Benoît XVI de A à Z

Evangelium Vitae 2012

 

11 février 2012 – Message pour la Journée Mondiale du Malade

      Dans l’accueil généreux et aimant de chaque vie humaine et en particulier de celle qui est faible et malade, le chrétien exprime un aspect important de son témoignage évangélique, à l’exemple du Christ qui s’est penché sur les souffrances matérielles et spirituelles de l’homme pour le guérir.

     Puisque l’Onction des Malades valorise le contenu des prières liturgiques adaptées aux diverses situations humaines liées à la maladie, et pas seulement à la fin de la vie, elle ne doit pas être considérée comme un "sacrement mineur" par rapport aux autres. L’attention - et le soin pastoral - des malades si elle est, d’une part, le signe de la tendresse de Dieu pour celui qui souffre, constitue également, d’autre part, un bien spirituel pour les prêtres et la communauté chrétienne tout entière, prenant conscience que ce qui est fait au plus petit est fait à Jésus lui-même (cf Mt 25,40).

     La conformation au Mystère Pascal du Christ, qui se réalise également par la pratique de la Communion spirituelle, prend une signification toute particulière lorsque l’Eucharistie est administrée et reçue comme viatique. À un tel moment de la vie, la parole du Seigneur est encore plus parlante : « Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6,54). De fait l’Eucharistie, surtout en tant que viatique, est – selon la définition de saint Ignace d’Antioche – « remède d’immortalité, antidote contre la mort » (Lettre aux Éphésiens, 20 : PG 5, 661), sacrement du passage de la mort à la vie, de ce monde au Père qui les attend tous dans la Jérusalem céleste.

 

 

25 février 2012 – A l’Académie Pontificale pour la Vie    

     La direction que vous avez donnée à vos travaux manifeste la confiance que l’Eglise a toujours placée dans les possibilités de la raison humaine et dans un travail conduit de manière scientifique et rigoureuse, qui garde toujours à l’esprit l’aspect moral. Le thème que vous avez choisi cette année, « Diagnostic et thérapie de l’infertilité », a non seulement une importance humaine et sociale, mais il possède une valeur scientifique particulière et exprime la possibilité concrète d’un dialogue fécond entre dimension éthique et recherche biomédicale. Face au problème de l’infertilité du couple, en effet, vous avez choisi de rappeler et d’analyser de façon approfondie la dimension morale, en recherchant les voies pour un diagnostic correct et une thérapie qui corrige les causes de l’infertilité. Cette approche naît non seulement du désir de donner un enfant au couple, mais de restituer aux époux leur fertilité et toute la dignité d’être responsables de leurs choix en matière de procréation, pour être des collaborateurs de Dieu dans la génération d’un nouvel être humain. La recherche d’un diagnostic et d’une thérapie représente l’approche scientifiquement la plus correcte de la question de l’infertilité, mais également celle qui respecte le mieux l’humanité intégrale des sujets concernés. En effet, l’union de l’homme et de la femme dans cette communauté d’amour et de vie qu’est le mariage, constitue l’unique « lieu » digne pour appeler à l’existence un nouvel être humain, qui est toujours un don.

     Mon désir est donc d’encourager l’honnêteté intellectuelle de votre travail, expression d’une science qui garde en éveil son esprit de recherche de la vérité, au service du bien authentique de l’homme, et qui évite le risque d’être une pratique purement fonctionnelle. En effet, la dignité humaine et chrétienne de la procréation ne consiste pas en un « produit », mais dans son lien avec l’acte conjugal, expression de l’amour des conjoints, de leur union non seulement biologique, mais aussi spirituelle. L’Instruction Donum vitae nous rappelle, à cet égard, que « par sa structure intime, l'acte conjugal, unissant les époux par un lien très profond, les rend aptes à la génération de nouvelles vies, selon les lois inscrites dans l'être même de l'homme et de la femme » (n. 126). Les aspirations légitimes du couple à devenir parents, alors qu’ils se trouvent dans une condition d’infertilité, doivent donc trouver, avec l’aide de la science, une réponse qui respecte pleinement leur dignité de personnes et d’époux. L’humilité et la précision avec laquelle vous approfondissez ces problématiques, considérées désuètes par certains de vos collègues face à l’attrait de la technologie de la fécondation artificielle, mérite encouragement et soutien. A l’occasion du Xe anniversaire de l’encyclique Fides et ratio, je rappelais que « le gain facile, ou pire encore, l’arrogance de remplacer le Créateur jouent, à leur tour, un rôle déterminant. Il s’agit d’une forme d’hybris de la raison, qui peut prendre des caractéristiques dangereuses pour l’humanité elle-même » (Discours aux participants au Congrès international organisé par l’université pontificale du Latran, 18 octobre 2008 : AAS 100 [2008], 788-789). Effectivement, le scientisme et la logique du profit semblent aujourd’hui dominer le domaine de l’infertilité et de la procréation humaine, arrivant à limiter également de nombreux autres domaines de recherche.

     L’Eglise prête une grande attention à la souffrance des couples infertiles, elle a soin d’eux et, précisément pour cela, elle encourage la recherche médicale. Toutefois, la science n’est pas toujours en mesure de répondre aux désirs de nombreux couples. Je voudrais alors rappeler aux époux qui connaissent l’infertilité, que leur vocation matrimoniale n’en est pas pour autant frustrée. Les conjoints, en raison de leur vocation baptismale et matrimoniale elle-même, sont toujours appelés à collaborer avec Dieu dans la création d’une humanité nouvelle. En effet, la vocation à l’amour est une vocation au don de soi et cette dernière est une possibilité qu’aucune condition organique ne peut empêcher. Là où la science ne trouve donc pas de réponse, la réponse qui donne la lumière vient du Christ.

     Je désire vous encourager, vous tous ici réunis pour ces journées d’étude et qui travaillez parfois dans un contexte médico-scientifique dans lequel la dimension de la vérité apparaît obscurcie : poursuivez le chemin entrepris d’une science intellectuellement honnête et fascinée par la recherche incessante du bien de l’homme. Dans votre parcours intellectuel, ne dédaignez pas le dialogue avec la foi. Je vous adresse à tous l’appel pressant exprimé dans l’encyclique Deus caritas est : « Pour pouvoir agir de manière droite, la raison doit constamment être purifiée, car son aveuglement éthique, découlant de la tentation de l’intérêt et du pouvoir qui l’éblouissent, est un danger qu’on ne peut jamais totalement éliminer [...] La foi permet à la raison de mieux accomplir sa tâche et de mieux voir ce qui lui est propre » (n. 28). D’autre part, c’est précisément la matrice culturelle créée par le christianisme — enracinée dans l’affirmation de l’existence de la Vérité et de l’intelligibilité du réel à la lumière de la Vérité suprême — je dis bien la matrice culturelle, qui a rendu possible dans l’Europe du moyen-âge le développement du savoir scientifique moderne, un savoir qui dans les cultures précédentes n’était resté qu’à l’état de germe.

     Illustres scientifiques et vous tous membres de l’Académie engagés à promouvoir la vie et la dignité de la personne humaine, ayez toujours à l’esprit également le rôle culturel fondamental que vous jouez dans la société et l’influence que vous avez dans la formation de l’opinion publique. Mon prédécesseur, le bienheureux Jean-Paul II, rappelait que les scientifiques, « précisément parce qu’ils savent davantage, sont appelés à servir davantage » (Discours à l’Académie pontificale des sciences, 11 novembre 2002 : AAS 95 [2003], 206). Les gens ont confiance en vous qui servez la vie, ils ont confiance dans votre engagement pour soutenir ceux qui ont besoin de réconfort et d’espérance. Ne cédez jamais à la tentation de traiter le bien des personnes en le réduisant à un pur problème technique! L’indifférence de la conscience à l’égard du vrai et du bien représente une menace dangereuse pour un authentique progrès scientifique.

     Je voudrais conclure en renouvelant le vœu que le Concile Vatican ii adressa aux hommes de pensée et de science : « Heureux sont ceux qui, possédant la vérité, continuent à la chercher, pour la renouveler, pour l’approfondir, pour la donner aux autres » (Message aux hommes de pensée et de science, 8 décembre 1965 : aas 58 [1966], 12). C’est avec ces vœux que je donne à vous tous ici présents et à vos proches ma Bénédiction apostolique.

 

 

 

 

 

 

16 avril 2012 – Homélie de la Messe de son 85ème anniversaire

     Le jour même où je suis né, grâce à la bienveillance de mes parents, je suis aussi rené par l’eau et par l’Esprit. En premier lieu, il y a le don de la vie que mes parents m’ont fait à une époque très difficile, et pour lequel je dois les remercier. Mais il n’est pas évident que la vie de l’homme soit un don en soi. Peut-elle vraiment être un beau don? Savons-nous ce qui pèse sur l’homme à cette époque sombre qui s’ouvre à lui — également à l’époque plus lumineuse qui pourra venir? Pouvons-nous prévoir quelles difficultés, quels événements terribles il affrontera? Est-il juste de donner la vie ainsi, simplement? Cela est-il responsable ou trop incertain? Il s’agit d’un don problématique, s’il reste tel quel. La vie biologique en soi est un don, et pourtant elle est entourée par une profonde question. Elle ne devient un vrai don que si, avec celle-ci, on peut donner une promesse qui est plus forte que toute mésaventure qui peut nous menacer, si celle-ci est plongée dans une force qui garantit que cela est un bien d’être homme, que pour cette personne, tout ce que l’avenir apporte est un bien. Ainsi, à la naissance doit être associée la renaissance, la certitude que, en vérité, c’est un bien d’être là, car la promesse est plus forte que les menaces. Tel est le sens de la renaissance de l’eau et de l’Esprit: être plongés dans la promesse que Dieu seul peut faire: c’est un bien que tu sois là, et tu peux en être certain, quoi qu’il arrive. J’ai pu vivre de cette certitude, rené de l’eau et de l’esprit. Nicodème demande au Seigneur: «Un vieux peut-il renaître?». Or, la renaissance nous est donnée dans le baptême, mais nous devons sans cesse croître dans celle-ci, nous devons toujours à nouveau nous laisser plonger par Dieu dans sa promesse, pour être vraiment renés dans la nouvelle grande famille de Dieu qui est plus forte que toutes les faiblesses et que toutes les puissances négatives qui nous menacent. C’est pourquoi aujourd’hui est un jour de grande action de grâces.

 

3 mai 2012 – A l’Université catholique du Sacré-Coeur.

     En cette époque qui est la nôtre, les sciences expérimentales ont transformé la vision du monde et la compréhension que l’homme a de lui-même. Les multiples découvertes, les technologies innovatrices qui se succèdent à un rythme rapide, sont autant de motifs d’orgueil justifié, mais souvent, elles ne sont pas dénuées d’aspects inquiétants. En effet, sur la toile de fond de l’optimisme diffus du savoir scientifique se projette l’ombre d’une crise de la pensée. Riche de moyens, mais pas autant de fins, l’homme de notre temps vit souvent conditionné par le réductionnisme et le relativisme, qui conduisent à perdre la signification des choses ; presque aveuglé par l’efficacité technique, il oublie l’horizon fondamental de la question du sens, privant ainsi de son importance la dimension transcendante. Sur cette toile de fonds, la pensée devient faible et fait place à un appauvrissement éthique accru, qui obscurcit les références et les normes de valeurs. Ce qui a été une racine européenne féconde de culture et de progrès semble oubliée. En elle, la recherche de l’absolu — le quaerere Deum — comprenait l’exigence d’approfondir les sciences profanes, le monde du savoir tout entier (cf. Discours au Collège des Bernardins de Paris, 12 septembre 2008). En effet, la recherche scientifique et la question du sens, bien qu'ayant chacune une physionomie épistémologique et méthodologique spécifique, jaillissent d'une unique source, le Logos qui préside à l'œuvre de la création et qui guide l'intelligence de l'histoire. Une mentalité fondamentalement technopratique engendre un déséquilibre dangereux entre ce qui est techniquement possible et ce qui est moralement bon, avec des conséquences imprévisibles.

     Il est important, alors, que la culture redécouvre la vigueur de la signification et le dynamisme de la transcendance, en un mot, qu'elle  ouvre de façon décidée l'horizon du quaerere Deum. La célèbre phrase de saint Augustin vient à l’esprit : « Tu nous as faits pour Toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en Toi » (Confessions, i, 1). On peut dire que la même impulsion à la recherche scientifique jaillit de la nostalgie de Dieu qui habite le cœur humain: au fond, l’homme de science tend, même inconsciemment, à atteindre cette vérité qui peut donner un sens à la vie. Mais si passionnée et tenace qu’elle soit, la recherche humaine n’est pas capable par ses propres forces d’aboutir à un lieu sûr, car « l’homme n’est pas en mesure d’éclaircir complètement l’étrange pénombre qui enveloppe la question des réalités éternelles… Dieu doit prendre l’initiative de venir à la rencontre de l’homme et de s’adresser à lui » (J. Ratzinger, L’Europe de Benoît dans la crise des cultures). Pour redonner à la raison sa dimension originelle et intégrale, il faut alors redécouvrir le lieu d’origine que la recherche scientifique partage avec la recherche de foi, fides quaerens intellectum, selon l’intuition de saint Anselme. Science et foi possèdent une réciprocité féconde, presque une exigence complémentaire de l’intelligence du réel. Mais, paradoxalement, c’est précisément la culture positiviste, en excluant du débat scientifique la question sur Dieu, qui détermine le déclin de la pensée et l’affaiblissement de la capacité de com-préhension du réel. Mais le quaerere Deum de l’homme se perdrait dans un dédale de voies si ne s’ouvrait pas à lui un chemin d’illumination et d’orientation certaine, qui est celui de Dieu lui-même qui se fait proche de l’homme, à travers un amour immense : « En Jésus Christ, Dieu ne parle pas seulement à l'homme mais il le recherche... C'est une recherche qui naît au cœur même de Dieu et qui a son point culminant dans l'Incarnation du Verbe » (Jean-Paul II, Tertio millennio adveniente, 7).

     Religion du Logos, le christianisme ne relègue pas la foi au domaine de l’irrationnel, mais attribue l’origine et le sens de la réalité à la Raison créatrice, qui, dans le Dieu crucifié, s’est manifestée comme amour et qui invite à parcourir la voie du quaerere Deum : « Je suis le chemin, la vérité, la vie ». Saint Thomas d’Aquin commente : « Le terme de ce chemin est la fin du désir humain. Or, l’homme désire avant tout deux choses: premièrement, la connaissance de la vérité, ce qui lui est propre ; en second lieu, la conservation de son être, ce qui est commun à toutes les réalités. Le Christ se trouve dans l’une et dans l’autre... Si donc tu cherches par où passer, accueille le Christ, parce qu’il est lui-même le Chemin » (Commentaire sur saint Jean, chap. 14, lectio 2). L’Évangile de la vie illumine alors le chemin difficile de l’homme, et devant la tentation de l’autonomie absolue, il rappelle que « la vie de l’homme vient de Dieu, c’est son don, son image et son empreinte, la participation à son souffle vital » (Jean-Paul II, Evangelium vitae, n. 39). Et c’est précisément en parcourant le sentier de la foi que l’homme peut entrevoir dans les réalités mêmes de la souffrance et de la mort qui traversent son existence, une possibilité authentique de bien et de vie. Dans la croix du Christ, il reconnaît l’Arbre de la vie, révélation de l’amour passionné de Dieu pour l’homme. Le soin des personnes qui souffrent est alors une rencontre quotidienne avec le visage du Christ, et le dévouement de l’intelligence et du cœur devient un signe de miséricorde de Dieu et de sa victoire sur la mort.

     Vécue dans son intégralité, la recherche est illuminée par la science et la foi et tire de ces deux « ailes » une impulsion et un élan, sans jamais perdre la juste humilité, le sens de ses limites. De cette façon, la recherche de Dieu devient féconde pour l’intelligence, ferment de culture, promotrice d’un véritable humanisme, une recherche qui ne se limite pas à la surface. Chers amis, laissez-vous toujours guider par la sagesse qui vient d’En-haut, par un savoir illuminé par la foi, en rappelant que la sagesse exige la passion et l’effort de la recherche.

     C’est là que s’inscrit le devoir irremplaçable de l’Université catholique, lieu où la relation éducative est placée au service de la personne dans l’édification d’une compétence scientifique qualifiée, enracinée dans un patrimoine de savoirs que la succession des générations a distillé en une sagesse de vie; un lieu où la relation de soin n’est pas un métier, mais une mission; où la charité du Bon Samaritain est la première chaire et le visage de l’homme souffrant le Visage même du Christ: « C’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). L’Université catholique du Sacré-Cœur, dans le travail quotidien de recherche, d’enseignement et d’étude, vit dans cette traditio qui exprime son potentiel d’innovation: aucun progrès, encore moins sur le plan culturel, ne se nourrit de simple répétition, mais exige un commencement toujours nouveau. Il exige en outre la disponibilité à la confrontation et au dialogue qui ouvre l’intelligence et témoigne de la riche fécondité du patrimoine de la foi. On donne ainsi forme à une personnalité solidement structurée, dans laquelle l’identité chrétienne pénètre le vécu quotidien et s’exprime de l’intérieur par un professionnalisme qui atteint un niveau d’excellence.

     L’Université catholique, qui possède avec le siège de Rome un rapport particulier, est appelée aujourd’hui à être une institution exemplaire qui ne réduit pas l’apprentissage à la fonctionnalité d’un résultat économique, mais qui étend son horizon à des projets pour lesquels le don de l’intelligence exploite et développe les dons du monde créé, en dépassant une vision uniquement productiviste et utilitariste de l’existence, car « l’être humain est fait pour le don ; c’est le don qui exprime et réalise sa dimension de transcendance » (Caritas in veritate, n. 34). C’est précisément cette alliance de recherche scientifique et de service inconditionnel à la vie qui définit l’identité catholique de la faculté de médecine et de chirurgie « Agostino Gemelli », car la perspective de la foi est intérieure — ni superposée ni juxtaposée — à la recherche profonde et tenace du savoir.

     Une faculté catholique de médecine est un lieu où l’humanisme transcendant n’est pas un slogan rhétorique, mais une règle vécue de dévouement quotidien. En rêvant d’une faculté de médecine et de chirurgie véritablement catholique, le père Gemelli — et avec lui tant d’autres, comme le professeur Brasca — reportait au centre de l’attention la personne humaine dans sa fragilité et dans sa grandeur, avec les ressources toujours nouvelles d’une recherche passionnée et une conscience non moins importante de la limite et du mystère de la vie. C’est pourquoi vous avez voulu instituer un nouveau centre universitaire pour la vie, qui soutienne d’autres réalités déjà existantes comme, par exemple, l’Institut scientifique international Paul VI. J’encourage donc l’attention à la vie à toutes ses étapes.

     Je voudrais à présent m’adresser en particulier à tous les patients présents ici, au « Gemelli », les assurer de ma prière et de mon affection et leur dire qu’ils seront toujours suivis avec amour ici, car dans leur visage se reflète celui du Christ souffrant.

     C’est précisément l’amour de Dieu, qui resplendit dans le Christ, qui rend le regard de la recherche aigu et pénétrant, et qui saisit ce qu’aucune analyse n’est en mesure de saisir. Le bienheureux Giuseppe Toniolo le savait bien, en affirmant que la nature de l’homme est de lire l’image de Dieu amour dans les autres et son empreinte dans la création. Sans amour, même la science perd sa noblesse. Seul l’amour garantit l’humanité de la recherche.

 

 

 

 

 

 

4 mai 2012. A de nouveaux Ambassadeurs près le Saint-Siège.

     Le développement des moyens de communication a rendu notre planète, d’une certaine manière, plus petite. La capacité de connaître presqu’immédiatement les événements qui se déroulent dans le monde entier, comme les besoins des peuples et des personnes, est un appel pressant à leur être proches dans leurs joies comme dans leurs difficultés. Le constat de la grande souffrance provoquée dans le monde par la pauvreté et la misère aussi bien matérielles que spirituelles invite à une nouvelle mobilisation pour faire face, dans la justice et la solidarité, à tout ce qui menace l’homme, la société et son environnement.

     L’exode vers les villes, les conflits armés, les famines et les pandémies, qui touchent tant de populations, développent de façon dramatique la pauvreté qui revêt aujourd’hui de nouvelles formes. La crise économique mondiale conduit des familles de plus en plus nombreuses à une précarité croissante. Alors que la création et la multiplication des besoins a fait croire à la possibilité illimitée de jouissance et de consommation, faute des moyens nécessaires à leur satisfaction, des sentiments de frustration sont apparus. La solitude due à l’exclusion a augmenté. Et quand la misère coexiste avec la très grande richesse, naît une impression d’injustice qui peut devenir source de révoltes. Il convient donc que les États veillent à ce que les lois sociales n’accroissent pas les inégalités et permettent à chacun de vivre de façon décente.

     Pour cela, considérer les personnes à aider avant le manque à combler, c’est leur rendre un rôle d’acteur social, et leur permettre de prendre en main leur avenir, pour occuper à leur mesure une place dans la société. Car, « l’homme vaut plus par ce qu’il est que par ce qu’il a » (Conc. Vat. II, Gaudium et spes, 35). Le développement auquel toute nation aspire doit concerner chaque personne dans son intégralité, et non la seule croissance économique. Cette conviction doit devenir une volonté efficace d’action. Des expériences telles que le microcrédit, et des initiatives pour créer des partenariats équitables, montrent qu’il est possible d’harmoniser des objectifs économiques avec le lien social, la gestion démocratique et le respect de la nature. Il est bon aussi, par exemple, et en leur redonnant des lettres de noblesse, de promouvoir le travail manuel et de favoriser une agriculture qui soit tout d’abord au service des habitants. Là peut se trouver une aide véritable qui, mise en œuvre au plan local, national et international, prend en compte l’unicité, la valeur et le bien intégral de chaque personne. La qualité des relations humaines et le partage des ressources sont à la base de la société, en permettant à chacun d’y avoir sa place et d’y vivre dignement conformément à ses aspirations.

    

 

 

    

 

 

 

 

13 mai 2012 – Homélie de la Messe à Arezzo, en Italie

     Nous devons nous demander, quelle vision de l’homme nous sommes en mesure de proposer aux nouvelles générations ?

 

    Témoigner de l’amour de Dieu dans l’attention aux laissés-pour-compte se conjugue aussi avec la défense de la vie, de son apparition à son terme naturel. La défense de la famille, à travers des lois justes et en mesure de protéger aussi les plus faibles, doit toujours constituer un point important pour conserver un tissu social solidaire et offrir des perspectives d’espérance pour l’avenir. De même qu’au Moyen-Age, les statuts de vos villes furent un instrument permettant d’assurer à de nombreuses personnes des droits inaliénables, qu’aujourd’hui encore, se poursuive l’engagement de promouvoir une ville au visage toujours plus humain. En cela, l’Eglise apporte sa contribution afin que l’amour de Dieu s’accompagne toujours de l’amour pour notre prochain.

 

 

 

16 mai 2012 – Au terme de l’Audience Générale

     Hier, mardi 15 mai, nous avons célébré la Journée internationale des Familles, instituée par les Nations-Unies et dédiée, cette année, à l’équilibre entre deux questions étroitement liées : la famille et le travail. Ce dernier ne devrait pas être un obstacle à la famille, mais plutôt la soutenir et l’unifier, l’aider et l’ouvrir à la vie et à entrer en relation avec la société et avec l’Eglise. Je forme le vœu, en outre, que le dimanche, jour du Seigneur et Pâque de la semaine, soit un jour de repos et l’occasion de renforcer les liens familiaux.

 

  22  mai 2012 – Au terme du déjeuner avec les cardinaux, au Vatican.

      Nous voyons comment le mal veut dominer le monde et qu’il est nécessaire d’entrer dans le combat contre le mal. Nous voyons comment il agit de tant de manières, sanglantes, sous différentes formes de violence, mais aussi sous le masque du bien et justement ainsi, détruisant les fondements moraux de la société.

 

 

 

23 mai 2012 – Audience Générale

      L’homme d’aujourd’hui ne perçoit sans doute pas la beauté, la grandeur et le réconfort profond contenus dans le mot « père », par lequel nous pouvons nous adresser à Dieu dans la prière, parce qu’aujourd’hui, la figure paternelle n’est souvent pas suffisamment présente et souvent, elle n’est pas assez positive dans la vie quotidienne. L’absence du père, le problème d’un père non présent dans la vie de l’enfant est un grand problème de notre temps, parce qu’il devient difficile de comprendre dans sa profondeur ce que veut dire que Dieu est Père pour nous. De Jésus lui-même, de sa relation filiale avec Dieu, nous pouvons apprendre ce que signifie véritablement « père », quelle est la véritable nature du Père qui est dans les cieux. Des critiques de la religion ont dit que parler du « Père », de Dieu, serait une projection de nos pères au ciel. Mais c’est le contraire qui est vrai : dans l’Évangile, le Christ nous montre qui est le père et comment doit être un véritable père, afin que nous puissions comprendre la véritable paternité, apprendre également la véritable paternité. Pensons aux paroles de Jésus dans le sermon sur la montagne, où il dit : « Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d'être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux » (Mt 5, 44-45). C’est précisément l’amour de Jésus, le Fils unique — qui parvient au don de soi sur la croix — qui nous révèle la véritable nature du Père : Il est l’Amour, et nous aussi, dans notre prière de fils, nous entrons dans ce circuit d’amour, amour de Dieu qui purifie nos désirs, nos comportements marqués par la fermeture, la suffisance, l’égoïsme typique de l’homme ancien. Nous pourrions donc dire qu’en Dieu, la nature de Père possède deux dimensions. Tout d’abord, Dieu est notre Père, parce qu’il est notre Créateur. Chacun de nous, chaque homme et chaque femme est un miracle de Dieu, il est voulu par Lui et Dieu le connaît personnellement. Lorsque dans le Livre de la Genèse, on dit que l’être humain est créé à l’image de Dieu (cf. 1, 27), on veut exprimer précisément cette réalité : Dieu est notre père, pour Lui, nous ne sommes pas des êtres anonymes, impersonnels, mais nous avons un nom. Il y a une phrase dans les Psaumes qui me touche toujours, lorsque je la prie : « Tes mains m'ont fait » dit le psalmiste (Ps 119, 73). Chacun de nous peut dire, dans cette belle image, la relation personnelle avec Dieu : « Tes mains m'ont fait, tu m’a pensé et créé et voulu ». Mais cela ne suffit pas encore. L’Esprit du Christ nous ouvre à une deuxième dimension de la paternité de Dieu, au-delà de la création, car Jésus est le « Fils » au sens plénier, « de la même substance que le Père », comme nous professons dans le Credo. En devenant un être humain comme nous, à travers l’Incarnation, la Mort et la Résurrection, Jésus nous accueille à son tour dans son humanité et dans sa condition même de Fils; ainsi, nous pouvons entrer nous aussi dans son appartenance spécifique à Dieu. Assurément, notre condition de fils de Dieu ne possède pas la même plénitude que Jésus ; nous devons le devenir toujours davantage, le long du chemin de toute notre existence chrétienne, en grandissant à la suite de Jésus, dans la communion avec Lui pour entrer toujours plus intimement dans la relation d’amour avec Dieu le Père, qui soutient la nôtre et donne son sens véritable à la vie. C’est cette réalité fondamentale qui nous est révélée quand nous nous ouvrons à l’Esprit Saint et Il nous fait nous adresser à Dieu en lui disant : « Abbà ! , Père ! ». Nous sommes réellement allés au-delà de la création dans l’adoption avec Jésus; unis, nous sommes réellement en Dieu et fils d’une manière nouvelle, dans une dimension nouvelle.

    

      Apprenons à goûter dans notre prière la beauté d’être des amis, ou plutôt des fils de Dieu, de pouvoir l’invoquer avec la familiarité et la confiance qu’un enfant éprouve envers ses parents qui l’aiment.

 

 

 

 

 

 

26 mai 2012 – Audience au Renouveau charismatique

      L’adulte, selon l’Evangile, ce n’est pas celui qui n’est soumis à personne et n’a besoin de personne. Seul celui qui se fait petit, humble et serviteur devant Dieu et qui ne suit pas seulement les courants de l’époque peut être adulte, c’est-à-dire mûr et responsable. Il est par conséquent nécessaire de former les consciences à la lumière de la Parole de Dieu et donner ainsi fermeté et une véritable maturité; la Parole de Dieu où tout projet ecclésial et humain tire son sens et son impulsion, même en ce qui concerne l’édification de la cité terrestre (cf. Ps 127, 1

      Poursuivez votre engagement en faveur de la famille, lieu incontournable de l’éducation à l’amour et au sacrifice de soi.

    

 

 

 

 

3 juin 2012 – Homélie de la Messe lors de la Rencontre Mondiale des Familles à Milan

     C’est un moment fort de joie et de communion que nous vivons ce matin, en célébrant le sacrifice eucharistique ; une grande assemblée, réunie avec le Successeur de Pierre, constituée de fidèles provenant de nombreuses nations. Elle offre une image expressive de l’Église, une et universelle, fondée par le Christ et fruit de cette mission, que Jésus, comme nous l’avons entendu dans l’Évangile, a confiée à ses apôtres : aller et faire de tous les peuples des disciples, « les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit » (Mt 28, 18-19). …Aujourd’hui, toute mon affection va surtout à vous, chères familles ! Merci de votre participation !

     Dans la deuxième lecture, l’apôtre Paul nous a rappelé qu’au baptême nous avons reçu l’Esprit Saint, qui nous unit au Christ en tant que frères et nous met en relation avec le Père en tant qu’enfants, de sorte que nous pouvons crier : « Abbà Père ! » (cf. Rm 8, 15.17). En cet instant, il nous a été donné un germe de vie nouvelle, divine, pour le faire grandir jusqu’à son accomplissement définitif dans la gloire céleste ; nous sommes devenus membres de l’Église, la famille de Dieu, « sacrarium Trinitatis » - ainsi la définit saint Ambroise -, « peuple qui – comme l’enseigne le Concile Vatican II – tire son unité de l’unité du Père et du Fils et de l’Esprit Saint » (Const. Lumen gentium, 4). La solennité liturgique de la Sainte Trinité, que nous célébrons aujourd’hui, nous invite à contempler ce mystère, mais elle nous pousse aussi à nous engager à vivre la communion avec Dieu et entre nous sur le modèle de la communion trinitaire. Nous sommes appelés à accueillir et à transmettre d’un commun accord les vérités de la foi ; à vivre l’amour réciproque et envers tous, en partageant joies et souffrances, en apprenant à demander et à accorder le pardon, en valorisant les différents charismes sous la conduite des pasteurs. En un mot, nous est confiée la tâche d’édifier des communautés ecclésiales qui soient toujours plus famille, capables de refléter la beauté de la Trinité et d’évangéliser non seulement par la parole mais, je dirais même, par « irradiation », par la force de l’amour vécu.

     Ce n’est pas seulement l’Église qui est appelée à être image du Dieu unique en trois personnes, mais aussi la famille, fondée sur le mariage entre l’homme et la femme. Au commencement, en effet, « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme. Dieu les bénit et leur dit : "Soyez féconds, et multipliez-vous" » (Gn 1, 27-28). Dieu a créé l’être humain mâle et femelle, avec une même dignité, mais aussi avec des caractéristiques propres et complémentaires, pour que les deux soient un don l’un pour l’autre, se mettent en valeur réciproquement et réalisent une communauté d’amour et de vie. L’amour est ce qui fait de la personne humaine l’image authentique de la Trinité, image de Dieu. Chers époux, en vivant le mariage, vous ne vous donnez pas quelque chose ou quelque activité, mais la vie entière. Et votre amour est fécond avant tout pour vous-mêmes, parce que vous désirez et vous réalisez le bien l’un de l’autre, expérimentant la joie de recevoir et de donner. Il est aussi fécond dans la procréation, généreuse et responsable, des enfants, dans l’attention prévenante pour eux et dans leur éducation attentive et sage. Il est fécond enfin pour la société, car votre vécu familial est la première et irremplaçable école des vertus sociales telles que le respect des personnes, la gratuité, la confiance, la responsabilité, la solidarité, la coopération. Chers époux, prenez soin de vos enfants et, dans un monde dominé par la technique, transmettez-leur, avec sérénité et confiance, les raisons de vivre, la force de la foi, en leur proposant des objectifs élevés et en les soutenant dans leur fragilité. Mais vous aussi les enfants, sachez maintenir sans cesse une relation de profonde affection et d’attention prévenante à l’égard de vos parents, et que les relations entre frères et sœurs soient aussi des occasions de grandir dans l’amour.

     Le projet de Dieu sur le couple humain trouve sa plénitude en Jésus-Christ qui a élevé le mariage au rang de sacrement. Chers époux, par un don spécial de l’Esprit Saint, le Christ vous fait participer à son amour sponsal, en faisant de vous le signe de son amour pour l’Église : un amour fidèle et total. Si vous savez accueillir ce don, en renouvelant chaque jour, avec foi, votre « oui », avec la force qui vient de la grâce du Sacrement, votre famille aussi vivra de l’amour de Dieu, sur le modèle de la Sainte Famille de Nazareth. Chères familles, demandez souvent, dans la prière, l’aide de la Vierge Marie et de saint Joseph, pour qu’ils vous apprennent à accueillir l’amour de Dieu comme ils l’ont accueilli. Votre vocation n’est pas facile à vivre, spécialement aujourd’hui, mais celle de l’amour est une réalité merveilleuse, elle est l’unique force qui peut vraiment transformer le cosmos, le monde. Devant vous vous avez le témoignage de nombreuses familles qui vous indiquent les voies pour grandir dans l’amour : maintenir une relation constante avec Dieu et participer à la vie ecclésiale, entretenir le dialogue, respecter le point de vue de l’autre, être prêts à servir, être patients avec les défauts des autres, savoir pardonner et demander pardon, surmonter avec intelligence et humilité les conflits éventuels, s’accorder sur les orientations éducatives, être ouverts aux autres familles, attentifs aux pauvres, responsables dans la société civile. Ce sont tous des éléments qui construisent la famille. Vivez-les avec courage, certains que, dans la mesure où avec le soutien de la grâce divine, vous vivrez l’amour réciproque et envers tous, vous deviendrez un Évangile vivant, une véritable Église domestique (cf. Exhort. apost. Familiaris consortio, 49). Je voudrais aussi réserver un mot aux fidèles qui, tout en partageant les enseignements de l’Église sur la famille, sont marqués par des expériences douloureuses d’échec et de séparation. Sachez que le Pape et l’Église vous soutiennent dans votre peine. Je vous encourage à rester unis à vos communautés, tout en souhaitant que les diocèses prennent des initiatives d’accueil et de proximité adéquates.

     Dans le livre de la Genèse, Dieu confie au couple humain sa création pour qu’il la garde, la cultive, la conduise selon son projet (cf. 1, 27-28 ; 2, 15). Dans cette indication de la Sainte Écriture, nous pouvons lire la tâche de l’homme et de la femme de collaborer avec Dieu pour transformer le monde, par le travail, la science et la technique. L’homme et la femme sont images de Dieu aussi dans cette œuvre précieuse qu’ils doivent accomplir avec le même amour que le Créateur. Nous voyons que, dans les théories économiques modernes, prédomine souvent une conception utilitariste du travail, de la production et du marché. Le projet de Dieu et l’expérience elle-même montrent cependant que ce n’est pas la logique unilatérale du bénéfice personnel et du profit maximum qui peut contribuer à un développement harmonieux, au bien de la famille et à l’édification d’une société plus juste, car cette logique comporte une concurrence exaspérée, de fortes inégalités, la dégradation de l’environnement, la course aux biens de consommation, la gêne dans les familles. Bien plus, la mentalité utilitariste tend à s’étendre aussi aux relations interpersonnelles et familiales, en les réduisant à de précaires convergences d’intérêts individuels et en minant la solidité du tissu social.

     Un dernier élément. L’homme, en tant qu’image de Dieu, est appelé aussi au repos et à la fête. Le récit de la création se termine par ces paroles : « Le septième jour, Dieu avait achevé l'œuvre qu'il avait faite. Il se reposa le septième jour, de toute l'œuvre qu'il avait faite. Et Dieu bénit le septième jour : il en fit un jour sacré » (Gn 2, 2-3). Pour nous chrétiens, le jour de fête c’est le dimanche, jour du Seigneur, Pâque hebdomadaire. C’est le jour de l’Église, assemblée convoquée par le Seigneur autour de la table de la Parole et du Sacrifice eucharistique, comme nous sommes en train de le faire aujourd’hui, pour nous nourrir de Lui, entrer dans son amour et vivre de son amour. C’est le jour de l’homme et de ses valeurs : convivialité, amitié, solidarité, culture, contact avec la nature, jeu, sport. C’est le jour de la famille, au cours duquel nous devons vivre ensemble le sens de la fête, de la rencontre, du partage, en participant aussi à la Messe. Chères familles, même dans les rythmes serrés de notre époque, ne perdez pas le sens du jour du Seigneur ! Il est comme l’oasis où s’arrêter pour goûter la joie de la rencontre et étancher notre soif de Dieu.

     Famille, travail, fête : trois dons de Dieu, trois dimensions de notre existence qui doivent trouver un équilibre harmonieux. Harmoniser les temps de travail et les exigences de la famille, la profession et la paternité et la maternité, le travail et la fête, est important pour construire des sociétés au visage humain. En cela, privilégiez toujours la logique de l’être par rapport à celle de l’avoir : la première construit, la deuxième finit par détruire. Il faut s’éduquer à croire, avant tout en famille, dans l’amour authentique, qui vient de Dieu et qui nous unit à lui et pour cela justement « nous transforme en un nous, qui surpasse nos divisions et qui nous fait devenir un, jusqu’à ce que, à la fin, Dieu soit "tout en tous" » (1 Co 15, 28) » (Enc. Deus caritas est, 18).

 

 

7 juin 2012 – Homélie Corpus Domini

     Je voudrais aussi souligner que le sacré a une fonction éducative et que sa disparition appauvrit inévitablement la culture, en particulier la formation des nouvelles générations. Si, par exemple, au nom d’une foi sécularisée qui n’aurait plus besoin des signes sacrés, on abolissait la procession du Corpus Domini dans la ville, le profil spirituel de Rome se trouverait « aplati » et notre conscience personnelle et communautaire s’en trouverait affaiblie. Ou bien, pensons à une mère et à un père qui, au nom de la foi désacralisée, priveraient leurs enfants de tout rituel religieux: ils finiraient en réalité par laisser le champ libre aux innombrables succédanés présents dans la société de consommation, à d’autres rites et à d’autres signes, qui pourraient devenir plus facilement des idoles.

 

 

 

11 juin 2012 – au Congrès du Diocèse de Rome.

      Le choix du mot « au nom du Père » dans le texte grec est très important: le Seigneur dit « eis » et non « en », c’est-à-dire qu’il ne dit pas « au nom » de la Trinité — comme nous disons qu’un vice-préfet parle « au nom » du préfet, qu’un ambassadeur parle « au nom » du gouvernement : non. Il dit : « eis to onoma », c’est-à-dire qu’il s’agit d’une immersion dans le nom de la Trinité, d’être insérés dans le nom de la Trinité, d’une interpénétration de l’être de Dieu et de notre être, d’être plongés dans le Dieu Trinité, Père, Fils et Esprit Saint, de même que dans le mariage, par exemple, deux personnes deviennent une chair, deviennent une nouvelle, unique réalité, avec un nom nouveau, unique.

      Devenir chrétiens n’est pas quelque chose qui dépend de ma décision : « Maintenant, je me fais chrétien ». Naturellement, ma décision est nécessaire, mais c’est surtout une action de Dieu avec moi : ce n’est pas moi qui me fait chrétien, je suis appelé par Dieu, pris en main par Dieu et ainsi, en disant « oui » à cette action de Dieu, je deviens chrétien. Devenir chrétiens, dans un certain sens, est passif : je ne me fais pas chrétien, mais Dieu me fait devenir l’un de ses hommes, Dieu me prend en main et réalise ma vie dans une nouvelle dimension. De même que je ne me fais pas vivre, mais que la vie m’a été donnée ; je ne suis pas né parce que je me suis fait homme, mais je suis né parce que l’être humain m’est donné. Ainsi, être chrétien m’est donné, c’est un passif pour moi, qui devient un actif dans notre vie, dans ma vie. Et ce fait du passif, de ne pas se faire soi-même chrétiens, mais d’être faits chrétiens par Dieu, implique déjà un peu le mystère de la Croix : ce n’est qu’en mourant à mon égoïsme, en sortant de moi-même, que je peux être chrétien.

      « Renoncez-vous aux séductions du mal pour ne pas vous laisser dominer par le péché ? ». Que sont ces séductions du mal ? Dans l’Église antique, et encore pendant des siècles, il y avait l’expression : « Renoncez-vous aux pompes du diable ? », et aujourd’hui, nous savons ce que l’on entendait par cette expression « pompes du diable ». Les pompes du diable étaient surtout les grands spectacles sanglants, où la cruauté devient divertissement, où tuer des hommes devient quelque chose de spectaculaire : le spectacle devient la vie et la mort d’un homme.  Ces spectacles sanglants, ce divertissement du mal sont les « pompes du diable », où il apparaît sous une apparente beauté mais en réalité, il apparaît sous toute sa cruauté. Mais au-delà de cette signification immédiate de la parole « pompes du diable », on voulait parler d’un type de culture, d’un way of life, d’un mode de vivre où ne compte plus la vérité mais l’apparence, où l’on ne recherche pas la vérité, mais l’effet, la sensation, et, sous le prétexte de la vérité, en réalité, on détruit les hommes, on veut détruire et ne se créer que soi-même comme vainqueurs. Ce renoncement était donc très réel : c’était le renoncement à un type de culture qui est une anti-culture, contre le Christ et contre Dieu. On décidait contre une culture qui, dans l’Évangile de saint Jean, est appelée « kosmos houtos », « ce monde ». Avec « ce monde », naturellement, Jean et Jésus ne parlent pas de la Création de Dieu, de l’homme en tant que tel, mais parlent d’une certaine créature qui est dominante, qui s’impose comme si c’était cela le monde, et comme si c’était cela la façon de vivre qui s’impose. Je laisse à présent à chacun de vous le soin de réfléchir sur ces « pompes du diable », sur cette culture à laquelle nous disons « non ». Être baptisés signifie précisément en substance s’émanciper, se libérer de cette culture. Nous connaissons également aujourd’hui un type de culture dans laquelle la vérité ne compte pas; même si apparemment, on veut faire apparaître toute la vérité, seule la sensation compte et l’esprit de calomnie et de destruction. Une culture qui ne recherche pas le bien, dont le moralisme est, en réalité, un masque pour tromper, créer la confusion et la destruction. Contre cette culture, dans laquelle le mensonge se présente sous la forme de la vérité et de l’information, contre cette culture qui ne recherche que le bien-être matériel et nie Dieu, nous disons « non ». Nous connaissons bien également à partir de nombreux Psaumes cette opposition entre une culture dans laquelle on semble intouchable contre tous les maux du monde, on se place au-dessus de tous, en particulier de Dieu, alors qu’au contraire, c’est une culture du mal, une domination du mal. Et ainsi, la décision du baptême, cette partie du chemin néocatéchuménal qui dure toute notre vie, est précisément ce « non », prononcé et réalisé à nouveau chaque jour, même à travers les sacrifices qu’exige le fait de s’opposer à la culture dominante en grande partie dominante, même si elle s’imposait comme si elle était le monde, ce monde : ce n’est pas vrai. Et il y a également de nombreuses personnes qui désirent vraiment la vérité.

     Ainsi, nous arrivons au premier renoncement : « Renoncez-vous au péché pour vivre dans la liberté des fils de Dieu ? ». Aujourd’hui, liberté et vie chrétienne, observance des commandements de Dieu, vont dans des directions opposées; être chrétiens serait comme un esclavage; la liberté signifie s’émanciper de la foi chrétienne, s’émanciper — en fin de compte — de Dieu. Le terme de péché apparaît à de nombreuses personnes presque ridicule, car elles disent : « Mais comment! Nous ne pouvons pas offenser Dieu ! Dieu est si grand, cela ne l’intéresse pas si je commets une petite erreur ! Nous ne pouvons pas offenser Dieu, son intérêt est trop grand pour que nous l’offensions ». Cela semble vrai, mais ce n’est pas vrai. Dieu s’est fait vulnérable. Dans le Christ crucifié, nous voyons que Dieu s’est fait vulnérable, il s’est fait vulnérable jusqu’à la mort. Dieu s’intéresse à nous parce qu’il nous aime et l’amour de Dieu est vulnérabilité, l’amour de Dieu est intérêt de l’homme, l’amour de Dieu signifie que notre première préoccupation doit être ne pas blesser, ne pas détruire son amour, ne rien faire contre son amour car sinon, nous vivons aussi contre nous-mêmes et contre notre liberté. Et, en réalité, cette apparente liberté dans l’émancipation de Dieu devient immédiatement un esclavage de nombreuses dictatures du temps, qui doivent être suivies pour être considérées à la hauteur du temps.

     Et enfin : « Renoncez-vous à Satan ? ». Cela nous dit qu’il y a un « oui » à Dieu et un « non » au pouvoir du Malin qui coordonne toutes ces activités et veut se faire le dieu de ce monde, comme nous le dit encore saint Jean. Mais il n’est pas Dieu, il n’est que l’adversaire, et nous ne nous soumettons pas à son pouvoir ; nous disons «non» parce que nous disons « oui », un « oui » fondamental, le « oui » de l’amour et de la vérité. Ces trois renoncements, dans le rite du baptême, dans l’antiquité, étaient accompagnés de trois immersions : immersion dans l’eau comme symbole de la mort, d’un « non » qui est réellement la mort d’un type de vie et la résurrection à une autre vie. Nous y reviendrons. Puis la confession en trois questions : « Croyez-vous en Dieu le Père tout-puissant, Créateur ; en Jésus Christ et, enfin, en l’Esprit Saint et en l’Église ?» Cette formule, ces trois parties, ont été développées à partir de la Parole du Seigneur « baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit » ; ces paroles sont concrétisées et approfondies : que veut dire Père, que veut dire Fils — toute la foi dans le Christ, toute la réalité du Dieu fait homme — et que veut dire croire, être baptisés dans l’Esprit Saint, c’est-à-dire toute l’action de Dieu dans l’histoire, dans l’Église, dans la communion des saints. Ainsi, la formule positive du baptême est aussi un dialogue : elle n’est pas simplement une formule. Surtout, la confession de la foi n’est pas seulement une chose à comprendre, une chose intellectuelle, une chose à mémoriser — même si c’est aussi cela, bien sûr — elle touche aussi à l’intelligence, elle touche aussi avant tout à notre existence. Et cela me semble très important. Ce n’est pas quelque chose d’intellectuel, une pure formule. C’est un dialogue de Dieu avec nous, une action de Dieu avec nous, et notre réponse, c’est un chemin. La vérité du Christ ne peut se comprendre que si sa voie est comprise. Ce n’est que si nous acceptons le Christ comme une voie en commençant réellement à être dans la voie du Christ que nous pouvons aussi comprendre la vérité du Christ. La vérité qui n’est pas vécue ne s’ouvre pas; seule la vérité vécue, la vérité acceptée comme mode de vie, comme chemin, s’ouvre aussi comme vérité dans toute sa richesse et sa profondeur. Cette formule est donc une voie, c’est une expression de notre conversion, d’une action de Dieu. Et nous voulons réellement que cela soit présent dans toute notre vie également: que nous sommes en communion de chemin avec Dieu, avec le Christ. Et ainsi, nous sommes en communion avec la vérité : en vivant la vérité, la vérité devient la vie et en vivant cette vie, nous trouvons aussi la vérité.

      La vie elle-même nous est donnée sans que nous puissions choisir si nous voulons vivre au non ; on ne peut demander à personne : « Veux-tu être né ou pas ? ». La vie elle-même nous est donnée par nécessité sans assentiment préalable, elle nous est donnée ainsi et nous ne pouvons pas décider avant « oui ou non, je veux vivre ou non ». Et, en réalité, la vraie question est : « Est-il juste de donner la vie dans ce monde sans avoir eu un assentiment — veux-tu vivre ou non ? Peut-on réellement anticiper la vie, donner la vie sans que le sujet ait eu la possibilité de décider ? ». Je dirais : cela est possible et cela est juste uniquement si, avec la vie, nous pouvons donner aussi la garantie que la vie, avec tous les problèmes du monde, est bonne, qu’il est bon de vivre, qu’il y a une garantie que cette vie est bonne, qu’elle est protégée par Dieu et qu’elle est un don véritable. Seule l’anticipation du sens justifie l’anticipation de la vie.

 

 

22 juillet 2012 - Angelus

     La Parole de Dieu nous repropose un thème fondamental et toujours fascinant de la Bible: elle nous rappelle que Dieu est le pasteur de l’humanité. Cela signifie que Dieu veut pour nous la vie, il veut nous guider vers de bons pâturages où nous pouvons nous nourrir et nous reposer. Il ne veut pas que nous nous perdions et que nous mourrions, mais que nous parvenions au but de notre chemin, qui est justement la plénitude de la vie. C’est ce que tout père et toute mère désire pour ses enfants: le bien, le bonheur, la réalisation.

 

10 août 2012 – Message au Congrès de Rimini

     Parler de l’homme et de son désir d’infini signifie avant tout reconnaître sa relation constitutive avec le Créateur. L’homme est une créature de Dieu. Aujourd’hui, ce mot — créature — semble presque passé de mode: on préfère penser à l’homme comme à un être accompli en soi et artisan absolu de son propre destin. La considération de l’homme comme créature apparaît «dérangeante», car elle implique une référence essentielle à quelque chose d’autre ou de mieux, à Quelqu’un d’autre — non gérable par l’homme — qui définit de façon essentielle son identité; une identité de relation, dont la première donnée est la dépendance originelle et ontologique de Celui qui nous a voulus et qui nous a créés. Pourtant, cette dépendance, dont l’homme moderne et contemporain tente de s’affranchir, non seulement ne cache pas ou ne diminue pas, mais révèle de façon lumineuse la grandeur et la dignité suprême de l’homme, appelé à la vie pour entrer en rapport avec la Vie elle-même, avec Dieu.

     Dire que «la nature de l’homme est le rapport avec l’infini» signifie alors dire que chaque personne est créée afin qu’elle puisse entrer en dialogue avec Dieu, avec l’Infini. Au début de l’histoire du monde, Adam et Eve sont le fruit d’un acte d’amour de Dieu, faits à son image et ressemblance, et leur vie et leur relation avec le Créateur coïncidaient: «Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa» (Gn 1, 27). Et le péché originel trouve sa racine ultime précisément dans le fait que nos ancêtres se sont soustraits à cette relation constitutive, ont voulu se mettre à la place de Dieu, en croyant pouvoir se passer de Lui. Même après le péché, toutefois, demeure dans l’homme le désir brûlant de ce dialogue, presque comme une signature marquée par le feu dans son âme et dans sa chair par le Créateur lui-même. Le Psaume 63 [62] nous aide à entrer au cœur de ce discours: «Dieu, c’est toi mon Dieu, je te cherche, mon âme a soif de toi, après toi languit ma chair, terre sèche, altérée, sans eau» (v. 2). Non seulement mon âme, mais chaque fibre de ma chair est faite pour trouver sa paix, sa réalisation en Dieu. Et cette tension est indélébile dans le cœur de l’homme: même lorsqu’il refuse ou nie Dieu, la soif d’infini qui habite l’homme ne disparaît pas. Commence en revanche une recherche effrénée et stérile, de «faux infinis», qui puissent satisfaire au moins pour un temps. La soif de l’âme et le désir de la chair dont parle le Psalmiste ne peuvent être éliminés, ainsi l’homme, sans le savoir, se lance à la recherche de l’Infini, mais dans de mauvaises directions: dans la drogue, dans une sexualité vécue de façon désordonnée, dans les technologies toutes puissantes, dans le succès à tout prix, jusque dans des formes trompeuses de religiosité. Même les choses bonnes, que Dieu a créées comme voies qui conduisent à Lui, courent souvent le risque d’être érigées en absolu et devenir ainsi des idoles qui se substituent au Créateur.

Reconnaître d’être faits pour l’infini signifie parcourir un chemin de purification de ce que nous avons appelé «faux infinis», un chemin de conversion du cœur et de l’esprit. Il faut déraciner toutes les fausses promesses d’infini qui séduisent l’homme et le rendent esclave. Pour se retrouver véritablement soi-même ainsi que sa propre identité, pour vivre à la hauteur de son être, l’homme doit se reconnaître à nouveau comme créature, dépendante de Dieu. A la reconnaissance de cette dépendance — qui au fond d’elle est la joyeuse découverte d’être fils de Dieu — est liée la possibilité d’une vie véritablement libre et pleine. Il est intéressant de noter que saint Paul, dans la Lettre aux Romains, voit le contraire de l’esclavage non pas tant dans la liberté, mais dans le fait d’être fils, d’avoir reçu l’Esprit Saint qui fait de nous des fils adoptifs et qui nous permet de crier à Dieu: «Abba! Père!» (cf. 8, 15). L’apôtre des nations parle d’un esclavage «mauvais»: celui du péché, de la loi, des passions de la chair. Mais à celui-ci il n’oppose pas l’autonomie, mais l’«esclavage du Christ» (cf. 6, 16-22), il se définit même comme «Paul, serviteur du Christ Jésus» (1, 1). Le point fondamental n’est donc pas d’éliminer la dépendance, qui est constitutive de l’homme, mais de l’orienter vers Celui qui seul peut nous rendre véritablement libres.

     Mais ici naît une question. N’est-il pas structurellement impossible pour l’homme de vivre à la hauteur de sa nature? Ce désir d’infini qu’il ressent sans jamais pouvoir l’assouvir pleinement n’est-il pas une condamnation? Cette interrogation nous conduit directement au cœur du christianisme. En effet, l’infini lui-même, pour devenir une réponse que l’homme puisse expérimenter, a pris une forme finie. Depuis l’Incarnation, à partir du moment où le Verbe s’est fait chair, s’est effacée la distance impossible à combler entre fini et infini: le Dieu éternel et infini a quitté son Ciel et est entré dans le temps, il s’est plongé dans la finitude humaine. Rien alors n’est banal ou insignifiant sur le chemin de la vie et du monde. L’homme est fait pour un Dieu infini qui est devenu chair, qui a revêtu notre humanité pour l’attirer vers les hauteurs de son être divin.

     Chaque chose, chaque relation, chaque joie et chaque difficulté trouvent leur raison ultime dans le fait d’être une occasion de relation avec l’Infini, voix de Dieu qui nous appelle continuellement et nous invite à élever le regard, à découvrir dans notre adhésion à Lui la pleine réalisation de notre humanité. «Tu nous a faits pour toi — écrivait Augustin — et notre cœur est sans repos jusqu’à ce qu’il repose en Toi» (Confessions, I, 1).

 

 

 

2 septembre 2012 – Homélie de la Messe

     Dans le Deutéronome nous voyons la « joie de la loi » : la loi non pas comme une entrave, comme quelque chose qui nous ôte la liberté, mais comme un cadeau et un don. Quand les autres peuples se tourneront vers ce grand peuple, c’est ce que nous dit Moïse, alors ils diront : Quel peuple sage ! Ils admireront la sagesse de ce peuple, l’équité de la loi et la proximité de Dieu qui est à ses côtés et qui lui répond quand il est appelé. Telle est l’humble joie d’Israël : recevoir un don de Dieu. Cela est différent du triomphalisme, de l’orgueil pour ce qui vient de soi-même : Israël n’est pas orgueilleux de sa propre loi, comme Rome pouvait l’être du droit romain comme un don à l’humanité, comme peut-être la France l’est du « Code Napoléon », comme la Prusse du « Preussisches Landrecht », etc. — des œuvres du droit que nous reconnaissons. Mais Israël le sait : cette Loi il ne l’a pas faite lui-même, elle n’est pas le fruit de son génie, elle est un don. Dieu lui a montré ce qu’est le droit. Dieu lui a donné la sagesse. La Loi est la sagesse. La sagesse est l’art d’être des hommes, l’art de pouvoir bien vivre et de pouvoir bien mourir. Et l’on ne peut bien vivre et mourir que lorsqu’on a reçu la vérité et quand la vérité nous indique le chemin. Etre reconnaissants pour le don que nous n’avons pas inventé, mais qui nous a été offert en don, et vivre dans la sagesse ; apprendre, grâce au don de Dieu, à être des hommes de manière droite.

     L’Évangile nous montre cependant qu’il existe également un danger — comme il est dit dans le Deutéronome : « n’ajoute rien, n’enlève rien ». Il nous enseigne que, avec le passage du temps, au don de Dieu se sont ajoutées des suppléments, des œuvres, des coutumes humaines, qui en se développant cachent ce qui est propre à la sagesse donnée par Dieu, devenant ainsi un véritable joug qu’il faut briser, ou bien qui conduisent à l’orgueil : c’est nous qui l’avons inventé !

    Nous lisons dans la Lettre de Jacques : « Vous êtes engendrés au moyen d’une parole de vérité », qui de nous oserait jouir de la vérité qui nous a été donnée ? Une question vient immédiatement à l’esprit: mais comment peut-on détenir la vérité ? C’est de l’intolérance ! L’idée de vérité et d’intolérance aujourd’hui ont pratiquement fusionné entre elles, et ainsi nous n’osons plus du tout croire à la vérité ou parler de la vérité. Elle semble être lointaine, elle semble quelque chose auquel il vaut mieux ne pas avoir recours. Personne ne peut dire : je détiens la vérité — telle est l’objection qui nous anime — et, en effet, personne ne peut détenir la vérité. C’est la vérité qui nous possède, elle est quelque chose de vivant ! Elle ne nous appartient pas, mais nous somme saisis par elle. Ce n’est que si nous nous laissons guider et animer par elle, que nous restons en elle, ce n’est que si nous sommes avec elle et en elle, pèlerins de la vérité, qu’elle est alors en nous et pour nous. Je pense que nous devons apprendre à nouveau cette manière de « ne pas détenir la vérité ». De même que personne ne peut dire : j’ai des enfants — ils ne nous appartiennent pas, ils sont un don, et comme don de Dieu ils nous sont donnés pour une tâche — ainsi nous ne pouvons pas dire: je détiens la vérité, mais la vérité est venue vers nous et nous pousse. Nous devons apprendre à nous laisser animer par elle, à nous laisser conduire par elle. Et alors elle brillera à nouveau : si elle-même nous conduit et nous compénètre.

 

 

 

publié le : 20 septembre 2016

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