Audience générale du mercredi 3 mai
Texte intégral de la catéchèse de Benoît XVI
Chers frères et soeurs,
Dans ces catéchèses nous voulons un peu comprendre ce qu'est l'Eglise. La dernière fois, nous avons médité sur le thème de la Tradition apostolique. Nous avons vu que celle-ci n'est pas une collection de choses, de mots, comme une boîte remplie de choses mortes; la Tradition est le fleuve de la vie nouvelle qui vient des origines, du Christ jusqu'à nous, et qui nous fait participer à l'histoire de Dieu avec l'humanité. Ce thème de la Tradition est tellement important, que je voudrais encore aujourd'hui m'y arrêter : il est en effet d'une grande importance pour la vie de l'Eglise. Le Concile Vatican II a noté, à ce propos, que la Tradition est apostolique avant tout dans ses origines: « Cette Révélation donnée pour le salut de toutes les nations, Dieu, avec la même bienveillance, prit des dispositions pour qu'elle demeurât toujours en son intégrité et qu'elle fût transmise à toutes les générations. C'est pourquoi le Christ Seigneur, en qui s'achève toute la Révélation du Dieu très haut (cf. 2 Co 1, 20 et 3, 16-4,6), ayant accompli lui-même et proclamé de sa propre bouche l'Evangile d'abord promis par les prophètes, ordonna à ses apôtres de le prêcher à tous comme la source de toute vérité salutaire et de toute règle morale en leur communiquant les dons divins » (Const. apost. Dei Verbum, n. 7). Le Concile poursuit en notant combien cet engagement a été fidèlement exécuté « par les apôtres, qui, dans la prédication orale, dans les exemples et les institutions, transmirent, soit ce qu'ils avaient appris de la bouche du Christ en vivant avec lui et en le voyant agir, soit ce qu'ils tenaient des suggestions du Saint-Esprit » (ibid.) Avec les Apôtres, ajoute le Concile, collaborent également « des hommes de leur entourage, qui, sous l'inspiration de l'Esprit Saint, consignèrent par écrit le message de salut » (ibid).
Chefs de l'Israël eschatologique, eux aussi au nombre de douze comme l'étaient les tribus du peuple élu, les Apôtres poursuivent le « rassemblement » commencé par le Seigneur, et ils le font tout d'abord en transmettant fidèlement le don reçu, la bonne nouvelle du Royaume transmis aux hommes par Jésus Christ. Leur nombre exprime non seulement la continuité avec la sainte racine, l'Israël des douze tribus, mais également la destination universelle de leur ministère, qui apporte le salut jusqu'aux extrémités les plus lointaines de la terre. On peut le comprendre à partir de la valeur symbolique que possèdent les nombres dans le monde sémite: « douze » est le résultat de la multiplication de trois, nombre parfait, par quatre, nombre qui renvoie aux quatre points cardinaux, et donc au monde entier.
La communauté, née de l'annonce évangélique, se reconnaît comme étant convoquée par la parole de ceux qui les premiers ont fait l'expérience du Seigneur et qui ont été envoyés par Lui. Elle sait pouvoir compter sur la direction des Douze, ainsi que sur celle de ceux auxquels ces derniers s'associent au cours des temps comme successeurs dans le ministère de la parole et dans le service à la communion. En conséquence, la communauté se sent engagée à transmettre aux autres l'« heureuse nouvelle » de la présence actuelle du Seigneur et de son mystère pascal, agissant dans l'Esprit. Cela apparaît clairement dans plusieurs passages des Lettres de Paul: « Je vous a transmis ceci, que j'ai moi-même reçu » (1 Co 15, 3). Et cela est important. Saint Paul, on le sait, appelé à l'origine par le Christ avec une vocation personnelle, est un véritable Apôtre, mais cependant pour lui aussi la fidélité à ce qu'il a reçu compte de manière fondamentale. Il ne voulait pas « inventer » un nouveau christianisme, pour ainsi dire, « paulinien ». Il insiste donc: « Je vous ai transmis ceci, que j'ai moi-même reçu ». Il a transmis le don initial qui vient du Seigneur et qui est la vérité qui sauve. Puis, vers la fin de sa vie, il écrit à Timothée: « Tu es le dépositaire de l'Evangile; garde-le dans toute sa pureté, grâce à l'Esprit Saint qui habite en nous » ( 2 Tm 1, 14). Cet antique témoignage de foi chrétienne, écrit par Tertullien vers l'an 200, le montre également de manière éloquente: « (les Apôtres) affirmèrent au début leur foi en Jésus Christ et établirent des Eglises en Judée et, immédiatement après, dispersés dans le monde, ils annoncèrent la même doctrine et la même foi aux nations, et ils fondèrent donc des Eglises dans chaque ville. Ensuite, à partir de celles-ci, les autres Eglises ramifièrent leur foi et les semences de la doctrine, et elles la ramifient sans cesse, précisément pour être des Eglises. De cette manière, elles sont elles aussi considérées apostoliques en tant que descendance des Eglises des apôtres » (Tertullien, De praescriptione haereticorum, 20: PL 2, 32).
Le Concile Vatican II commente: « Quant à la Tradition reçue des Apôtres, elle comprend tout ce qui contribue à conduire saintement la vie du peuple de Dieu et à en augmenter la foi; ainsi l'Eglise perpétue dans sa doctrine, sa vie et son culte, et elle transmet à chaque génération, tout ce qu'elle est elle-même, tout ce qu'elle croit » (Const. Dei verbum, n. 8). L'Eglise transmet tout ce qu'elle est et ce qu'elle croit, elle le transmet dans le culte, dans la vie, dans la doctrine. La Tradition est donc l'Evangile vivant, annoncé par les Apôtres dans son intégrité, sur la base de la plénitude de leur expérience unique et sans égale: à travers leur oeuvre, la foi est communiquée aux autres, jusqu'à nous, jusqu'à la fin du monde. La Tradition est donc l'histoire de l'Esprit qui agit dans l'histoire de l'Eglise à travers la médiation des Apôtres et de leurs successeurs, en continuité fidèle avec l'expérience des origines. C'est ce que précise saint Clément Romain vers la fin du Ier siècle: « Les Apôtres - écrit-il - nous annoncèrent l'Evangile envoyé par le Seigneur Jésus Christ, Jésus Christ fut envoyé par Dieu. Le Christ vient donc de Dieu, les Apôtres du Christ: tous deux procèdent de manière ordonnée de la volonté de Dieu. [...] Nos Apôtres eurent connaissance par notre Seigneur Jésus Christ que des disputes seraient nées autour de la fonction épiscopale. C'est pourquoi, prévoyant l'avenir, ils établirent les élus et leur donnèrent l'ordre, afin qu'à leur mort d'autres hommes éprouvés assument leur charge » (Ad Corinthios, 42.44: PG 1, 292.296).
Cette chaîne du service se poursuit jusqu'à aujourd'hui, elle se poursuivra jusqu'à la fin du monde. En effet, le mandat conféré par Jésus aux Apôtres a été transmis par eux à leurs successeurs. Au-delà de l'expérience du contact personnel avec le Christ, expérience unique et sans égale, les Apôtres ont transmis à leurs successeurs l'envoi solennel dans le monde reçu du Maître. Apôtre vient précisément du terme grec « apostéllein », qui veut dire envoyer. L'envoi apostolique - comme le révèle le texte de Mt 28, 19sq - implique un service pastoral (« faites des disciples de toutes les nations...»), liturgique (« baptisez-les...») et prophétique (« apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés »), garanti par la proximité du Seigneur jusqu'à la fin des temps (« et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde »). Ainsi, de manière différente des Apôtres, nous avons nous aussi une expérience véritable et personnelle de la présence du Seigneur ressuscité. A travers le ministère apostolique, c'est le Christ lui-même qui atteint ainsi celui qui est appelé à la foi. La distance des siècles est surmontée et le Ressuscité s'offre vivant et agissant pour nous, dans l'aujourd'hui de l'Eglise et du monde. Telle est notre grande joie. Dans le fleuve vivant de la Tradition, le Christ n'est pas à deux mille ans de nous, mais il est réellement présent parmi nous et il nous donne la Vérité, il nous donne la lumière qui nous fait vivre et trouver la route vers l'avenir.