Benoît XVI de A à Z

Purification du coeur

2005

24 avril 2005 – Homélie Messe Intronisation

     Le joug de Dieu est la volonté de Dieu, que nous accueillons. Et cette volonté n’est pas pour moi un poids extérieur, qui nous opprime et qui nous enlève notre liberté. Connaître ce que Dieu veut, connaître quel est le chemin de la vie – telle était la joie d’Israël, tel était son grand privilège. Telle est aussi notre joie: la volonté de Dieu ne nous aliène pas, elle nous purifie – parfois même de manière douloureuse – et nous conduit ainsi à nous-mêmes. De cette manière, nous ne le servons pas seulement lui-même, mais nous servons aussi le salut de tout le monde, de toute l’histoire

 

     La parabole de la brebis perdue que le berger cherche dans le désert était pour les Pères de l’Église une image du mystère du Christ et de l’Église. L’humanité – nous tous – est la brebis perdue qui, dans le désert, ne trouve plus son chemin. Le Fils de Dieu ne peut pas admettre cela; il ne peut pas abandonner l’humanité à une telle condition misérable. Il se met debout, il abandonne la gloire du ciel, pour retrouver la brebis et pour la suivre, jusque sur la croix. Il la charge sur ses épaules, il porte notre humanité, il nous porte nous-mêmes. Il est le bon pasteur, qui donne sa vie pour ses brebis. Le Pallium exprime avant tout que nous sommes portés par le Christ. Mais, en même temps, le Christ nous invite à nous porter les uns les autres. Ainsi, le Pallium devient le symbole de la mission du pasteur, dont parle la deuxième lecture et l’Évangile. La sainte inquiétude du Christ doit animer tout pasteur: il n’est pas indifférent pour lui que tant de personnes vivent dans le désert. Et il y a de nombreuses formes de désert. Il y a le désert de la pauvreté, le désert de la faim et de la soif; il y a le désert de l’abandon, de la solitude, de l’amour détruit. Il y a le désert de l’obscurité de Dieu, du vide des âmes sans aucune conscience de leur dignité ni du chemin de l’homme. Les déserts extérieurs se multiplient dans notre monde, parce que les déserts intérieurs sont devenus très grands. C’est pourquoi, les trésors de la terre ne sont plus au service de l’édification du jardin de Dieu, dans lequel tous peuvent vivre, mais sont asservis par les puissances de l’exploitation et de la destruction. L’Église dans son ensemble, et les Pasteurs en son sein, doivent, comme le Christ, se mettre en route, pour conduire les hommes hors du désert, vers le lieu de la vie, vers l’amitié avec le Fils de Dieu, vers Celui qui nous donne la vie, la vie en plénitude.

 

        Aujourd’hui encore, l’Église et les successeurs des Apôtres sont invités à prendre le large sur l’océan de l’histoire et à jeter les filets, pour conquérir les hommes au Christ – à Dieu, au Christ, à la vraie vie. Les Pères ont aussi dédié un commentaire très particulier à cette tâche singulière. Ils disent ceci: pour le poisson, créé pour l’eau, être sorti de l’eau entraîne la mort. Il est soustrait à son élément vital pour servir de nourriture à l’homme. Mais dans la mission du pêcheur d’hommes, c’est le contraire qui survient. Nous, les hommes, nous vivons aliénés, dans les eaux salées de la souffrance et de la mort; dans un océan d’obscurité, sans lumière. Le filet de l’Évangile nous tire hors des eaux de la mort et nous introduit dans la splendeur de la lumière de Dieu, dans la vraie vie. Il en va ainsi – dans la mission de pêcheur d’hommes, à la suite du Christ, il faut tirer les hommes hors de l’océan salé de toutes les aliénations vers la terre de la vie, vers la lumière de Dieu. Il en va ainsi: nous existons pour montrer Dieu aux hommes. Seulement là où on voit Dieu commence véritablement la vie. Seulement lorsque nous rencontrons dans le Christ le Dieu vivant, nous connaissons ce qu’est la vie. Nous ne sommes pas le produit accidentel et dépourvu de sens de l’évolution. Chacun de nous est le fruit d’une pensée de Dieu. Chacun de nous est voulu, chacun est aimé, chacun est nécessaire. Il n’y a rien de plus beau que d’être rejoints, surpris par l’Évangile, par le Christ. Il n’y a rien de plus beau que de le connaître et de communiquer aux autres l’amitié avec lui.

 

26 novembre 2005 – Méditation lors des 1ères Vêpres du 1er Dimanche de l’Avent

    C'est précisément l'Esprit Saint, qui dans le sein de la Vierge a formé Jésus, Homme parfait, qui mène à bien dans la personne humaine l'admirable projet de Dieu, transformant tout d'abord le c½ur et, à partir de ce centre, tout le reste. Il arrive ainsi que dans chaque personne se résume toute l'½uvre de la création et de la rédemption, que Dieu, Père, Fils et Esprit Saint, accomplit du début jusqu'à la fin de l'univers et de l'histoire. Et de même que dans l'histoire de l'humanité se trouve au centre le premier Avent du Christ et, à la fin, son retour glorieux, de même chaque existence personnelle est appelée à se mesurer à lui - de façon mystérieuse et multiforme - au cours du pèlerinage terrestre, pour être trouvée "en lui" au moment de son retour.
 

 

 

8 décembre 2005 – Angelus – Solennité de l’Immaculée Conception

     En regardant la Vierge, comment ne pas la laisser réveiller en nous, ses fils, l'aspiration à la beauté, à la bonté et à la pureté du coeur? Sa candeur céleste nous attire vers Dieu, nous aidant à surmonter la tentation d'une vie médiocre, faite de compromis avec le mal, pour nous guider de façon décidée vers le bien authentique, qui est source de joie.

 

 

 

 

 

 

2006

 

 

 

 

 

 

12 février 2006 – Angelus

     La maladie est un trait typique de la condition humaine, qui peut devenir une métaphore réaliste de celle-ci, comme l'exprime saint Augustin dans l'une de ses prières:  "Seigneur, ayez pitié de moi! Hélas! Voilà mes blessures, je ne les cache pas. Vous êtes le médecin, je suis le malade; vous êtes miséricordieux, je suis un misérable". (Conf. Livre X, n. 39).

     Le Christ est le vrai "médecin" de l'humanité, que le Père céleste a envoyé dans le monde pour guérir l'homme, marqué dans son corps et son esprit par le péché et ses conséquences. L'Evangile de Marc nous présente Jésus qui, au début de son ministère public se consacre tout entier à la prédication et à la guérison des malades dans les villages de Galilée. Les innombrables signes prodigieux qu'il accomplit sur les malades confirment la "bonne nouvelle" du Royaume de Dieu. L'Evangile raconte la guérison d'un lépreux et exprime avec une grande force l'intensité de la relation entre Dieu et l'homme, résumée dans un merveilleux dialogue:  "Si tu le veux, tu peux me purifier", dit le lépreux. "Je le veux, sois purifié", répond Jésus, le touchant de la main et le libérant de la lèpre (Mc 1, 40-42). Nous voyons ici en quelque sorte concentrée toute l'histoire du salut:  ce geste de Jésus qui tend la main et touche le corps couvert de plaies de la personne qui l'invoque, manifeste parfaitement la volonté de Dieu de guérir sa créature déchue, en lui redonnant la vie "en abondance" (Jn 10, 10), la vie éternelle, pleine, heureuse. Le Christ est "la main" de Dieu tendue à l'humanité pour qu'elle puisse sortir des sables mouvants de la maladie et de la mort et se remettre debout sur le roc solide de l'amour divin (cf. Ps 39, 2-3).

 

 

 

 

 

9 avril 2006 – Homélie de la Messe des Rameaux

     -Une personne peut être matériellement pauvre, mais avoir le c½ur rempli de convoitise de richesse matérielle et du pouvoir qui dérive de la richesse. Le fait précisément qu'elle vive dans l'envie et dans l'avidité prouve qu'au plus profond de son c½ur, elle appartient au monde des riches. Elle souhaite renverser la répartition des biens, mais pour arriver à être elle-même dans la situation des riches d'avant. La pauvreté dans le sens où Jésus l'entend - et dans le sens des prophètes - suppose surtout la liberté intérieure par rapport à l'avidité de possession et la soif de pouvoir. Il s'agit d'une réalité plus grande qu'une simple répartition différente des biens, qui resterait toutefois dans le domaine matériel, en rendant même les c½urs plus durs. Il s'agit avant tout de la purification du c½ur, grâce à laquelle on reconnaît la possession comme responsabilité, comme devoir envers les autres, en se plaçant sous le regard de Dieu et en se laissant guider par le Christ qui, étant riche, est devenu pauvre pour nous (cf. 2 Co 8, 9). La liberté intérieure est la condition nécessaire pour dépasser la corruption et l'avidité qui désormais dévastent le monde ; cette liberté ne peut être trouvée que si Dieu devient notre richesse ; elle ne peut être trouvée que dans la patience des sacrifices quotidiens, dans lesquels elle se développe comme une véritable liberté.

 

 

13 avril 2006 – Homélie de Benoit XVI lors de la Messe In Cena Domini, à Saint Jean de Latran.

     "Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, [il] les aima jusqu'à la fin" (Jn 13, 1):  Dieu aime sa créature, l'homme; il l'aime même dans sa chute et ne l'abandonne pas à lui-même. Il aime jusqu'au bout. Il va jusqu'au bout avec son amour, jusqu'à l'extrême:  il descend de sa gloire divine. Il dépose les habits de sa gloire divine et revêt les vêtements de l'esclave. Il descend jusqu'au degré le plus bas de notre chute. Il s'agenouille devant nous et nous rend le service de l'esclave; il lave nos pieds sales, afin que nous devenions admissibles à la table de Dieu, afin que nous devenions dignes de prendre place à sa table - une chose que par nous-mêmes nous ne pourrions ni ne devrions jamais faire.

     Dieu n'est pas un Dieu lointain, trop distant et trop grand pour s'occuper de nos sottises. Puisqu'Il est grand, il peut également s'intéresser aux petites choses. Puisqu'il est grand, l'âme de l'homme - l'homme créé pour l'amour éternel -, n'est pas une petite chose, mais est grand et digne de son amour. La sainteté de Dieu n'est pas seulement un pouvoir incandescent, devant lequel nous devons nous retirer terrifiés; elle est un pouvoir d'amour et donc un pouvoir purificateur et restaurateur.

Dieu descend et devient esclave, il nous lave les pieds afin que nous puissions prendre place à sa table. En cela s'exprime tout le mystère de Jésus Christ. En cela devient visible ce que signifie sa rédemption. Le bain dans lequel il nous lave est son amour prêt à affronter la mort. Seul l'amour a cette force purificatrice qui nous ôte notre impureté et nous élève à la hauteur de Dieu. Le bain qui nous purifie c'est Lui-même qui se donne totalement à nous - jusqu'aux profondeurs de sa souffrance et de sa mort. Il est en permanence cet amour qui nous lave; dans les sacrements de la purification - le baptême et le sacrement de la pénitence - Il est sans cesse agenouillé à nos pieds et nous rend le service de l'esclave, le service de la purification, il nous rend aptes à recevoir Dieu. Son amour est intarissable, il va vraiment jusqu'au bout.

     "Vous aussi, vous êtes purs, mais pas tous", nous dit le Seigneur (Jn 13, 10). Dans cette phrase se révèle le grand don de la purification qu'Il nous fait, parce qu'il a le désir d'être à table avec nous, de devenir notre nourriture. "Mais pas tous" - il existe l'obscur mystère du refus, qui apparaît avec l'épisode de Judas et, précisément le Jeudi Saint, le jour où Jésus fait don de lui-même, doit nous faire réfléchir. L'amour du Seigneur ne connaît pas de limites, mais l'homme peut y mettre une limite.

     "Vous êtes purs, mais pas tous":  qu'est-ce qui rend l'homme impur? C'est le refus de l'amour, ne pas vouloir être aimé, ne pas aimer. C'est l'orgueil qui croit n'avoir besoin d'aucune purification, qui se ferme à la bonté salvatrice de Dieu. C'est l'orgueil qui ne veut pas confesser et reconnaître que nous avons besoin de purification. En Judas nous voyons la nature de ce refus encore plus clairement. Il évalue Jésus selon les catégories du pouvoir et du succès:  pour lui, seuls le pouvoir et le succès sont une réalité, l'amour ne compte pas. Et il est avide:  l'argent est plus important que la communion avec Jésus, plus important que Dieu et que son amour. Ainsi, il devient aussi un menteur, qui joue un double jeu et se détache de la vérité; une personne qui vit dans le mensonge et perd ainsi le sens de la vérité suprême, de Dieu. De cette façon, il s'endurcit, il devient incapable de conversion, du retour confiant du fils prodigue, et il jette la vie détruite.

     "Vous êtes purs, mais pas tous". Le Seigneur nous met aujourd'hui en garde contre cette autosuffisance qui pose une limite à son amour illimité. Il nous invite à imiter son humilité, à nous remettre à celle-ci, à nous laisser "contaminer" par celle-ci. Il nous invite - pour autant que nous puissions nous sentir égarés - à revenir à la maison et à permettre à sa bonté purificatrice de nous réconforter et de nous faire entrer dans la communion du banquet avec Lui, avec Dieu lui-même.

Ajoutons un dernier mot à propos de ce passage évangélique fécond:  "C'est un exemple que je vous ai donné" (Jn 13, 15); "Vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres" (Jn 13, 14).   En quoi consiste le fait de "nous laver les pieds les uns les autres"? Qu'est-ce que cela signifie concrètement? Voilà, toute oeuvre de bonté pour l'autre - en particulier pour ceux qui souffrent et pour ceux qui sont peu estimés - est un service de lavement des pieds. Le Seigneur nous appelle à cela:  descendre, apprendre l'humilité et le courage de la bonté et également la disponibilité à accepter le refus, mais toutefois se fier à la bonté et persévérer en elle. Mais il existe une dimension encore plus profonde. Le Seigneur ôte notre impureté avec la force purificatrice de sa bonté. Nous laver les pieds les uns les autres signifie surtout nous pardonner inlassablement les uns les autres, recommencer toujours à nouveau ensemble, même si cela peut paraître inutile. Cela signifie nous purifier les uns les autres en nous supportant mutuellement et en acceptant d'être supportés par les autres; nous purifier les uns les autres en nous donnant mutuellement la force sanctifiante de la Parole de Dieu et en nous introduisant dans le Sacrement de l'amour divin.

     Le Seigneur nous purifie, et c'est pour cette raison que nous osons prendre place à sa table. Prions-le de nous donner à tous la grâce de pouvoir un jour être pour toujours des hôtes de l'éternel banquet nuptial. Amen!

 

 

 

 

 

26 mai 2006 – Rencontre de Benoit XVI avec les jeunes, à Cracovie, en Pologne

     Je vous souhaite une cordiale bienvenue ! Votre présence me réjouis. Je suis reconnaissant au Seigneur de cette rencontre chaleureuse et cordiale. Nous savons que lorsque "deux ou trois sont réunis au nom de Jésus, Il est là au milieu d'eux" (cf. Mt 18, 20). Mais vous êtes ici aujourd'hui bien plus nombreux ! Je remercie chacun et chacune d'entre vous. Jésus est donc ici avec nous. Il est présent parmi les jeunes de la terre polonaise, pour leur parler d'une maison qui ne s'écroulera jamais, parce qu'elle est bâtie sur un roc. C'est la parole évangélique que nous venons d'écouter (cf. Mt 7, 24-27).

     Chers amis, dans le coeur de chaque homme, il y a le désir d'une maison. D'autant plus dans un coeur jeune, il y a une grande aspiration à posséder sa propre maison, qui soit solide, dans laquelle non seulement on puisse rentrer avec joie, mais où l'on puisse également recevoir avec joie tous ses invités. C'est la nostalgie d'une maison dans laquelle le pain quotidien soit l'amour, le pardon, le besoin de compréhension, dans laquelle la vérité soit la source d'où jaillit la paix du coeur. C'est la nostalgie d'une maison dont on puisse être fiers, dont on ne doive pas avoir honte et dont on ne doive jamais pleurer l'effondrement. Cette nostalgie n'est autre que le désir d'une vie pleine, heureuse, réussie. N'ayez pas peur de ce désir! Ne le fuyez pas! Ne vous découragez pas à la vue de maisons effondrées, de désirs évanouis, de nostalgies disparues. Le Dieu Créateur, qui place dans un jeune coeur l'immense désir du bonheur, ne l'abandonne pas ensuite dans la difficile construction de cette maison qui s'appelle la vie.

     Mes amis, une question s'impose :  "Comment construire cette maison ?". C'est une question qui assurément a déjà résonné plusieurs fois dans votre coeur et qui y reviendra encore très souvent. C'est une question qu'il faut se poser à soi-même plus d'une fois. Chaque jour, elle doit être devant les yeux  du c½ur :  comment construire cette maison qu'on appelle la vie? Jésus, dont nous venons d'entendre les paroles dans le texte de l'évangéliste Matthieu, nous exhorte à construire sur le roc. Ce n'est qu'ainsi, en effet, que la maison ne s'effondrera pas. Mais que veut dire construire sa maison sur le roc ? Construire sur le roc veut dire avant tout:  construire sur le Christ et avec le Christ. Jésus dit :  "Ainsi quiconque écoute ces paroles que je viens de dire et les met en pratique, peut se comparer à un homme aisé qui a bâti sa maison sur le roc" (Mt 7, 24). Il ne s'agit pas de paroles vides de sens dites par le premier venu, mais des paroles de Jésus. Il ne s'agit pas d'écouter n'importe qui, mais d'écouter Jésus. Il ne s'agit pas d'accomplir une chose parmi tant d'autres, mais d'accomplir les paroles de Jésus.

     Construire sur le Christ et avec le Christ signifie construire sur des fondations qui s'appellent l'amour crucifié. Cela veut dire construire avec Quelqu'un qui, nous connaissant mieux que nous-mêmes, nous dit :  "Tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et je t'aime" (Is 43, 4). Cela veut dire construire avec Quelqu'un qui est toujours fidèle, même si nous manquons nous-mêmes de fidélité, parce qu'il ne peut pas se renier lui-même (cf. 2 Tm 2, 13). Cela veut dire construire avec Quelqu'un qui se penche constamment sur le coeur blessé de l'homme et dit:  "Je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus" (cf. Jn 8, 11). Cela veut dire construire avec Quelqu'un qui, du haut de la croix, étend ses bras, pour répéter pour toute l'éternité :  "Je donne ma vie pour toi, homme, parce que je t'aime". Construire sur le Christ veut dire, enfin, fonder sur sa volonté tous ses désirs, ses attentes, ses rêves, ses ambitions et tous ses projets. Cela signifie dire à soi-même, à sa propre famille, à ses amis et au monde entier mais surtout au Christ :  "Seigneur, dans la vie je ne veux rien faire contre Toi, parce que tu sais ce qui est le mieux pour moi. Toi seul as les paroles de vie éternelle" (cf. Jn 6, 68). Mes amis, n'ayez pas peur de miser sur le Christ ! Ayez la nostalgie du Christ, comme fondement de la vie! Allumez en vous le désir de construire votre vie avec Lui et pour Lui! Parce que celui qui mise tout sur l'amour crucifié du Verbe incarné ne peut pas perdre.

Construire sur le roc signifie construire sur le Christ et avec le Christ, qui est le roc. Dans la Première Epître aux Corinthiens, saint Paul, en parlant du chemin du peuple élu à travers le désert, explique que "tous ont bu... à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher c'était le Christ" (1 Co 10, 4). Les pères du peuple élu ne savaient certes pas que ce roc était le Christ. Ils n'étaient pas conscients d'être accompagnés par Celui qui, lorsque viendrait la plénitude des temps, s'incarnerait, prenant un corps humain. Ils n'avaient pas besoin de comprendre que leur soif serait satisfaite par la source même de la vie, capable d'offrir l'eau vive pour étancher tous les coeurs. Il burent toutefois à ce roc spirituel qui est le Christ, parce qu'ils avaient la nostalgie de l'eau de la vie, ils en avaient besoin. En chemin sur les routes de la vie, nous ne sommes peut-être parfois pas conscients de la présence de Jésus. Mais précisément cette présence, vivante et fidèle, la présence dans l'oeuvre de la création, la présence dans la Parole de Dieu et dans l'Eucharistie, dans la communauté des croyants et dans chaque homme racheté par le précieux Sang du Christ, cette présence est la source inépuisable de la force humaine. Jésus de Nazareth, Dieu qui s'est fait Homme, est à nos côtés dans le bonheur comme les difficultés et il a soif de ce lien, qui est en réalité le fondement de l'authentique humanité. Nous lisons dans l'Apocalypse ces paroles significatives :  "Voici, je me tiens à la porte et je frappe; si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi" (Ap 3, 20).

     Mes amis, que veut dire construire sur le roc ? Construire sur le roc signifie également construire sur Quelqu'un qui a été rejeté. Saint Pierre parle à ses fidèles du Christ comme d'une "pierre vivante, rejetée par les hommes, mais choisie, précieuse, auprès de Dieu" (1 P 2, 4). Le fait indéniable de l'élection de Jésus de la part de Dieu ne dissimule pas le mystère du mal, en raison duquel l'homme est capable de rejeter Celui qui l'a aimé jusqu'à la fin. Ce rejet de Jésus de la part des hommes, évoqué par saint Pierre, se prolonge dans l'histoire de l'humanité et arrive également jusqu'à nos jours. Il n'y a pas besoin d'un esprit très incisif pour s'apercevoir des multiples manifestations du rejet de Jésus, même là où Dieu nous a permis de grandir. Souvent Jésus est ignoré, il est tourné en ridicule, il est proclamé roi du passé, mais non d'aujourd'hui et encore moins de demain, il est remisé dans le placard des questions et des personnes dont on ne devrait pas parler à haute voix et en public. Si, dans la construction de la maison de votre vie, vous rencontrez ceux qui méprisent les fondations sur lesquelles vous êtes en train de construire, ne vous découragez pas! Une foi forte doit traverser les épreuves ! Une foi vivante doit toujours croître. Notre foi en Jésus Christ, pour rester telle, doit souvent se mesurer à l'absence de foi des autres.

     Chers amis, que veut dire construire sur le roc ? Construire sur le roc veut dire être conscients que l'on rencontrera des contrariétés. Le Christ dit :  "La pluie est venue, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison, et elle n'a pas croulé" (Mt 7, 25). Ces phénomènes naturels ne sont pas seulement l'image des multiples contrariétés du destin humain, mais ils indiquent également leur prévision normale. Le Christ ne promet  pas  que  sur une maison en construction ne s'abattra jamais une tempête, il ne promet pas qu'un raz-de-marée ne bouleversera pas ce que nous avons de plus cher, il ne promet pas que des vents impétueux n'emporteront pas ce que nous avons construit parfois au prix d'énormes sacrifices. Le Christ comprend non seulement l'aspiration de l'homme à une maison durable, mais il est pleinement conscient également de ce qui peut réduire en ruines le bonheur de l'homme. Ne vous étonnez donc pas des contrariétés, quelles qu'elles soient ! Ne vous découragez pas à cause d'elles ! Un bâtiment bâti sur le roc ne veut pas dire une construction échappant au jeu des forces de la nature, inscrites dans le mystère de l'homme. Avoir bâti sur le roc signifie pouvoir compter sur la conscience que, dans les moments difficiles, il existe une  force  sur  laquelle  on peut s'appuyer de manière sûre.

Mes amis, permettez-moi d'insister :  que veut dire construire sur le roc ? Cela veut dire construire avec sagesse. Ce n'est pas sans raison que Jésus compare ceux qui écoutent ses paroles et les mettent en pratique, à un homme sage qui a construit sa maison sur le roc. Il est stupide en effet de construire sur le sable, lorsqu'on peut le faire sur le roc, en ayant ainsi une maison en mesure de résister à toutes les tempêtes. Il est stupide de construire sa maison sur un terrain qui n'offre pas les garanties de résister dans les moments les plus difficiles. Qui sait ? peut-être est-il plus aisé de fonder sa vie sur les sables mouvants de sa propre vision du monde, de construire son avenir loin de la Parole de Jésus, et parfois même contre celle-ci. Il n'en demeure pas moins que celui qui construit de cette manière manque de prudence, parce qu'il veut se persuader lui-même et persuader les autres qu'aucune tempête ne se déchaînera dans sa vie, qu'aucune vague ne frappera sa maison. Etre sage signifie savoir que la solidité de la maison dépend des fondations. N'ayez pas peur d'être sages, c'est-à-dire n'ayez pas peur de construire sur le roc !

     Mes amis, encore une fois :  que veut dire construire sur le roc ? Construire sur le roc veut dire également construire sur Pierre et avec Pierre. Le Seigneur lui dit en effet :  "Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les Portes de l'Hadès ne tiendront pas contre elle" (Mt 16, 18). Si le Christ, le Roc, la pierre vivante et précieuse, appelle son apôtre une pierre, cela signifie qu'il veut que Pierre, et avec lui l'Eglise tout entière, soient le signe visible de l'unique Sauveur et Seigneur. Ici, à Cracovie, la ville bien-aimée de mon Prédécesseur Jean-Paul II, l'indication de construire sur Pierre et avec Pierre ne surprend certes personne. Aussi, je vous dis :  n'ayez pas peur de construire votre vie dans l'Eglise et avec l'Eglise! Soyez fiers de l'amour pour Pierre et pour l'Eglise qui lui est confiée. Ne vous laissez pas tromper par ceux qui veulent opposer le Christ et l'Eglise ! Il n'y a qu'un seul roc sur lequel il vaut la peine de construire sa maison. Ce roc est le Christ. Il n'y a qu'une seule pierre sur laquelle il vaut la peine de faire reposer toute chose. Cette pierre est celui à qui le Christ a dit :  "Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise" (Mt 16, 18). Vous, les jeunes, vous avez bien connu le Pierre de notre temps. C'est pourquoi n'oubliez pas que ni le Pierre qui nous observe à présent depuis la fenêtre de Dieu le Père, ni ce Pierre qui est maintenant devant vous, ni aucun des Pierre à venir ne sera  jamais  contre  vous, ni contre la construction d'une maison durable sur le roc. Au contraire, il engagera son coeur et ses mains à vous aider à construire la vie sur le Christ et avec le Christ.

     Chers amis, en méditant les paroles du Christ sur le roc comme fondation adéquate pour notre maison, nous ne pouvons manquer de relever que la dernière parole est une parole d'espérance. Jésus dit que, malgré le déchaînement des éléments, la maison ne s'est pas effondrée, parce qu'elle était fondée sur le roc. Dans cette parole il y a une extraordinaire confiance dans la force du fondement, la foi qui ne craint pas de démentis parce qu'elle est confirmée par la mort et la résurrection du Christ. Telle est la foi qui, après de nombreuses années, sera confessée par saint Pierre dans sa lettre :  "Voici que je pose en Sion une pierre angulaire, choisie, précieuse, et celui qui se confie en elle ne sera pas confondu" (1 P 2, 6). Assurément "il ne sera pas confondu...". Chers jeunes amis, la peur de l'échec peut quelquefois freiner même les rêves les plus beaux. Elle peut paralyser la volonté et rendre incapables de croire qu'il puisse exister une maison construite sur le roc. Elle peut persuader que la nostalgie de la maison est seulement un désir de jeunesse et non un projet de vie. Avec Jésus dites à cette peur :  "Une maison bâtie sur le roc ne peut s'écrouler"! Avec saint Pierre, dites à la tentation du doute :  "Celui qui se confie dans le Christ ne sera pas confondu !". Soyez des témoins de l'espérance, de cette espérance qui ne craint pas de construire la maison de sa propre vie, parce qu'elle sait bien qu'elle peut compter sur le fondement qui ne s'effondrera jamais :  Jésus Christ notre Seigneur.

 

 

5 juin 2006 – Au Congrès du Diocèse de Rome

     Celui qui sait être aimé est à son tour sollicité à aimer. C'est précisément ainsi que le Seigneur, qui nous a aimés en premier, nous demande de mettre à notre tour au centre de notre vie l'amour pour Lui et pour les hommes qu'il a aimés. En particulier, les adolescents et les jeunes, qui ressentent fortement en eux le rappel de l'amour, ont besoin d'être libérés du préjugé commun selon lequel le christianisme, avec ses commandements et ses interdits, place trop d'obstacles à la joie de l'amour et en particulier empêche de goûter pleinement au bonheur que l'homme et la femme trouvent dans leur amour réciproque. Au contraire, la foi et l'éthique chrétienne ne veulent pas étouffer, mais rendre l'amour sain, fort et véritablement libre:  tel est précisément le sens des dix Commandements, qui ne sont pas une série de "non", mais un grand "oui" à l'amour et à la vie. En effet, l'amour humain a besoin d'être purifié, de mûrir et également de se dépasser, pour pouvoir devenir pleinement humain, pour être le principe d'une joie véritable et durable, pour répondre ainsi à la demande d'éternité qu'il porte en lui et à laquelle on ne peut renoncer sans se trahir soi-même. Tel est le motif principal pour lequel l'amour entre l'homme et la femme ne se réalise pleinement que dans le mariage.

     Dans tout le travail d'éducation, dans la formation de l'homme et du chrétien, nous ne devons donc pas, par peur ou par embarras, laisser de côté la grande question de l'amour:  si nous le faisions, nous présenterions un christianisme désincarné, qui ne peut intéresser sérieusement le jeune qui s'ouvre à la vie. Toutefois, nous devons également introduire à la dimension intégrale de

 

 

 

6 octobre 2006 –Homélie Messe Commission Théologique Internationale

     Silence et contemplation ont un but: ils servent à conserver, dans la dispersion de la vie quotidienne, une union permanente avec Dieu. Tel est le but: que dans notre âme soit toujours présente l'union avec Dieu et qu'elle transforme tout notre être…

 

     Silence et contemplation … servent à pouvoir trouver dans la dispersion de chaque jour cette union profonde, continuelle, avec Dieu. Silence et contemplation… : dans la logorée de notre époque, et d'autres époques, dans l'inflation des paroles, rendre présentes les paroles essentielles. Dans les paroles, rendre présente la Parole, la Parole qui vient de Dieu, la Parole qui est Dieu.

 

     Mais comment pourrions-nous, en faisant partie de ce monde avec toutes ses paroles, rendre présente la Parole dans les paroles, sinon à travers un processus de purification de notre pensée, qui doit surtout être également un processus de purification de nos paroles ? Comment pourrions-nous ouvrir le monde, et tout d'abord nous-mêmes, à la Parole sans entrer dans le silence de Dieu, duquel procède sa Parole ? Pour la purification de nos paroles, et donc pour la purification des paroles du monde, nous avons besoin de ce silence qui devient contemplation, qui nous fait entrer dans le silence de Dieu et arriver ainsi au point où naît la Parole, la Parole rédemptrice….

     Nos paroles et nos pensées devraient uniquement servir pour que Dieu qui parle, la Parole de Dieu puisse être écoutée, puisse trouver un espace dans le monde. Et ainsi, nous sommes invités à nouveau sur ce chemin du renoncement à nos propres paroles; sur ce chemin de la purification, pour que nos paroles ne soient que l'instrument par l'intermédiaire duquel Dieu puisse parler…

 

     Il me vient à l'esprit une très belle parole de la Première Lettre de saint Pierre, dans le premier chapitre, verset 22. En latin, elle dit ceci: "Castificantes animas nostras in oboedentia veritatis". L'obéissance à la vérité doit "rendre chaste" notre âme, et conduire ainsi à la parole juste et à l'action juste. En d'autres termes, parler pour susciter les applaudissements, parler en fonction de ce que les hommes veulent entendre, parler en obéissant à la dictature des opinions communes, cela est considéré comme une sorte de prostitution de la parole et de l'âme. La "chasteté" à laquelle fait allusion l'Apôtre Pierre est de ne pas se soumettre à ces règles, ne pas rechercher les applaudissements, mais rechercher l'obéissance à la vérité. …Cette discipline quelquefois difficile de l'obéissance à la vérité qui fait de nous des collaborateurs de la vérité, bouche de la vérité, parce que nous ne parlons pas nous-mêmes dans ce fleuve de paroles d'aujourd'hui, mais réellement purifiés et rendus chastes par l'obéissance à la vérité, pour que la vérité parle en nous. Et nous pouvons vraiment être ainsi des porteurs de la vérité

 

     Cela me fait penser à saint Ignace d'Antioche et à l'une de ses belles expressions: "Qui a compris les paroles du Seigneur comprend son silence, parce que le Seigneur doit être connu dans son silence". L'analyse des paroles de Jésus arrive jusqu'à un certain point, mais elle demeure dans notre pensée. C'est uniquement lorsque nous arrivons à ce silence du Seigneur, dans sa présence avec le Père dont proviennent les paroles, que nous pouvons réellement commencer à comprendre la profondeur de ces paroles. Les paroles de Jésus sont nées dans son silence sur la Montagne, comme le dit l'Ecriture, dans sa présence avec le Père. C'est de ce silence de la communion avec le Père, de l'immersion dans le Père, que naissent les paroles et ce n'est qu'en arrivant à ce point, et en partant de ce point, que nous arrivons à une véritable profondeur de la Parole et que nous pouvons être d'authentiques interprètes de la Parole. Le Seigneur nous invite, en parlant, à gravir avec Lui la Montagne, et dans son silence, à apprendre ainsi, à nouveau, le véritable sens des paroles.

 

     Job avait crié vers Dieu, il avait également combattu avec Dieu face aux évidentes injustices avec lesquelles il le traitait. A présent, il est confronté à la grandeur de Dieu. Et il comprend que, face à la véritable grandeur de Dieu, toutes nos paroles ne sont que pauvreté et elles sont même très loin d'arriver à la grandeur de son être et il dit ceci : "J'ai parlé deux fois, je n'ajouterai rien" (Jb 40, 5). Silence devant la grandeur de Dieu, parce que nos paroles deviennent trop petites. Cela me fait penser aux dernières semaines de la vie de saint Thomas. Au cours de ces dernières semaines, il n'a plus écrit, il n'a plus parlé. Ses amis lui demandent: Maître, pourquoi ne parles-tu plus, pourquoi n'écris-tu pas ? Et il dit : Devant ce que j'ai vu, à présent, toutes mes paroles me semblent comme paille. Le grand spécialiste de saint Thomas, le Père Jean-Pierre Torrel, nous dit de ne pas mal interpréter ces paroles. La paille, ce n'est pas rien. La paille porte le blé et cela est la grande valeur de la paille. Elle porte le blé. Et la paille des paroles aussi demeure valable comme porteuse de blé. Mais cela est aussi pour nous, dirais-je, une relativisation de notre travail et, en même temps, une valorisation de celui-ci. C'est aussi une indication, afin que notre manière de travailler, notre paille, porte réellement le blé de la Parole de Dieu.

 

9 octobre 2006 – Aux Evêques du Canada-Occidental en Visite Ad Limina

     L'engagement à la vérité ouvre la voie à la réconciliation durable à travers le processus de guérison qui consiste à demander et à accorder le pardon - deux éléments indispensables pour la paix. De cette façon, notre mémoire est purifiée, nos c½urs sont rassérénés, et notre avenir est empli d'une espérance bien fondée sur la paix qui jaillit de la vérité

 

 

19 octobre 2006 – Discours au Congrès de l’Eglise Italienne, à Verona

        L'½uvre d'évangélisation n'est jamais une simple adaptation aux cultures, mais elle est aussi toujours une purification, une rupture courageuse qui devient maturation et guérison, une ouverture qui permet de naître à cette «créature nouvelle» (2 Co 5, 17 ; Ga 6, 15) qui est le fruit de l'Esprit Saint.

 

 

 

25 décembre 2006 – Message Urbi et Orbi de Noel

     Malgré les nombreuses formes de progrès, l'être humain est resté ce qu'il est depuis toujours : une liberté tendue entre bien et mal, entre vie et mort. C'est précisément là, au plus intime de lui-même, dans ce que la Bible nomme le «c½ur», qu'il a toujours besoin d'être «sauvé». Et, à notre époque post moderne, il a peut-être encore plus besoin d'un Sauveur, parce que la société dans laquelle il vit est devenue plus complexe et que les menaces qui pèsent sur son intégrité personnelle et morale sont devenues plus insidieuses. Qui peut le défendre sinon Celui qui l'aime au point de sacrifier son Fils unique sur la croix comme Sauveur du monde ?
 

 

 

2007

 

 

8 janvier 2007 – Au Corps Diplomatique

     En début d'année, nous sommes invités à porter un regard sur la situation internationale, pour envisager les défis que nous sommes appelés à affronter ensemble. Parmi les questions essentielles, comment ne pas penser aux millions de personnes, spécialement aux femmes et aux enfants, qui manquent d'eau, de nourriture, de toit ? Le scandale de la faim, qui tend à s'aggraver, est inacceptable dans un monde qui dispose des biens, des connaissances et des moyens d'y mettre un terme. Il nous pousse à changer nos modes de vie; il nous rappelle l'urgence d'éliminer les causes structurelles des dysfonctionnements de l'économie mondiale et de corriger les modèles de croissance qui semblent incapables de garantir le respect de l'environnement et un développement humain intégral pour aujourd'hui et surtout pour demain.

 

14 janvier 2007 – Angelus

     L'Évangile …nous invite à contempler, à travers le miracle de Cana, Jésus, véritable époux de l'Église. Le Christ aime son Église ; il lui découvre le sens véritable de l'existence humaine, il la purifie et lui partage son bien le plus précieux. Que chacun se laisse ainsi aimer et pardonner par le Christ, vivant en intimité avec Lui.

 

21 février 2007 – Homélie Messe Mercredi des Cendres

        "Revenez à moi de tout votre c½ur, dans le jeûne, les pleurs et les cris de deuil". C'est par ces paroles que débute la Première Lecture, tirée du livre du prophète Joël (2, 12). Les souffrances, les catastrophes qui affligeaient à cette époque la terre de Judée poussent l'auteur saint à encourager le peuple élu à la conversion, c'est-à-dire à retourner avec une confiance filiale au Seigneur en se lacérant le c½ur et non les vêtements. En effet, Celui-ci, rappelle le prophète, "est tendresse et pitié, lent à la colère, riche en grâce, et il a regret du mal" (2, 13). L'invitation que Joël adresse à ceux qui l'écoutent vaut également pour nous, chers frères et s½urs. N'hésitons pas à retrouver l'amitié de Dieu perdue avec le péché; en rencontrant le Seigneur, faisons l'expérience de la joie de son pardon. Et ainsi, en répondant presque aux paroles du prophète, nous avons fait nôtre l'invocation du refrain du Psaume responsorial:  "Pardonne-nous, Seigneur, nous avons péché". En proclamant le Psaume 50, le grand Psaume pénitentiel, nous en avons appelé à la miséricorde divine; nous avons demandé au Seigneur que la puissance de son amour nous redonne la joie d'être sauvés.

       Chers frères et s½urs, nous avons quarante jours pour approfondir cette extraordinaire expérience ascétique et spirituelle. Dans l'Evangile qui a été proclamé, Jésus indique quels sont les instruments utiles pour accomplir l'authentique renouvellement intérieur et communautaire:  les ½uvres de charité (l'aumône), la prière et la pénitence (le jeûne). Ce sont trois pratiques fondamentales chères également à la tradition juive, parce qu'elles contribuent à purifier l'homme devant Dieu (cf. Mt 6, 1-6.16-18). Ces gestes extérieurs, qui sont accomplis pour plaire à Dieu et non pour obtenir l'approbation ou l'assentiment des hommes, sont acceptés par Lui s'ils expriment la détermination du c½ur à le servir, avec simplicité et générosité. Cela nous est rappelé également par une des Préfaces quadragésimales où, à propos du jeûne, nous lisons cette expression singulière:  "ieiunio... mentem elevas:  par le jeûne, tu élèves ton esprit" (Préface IV).

       Le jeûne, auquel l'Eglise nous invite en ce temps fort, ne naît certes pas de motivations d'ordre physique ou esthétique, mais provient de l'exigence que l'homme a d'une purification intérieure qui le désintoxique de la pollution du péché et du mal; qui l'éduque à ces renonciations salutaires qui affranchissent le croyant de l'esclavage de son moi; qui le rende plus attentif et disponible à l'écoute de Dieu et aux services de ses frères. C'est pour cette raison que le jeûne et les autres pratiques quadragésimales sont considérées par la tradition chrétienne comme des "armes" spirituelles pour combattre le mal, les mauvaises passions et les vices. A ce sujet, je suis heureux d'écouter à nouveau avec vous un bref commentaire de saint Jean Chrysostome. "De même qu'à la fin de l'hiver - écrit-il - revient la saison estivale et le marin tire le bateau à la mer, le soldat nettoie ses armes et entraîne son cheval pour la lutte, l'agriculteur affile sa faux, le pèlerin revigoré se prépare à son long voyage et l'athlète dépose ses vêtements et se prépare à la compétition; ainsi, nous aussi, au début de ce jeûne, comme une sorte de retour à un printemps spirituel, nous fourbissons les armes comme les soldats, nous affilons la faux comme les agriculteurs, et comme les maîtres d'équipage, nous remettons en ordre le navire de notre esprit pour affronter les flots des passions absurdes, comme des pèlerins, nous reprenons le voyage vers le ciel et comme des athlètes, nous nous préparons à la lutte en nous dépouillant de tout" (Homélies au peuple d'Antioche, n. 3).

 

 

 

 

Message pour le Carême 2007
     « Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé. » (Jn 19, 37). Le Carême est une période propice pour apprendre à faire halte avec Marie et Jean, le disciple préféré, auprès de Celui qui, sur la Croix, offre pour l'Humanité entière le sacrifice de sa vie (cf. Jn 19, 25). Aussi, avec une participation plus fervente, nous tournons notre regard, en ce temps de pénitence et de prière, vers le Christ crucifié qui, en mourant sur le Calvaire, nous a révélé pleinement l'amour de Dieu.

 

     Le sang et l'eau.
     « Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé ». Regardons avec confiance le côté transpercé de Jésus, d'où jaillissent « du sang et de l'eau » (Jn 19, 34) ! Les Pères de l'Église ont considéré ces éléments comme les symboles des sacrements du Baptême et de l'Eucharistie. Avec l'eau du Baptême, grâce à l'action du Saint Esprit, se dévoile à nous l'intimité de l'amour trinitaire. Pendant le chemin du Carême, mémoire de notre Baptême, nous sommes exhortés à sortir de nous-mêmes pour nous ouvrir, dans un abandon confiant, à l'étreinte miséricordieuse du Père (cf. saint Jean Chrysostome, Catéchèses 3,14).

 

25 février 2007 - Angelus

      « Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé » (Jn 19, 37). Le disciple bien-aimé, présent aux côtés de Marie, la Mère de Jésus, et d'autres femmes, au Calvaire, fut un témoin oculaire du coup de lance qui transperça le côté du Christ, en en faisant jaillir du sang et de l'eau (cf. Jn 19, 31-34). Ce geste, accompli par un soldat romain anonyme, destiné à se perdre dans l'oubli, est resté imprimé dans les yeux et le c½ur de l'Apôtre qui le proposa à nouveau dans son Evangile. Tout au long des siècles, combien de conversions ont eu lieu précisément à cause de l'éloquent message d'amour que reçoit celui qui tourne son regard vers Jésus crucifié !

 

     En contemplant le Crucifié avec les yeux de la foi nous pouvons comprendre en profondeur ce qu'est le péché, combien sa gravité est tragique, et dans le même temps, l'incommensurabilité de la puissance du pardon et de la miséricorde du Seigneur.

 

 

 

 

11 mars 2007 - Angelus

     L'Evangile de Luc, rapporte le commentaire de Jésus concernant deux faits divers. Le premier : la révolte de quelques Galiléens réprimée dans le sang par Pilate ; le deuxième : l'écroulement d'une tour à Jérusalem, qui avait fait dix-huit victimes. Deux événements tragiques bien différents : l'un provoqué par l'homme, l'autre accidentel. Selon la mentalité de l'époque, les personnes avaient tendance à penser que le malheur s'était abattu sur les victimes en raison d'une faute grave de leur part. Jésus dit en revanche : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens... Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu'elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? » (Lc 13, 2.4). Et dans les deux cas, il conclut : « Eh bien non, je vous le dis ; et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière » (13, 3.5)

      Voilà donc où Jésus veut conduire ses auditeurs : à la nécessité de la conversion. Il ne la pose pas en termes moralisateurs mais plutôt réalistes comme l'unique réponse adaptée à des événements qui mettent en crise les certitudes humaines. Face à certains malheurs - observe-t-il - rien ne sert de faire retomber la culpabilité sur les victimes. La véritable sagesse est plutôt de se laisser interpeller par la précarité de la vie et assumer une attitude de responsabilité : faire pénitence et améliorer sa propre vie. C'est de la sagesse, c'est la réponse la plus efficace au mal, à tous les niveaux, interpersonnel, social et international. Le Christ invite à répondre au mal avant tout par un sérieux examen de conscience et l'engagement à purifier sa propre vie. Autrement - dit-il - nous périrons, nous périrons tous de la même manière. En effet, les personnes et les sociétés qui vivent sans jamais se remettre en question ont comme seul destin final, la ruine. La conversion en revanche, même si elle ne préserve pas des problèmes et des mésaventures, permet de les affronter de « manière » différente. Elle aide avant tout à prévenir le mal, désamorçant certaines de ses menaces. Et, en tout cas, elle permet de vaincre le mal par le bien, pas toujours sur le plan des faits - qui sont parfois indépendants de notre volonté - mais certainement sur le plan spirituel. En résumé : la conversion vainc le mal au niveau de sa racine qui est le péché, même si elle ne peut pas toujours en éviter les conséquences.

     Prions la Très Sainte Vierge Marie, qui nous accompagne et nous soutient sur notre itinéraire, afin qu'Elle aide tout chrétien à redécouvrir la grandeur, je dirais la beauté, de la conversion. Qu'Elle nous aide à comprendre que faire pénitence et corriger notre comportement n'est pas du simple moralisme mais le chemin le plus efficace pour nous changer nous-mêmes en bien ainsi que la société. Il existe un heureux proverbe qui exprime très bien cela : il vaut mieux allumer une allumette que maudire l'obscurité.

 

 

14 mars 2007 – Audience Générale
    C'est l'amour qui purifie les âmes.
 

 

 

1er avril 2007 – Homélie Messe des Rameaux – XXIIème JMJ

     Le Psaume 24 (23)interprète la montée intérieure dont la montée extérieure est l'image et il nous explique ainsi encore une fois ce que signifie monter avec le Christ. "Qui peut gravir la montagne du Seigneur ?", demande le Psaume, qui indique deux conditions essentielles. Ceux qui montent et qui veulent vraiment atteindre les hauteurs, arriver jusqu'au véritable sommet, doivent être des personnes qui s'interrogent sur Dieu. Des personnes qui scrutent autour d'elles pour chercher Dieu, pour chercher son Visage. Chers jeunes amis - comme cela est important précisément aujourd'hui:  ne pas se laisser entraîner ici et là dans la vie; ne pas se contenter de ce que tout le monde pense, dit et fait. Scruter Dieu et chercher Dieu. Ne pas laisser que la question sur Dieu se dissolve dans nos âmes. Le désir de ce qui est le plus grand. Le désir de Le connaître - son Visage...

     L'autre condition très concrète pour la montée est la suivante:  celui qui "a les mains innocentes et le c½ur pur" peut se tenir dans le lieu saint. Des mains innocentes - ce sont des mains qui ne sont pas utilisées pour des actes de violence. Ce sont des mains qui ne se sont pas salies par la corruption, les pots-de-vin. Un c½ur pur - quand le c½ur est-il pur? Un c½ur est pur lors qu'il ne fait pas semblant, lorsqu'il ne se tache pas avec le mensonge et l'hypocrisie. C'est un c½ur qui reste transparent comme l'eau d'une source, car il ne connait pas la duplicité. Un c½ur est pur lorsqu'il ne se laisse pas troubler par l'ivresse du plaisir; c'est un c½ur dont l'amour est véritable et pas seulement la passion d'un moment. Des mains innocentes et un c½ur pur:  si nous marchons avec Jésus, nous montons et nous trouvons les purifications qui nous conduisent vraiment à cette hauteur à laquelle l'homme est destiné:  l'amitié avec Dieu lui-même.

     Le Psaume 24 [23] qui parle de la montée se termine par une liturgie d'entrée devant la porte du temple:  "Portes, levez vos frontons, levez-les, portes éternelles:  qu'il entre le roi de gloire". Dans l'ancienne liturgie du Dimanche des Rameaux, le prêtre, parvenu devant l'église, frappait puissamment avec un bras de la croix de la procession à la porte encore fermée, qui s'ouvrait alors. C'était une belle image du mystère de Jésus lui-même qui, avec le bois de sa croix, avec la force de son amour qui se donne, a frappé du côté du monde à la porte de Dieu; du côté d'un monde qui ne réussissait pas à trouver un accès à Dieu. Avec la croix, Jésus a ouvert toute grande la porte de Dieu, la porte entre Dieu et les hommes. A présent, celle-ci est ouverte. Mais de l'autre côté également, le Seigneur frappe avec sa croix:  il frappe aux portes du monde, aux portes de nos c½urs, qui si souvent et en si grand nombre sont fermées pour Dieu. Et il nous parle plus ou moins ainsi:  si les preuves que Dieu te donne de son existence dans la création ne réussissent pas à t'ouvrir à Lui; si la parole de l'Ecriture et le message de l'Eglise te laissent indifférent - alors regarde-moi, regarde le Dieu qui pour toi a souffert, qui souffre personnellement avec toi - vois que je souffre par amour pour toi ouvre-toi à moi, ton Seigneur et ton Dieu.

     Tel est l'appel, qu'en cette heure, nous laissons pénétrer dans notre c½ur. Que le Seigneur nous aide à ouvrir la porte de notre c½ur, la porte du monde, afin que Lui, le Dieu vivant, puisse à travers son Fils arriver dans notre temps, atteindre notre vie.

11 mai 2007 – Homélie Messe Canonisation de Frère Antonio de Sant'Anna Galvão, au Brésil.

     Pendant la Messe, lorsque nous contemplons le Seigneur, élevé par le prêtre, après la consécration du pain et du vin, ou bien lorsque nous l'adorons avec dévotion exposé dans l'Ostensoir, nous renouvelons notre foi avec une profonde humilité, dans une attitude constante d'adoration. Tout le bien spirituel de l'Eglise est contenu dans la Sainte Eucharistie, c'est-à-dire le Christ lui-même notre Pâques, le Pain vivant qui est descendu du Ciel, vivifié par l'Esprit Saint, et vivifiant, car il donne la Vie aux hommes. Cette mystérieuse et ineffable manifestation de l'amour de Dieu pour l'humanité occupe une place privilégiée dans le c½ur des chrétiens. Ils doivent pouvoir connaître la foi de l'Eglise, à travers ses ministres ordonnés, grâce au caractère exemplaire avec lequel ils accomplissent les rites prescrits, qui indiquent toujours dans la liturgie eucharistique le centre de toute l'½uvre d'évangélisation. Les fidèles doivent, à leur tour, chercher à recevoir et à vénérer le Très Saint Sacrement avec piété et dévotion, en désirant accueillir le Seigneur Jésus avec foi, et en sachant avoir recours, chaque fois que cela sera nécessaire, au Sacrement de la réconciliation pour purifier l'âme de tout péché grave.

      Unis avec le Seigneur dans la communion suprême de l'Eucharistie et réconciliés avec Lui et avec notre prochain, nous serons les artisans de cette paix que le monde ne réussit pas à donner. Les hommes et les femmes de ce monde pourront-ils trouver la paix s'ils ne sont pas conscients de la nécessité de se réconcilier avec Dieu, avec leur prochain et avec eux-mêmes?

 

12 août 2007 - Angelus

     La solennité de l'Assomption de Marie au ciel, est entièrement tournée vers l'avenir, vers le ciel, où la Sainte Vierge nous a précédés dans la joie du paradis. L’Evangile invite les chrétiens de manière particulière les à se détacher des biens matériels en grande partie illusoires, et à accomplir fidèlement leur devoir en se tournant constamment vers le haut. Le croyant demeure éveillé et vigilant pour être prêt à accueillir Jésus lorsqu'il viendra dans sa gloire. A travers des exemples tirés de la vie quotidienne, le Seigneur exhorte ses disciples, c'est-à-dire nous, à vivre dans cette disposition intérieure comme ces serviteurs de la parabole, qui attendent le retour de leur maître. « Bienheureux ces serviteurs, dit-il, que le maître en arrivant trouvera en train de veiller » (Lc 12, 37). Nous devons donc veiller, en priant et en faisant le bien.

    Nous sommes tous de passage sur terre, comme nous le rappelle la Lettre aux Hébreux. Elle nous présente Abraham en habit de pèlerin, comme un nomade qui vit sous une tente et s'arrête dans une région étrangère. C'est la foi qui le guide. « Par la foi, écrit l'auteur sacré, Abraham obéit à l'appel de partir vers un pays qu'il devait recevoir en héritage, et il partit ne sachant où il allait (He 11, 8). Son véritable but était, en effet, « la ville pourvue de fondations dont Dieu est l'architecte et le constructeur » (11, 10). La ville à laquelle il est fait référence, n'est pas dans ce monde, mais c'est la Jérusalem céleste, le paradis. La première communauté chrétienne était bien consciente de cela, et se considérait ici-bas comme « étrangers et voyageurs » et appelait ses centres d'habitation dans les villes « paroisses », qui signifie précisément colonies d'étrangers [en grec pàroikoi] (cf. 1 P 2, 11). De cette façon, les premiers chrétiens manifestaient la caractéristique la plus importante de l'Eglise, qui est précisément la tension vers le ciel. La liturgie de la Parole de ce jour veut donc nous inviter à penser « à la vie du monde qui viendra » comme nous le répétons chaque fois que nous faisons notre profession de foi à travers le Credo. Une invitation à passer notre existence de façon sage et prévoyante, à considérer attentivement notre destin, c'est-à-dire les réalités que nous appelons ultimes : la mort, le jugement dernier, l'éternité, l'enfer et le paradis. Et ainsi, nous assumons notre responsabilité pour le monde et nous construisons un monde meilleur.

     Que la Vierge Marie, qui veille sur nous du ciel, nous aide à ne pas oublier qu'ici, sur terre, nous sommes seulement de passage, et qu'elle nous enseigne à nous préparer à rencontrer Jésus, « assis à la droite de Dieu le Père Tout-Puissant, d'où il viendra juger les vivants et les morts ».

 

22 août 2007 – Audience générale
    
Saint Grégoire nous enseigne l'importance et la nécessité de la prière. Il affirme qu'il « est nécessaire de se rappeler de Dieu plus souvent que l'on respire » (Oratio 27,4: PG 250,78), car la prière est la rencontre de la soif de Dieu avec notre soif. Dieu a soif que nous ayons soif de Lui (Oratio 40, 27: SC 358,260). Dans la prière, nous devons tourner notre c½ur vers Dieu, pour nous remettre à Lui comme offrande à purifier et à transformer. Dans la prière, nous voyons tout à la lumière du Christ, nous ôtons nos masques et nous nous plongeons dans la vérité et dans l'écoute de Dieu, en nourrissant le feu de l'amour.
 

 

29 septembre 2007 – Homélie Messe Consécration de 6 nouveaux Evêques.

     Annoncer l'Evangile signifie déjà en soi guérir, car l'homme a surtout besoin de la vérité et de l'amour. Dans le Livre de Tobie, on rapporte deux tâches emblématiques de guérison de l'Archange Raphaël. Il guérit la communion perturbée entre l'homme et la femme. Il guérit leur amour. Il chasse les démons qui, toujours à nouveau, déchirent et détruisent leur amour. Il purifie l'atmosphère entre les deux et leur donne la capacité de s'accueillir mutuellement pour toujours. Dans le récit de Tobie, cette guérison est rapportée à travers des images légendaires. Dans le Nouveau Testament, l'ordre du mariage, établi dans la création et menacé de multiples manières par le péché, est guéri par le fait que le Christ l'accueille dans son amour rédempteur. Il fait du mariage un sacrement:  son amour, qui est monté pour nous sur la croix, est la force qui guérit et qui, au sein de toutes les confusions, donne la capacité de la réconciliation, purifie l'atmosphère et guérit les blessures. La tâche de conduire les hommes toujours à nouveau vers la force réconciliatrice de l'amour du Christ est confiée au prêtre. Il doit être "l'ange" qui guérit et qui les aide à ancrer leur amour au sacrement et à le vivre avec un engagement toujours renouvelé à partir de celui-ci. En deuxième lieu, le Livre de Tobie parle de la guérison des yeux aveugles. Nous savons tous combien nous sommes aujourd'hui menacés par la cécité à l'égard de Dieu. Comme le danger est grand que, face à tout ce que nous savons sur les choses matérielles et que nous sommes en mesure de faire avec celles-ci, nous devenions aveugles à la lumière de Dieu! Guérir cette cécité à travers le message de la foi et le témoignage de l'amour, est le service de Raphaël confié jour après jour au prêtre et, de manière particulière, à l'Evêque. Ainsi, nous sommes spontanément portés à penser également au sacrement de la Réconciliation, au Sacrement de la Pénitence qui, au sens le plus profond du terme, est un sacrement de guérison. En effet, la véritable blessure de l'âme, le motif de toutes nos autres blessures, est le péché. Et ce n'est que s'il existe un pardon en vertu de la puissance de Dieu, en vertu de la puissance de l'amour du Christ, que nous pouvons être guéris, que nous pouvons être rachetés.

 

 

14 octobre 2007 – Angelus

     L'Evangile de ce dimanche présente Jésus qui guérit dix lépreux, dont seulement l'un d'entre eux, samaritain et donc étranger, revient pour le remercier (cf. Lc 17, 11-19). Le Seigneur lui dit:  "Relève-toi et va:  ta foi t'a sauvé" (Lc 17, 19). Cette page évangélique nous invite à une double réflexion. Elle fait tout d'abord penser à deux niveaux de guérison:  l'un, plus superficiel, concerne le corps; l'autre, plus profond, touche l'être intime de la personne, ce que la Bible appelle le "c½ur" et, à partir de là, rayonne dans l'existence tout entière. La guérison complète et radicale est le "salut". Le langage commun lui-même, en distinguant entre "santé" et "salut", nous aide à comprendre que le salut est bien plus que la santé:  il est, en effet, une vie nouvelle, pleine, définitive. En outre, Jésus, comme en d'autres circonstances, prononce ici l'expression:  "Ta foi t'a sauvé". C'est la foi qui sauve l'homme, en le rétablissant dans sa relation profonde avec Dieu, avec lui-même et avec les autres; et la foi s'exprime dans la reconnaissance. Celui qui, comme le Samaritain guéri, sait remercier, démontre qu'il ne considère pas toute chose comme un dû, mais comme un don qui, même lorsqu'il parvient par l'intermédiaire des hommes ou de la nature, provient en fin de compte de Dieu. La foi comporte alors l'ouverture de l'homme à la grâce du Seigneur, reconnaître que tout est don, tout est grâce. Ce trésor est caché dans un petit mot:  "merci"!

     Jésus guérit dix malades de la lèpre, une maladie alors considérée comme une "impureté contagieuse" qui exigeait une purification rituelle (cf. Lv 14, 1-37). En vérité, la lèpre qui défigure réellement l'homme et la société est le péché; il s'agit de l'orgueil et de l'égoïsme qui engendrent dans l'âme humaine indifférence, haine et violence. Cette lèpre de l'esprit, qui défigure le visage de l'humanité, personne ne peut la guérir sinon Dieu, qui est Amour. En ouvrant son c½ur à Dieu, la personne qui se convertit est guérie intérieurement du mal.

     "Convertissez-vous et croyez à l'Evangile" (cf. Mc 1, 15). Jésus marqua le début de sa vie publique par cette invitation.

 

21 novembre 2007 – Enseignement de Benoit XVI lors de l’Audience Générale

     Dans notre parcours dans le monde des Pères de l'Eglise, je voudrais aujourd'hui vous guider dans une partie peu connue de cet univers de la foi, c'est-à-dire dans les territoires où fleurirent les Eglises de langue sémitique, qui n'étaient pas encore influencées par le pensée grecque. Ces Eglises, durant le IV siècle, se développent au proche Orient, de la Terre Sainte au Liban et à la Mésopotamie. Au cours de ce siècle, qui est une période de formation au niveau ecclésial et littéraire, ces communautés voient l'affirmation du phénomène ascétique et monastique avec des caractéristiques autochtones, qui ne subissent pas l'influence du monachisme égyptien. Les communautés syriaques du IV siècle représentent donc le monde sémite, dont la Bible elle-même est née, et elles sont l'expression d'un christianisme dont la formulation théologique n'est pas encore entrée en contact avec des courants culturels différents, mais qui vit sa propre forme de pensée. Ce sont des Eglises où l'ascétisme sous diverses formes érémitiques (ermites dans le désert, dans les grottes, reclus, stylites), et le monachisme sous des formes de vie communautaire, exercent un rôle d'importance vitale dans le développement de la pensée théologique et spirituelle.

     Je voudrais présenter ce monde à travers la grande figure d'Aphraate, également connu sous le nom de "Sage", un des personnages les plus importants, et dans le même temps les plus énigmatiques, du christianisme syriaque du IV siècle. Originaire de la région de Ninive-Mossoul, aujourd'hui en Irak, il vécut dans la première moitié du IV siècle. Nous ne possédons que peu d'informations sur sa vie; il entretint cependant des rapports étroits avec les milieux ascétiques et monastiques de l'Eglise syriaque, dont il nous a transmis des informations dans son ½uvre et auxquels il consacre une partie de sa réflexion. Selon certaines sources, il fut même responsable d'un monastère et, pour finir, il fut également consacré Evêque. Il écrivit 23 discours, connus sous le nom d'Expositions ou Démonstrations, dans lesquels il traite de divers thèmes de vie chrétienne, comme la foi, l'amour, le jeûne, l'humilité, la prière, la vie ascétique elle-même, et également le rapport entre judaïsme et christianisme, entre Ancien et Nouveau Testament. Il écrit dans un style simple, en employant des phrases brèves et en utilisant des parallélismes parfois contrastants ; il réussit toutefois à formuler un discours cohérent avec un développement bien articulé des divers thèmes qu'il traite.

     Aphraate était originaire d'une communauté ecclésiale qui se trouvait à la frontière entre le judaïsme et le christianisme. C'était une communauté profondément liée à l'Eglise-mère de Jérusalem, et ses Evêques étaient traditionnellement choisis parmi ceux qu'on appelle "les proches" de Jacques, le "frère du Seigneur" (cf. Mc 6, 3):  il s'agissait en fait de personnes liées par le sang et par la foi à l'Eglise hyérosolimitaine. La langue d'Aphraate est la langue syriaque, une langue donc sémitique comme l'hébreu de l'Ancien Testament et comme l'araraméen parlé par Jésus lui-même. La communauté ecclésiale dans laquelle se déroule la vie d'Aphraate était une communauté qui cherchait à rester fidèle à la tradition judéo-chrétienne, dont elle se sentait la fille. Celle-ci conservait donc un lien étroit avec le monde juif et avec ses Livres sacrés. Aphraate se définit de manière significative "disciple de l'Ecriture Sainte" de l'Ancien et du Nouveau Testament (Démonstrations 22, 26), qu'il considère comme son unique source d'inspiration, ayant recours à celle-ci d'une manière si fréquente qu'il en fait le centre de sa réflexion.

     Aphraate développe plusieurs arguments dans ses Démonstrations. Fidèle à la tradition syriaque, il présente souvent le salut accompli par le Christ comme une guérison et, donc, le Christ lui-même comme un médecin. En revanche, le péché est vu comme une blessure, que seule la pénitence peut guérir :  "Un homme qui a été blessé lors d'une bataille, dit Aphraate, n'a pas honte de se remettre entre les mains d'un sage médecin...; de la même façon, celui qui a été blessé par Satan ne doit pas avoir honte de reconnaître sa faute et de s'éloigner d'elle, en demandant  le  remède de la pénitence" (Démonstrations 7, 3). Un autre aspect important de l'½uvre d'Aphraate est son enseignement sur la prière, et en particulier sur le Christ comme maître de prière. Le chrétien prie en suivant l'enseignement de Jésus et son exemple d'orant :  "Notre Sauveur nous a enseigné à prier ainsi, en disant :  "Prie dans le secret Celui qui est caché, mais qui voit tout"; et encore:  "Entre dans ta chambre et prie ton Père dans le secret, et le Père qui voit dans le secret te récompensera" (Mt 6, 6)... Ce que notre Sauveur veut montrer, c'est que Dieu connaît les désirs et les pensées du coeur" (Démonstrations 4, 10).

     Pour Aphraate, la vie chrétienne est centrée sur l'imitation du Christ, sur le fait de prendre son joug et de le suivre sur la voie de l'Evangile. Une des vertus qui s'adapte le mieux au disciple du Christ est l'humilité. Celle-ci n'est pas un aspect secondaire dans la vie spirituelle du chrétien:   la nature de l'homme est humble, et c'est Dieu qui l'exalte pour sa propre gloire. L'humilité, observe Aphraate, n'est pas une valeur négative :  "Si la racine de l'homme est plantée dans la terre, ses fruits croissent devant le Seigneur de la grandeur" (Démonstrations 9, 14). En restant humble, même au sein de la réalité terrestre dans laquelle il vit, le chrétien peut entrer en relation avec le Seigneur :  "L'humble est humble, mais son coeur s'élève à des hauteurs éminentes. Les yeux de son visage observent la terre et les yeux de l'esprit, les hauteurs éminentes" (Démonstrations 9, 2).

La vision qu'Aphraate a de l'homme et de sa réalité corporelle est très positive :  le corps de l'homme, à l'exemple du Christ humble, est appelé à la beauté, à la joie, à la lumière :  "Dieu s'approche de l'homme qu'il aime, et il est juste d'aimer l'humilité et de rester dans la condition d'humilité. Les humbles sont simples, patients aimés, intègres, droits, experts dans le bien, prudents, sereins, sages, calmes, pacifiques, miséricordieux, prêts à se convertir, bienveillants, profonds, pondérés, beaux et désirables" (Démonstrations 9, 14). Chez Aphraate, la vie chrétienne est souvent présentée dans une claire dimension ascétique et spirituelle :  la foi en est la base, le fondement ; elle fait de l'homme un temple où le Christ lui-même demeure. La foi rend donc possible une charité sincère, qui s'exprime dans l'amour envers Dieu et envers le prochain. Un autre aspect important chez Aphraate est le jeûne, qu'il entend au sens large. Il parle du jeûne de la nourriture comme d'une pratique nécessaire pour être charitable et vierge, du jeûne constitué par la continence en vue de la sainteté, du jeûne des paroles vaines ou détestables, du jeûne de la colère, du jeûne de la propriété des biens en vue du ministère, du jeûne du sommeil pour s'appliquer à la prière.

     Chers frères et soeurs, revenons encore - pour conclure - à l'enseignement d'Aphraate sur la prière. Selon cet antique "Sage", la prière se réalise lorsque le Christ demeure dans le coeur du chrétien, et il l'invite à un engagement cohérent de charité envers son prochain. Il écrit en effet :  

"Apporte le réconfort aux accablés, visite les malades,
sois plein de sollicitude envers les pauvres :  telle est la prière.
La prière est bonne,
et ses ½uvres sont belles.
La prière est acceptée lorsqu'elle apporte le réconfort au prochain.
La prière est écoutée
lorsque dans celle-ci se trouve également le pardon des offenses.
La prière est forte
lorsqu'elle est remplie de la force de Dieu" (Démonstrations 4, 14-16).

Avec ces paroles, Aphraate nous invite à une prière qui devient vie chrétienne, vie réalisée, vie pénétrée par la foi, par l'ouverture à Dieu et, ainsi, par l'amour pour le prochain.


 

 

 

2008

 

9 juin 2008 – Au Congrès du Diocèse de Rome

     La personne qui prie n'est jamais totalement seule parce que Dieu est le seul qui, dans toutes les situations et au milieu de n'importe quelle épreuve, est toujours en mesure de l'écouter et de l'aider. A travers la persévérance dans la prière le Seigneur élargit notre désir et ouvre notre âme, en nous rendant davantage capables de l'accueillir en nous. La juste manière de prier est cependant un processus de purification intérieure. Nous devons nous exposer au regard de Dieu, à Dieu lui-même et c'est ainsi que, dans la lumière du visage de Dieu, nos mensonges et nos hypocrisies disparaissent. Notre exposition dans la prière au visage de Dieu est réellement une purification qui nous renouvelle, nous libère et nous ouvre non seulement à Dieu, mais également à nos frères. C'est donc le contraire d'une fuite de nos responsabilités envers le prochain. Au contraire, à travers la prière nous apprenons à garder le monde ouvert à Dieu et à devenir des ministres de l'espérance pour les autres.

 

 

2009

 

 

11 février 2009 – A l’issue de la Messe pour les malades, Basilique Saint Pierre

     Les enfants malades, sont les créatures les plus faibles et sans défense. C'est vrai! Si l'on reste déjà sans paroles devant un adulte qui souffre, que dire lorsque le mal frappe un petit innocent? Comment percevoir, également dans des situations aussi difficiles, l'amour miséricordieux de Dieu, qui n'abandonne jamais ses enfants dans l'épreuve?

     Ce sont des interrogations fréquentes et parfois inquiétantes, qui en vérité sur le plan simplement humain ne trouvent pas de réponses adaptées, car la douleur, la maladie et la mort demeurent, dans leur signification, insondables pour notre esprit. La lumière de la foi nous vient cependant en aide. La Parole de Dieu nous révèle que ces maux aussi sont mystérieusement "embrassés" par le dessein divin de salut; la foi nous aide à considérer la vie humaine belle et digne d'être vécue en plénitude, même lorsqu'elle est affaiblie par le mal. Dieu a créé l'homme pour le bonheur et pour la vie, alors que la maladie et la mort sont entrées dans le monde comme conséquence du péché. Mais le Seigneur ne nous a pas abandonnés à nous-mêmes; Lui, le Père de la vie, est le médecin par excellence de l'homme et il ne cesse de se pencher avec amour sur l'humanité qui souffre. L'Evangile montre Jésus qui "chasse les esprits par sa parole et guérit tous les malades" (Mt 8, 16), indiquant la voie de la conversion et de la foi comme conditions pour obtenir la guérison du corps et de l'esprit, qui est la guérison toujours voulue par le Seigneur. C'est la guérison intégrale, du corps et de l'âme, c'est pourquoi elle chasse les esprits par sa parole. Sa parole est parole d'amour, parole purificatrice:  elle chasse les esprits de la peur, de la solitude, de l'opposition à Dieu, pour purifier ainsi notre âme et lui donner la paix intérieure. Ainsi, il nous donne l'esprit de l'amour et la guérison qui naît de l'intérieur même. Mais Jésus n'a pas seulement parlé; il est Parole incarnée. Il a souffert avec nous, et est mort. Avec sa passion et sa mort, Il a assumé et transformé jusqu'au bout notre faiblesse. Voilà pourquoi - selon ce qu'a écrit le serviteur de Dieu Jean-Paul II dans la Lettre apostolique Salvifici doloris - "souffrir signifie devenir particulièrement réceptif, particulièrement ouvert à l'action des forces salvifiques de Dieu, offertes à l'humanité dans le Christ" (n. 23).

 

 

 

 

 

 

5 avril 2009 – Homélie de Benoit XVI pour le Dimanche des Rameaux – Journée Mondiale de la Jeunesse. Place Saint-Pierre

     Uni à une foule grossissante de pèlerins, Jésus était monté à Jérusalem pour la Pâques. Au cours de la dernière étape de son périple, près de Jéricho, Il avait guéri l’aveugle Barthimée qui, lui demandant pitié, l’avait invoqué comme Fils de David. À présent – étant désormais capable de voir – il s’était avec gratitude mêlé au groupe des pèlerins. Quand, aux portes de Jérusalem, Jésus monte sur un âne - l’animal symbole de la royauté davidique - la joyeuse certitude éclate spontanément au milieu des pèlerins : C’est Lui, le Fils de David ! C’est pourquoi ils saluent Jésus avec l’acclamation messianique : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! », et ils ajoutent : « Béni le Règne qui vient, celui de notre Père David. Hosanna au plus haut des cieux ! » (Mc 11, 9s). Nous ne savons pas précisément comment les pèlerins enthousiastes pouvaient imaginer ce que fut le Règne de David à venir. Mais nous, avons-nous vraiment compris le message de Jésus, Fils de David ? Avons-nous compris ce qu’est le Règne dont Il a parlé au cours de l’interrogatoire devant Pilate ? Comprenons-nous ce que cela signifie que ce Royaume n’est pas de ce monde ? Ou bien désirerions-nous à l’inverse qu’il soit de ce monde ?

     Saint Jean, dans son Évangile, après le récit de l’entrée à Jérusalem, rapporte une série de parole de Jésus, à travers lesquelles il explique l’essentiel de ce royaume d’un genre nouveau. Dans une première lecture de ces textes, nous pouvons distinguer trois images du Royaume dans lesquelles, toujours de façon toujours différente, se reflète le même mystère. Jean raconte avant tout que, parmi les pèlerins qui durant la fête « voulaient adorer Dieu », il y avait aussi des Grecs (cf. 12, 20). Prêtons attention au fait que le véritable but de ces pèlerins était d’adorer Dieu. Ceci correspond parfaitement à ce que Jésus dit à l’occasion de la purification du Temple : « Ma maison s’appellera maison de prière pour toutes les nations » (Mc 11, 17). Le véritable but du pèlerinage doit être celui de rencontrer Dieu ; de l’adorer et ainsi de mettre dans l’ordre juste la relation fondamentale de notre existence. Les grecs sont des personnes à la recherche de Dieu ; à travers leur vie, ils sont en chemin vers Dieu. Ainsi, par l’intermédiaire de deux Apôtres de langue grecque, Philippe et André, font-ils parvenir leur demande au Seigneur : « Nous voudrions voir Jésus » (Jn 12, 21). Voilà une parole importante ! Chers amis, c’est pour cela que nous nous sommes réunis ici : nous voulons voir Jésus. Dans ce but, l’année dernière, des milliers de jeunes sont allés à Sydney. Certes, il devait y avoir des attentes multiples pour ce pèlerinage. Mais l’objectif essentiel était celui-ci : nous voulons voir Jésus.

     À l’égard de cette requête, qu’a dit et fait Jésus alors ? L’Évangile ne laisse pas apparaître clairement si une rencontre entre ces Grecs et Jésus a eu lieu. Le regard de Jésus va bien au-delà. Le c½ur de sa réponse à la demande de ces personnes est : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il donne beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). Cela signifie : il n’est plus important maintenant qu’ait lieu un dialogue plus ou moins bref avec quelques personnes, qui s’en retourneront ensuite chez elles. Comme grain de blé mort et ressuscité, je viendrai, de façon totalement nouvelle et au-delà des limites du moment présent, à la rencontre du monde des Grecs. Par la Résurrection, Jésus dépasse les limites de l’espace et du temps. Ressuscité, Il est en chemin vers l’étendue du monde et de l’histoire. Oui, ressuscité, il va chez les Grecs et parle avec eux, il se montre à eux de sorte que eux, les lointains, deviennent proches et, dans leur propre langue, dans leur propre culture, sa parole advient sur un mode nouveau et est comprise d’une façon nouvelle – advient son Royaume. Nous pouvons ainsi reconnaître deux caractéristiques essentielles de ce Règne. La première est que ce Royaume s’institue à travers la croix. Puisque Jésus se donne totalement, il peut en tant que ressuscité appartenir à tous et se rendre présent à tous. Dans la Sainte Eucharistie, nous recevons le fruit du grain de blé tombé en terre, la multiplication des pains qui se poursuit jusqu’à la fin du monde dans tous les temps. La seconde caractéristique est celle-ci : sa Royauté est universelle. L’antique espérance d’Israël s’accomplit : la royauté de David ne connaît plus de frontière. Elle s’étend « d’une mer à l’autre » (Zach 9, 10). – c’est-à-dire embrasse le monde entier. Cependant, ceci n’est possible que parce qu’elle n’est pas la souveraineté d’un pouvoir politique, mais qu’elle se fonde uniquement sur la libre adhésion de l’amour – un amour qui, pour sa part, répond à l’amour de Jésus Christ qui s’est donné pour tous. Je pense que nous devons apprendre toujours à nouveau les deux choses, surtout l’universalité, la catholicité. Cela signifie que personne ne peut prendre pour l’absolu soi-même, sa culture, son temps et son monde. Cela demande que tous, nous nous accueillons mutuellement, renonçant à une part de ce qui nous est propre. L’universalité inclut le mystère de la Croix – le dépassement de soi-même, l’obéissance à la parole de Jésus qui nous est commune dans l’Église qui nous est commune. L’universalité est toujours un dépassement de soi-même, un renoncement à quelque chose de personnel.  L’universalité et la croix vont ensemble. C’est seulement ainsi que la paix se crée.

     La parole concernant le grain de blé tombé en terre fait partie de la réponse de Jésus aux Grecs, elle est sa réponse. Toutefois, il formule ensuite une nouvelle fois la loi fondamentale de l’existence humaine : « Celui qui aime sa vie la perd ; celui qui s’en détache en ce monde la garde pour la vie éternelle » (12, 25). C’est-à-dire, qui veut garder sa vie pour lui, vivre seulement pour lui-même, rapporter tout à soi et jouir de toutes les opportunités – c’est proprement lui qui perd la vie. Celle-ci devient ennuyeuse et vide. Ce n’est que dans l’abandon de soi-même, dans le don désintéressé du je en faveur du tu, dans le « oui » à une vie plus grande - celle de Dieu -, que notre vie devient grande et belle. Ce principe fondamental, que le Seigneur établit, est en dernière analyse purement et simplement identique au principe de l’amour. En effet, l’amour signifie : s’abandonner soi-même, se donner, ne pas vouloir se posséder soi-même, mais devenir libre de soi-même : ne pas se replier sur soi – (en pensant) qu’adviendra-t-il de moi ? -, mais regarder en avant, vers l’autre – vers Dieu et vers les hommes que Lui m’envoie. Et ce principe de l’amour, qui marque le chemin de l’homme, est encore une fois identique au mystère de la croix, au mystère de mort et de résurrection que nous rencontrons dans le Christ. Chers amis, il est peut-être relativement facile d’accepter cela comme le sens profond de la vie. Dans la réalité concrète, cependant, il ne s’agit pas de simplement reconnaître un principe, mais d’en vivre la vérité, la vérité de la Croix et de la Résurrection. Et pour cela, à nouveau, une unique et grande résolution ne suffit pas. Il est certainement important, essentiel d’oser poser une fois le grand choix décisif, d’oser le grand « oui » que le Seigneur nous demande à un certain moment de notre vie. Mais le grand « oui » du moment décisif dans notre vie – le « oui » à la vérité que le Seigneur nous propose – doit ensuite être quotidiennement reconquis dans les situations de chaque jour dans lesquels, toujours de nouveau, nous devons abandonner notre moi, nous mettre à disposition, Quand au fond nous voudrions à l’inverse nous accrocher à notre moi. Le renoncement, le sacrifice font aussi partie d’une vie droite. Qui promet une vie sans ce don de soi-même toujours renouvelé, trompe les gens. Il n’existe pas de vie réussie sans sacrifice. Si je jette un regard rétrospectif sur ma vie personnelle, je dois dire que ce sont précisément les moments où j’ai dit « oui » à un renoncement, qui ont été les moments importants et décisifs de ma vie.

     Enfin, saint Jean a accueilli dans l’écho qu’il donne des paroles du Seigneur pour le « Dimanche des Rameaux », une forme modifiée de la prière de Jésus dans le jardin des oliviers. Il y a avant tout l’affirmation : « Mon âme est bouleversée » (Jn 12, 27). L’effroi de Jésus apparaît ici, souligné fortement par les autres évangélistes – son effroi devant le pouvoir de la mort, devant tout l’abîme du mal qu’Il voit et dans lequel il doit descendre. Le Seigneur souffre nos angoisses avec nous, il nous accompagne à travers l’ultime angoisse jusqu’à la lumière. Puis viennent en saint Jean, les deux demandes de Jésus. La première, exprimée seulement au conditionnel : « Que puis-je dire ? Dirai-je ? : Père, délivre-moi de cette heure ? » (Jn 12, 27). En tant qu’être humain, Jésus aussi se sent poussé à demander que lui soit épargnée la terreur de la Passion. Nous aussi pouvons prier ainsi. Nous aussi, nous pouvons nous plaindre au Seigneur comme Job le fît, lui présenter toutes les demandes qui, face à l’injustice du monde et au trouble de notre propre moi, surgissent en nous. Devant Lui nous ne devons pas nous réfugier dans des phrases pieuses, dans un monde factice. Prier signifie toujours aussi lutter avec Dieu, et comme Jacob nous pouvons lui dire : « Je ne te lâcherai que si tu me bénis » (Gn 32, 27). Mais vient ensuite la seconde demande de Jésus : « Glorifie ton nom ! » (Jn 12, 28). Dans les synoptiques, cette demande résonne ainsi : « Que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne » (Lc 22, 42). En définitive, la gloire de Dieu, sa seigneurie, sa volonté sont toujours plus importantes et plus vraies que mes pensées et que ma volonté. C’est là l’essentiel dans notre prière et dans notre vie : apprendre cet ordre juste de la réalité, l’accepter profondément ; faire confiance à Dieu et croire qu’Il fait la chose juste ; que sa volonté est la vérité et l’amour ; que ma vie devient bonne si j’apprends à adhérer à cet ordre. Vie, mort et résurrection de Jésus sont pour nous la garantie que nous pouvons véritablement nous fier à Dieu. Et c’est de cette façon que se réalise son royaume.

     Chers amis, au terme de cette liturgie, les jeunes venus d’Australie remettront la Croix de la Journée Mondiale de la Jeunesse à leurs homologues venus d’Espagne. La Croix est en chemin d’un côté du monde à l’autre, d’une mer à une autre. Et nous, nous l’accompagnons. Nous progressons avec elle sur la route qu’elle trace et nous trouvons ainsi notre route. Quand nous touchons la Croix, ou plutôt, quand nous la portons, nous touchons le mystère de Dieu, le mystère de Jésus Christ. Ce mystère est que Dieu a tant aimé le monde – nous – qu’il a donné son Fils unique pour nous (cf. Jn 3, 16). Nous touchons le mystère merveilleux de l’amour de Dieu, l’unique vérité authentiquement rédemptrice. Mais nous touchons aussi la loi fondamentale, la norme constitutive de notre vie, c’est-à-dire le fait que sans le « oui » à la Croix, sans le cheminement en communion avec le Christ jour après jour, la vie ne peut aboutir. Plus nous sommes capables de quelques renoncements, par amour de la grande vérité et du grand amour – par amour de la vérité et par amour de Dieu -, plus grande et plus riche est notre vie. Qui veut garder sa vie pour soi-même, la perd. Qui donne sa vie – quotidiennement dans les petits gestes, qui sont constitutifs de la grande décision -, celui-ci la trouvera. C’est là la vérité exigeante, mais aussi profondément belle et libératrice, dans laquelle nous voulons pas à pas entrer au cours de ce parcours de la Croix d’un continent à l’autre. Que le Seigneur daigne bénir ce chemin ! Amen.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2010

 

 

 

 

2011

 

16 février 2011 – Enseignement de Benoit XVI lors de l’Audience Générale

     Dans les Cantiques spirituels, saint Jean de la Croix présente le chemin de purification de l’âme, c’est-à-dire la possession progressive et joyeuse de Dieu, jusqu’à ce que l’âme parvienne à sentir qu’elle aime Dieu avec le même amour dont Il l’aime. La vive flamme d’amour poursuit dans cette perspective, en décrivant plus en détail l’état de l’union transformante avec Dieu. Le parallèle utilisé par Jean est toujours celui du feu: de même que le feu, plus il brûle et consume le bois, plus il devient incandescent jusqu’à devenir flamme, ainsi l’Esprit Saint, qui au cours de la nuit obscure purifie et «nettoie» l’âme, avec le temps l’illumine et la réchauffe comme si elle était une flamme. La vie de l’âme est une incessante fête de l’Esprit Saint, qui laisse entrevoir la gloire de l’union avec Dieu dans l’éternité.

     La montée du Mont Carmel présente l’itinéraire spirituel du point de vue de la purification progressive de l’âme, nécessaire pour gravir le sommet de la perfection chrétienne, symbolisée par le sommet du Mont Carmel. Cette purification est proposée comme un chemin que l’homme entreprend, en collaborant avec l’action divine, pour libérer l’âme de tout attachement ou lien d’affection contraire à la volonté de Dieu. La purification, qui pour parvenir à l’union d’amour avec Dieu doit être totale, commence par celle de la vie des sens et se poursuit par celle que l’on obtient au moyen des trois vertus théologales : foi, espérance et charité, qui purifient l’intention, la mémoire et la volonté. La nuit obscure décrit l’aspect « passif », c’est-à-dire l’intervention de Dieu dans ce processus de « purification » de l’âme. L’effort humain, en effet, est incapable tout seul d’arriver jusqu’aux racines profondes des inclinations et des mauvaises habitudes de la personne : il peut seulement les freiner, mais non les déraciner complètement. Pour cela, l’action spéciale de Dieu est nécessaire, qui purifie radicalement l’esprit et le dispose à l’union d’amour avec Lui. Saint Jean qualifie de « passive » cette purification, précisément parce que, bien qu’acceptée par l’âme, elle est réalisée par l’action mystérieuse de l’Esprit Saint qui, comme la flamme du feu, consume toute impureté. Dans cet état, l’âme est soumise à tous types d’épreuves, comme si elle se trouvait dans une nuit obscure.

     Ces indications sur les ½uvres principales du saint nous aident à nous familiariser avec les points principaux de sa vaste et profonde doctrine mystique, dont l’objectif est de décrire un chemin sûr pour parvenir à la sainteté, l’état de perfection auquel Dieu nous appelle tous. Selon Jean de la Croix, tout ce qui existe, créé par Dieu, est bon. A travers les créatures, nous pouvons parvenir à la découverte de Celui qui a laissé en elles une trace de lui. La foi, quoi qu’il en soit, est l’unique source donnée à l’homme pour connaître Dieu tel qu’il est en soi, comme Dieu Un et Trine. Tout ce que Dieu voulait communiquer à l’homme, il l’a dit en Jésus Christ, sa Parole faite chair. Jésus Christ est le chemin unique et définitif vers le Père (cf. Jn 14, 6). Toute chose créée n’est rien par rapport à Dieu et ne vaut rien en dehors de Lui: par conséquent, pour atteindre l’amour parfait de Dieu, tout autre amour doit se conformer dans le Christ à l’amour divin. C’est de là que découle l’insistance de saint Jean de la Croix sur la nécessité de la purification et de la libération intérieure pour se transformer en Dieu, qui est l’objectif unique de la perfection. Cette « purification » ne consiste pas dans la simple absence physique des choses ou de leur utilisation ; ce qui rend l’âme pure et libre, en revanche, est d’éliminer toute dépendance désordonnée aux choses. Tout doit être placé en Dieu comme centre et fin de la vie. Le processus long et fatigant de purification exige certainement un effort personnel, mais le véritable protagoniste est Dieu : tout ce que l’homme peut faire est d’«être disposé», être ouvert à l’action divine et ne pas lui opposer d’obstacle. En vivant les vertus théologales, l’homme s’élève et donne une valeur à son engagement. Le rythme de croissance de la foi, de l’espérance et de la charité va de pair avec l’½uvre de purification et avec l’union progressive avec Dieu jusqu’à se transformer en Lui. Lorsque l’on parvient à cet objectif, l’âme est plongée dans la vie trinitaire elle-même, de sorte que saint Jean affirme qu’elle parvient à aimer Dieu avec le même amour que celui avec lequel il l’aime, car il l’aime dans l’Esprit Saint. Voilà pourquoi le Docteur mystique soutient qu’il n’existe pas de véritable union d’amour avec Dieu si elle ne culmine pas dans l’union trinitaire. Dans cet état suprême, l’âme sainte connaît tout en Dieu et ne doit plus passer à travers les créatures pour arriver à Lui. L’âme se sent désormais inondée par l’amour divin et se réjouit entièrement en lui.

   Chers frères et s½urs, à la fin demeure la question : ce saint, avec sa mystique élevée, avec ce chemin difficile vers le sommet de la perfection, a-t-il quelque chose à nous dire à nous également, au chrétien normal qui vit dans les circonstances de cette vie actuelle, ou est-il un exemple, un modèle uniquement pour quelques âmes élues, qui peuvent réellement entreprendre ce chemin de la purification, de l’ascèse mystique ? Pour trouver la réponse, nous devons avant tout tenir compte du fait que la vie de saint Jean de la Croix n’a pas été un « envol sur les nuages mystiques », mais a été une vie très dure, très pratique et concrète, tant comme réformateur de l’ordre, où il rencontra de nombreuses oppositions, que comme supérieur provincial, ou dans les prisons de ses confrères, où il était exposé à des insultes incroyables et à de mauvais traitements physiques. Cela a été une vie dure, mais précisément au cours des mois passés en prison, il a écrit l’une de ses ½uvres les plus belles. Et ainsi, nous pouvons comprendre que le chemin avec le Christ, aller avec le Christ, « le Chemin », n’est pas un poids ajouté au fardeau déjà assez difficile de notre vie, ce n’est pas quelque chose qui rendrait encore plus lourd ce fardeau, mais il s’agit d’une chose totalement différente, c’est une lumière, une force, qui nous aide à porter ce fardeau.    Si un homme porte en lui un grand amour, cet amour lui donne presque des ailes, et il supporte plus facilement toutes les épreuves de la vie, car il porte en lui cette grande lumière ; telle est la foi : être aimé par Dieu et se laisser aimer par Dieu en Jésus Christ. Se laisser aimer est la lumière qui nous aide à porter le fardeau de chaque jour. Et la sainteté n’est pas notre ½uvre, très difficile, mais elle est précisément cette « ouverture » : ouvrir les fenêtres de notre âme pour que la lumière de Dieu puisse entrer, ne pas oublier Dieu car c’est précisément dans l’ouverture à sa lumière que se trouve la force, la joie des rachetés. Prions le Seigneur afin qu’il nous aide à trouver cette sainteté, à nous laisser aimer par Dieu, qui est notre vocation à tous et la véritable rédemption. 

 

 

 

 

 

2012

 

 

 

16 avril 2012 – Homélie de la Messe de son 85ème anniversaire

     Bernadette Soubirous, la jeune fille simple du sud, des Pyrénées — nous la connaissons et l’aimons tous. Bernadette a grandi dans la France du siècle des Lumières du XIXe siècle, dans une pauvreté difficilement imaginable. La prison, qui avait été abandonnée car trop insalubre, devint à la fin — après quelques hésitations — la demeure de la famille, dans laquelle elle passa son enfance. Il n’y avait pas la possibilité de recevoir une formation scolaire, uniquement un peu de catéchisme pour la préparation à la première communion. Mais précisément cette jeune fille simple, qui était restée pure et droite dans son c½ur, avait le c½ur qui voyait, était capable de voir la Mère du Seigneur et en Elle le reflet de la beauté et de la bonté de Dieu. A cette enfant, Marie pouvait se montrer et à travers elle parler au siècle et au-delà même du siècle. Bernadette savait voir, avec un c½ur pur et authentique. Et Marie lui indique la source: elle peut découvrir la source, l’eau vive, pure et non contaminée; une eau qui est vie, une eau qui donne pureté et santé. Et à travers les siècles, désormais, cette eau vive est un signe qui vient de Marie, un signe qui indique où se trouvent les sources de la vie, où nous pouvons nous purifier, où nous trouvons ce qui est non contaminé. A notre époque, à laquelle nous voyons le monde si essoufflé et dans lequel se fait ressentir la nécessité de l’eau, de l’eau pure, ce signe est d’autant plus grand. De Marie, de la Mère du Seigneur, du c½ur pur provient également l’eau pure, authentique, qui donne la vie, l’eau qui dans ce siècle — et dans les siècles à venir — nous purifie et nous guérit.

     Je pense que nous pouvons considérer cette eau comme une image de la vérité que nous rencontrons dans la foi: la vérité non pas simulée, mais non contaminée. En effet, pour pouvoir vivre, pour pouvoir devenir purs, nous avons besoin qu’existe en nous la nostalgie de la vie pure, de la vérité non déformée, de ce qui n’est pas contaminé par la corruption, d’être des hommes sans tâche. Voilà que ce jour, cette petite sainte, a toujours été pour moi un signe qui m’a indiqué d’où provient l’eau vive dont nous avons besoin — l’eau qui nous purifie et nous donne la vie — et un signe de ce que nous devrions être: avec tout le savoir et toutes les capacités, qui sont pourtant nécessaires, nous ne devons pas perdre le c½ur simple, le regard simple du c½ur, capable de voir l’essentiel, et nous devons toujours prier le Seigneur afin que nous conservions en nous l’humilité qui permet au c½ur de demeurer clairvoyant — de voir ce qui est simple et essentiel, la beauté et la bonté de Dieu — et de trouver ainsi la source dont provient l’eau qui donne la vie et purifie.

 

 

16 mai 2012 – Audience Générale

     La prière ne doit pas être vue comme une simple bonne ½uvre que nous accomplissons pour Dieu, comme notre propre action.      C’est avant tout un don, fruit de la présence vivante, vivifiante du Père et de Jésus-Christ en nous. Ainsi il écrit, dans la Lettre aux Romains : « Pareillement l'Esprit vient au secours de notre faiblesse ; car nous ne savons que demander pour prier comme il faut ; mais l'Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables » (8, 26). Et nous savons combien cette parole de l’apôtre est vraie : « Nous ne savons que demander pour prier comme il faut ». Nous voulons prier, mais Dieu est loin, nous n’avons pas les paroles, le langage, pour parler à Dieu, ni même la pensée. Nous pouvons seulement nous ouvrir, mettre notre temps à la disposition de Dieu, attendre qu’il nous aide lui-même à entrer dans un vrai dialogue.

     L’apôtre dit : ce manque de paroles, cette absence de paroles, mais aussi ce désir d’entrer en contact avec Dieu, voilà précisément une prière que l’Esprit-Saint non seulement comprend, mais porte et interprète auprès de Dieu. Notre faiblesse devient justement, par l’intermédiaire de l’Esprit-Saint, une véritable prière, un véritable contact avec Dieu. L’Esprit-Saint est quasiment l’interprète qui nous fait comprendre, à nous comme à Dieu, ce que nous voulons dire.

     Dans la prière, plus encore que dans les autres dimensions de notre existence, nous faisons l’expérience de notre faiblesse, de notre pauvreté, de notre nature créée, puisque nous sommes mis face à la toute-puissance et à la transcendance de Dieu. Et plus nous progressons dans l’écoute et dans le dialogue avec Dieu, pour que la prière devienne la respiration quotidienne de notre âme, plus nous percevons le sens de nos limites, non seulement devant les situations concrètes de tous les jours, mais aussi dans notre relation avec le Seigneur. C’est alors que grandit en nous le besoin de lui faire confiance, de nous en remettre toujours davantage à lui ; nous comprenons que « nous ne savons que demander pour prier comme il faut » (Rm 8, 26).

     Et c’est l’Esprit-Saint qui vient en aide à notre incapacité, qui éclaire notre esprit et qui réchauffe notre c½ur, nous poussant à nous tourner vers Dieu. Pour saint Paul, la prière est surtout l’½uvre de l’Esprit dans notre humanité, qui assume notre faiblesse et transforme, d’hommes liés aux réalités matérielles en hommes spirituels. Dans la Première Lettre aux Corinthiens, l’apôtre dit : « Or, nous n'avons pas reçu, nous, l'esprit du monde, mais l'Esprit qui vient de Dieu, pour connaître les dons gracieux que Dieu nous a faits.Et nous en parlons non pas avec des discours enseignés par l'humaine sagesse, mais avec ceux qu'enseigne l'Esprit, exprimant en termes spirituels des réalités spirituelles » (2, 12-13). En habitant notre fragilité humaine, l’Esprit-Saint nous change, intercède pour nous et nous élève jusqu’à Dieu (cf. Rm 8, 26).

     Notre union au Christ se réalise par cette présence de l’Esprit-Saint, puisqu’il s’agit de l’Esprit du Fils de Dieu, en qui nous sommes devenus fils. Saint Paul parle de l’Esprit du Christ (cf. Rm 8, 9), pas seulement de l’Esprit de Dieu. C’est évident : si le Christ est le Fils de Dieu, son Esprit est aussi l’Esprit de Dieu ; ainsi, si l’Esprit de Dieu, l’Esprit du Christ, s’est fait proche de nous par le passé dans le Fils de Dieu et Fils de l’homme, l’Esprit de Dieu devient aussi un esprit humain et nous touche ; nous pouvons entrer dans la communion de l’Esprit. C’est comme s’il disait que non seulement Dieu le Père s’est rendu visible dans l’incarnation du Fils, mais aussi l’Esprit de Dieu se manifeste dans la vie et dans l’action de Jésus, de Jésus-Christ, qui a vécu, a été crucifié, est mort et ressuscité. L’apôtre rappelle que « nul ne peut dire : "Jésus est Seigneur", s'il n'est avec l'Esprit Saint » (1 Co 12, 3). L’Esprit oriente donc notre c½ur vers Jésus-Christ, de sorte que « ce n’est plus nous qui vivons, mais le Christ qui vit en nous » (cf. Ga 2, 20). Dans ses Catéchèses sur les Sacrements, réfléchissant sur l’Eucharistie, saint Ambroise affirme : « Celui qui s’enivre de l’Esprit est enraciné dans le Christ » (5, 3, 17 : PL 16, 450).

     Je voudrais maintenant mettre en évidence trois conséquences pour notre vie chrétienne, lorsque nous laissons agir en nous non pas l’esprit du monde, mais l’Esprit du Christ comme principe intérieur de toutes nos actions.

     Avec la prière animée par l’Esprit-Saint, nous sommes tout d’abord mis en condition d’abandonner et de surpasser toute forme de peur ou d’esclavage, en vivant la liberté authentique des enfants de Dieu. Sans la prière qui alimente chaque jour notre être dans le Christ, dans une intimité croissante, nous nous trouvons dans la condition décrite par saint Paul dans la Lettre aux Romains : nous ne faisons pas le bien que nous voulons, mais le mal que nous ne voulons pas (cf. Rm 7, 19). Et c'est l’expression de l’aliénation de l’être humain, de la destruction de notre liberté, à cause de notre condition d’être marqué par le péché originel : nous voulons le bien que nous ne faisons pas et nous faisons ce que nous ne voulons pas, le mal.

     L’apôtre veut faire comprendre que ce n’est pas avant tout notre volonté qui nous libère de ces conditions, ni la Loi, mais l’Esprit-Saint. Et puisque « où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté » (2 Co 3, 17), avec la prière, nous faisons l’expérience de la liberté donnée par l’Esprit : une liberté authentique, qui est une liberté par rapport au mal et au péché, pour le bien et pour la vie, pour Dieu. La liberté de l’Esprit, continue saint Paul, ne s’identifie jamais ni avec le libertinage, ni avec la possibilité de faire le choix du mal, mais plutôt avec le « le fruit de l'Esprit [qui] est charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres,douceur, maîtrise de soi » (Ga 5, 22). Voilà la vraie liberté : pouvoir réellement suivre son désir du bien, de la vraie joie, de la communion avec Dieu sans se laisser asservir par les circonstances qui nous attirent vers d’autres directions.

     Une seconde conséquence se vérifie dans notre vie, quand nous laissons agir en nous l’Esprit du Christ : la relation avec Dieu elle-même devient tellement profonde qu’elle ne se laisse affecter par aucune réalité ou situation. Nous comprenons alors qu’avec la prière nous ne sommes pas libérés de l’épreuve et de la souffrance, mais nous pouvons les vivre en union avec le Christ, avec ses souffrances, dans la perspective de participer aussi à sa gloire (cf. Rm 8, 17). Souvent, dans notre prière, nous demandons à Dieu d’être libérés du mal physique ou spirituel, et nous le faisons avec une grande confiance. Pourtant, nous avons souvent l’impression de ne pas être écoutés et nous risquons alors de nous décourager et de ne pas persévérer. En réalité, il n’y a pas un cri humain qui ne soit écouté par Dieu et, dans la prière constante et fidèle, nous comprenons justement avec saint Paul que « les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous » (Rm 8, 18).

     La prière ne nous épargne pas les épreuves et la souffrance ; au contraire, nous « gémissons nous aussi intérieurement dans l'attente de la rédemption de notre corps » (Rm 8, 24), dit saint Paul ; il dit que la prière ne nous épargne pas la souffrance mais elle nous permet de la vivre et de l’affronter avec une force nouvelle, avec la même confiance que Jésus qui, selon la Lettre aux Hébreux, « aux jours de sa chair, [a] présenté, avec une violente clameur et des larmes, des implorations et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort, et a été exaucé en raison de sa piété » (5, 7). La réponse de Dieu le Père à son Fils, à ses cris et à ses larmes, n’a pas été la libération des souffrances, de la croix, de la mort, mais un exaucement encore plus grand, une réponse beaucoup plus profonde ; à travers la croix et la mort, Dieu a répondu par la résurrection de son Fils, par une vie nouvelle. La prière animée par l’Esprit-Saint nous porte, nous aussi, à vivre chaque jour le chemin de notre vie avec ses épreuves et ses souffrances, dans la pleine espérance, dans la confiance en Dieu qui répond comme il a répondu à son Fils.

     Troisième point, la prière du croyant s’ouvre aussi aux dimensions de l’humanité et de tout le créé, assumant la « création en attente [qui] aspire à la révélation des enfants de Dieu » (Rm 8, 19). Cela signifie que la prière, soutenue par l’Esprit du Christ qui parle à l’intime de notre c½ur, ne reste jamais fermée sur elle-même, n’est jamais seulement une prière pour moi, mais elle s’élargit au partage des souffrances de notre temps, des autres. Elle devient intercession pour les autres et, me libérant de moi-même, canal d’espérance pour toute la création, expression de cet amour de Dieu qui est répandu dans nos c½urs par l’Esprit qui nous a été donné (cf. Rm 5, 5). Et ceci est justement le signe d’une véritable prière, qui n’aboutit pas en nous-mêmes, mais qui s’ouvre aux autres et, ainsi, me libère et participe à la rédemption du monde.

     Chers frères et s½urs, saint Paul nous enseigne que, dans notre prière, nous devons nous ouvrir à la présence de l’Esprit-Saint, qui prie en nous par des gémissements inexprimables, pour nous amener à adhérer à Dieu de tout notre c½ur et de tout notre être. L’Esprit du Christ devient la force de notre « faible » prière, la lumière de notre prière « éteinte », le feu de notre prière « aride », et nous donne la vraie liberté intérieure, nous enseignant à vivre en affrontant les épreuves de l’existence, dans l’assurance que nous ne sommes pas seuls, nous ouvrant aux horizons de l’humanité et de la création qui « gémit en travail d'enfantement » (Rm 8, 22).

 

 

23 mai 2012 – Audience Générale

      C’est précisément l’amour de Jésus, le Fils unique — qui parvient au don de soi sur la croix — qui nous révèle la véritable nature du Père : Il est l’Amour, et nous aussi, dans notre prière de fils, nous entrons dans ce circuit d’amour, amour de Dieu qui purifie nos désirs, nos comportements marqués par la fermeture, la suffisance, l’égoïsme typique de l’homme ancien.

 

7 juin 2012 – Homélie Corpus Domini

     Je voudrais maintenant passer brièvement au deuxième aspect: le caractère sacré de l’Eucharistie. Là aussi, on a, dans un passé récent, senti les conséquences d’un certain malentendu sur le message authentique de la Sainte Ecriture. La nouveauté chrétienne concernant le culte a été influencée par une certaine mentalité sécularisée des années soixante et soixante-dix du siècle dernier. Il est vrai, et cela reste toujours valable, que le centre du culte n’est plus désormais dans les rites et dans les sacrifices anciens, mais dans le Christ lui-même, dans sa personne, dans sa vie, dans son mystère pascal. Et cependant, on ne doit pas déduire de cette nouveauté fondamentale que le sacré n’existe plus, mais qu’il a trouvé son accomplissement en Jésus Christ, Amour divin incarné. La Lettre aux Hébreux que nous avons écoutée ce soir dans la seconde lecture, nous parle justement de la nouveauté du sacerdoce du Christ, « grand prêtre des biens à venir » (He 9, 11), mais il ne dit pas que le sacerdoce est terminé. Le Christ « est médiateur d’une nouvelle alliance » (He 9, 15), scellée dans son sang, qui purifie « notre conscience des ½uvres mortes » (He 9, 14). Il n’a pas aboli le sacré, mais il l’a porté à son accomplissement, en inaugurant un culte nouveau, qui est certes pleinement spirituel, mais qui cependant, tant que nous sommes en chemin dans le temps, se sert encore de signes et de rites, qui ne disparaîtront qu’à la fin, dans la Jérusalem céleste, là où il n’y aura plus aucun temple (cf. Ap 21, 22). Grâce au Christ, le caractère sacré est plus vrai, plus intense, et, comme il advient pour les commandements, plus exigeant aussi ! L’observance rituelle ne suffit pas, mais il faut la purification du c½ur, et l’engagement de la vie.

  

 

 

29 juin 2012 – Homélie de la Messe

     Depuis toujours, la tradition chrétienne considère saint Pierre et saint Paul comme inséparables : en effet, ensemble, ils représentent tout l’Évangile du Christ. Ensuite, leur lien comme frères dans la foi a acquis un sens particulier à Rome. En effet, la communauté chrétienne de cette Ville les considère comme une espèce de contre-autel des mythiques Romulus et Remus, la fratrie à laquelle on faisait remonter la fondation de Rome. On pourrait penser aussi à un autre parallélisme ‘oppositif’, toujours sur le thème de la fraternité : alors que la première fratrie biblique nous montre l’effet du péché, pour lequel Caïn tue Abel, Pierre et Paul, bien qu’humainement très différents l’un de l’autre, et malgré les conflits qui n’ont pas manqué dans leur rapport, ont réalisé une manière nouvelle d’être frères, vécue selon l’Évangile, une manière authentique rendue possible par la grâce de l’Évangile du Christ opérant en eux. Seule la sequela du Christ conduit à la nouvelle fraternité.

      Dans le passage de l’évangile de saint Matthieu, Pierre fait sa confession de foi à Jésus, le reconnaissant comme Messie et Fils de Dieu ; il la fait aussi au nom des autres Apôtres. En réponse, le Seigneur lui révèle la mission qu’il entend lui confier, celle d’être la ‘pierre’, le ‘roc’, la fondation visible sur laquelle est construit l’entier édifice spirituel de l’Église (cf. Mt 16, 16-19). Mais de quelle façon Pierre est-il le roc ? Comment doit-il mettre en ½uvre cette prérogative, que naturellement il n’a pas reçue pour lui-même ? Le récit de l’évangéliste Matthieu nous dit surtout que la reconnaissance de l’identité de Jésus prononcée par Simon au nom des Douze ne provient pas « de la chair et du sang », c’est-à-dire de ses capacités humaines, mais d’une révélation particulière de Dieu le Père. Par contre, tout de suite après, quand Jésus annonce sa passion, mort et résurrection, Simon Pierre réagit vraiment à partir de « la chair et du sang » : il « se mit à lui faire de vifs reproches : … cela ne t’arrivera pas » (16, 22). Et Jésus réplique à son tour : « Passe derrière moi, Satan, tu es un obstacle sur ma route » (v. 23). Le disciple qui, par don de Dieu, peut devenir un roc solide, se manifeste aussi pour ce qu’il est, dans sa faiblesse humaine : une pierre sur la route, une pierre contre laquelle on peut buter- en grec skandalon. Apparaît ici évidente la tension qui existe entre le don qui provient du Seigneur et les capacités humaines ; et dans cette scène entre Jésus et Simon Pierre, nous voyons en quelque sorte anticipé le drame de l’histoire de la papauté-même, caractérisée justement par la coexistence de ces deux éléments : d’une part, grâce à la lumière et à la force qui viennent d’en-haut, la papauté constitue le fondement de l’Église pèlerine dans le temps ; d’autre part, au long des siècles, émerge aussi la faiblesse des hommes, que seule l’ouverture à l’action de Dieu peut transformer.

      « les portes des enfers », c’est-à-dire les forces du mal, ne pourront pas prévaloir, « non praevalebunt ». Vient à l’esprit le récit de la vocation du prophète Jérémie, à qui le Seigneur dit, en lui confiant sa mission : « Moi, je fais de toi aujourd’hui une ville fortifiée, une colonne de fer, un rempart de bronze, pour faire face à tout le pays, aux rois de Juda et à ses chefs, à ses prêtres et à tout le peuple. Ils te combattront, mais ils ne pourront rien contre toi - non praevalebunt -, car je suis avec toi pour te délivrer » (Jr 1, 18-19). En réalité, la promesse que Jésus fait à Pierre est encore plus grande que celles faites aux prophètes antiques : ceux-ci, en effet, étaient menacés uniquement par des ennemis humains, alors que Pierre devra être défendu des « portes des enfers », du pouvoir destructif du mal. Jérémie reçoit une promesse qui le concerne comme personne et concerne son ministère prophétique. Pierre est rassuré au sujet de l’avenir de l’Église, de la nouvelle communauté fondée par Jésus Christ et qui s’étend à tous les temps, au-delà de l’existence personnelle de Pierre lui-même.

     Passons à présent au symbole des clefs, dont parle l’Évangile d’entendre. Il renvoie à l’oracle du prophète Isaïe sur le fonctionnaire éliakim, dont il est dit : « Je mettrai sur son épaule la clef de la maison de David : s’il ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira » (Is 22, 22). La clef représente l’autorité sur la maison de David. Et dans l’Évangile, il y a une autre parole de Jésus adressée aux scribes et aux pharisiens, auxquels le Seigneur reproche de fermer aux hommes le Royaume des Cieux (cf. Mt 23, 13). Ces propos également nous aident à comprendre la promesse faite à Pierre : c’est à lui, en tant que fidèle administrateur du message du Christ, qu’il revient d’ouvrir la porte du Royaume des Cieux, et de juger s’il faut accueillir ou rejeter (cf. Ap 3, 7). Les deux images – celle des clefs et celle de lier et de délier – expriment donc des significations semblables et se renforcent l’une l’autre. L’expression « lier et délier » fait partie du langage rabbinique et fait allusion, d’un côté, aux décisions doctrinales et, de l’autre, au pouvoir disciplinaire, c’est-à-dire à la faculté d’infliger et de lever l’excommunication. Le parallélisme « sur terre … dans les cieux » garantit que les décisions de Pierre dans l’exercice de sa fonction ecclésiale ont également une valeur devant Dieu.

     Dans le chapitre 18 de l’Évangile selon Matthieu, consacré à la vie de la communauté ecclésiale, nous trouvons une autre affirmation de Jésus adressée à ses disciples : « En vérité je vous le dis : tout ce que vous lierez sur terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur terre sera délié dans le ciel » (Mt 18, 18). Et saint Jean, dans le récit de l’apparition du Christ ressuscité aux Apôtres le soir de Pâques, rapporte cette parole du Seigneur : « Recevez l’Esprit Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus » (Jn 20, 22-23). À la lumière de ces parallélismes, il apparaît clairement que l’autorité de délier et de lier consiste dans le pouvoir de remettre les péchés. Et cette grâce, qui enlève l’énergie aux forces du chaos et du mal, est au c½ur du mystère et du ministère de l’Église. L’Église n’est pas une communauté de personnes parfaites, mais de pécheurs qui doivent reconnaître qu’ils ont besoin de l’amour de Dieu et qu’ils ont besoin d’être purifiés par la Croix de Jésus Christ. Les paroles de Jésus au sujet de l’autorité de Pierre et des Apôtres laissent justement transparaître que le pouvoir de Dieu est l’amour, l’amour qui répand sa lumière à partir du Calvaire. Ainsi, nous pouvons aussi comprendre pourquoi, dans le récit évangélique, à la profession de foi de Pierre fait immédiatement suite la première annonce de la passion : en effet, Jésus par sa mort a vaincu les puissances de l’enfer, par son sang il a reversé sur le monde un immense fleuve de miséricorde, qui irrigue de ses eaux assainissantes l’humanité tout entière.

 

 

10 août 2012 – Message au Congrès de Rimini

     Parler de l’homme et de son désir d’infini signifie avant tout reconnaître sa relation constitutive avec le Créateur. L’homme est une créature de Dieu. Aujourd’hui, ce mot — créature — semble presque passé de mode: on préfère penser à l’homme comme à un être accompli en soi et artisan absolu de son propre destin. La considération de l’homme comme créature apparaît «dérangeante», car elle implique une référence essentielle à quelque chose d’autre ou de mieux, à Quelqu’un d’autre — non gérable par l’homme — qui définit de façon essentielle son identité; une identité de relation, dont la première donnée est la dépendance originelle et ontologique de Celui qui nous a voulus et qui nous a créés. Pourtant, cette dépendance, dont l’homme moderne et contemporain tente de s’affranchir, non seulement ne cache pas ou ne diminue pas, mais révèle de façon lumineuse la grandeur et la dignité suprême de l’homme, appelé à la vie pour entrer en rapport avec la Vie elle-même, avec Dieu.

     Dire que «la nature de l’homme est le rapport avec l’infini» signifie alors dire que chaque personne est créée afin qu’elle puisse entrer en dialogue avec Dieu, avec l’Infini. Au début de l’histoire du monde, Adam et Eve sont le fruit d’un acte d’amour de Dieu, faits à son image et ressemblance, et leur vie et leur relation avec le Créateur coïncidaient: «Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa» (Gn 1, 27). Et le péché originel trouve sa racine ultime précisément dans le fait que nos ancêtres se sont soustraits à cette relation constitutive, ont voulu se mettre à la place de Dieu, en croyant pouvoir se passer de Lui. Même après le péché, toutefois, demeure dans l’homme le désir brûlant de ce dialogue, presque comme une signature marquée par le feu dans son âme et dans sa chair par le Créateur lui-même. Le Psaume 63 [62] nous aide à entrer au c½ur de ce discours: «Dieu, c’est toi mon Dieu, je te cherche, mon âme a soif de toi, après toi languit ma chair, terre sèche, altérée, sans eau» (v. 2). Non seulement mon âme, mais chaque fibre de ma chair est faite pour trouver sa paix, sa réalisation en Dieu. Et cette tension est indélébile dans le c½ur de l’homme: même lorsqu’il refuse ou nie Dieu, la soif d’infini qui habite l’homme ne disparaît pas. Commence en revanche une recherche effrénée et stérile, de «faux infinis», qui puissent satisfaire au moins pour un temps. La soif de l’âme et le désir de la chair dont parle le Psalmiste ne peuvent être éliminés, ainsi l’homme, sans le savoir, se lance à la recherche de l’Infini, mais dans de mauvaises directions: dans la drogue, dans une sexualité vécue de façon désordonnée, dans les technologies toutes puissantes, dans le succès à tout prix, jusque dans des formes trompeuses de religiosité. Même les choses bonnes, que Dieu a créées comme voies qui conduisent à Lui, courent souvent le risque d’être érigées en absolu et devenir ainsi des idoles qui se substituent au Créateur.

Reconnaître d’être faits pour l’infini signifie parcourir un chemin de purification de ce que nous avons appelé «faux infinis», un chemin de conversion du c½ur et de l’esprit. Il faut déraciner toutes les fausses promesses d’infini qui séduisent l’homme et le rendent esclave. Pour se retrouver véritablement soi-même ainsi que sa propre identité, pour vivre à la hauteur de son être, l’homme doit se reconnaître à nouveau comme créature, dépendante de Dieu. A la reconnaissance de cette dépendance — qui au fond d’elle est la joyeuse découverte d’être fils de Dieu — est liée la possibilité d’une vie véritablement libre et pleine. Il est intéressant de noter que saint Paul, dans la Lettre aux Romains, voit le contraire de l’esclavage non pas tant dans la liberté, mais dans le fait d’être fils, d’avoir reçu l’Esprit Saint qui fait de nous des fils adoptifs et qui nous permet de crier à Dieu: «Abba! Père!» (cf. 8, 15). L’apôtre des nations parle d’un esclavage «mauvais»: celui du péché, de la loi, des passions de la chair. Mais à celui-ci il n’oppose pas l’autonomie, mais l’«esclavage du Christ» (cf. 6, 16-22), il se définit même comme «Paul, serviteur du Christ Jésus» (1, 1). Le point fondamental n’est donc pas d’éliminer la dépendance, qui est constitutive de l’homme, mais de l’orienter vers Celui qui seul peut nous rendre véritablement libres.

     Mais ici naît une question. N’est-il pas structurellement impossible pour l’homme de vivre à la hauteur de sa nature? Ce désir d’infini qu’il ressent sans jamais pouvoir l’assouvir pleinement n’est-il pas une condamnation? Cette interrogation nous conduit directement au c½ur du christianisme. En effet, l’infini lui-même, pour devenir une réponse que l’homme puisse expérimenter, a pris une forme finie. Depuis l’Incarnation, à partir du moment où le Verbe s’est fait chair, s’est effacée la distance impossible à combler entre fini et infini: le Dieu éternel et infini a quitté son Ciel et est entré dans le temps, il s’est plongé dans la finitude humaine. Rien alors n’est banal ou insignifiant sur le chemin de la vie et du monde. L’homme est fait pour un Dieu infini qui est devenu chair, qui a revêtu notre humanité pour l’attirer vers les hauteurs de son être divin.

     Chaque chose, chaque relation, chaque joie et chaque difficulté trouvent leur raison ultime dans le fait d’être une occasion de relation avec l’Infini, voix de Dieu qui nous appelle continuellement et nous invite à élever le regard, à découvrir dans notre adhésion à Lui la pleine réalisation de notre humanité. «Tu nous a faits pour toi — écrivait Augustin — et notre c½ur est sans repos jusqu’à ce qu’il repose en Toi» (Confessions, I, 1).

 

 

2 septembre 2012 – Homélie de la Messe

       L’Église a placé la parole du Deutéronome — « Où existe-t-il un peuple dont Dieu soit si proche, comme notre Dieu l’est de nous à chaque fois que nous l’invoquons ? » — au c½ur de l’Office divin du Corpus Domini, et elle lui a ainsi donné une nouvelle signification : où existe-t-il un peuple dont le Dieu soit si proche, comme notre Dieu l’est de nous ? Dans l’Eucharistie cela est devenue une pleine réalité. Assurément, il ne s’agit pas seulement d’un aspect extérieur : quelqu’un peut être proche du Tabernacle et, dans le même temps, être loin du Dieu vivant. Ce qui compte c’est la proximité intérieure ! Dieu est devenu si proche de nous qu’il est lui-même un homme : cela doit nous déconcerter et nous surprendre toujours à nouveau! Il est si proche qu’il est l’un de nous. Il connaît l’être humain, la « saveur » de l’être humain, il le connaît de l’intérieur, il l’a éprouvé avec ses joies et ses souffrances. En tant qu’homme, il est proche de moi, « à portée de voix » — si proche qu’il m’écoute et que je peux savoir : il m’entend et il m’exauce, même si ce n’est peut-être pas comme je me l’imagine.

     Laissons-nous combler à nouveau par cette joie: où existe-t-il un peuple dont Dieu soit si proche, comme notre Dieu l’est de nous ? Proche au point d’être l’un de nous, de me toucher de l’intérieur. Oui, au point d’entrer en moi à travers la Sainte Eucharistie. Une pensée qui est même déconcertante. Sur ce processus, saint Bonaventure a utilisé une fois, dans ses prières de communion, une formulation qui dérange, qui épouvante presque. Il dit: mon Seigneur, comment a-t-il pu te venir à l’esprit d’entrer dans les latrines sales de mon corps ? Oui, il entre dans notre misère, il le fait de manière consciente et il le fait pour nous compénétrer, pour nous nettoyer et pour nous renouveler, afin qu’à travers nous, en nous, la vérité soit dans le monde et que le salut se réalise. Nous demandons pardon au Seigneur pour notre indifférence, pour notre misère qui nous fait penser uniquement à nous-mêmes, pour notre égoïsme qui ne cherche pas la vérité, mais qui suit son habitude, et qui fait que le christianisme ressemble peut-être souvent uniquement à un système d’habitudes. Demandons-lui d’entrer, avec puissance, dans nos âmes, qu’il soit présent en nous et à travers nous — et qu’ainsi la joie naisse aussi en nous : Dieu est ici, et il m’aime, il est notre salut !

 

7 octobre 2012 – Homélie de la Messe d’ouverture du Synode

     C’est seulement purifiés que les chrétiens peuvent retrouver la fierté légitime de leur dignité d’enfants de Dieu, créés à son image et sauvés par le sang précieux de Jésus Christ, et peuvent expérimenter sa joie afin de la partager avec tous, avec ceux qui sont proches et avec ceux qui sont loin.

 


 

 

publié le : 16 décembre 2024

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