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"Où est ton frère" ? La voix de son sang crie vers moi" - Pape François - Lampedusa - 8.7.2013

 

    Je voudrais proposer des paroles qui surtout provoquent la conscience de tous, poussent à réfléchir et à changer concrètement certaines attitudes.

     « Adam, où es-tu ? » : c’est la première demande que Dieu adresse à l’homme après le péché. « Où es-tu, Adam ? ». Et Adam est un homme désorienté qui a perdu sa place dans la création parce qu’il croit devenir puissant, pouvoir tout dominer, être Dieu. Et l’harmonie se rompt, l’homme se trompe et cela se répète aussi dans la relation avec l’autre qui n’est plus le frère à aimer, amis simplement l’autre qui dérange ma vie, mon bien-être. Et Dieu pose la seconde question : « Caïn, où est ton frère ? ». Le rêve d’être puissant, d’être grand comme Dieu, ou plutôt d’être Dieu, génère une chaîne d’erreurs, qui est une chaîne de mort, porte à verser le sang du frère !

     Ces deux questions de Dieu résonnent aussi aujourd’hui, avec toute leur force ! Beaucoup de nous, je m’y inclus aussi, nous sommes désorientés, nous se sommes plus attentifs au monde dans lequel nous vivons, nous ne soignons pas, nous ne gardons pas ce que Dieu a créé pour tous et nous ne sommes plus capables non plus de nous garder les uns les autres. Et quand cette désorientation assume les dimensions du monde, on arrive à des tragédies comme celle à laquelle nous avons assisté.

     « Où est ton frère ? », la voix de son sang crie vers moi, dit Dieu. Ce n’est pas une question adressée aux autres, c’est une question adressée à moi, à toi, à chacun de nous. Ceux-ci parmi nos frères et sœurs cherchaient à sortir de situations difficiles pour trouver un peu de sérénité et de paix ; ils cherchaient un rang meilleur pour eux et pour leurs familles, mais ils ont trouvé la mort. Combien de fois ceux qui cherchent cela ne trouvent pas compréhension, ne trouvent pas accueil, ne trouvent pas solidarité ! Et leurs voix montent jusqu’à Dieu ! Une fois encore, je vous remercie vous habitants de Lampedusa de votre solidarité. J’ai récemment écouté un de ces frères. Avant d’arriver ici, ils ont passé par les mains des trafiquants, ceux qui exploitent la pauvreté des autres, ces personnes pour qui la pauvreté des autres est une source de revenu. Quelle souffrance ! Et certains n’ont pas pu arriver à destination.

     « Où est ton frère ? » Qui est le responsable de ce sang ? Dans la littérature espagnole, il y a une comédie de Lope de Vega qui raconte comment les habitants de la ville de Fuente Ovejuna tuèrent le Gouverneur parce que c’est un tyran, et le font de façon à ce qu’on ne sache pas qui l’a exécuté. Et quand le juge du roi demande : « Qui a tué le Gouverneur ? », tous répondent : « Fuente Ovejuna, Monsieur ». Tous et personne ! Aujourd’hui aussi cette question émerge avec force : qui est le responsable du sang de ces frères et sœurs ? Personne ! Tous nous répondons ainsi : ce n’est pas moi, moi je ne suis pas d’ici, ce sont d’autres, certainement pas moi. Mais Dieu demande à chacun de nous : « Où est le sang de ton frère qui crie vers moi ? ». Aujourd’hui personne dans le monde ne se sent responsable de cela ; nous avons perdu le sens de la responsabilité fraternelle ; nous sommes tombés dans l’attitude hypocrite du prêtre et du serviteur de l’autel, dont parlait Jésus dans la parabole du Bon Samaritain : nous regardons le frère à demi mort sur le bord de la route, peut-être pensons-nous « le pauvre », et continuons notre route, ce n’est pas notre affaire ; et avec cela nous nous mettons l’âme en paix, nous nous sentons en règle. La culture du bien-être, qui nous amène à penser à nous-même, nous rend insensibles aux cris des autres, nous fait vivre dans des bulles de savon, qui sont belles, mais ne sont rien ; elles sont l’illusion du futile, du provisoire, illusion qui porte à l’indifférence envers les autres, et même à la mondialisation de l’indifférence. Dans ce monde de la mondialisation, nous sommes tombés dans la mondialisation de l’indifférence. Nous sommes habitués à la souffrance de l’autre, cela ne nous regarde pas, ne nous intéresse pas, ce n’est pas notre affaire !

     Revient la figure de l’Innommé de Manzoni. La mondialisation de l’indifférence nous rend tous "innommés", responsables sans nom et sans visage.

     « Adam où es-tu ? », « Où est ton frère ? », sont les deux questions que Dieu pose au début de    l’histoire de l’humanité et qu’il adresse aussi à tous les hommes de notre temps, à nous aussi. Mais je voudrais que nous nous posions une troisième question : « Qui de nous a pleuré pour ce fait et pour les faits comme celui-ci ? » Qui a pleuré pour la mort de ces frères et sœurs ? Qui a pleuré pour ces personnes qui étaient sur le bateau ? Pour les jeunes mamans qui portaient leurs enfants ? Pour ces hommes qui désiraient quelque chose pour soutenir leurs propres familles ? Nous sommes une société qui a oublié l’expérience des pleurs, du « souffrir avec » : la mondialisation de l’indifférence nous a ôté la capacité de pleurer ! Dans l’Évangile nous avons écouté le cri, les pleurs, la longue plainte : « Rachel pleure ses enfants… parce qu’ils ne sont plus ». Hérode a semé la mort pour défendre son propre bien-être, sa propre bulle de savon. Et cela continue de se répéter… Demandons au Seigneur d’effacer ce qui d’Hérode est resté également dans notre cœur ; demandons au Seigneur la grâce de pleurer sur notre indifférence, de pleurer sur la cruauté qui est dans le monde, en nous, aussi en ceux qui dans l’anonymat prennent les décisions socio-économiques qui ouvrent la voie à des drames comme celui-ci. « Qui a pleuré ? » Qui a pleuré aujourd’hui dans le monde ?

 

 

Pape François - 8.7.2013

 

 

 

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Je vous remercie de tout coeur
Abbé Lelièvre
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