec l'Europe, une réflexion sur la moralisation du capitalisme financier. La croissance économique n'a pas de sens si elle est sa propre finalité. Seuls l'amélioration de la situation du plus grand nombre et l'épanouissement de la personne en constituent ses buts légitimes. Cet enseignement, qui est au coeur de la doctrine sociale de l'Eglise, est en parfaite résonnance avec les enjeux de l'économie contemporaine mondialisée. Notre devoir est de l'entendre.
De même, les progrès rapides et importants de la science dans les domaines de la génétique et de la procréation posent à nos démocraties de délicates questions de bioéthique. Elles engagent notre conception de l'homme et de la vie, et peuvent conduire à des mutations de société. C'est pourquoi elles ne peuvent rester l'affaire des seuls experts.
La responsabilité du politique est d'organiser le cadre propre à cette réflexion. C'est ce que la France fera avec les Etats généraux de la bioéthique qui se dérouleront l'an prochain. Naturellement, les traditions religieuses et philosophiques doivent être présentes à ce débat, avec leur réflexion et leur expérience, riches de tant de siècles.
La laïcité positive, la laïcité ouverte, c'est une invitation au dialogue, à la tolérance et au respect.
C'est une chance, un souffle, une dimension supplémentaire donnée au débat public.
C'est un encouragement pour les religions, comme pour tous les courants de pensée. Et aussi un défi : car il y a trente ans encore, aucun de nos prédécesseurs n'aurait pu imaginer, ni même soupçonner, les questions auxquelles nous sommes aujourd'hui confrontés.
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Très Saint Père, vous vous rendrez demain à Lourdes. Dans le coeur de millions de personnes en France et dans le monde, Lourdes tient une place particulière. On y vient souvent chercher une guérison du corps, on en revient avec une guérison de l'âme et du coeur. Même pour le profane, il existe bien un miracle de Lourdes : celui de la compassion, du courage, de l'espérance, au milieu de souffrances physiques ou morales souvent extrêmes et indicibles.
La souffrance, qu'elle soit le fait de la maladie, du handicap, du désespoir, de la mort ou tout simplement du mal, est assurément l'une des principales interrogations que pose la vie à la foi ou à l'espérance humaine. A cet égard, ce que vous direz lundi aux malades sera écouté bien au-delà de la communauté catholique. Mais par sa capacité à affronter la souffrance, à la surmonter et à la transformer, l'homme donne aussi, aux croyants comme aux non croyants, un signe tangible, une preuve manifeste de sa dignité.
La dignité humaine, l'Eglise ne cesse de la proclamer et de la défendre. A nous, responsables politiques, il incombe de la protéger toujours davantage, en défiant les contraintes économiques et en surmontant les hésitations politiques, dans le respect de la démocratie et de la liberté de conscience qui sont des éléments constitutifs de cette dignité.
Quand la France crée le revenu de solidarité active, elle cherche un moyen d'assurer à tous les conditions matérielles d'une existence digne sans dévaluer le travail.
Quand elle engage un plan massif contre la maladie d'Alzheimer, elle se donne les moyens d'assurer leur dignité à un nombre croissant de personnes touchées par cette maladie.
Quand elle crée un contrôleur général des prisons, réforme son système pénitentiaire, investit pour garantir une cellule individuelle à tout prisonnier, elle veut concilier la protection de la société avec la dignité de chaque détenu.
Quand elle dessine de nouveaux contours à sa politique d'immigration, elle entend respecter la dignité de chaque étranger, mais assume cette conviction raisonnable, et en tout cas raisonnée, que les désordres d'une immigration non contrôlée portent atteinte à la dignité de tous. Cette politique serait condamnable si elle ne cherchait pas à donner, grâce au développement, des conditions de vie meilleure aux populations concernées dans leur pays d'origine. C'est notre engagement.
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Progressivement, la dignité humaine s'est imposée comme une valeur universelle. Elle est au coeur de la Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée ici à Paris il y a soixante ans. C'est le fruit d'une convergence exceptionnelle entre l'expérience humaine, les grandes traditions philosophiques et religieuses de l'humanité et le cheminement même de la raison.
A l'heure où ressurgissent tant de fanatismes, à l'heure où le relativisme exerce une séduction croissante, où la possibilité même de connaître et de partager une certaine part de la vérité est mise en doute, à l'heure où les égoïsmes les plus durs menacent les relations entre les nations et au sein des nations, cette option absolue pour la dignité humaine et son ancrage dans la raison doivent être tenus pour un trésor des plus précieux.
Là réside le vrai secret de l'Europe, celui dont l'oubli a précipité le monde dans les pires barbaries, celui qui ranime sans cesse notre désir d'agir pour la paix et la stabilité du monde, et conforte notre légitimité à le faire, hommes et femmes de bonne volonté ensemble.
Là se trouve aussi l'esprit de l'Union pour la Méditerranée. Jamais celle-ci n'aurait vu le jour si nous n'avions puisé dans la pertinence de notre idéal et la force de la raison, l'audace de la proposer et l'énergie d'en convaincre nos partenaires.
Je connais, Très Saint Père, et je partage votre inquiétude croissante pour certaines communautés chrétiennes au travers le monde, notamment en Orient. Je veux spécialement saluer, à cet égard, Monsieur Estifan Majid, présent parmi nous, qui est le frère de l'archevêque de Mossoul récemment assassiné, Monseigneur Faraj Rahho. L'Union pour la Méditerranée est la réponse à cet enjeu essentiel qu'est la coexistence de communautés pluriconfessionnelles sur un même territoire. Car si cela est possible autour de la Méditerranée, alors cela sera possible ailleurs, au Moyen-Orient et dans le monde. Avons-nous, au demeurant, un autre choix ?
En Inde, chrétiens, musulmans et hindouistes doivent renoncer à toute forme de violence et s'en remettre aux vertus du dialogue. Ailleurs en Asie, la liberté de pratiquer sa religion, quelle qu'elle soit, doit être respectée. La France, qui a beaucoup fait pour que toutes les convictions puissent coexister et s'exprimer, demande que la réciprocité soit respectée partout dans le monde, pour toutes les religions. De même, elle accueille l'intérêt suscité par le bouddhisme en Occident. Le Dalai Lama, chef spirituel du bouddhisme tibétain, livre des enseignements auxquels nos sociétés sont de plus en plus attentives. Il mérite d'être respecté et écouté pour cela.
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La paix durable et véritable n'est possible que par le dialogue. Un dialogue authentique. Un dialogue fondé sur le vrai désir et la passion réelle de comprendre un point de vue différent. Un dialogue qui reçoit autant qu'il donne, tant il est vrai que, dans le dialogue, il est plus facile de délivrer sa vérité que d'accueillir celle de l'autre. Un dialogue où chacun accepte le principe qu'il peut changer d'avis ou faire évoluer son opinion. Un dialogue qui ne reporte pas tous les problèmes sur le religieux et le culturel, mais qui ne les ignore pas non plus. Un dialogue qui n'est pas le fait d'une élite mondialisée et bien-pensante, mais qui pénètre au fond des peuples. C'est pourquoi les Eglises doivent y participer de manière active.
Rien ne serait plus dommageable que la reprise d'une guerre des religions. C'est pourquoi j'ai voulu parler de religion à Riyad avec le roi d'Arabie Saoudite. Et c'est pourquoi j'ai tenu à insister sur ce que les religions ont en commun, qui est en vérité beaucoup plus grand que ce qui les divise.
Le dialogue avec et entre les religions est un enjeu majeur du siècle naissant. Les responsables politiques ne peuvent s'en désintéresser. Mais ils ne peuvent y contribuer que s'ils respectent les religions. Car il n'y a pas de dialogue sans confiance, et pas de confiance sans respect.
Oui, je respecte les religions, toutes les religions. Je connais les erreurs qu'elles ont commises par le passé et les intégrismes qui les menacent, mais je sais le rôle qu'elles ont joué dans l'édification de l'humanité. Le reconnaître ne diminue en rien les mérites des autres courants de pensée.
Je sais l'importance des religions pour répondre au besoin d'espérance des hommes et je ne le méprise pas. La quête de spiritualité n'est pas un danger pour la démocratie, pas un danger pour la laïcité.
Je ne désespère pas des religions quand je lis, sous la plume de Frère Christian, le prieur de Tibhirine : « L'Algérie et l'Islam, pour moi, c'est un corps et une âme. Je l'ai assez proclamé, au vu et au su de ce que j'en ai reçu, y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l'Evangile appris aux genoux de ma mère, ma tout première Eglise, précisément en Algérie, et déjà, dans le respect des croyants musulmans ».
Et quand il ajoute, dans ce testament prémonitoire : « J'aimerais, le moment venu, avoir cette lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout coeur à qui m'aurait atteint », alors, oui, je pense que les religions peuvent élargir le coeur de l'homme.
Pour toutes ces raisons, Très Saint Père, soyez le bienvenu en France.