Jean-Paul II de A à Z

Evangelium Vitae - 1998

 

1998

 

 

 

10 janvier 1998 - Voeux au Corps Diplomatique

     L’homme et la femme de cette fin de siècle sont vulnérables… Il est heureux, certes, que les Organisations internationales, par exemple, se préoccupent toujours davantage d’indiquer les critères pour améliorer la qualité de la vie humaine et de prendre des initiatives concrètes….

     … On ne doit pas oublier que nos contemporains sont souvent soumis à des idéologies qui leur imposent des modèles de société ou de comportement prétendant décider de tout, de leur vie comme de leur mort, de leur intimité et de leur pensée, de la procréation comme du patrimoine génétique. La nature n’est plus qu’un simple matériau, ouvert à toutes les expériences. On a parfois l’impression que la vie n’est appréciée qu’en fonction de l’utilité ou du bien-être qu’elle peut procurer, que la souffrance est considérée comme dépourvue de signification. On néglige la personne handicapée et le vieillard parce qu’encombrants, on tient trop souvent l’enfant à naître pour un intrus dans une existence planifiée en fonction d’intérêts subjectifs peu généreux. L’avortement ou l’euthanasie en viennent alors rapidement à apparaître comme des « solutions » acceptables.

     L’Eglise catholique – et la plupart des familles spirituelles – savent d’expérience que l’homme est hélas capable de trahir son humanité. Il faut donc l’éclairer et l’accompagner pour que, dans ses errements, il puisse toujours retrouver les sources de la vie et de l’ordre que le Créateur a inscrits au plus intime de son être. Là où l’homme naît, souffre et meurt, l’Eglise, pour sa part, sera toujours présente afin de signifier que, au moment où il fait l’expérience de sa finitude, Quelqu’un l’appelle pour l’accueillir et donner un sens à son existence fragile.

     Conscient de ma responsabilité de Pasteur au service de l’Eglise universelle, j’ai eu souvent l’occasion de rappeler, dans des actes de mon ministère, l’absolue dignité de la personne humaine, depuis le moment de la conception, jusqu’à son dernier souffle, le caractère sacré de la famille comme lieu privilégié de la protection et de la promotion de la personne, la grandeur et la beauté de la paternité et de la maternité responsables, ainsi que les nobles finalités de la médecine et de la recherche scientifique.

     Ce sont là des éléments qui s’imposent à la conscience des croyants. Quand l’homme court le risque d’être considéré comme un objet que l’on peut transformer ou asservir à son gré, quand on ne perçoit plus en lui l’image de Dieu, quand sa capacité d’aimer et de se sacrifier est délibérément occultée, quand l’égoïsme et le profit deviennent les motivations premières de l’activité économique, alors tout est possible et la barbarie n’est pas loin.

     Excellences, Mesdames, Messieurs, ces considérations vous sont familières, vous qui êtes les témoins quotidiens de l’action du Pape et de ses collaborateurs. Mais j’ai voulu les proposer une fois encore à votre réflexion, car on a souvent l’impression que les responsables des sociétés comme des Organisations internationales se laissent conditionner par un nouveau langage, qui semble accrédité par des technologies récentes et que certaines législations admettent ou même ratifient. En réalité, il s’agit de l’expression d’idéologies ou de groupes de pression qui tendent à imposer à tous leurs conceptions et leurs comportements. Le pacte social en est alors profondément affaibli et les citoyens perdent leurs repères.

     Ceux qui sont les garants de la loi et de la cohésion sociale d’un pays, ou ceux qui guident les organisations créées pour le bien de la communauté des nations, ne peuvent éluder la question de la fidélité à la loi non-écrite de la conscience humaine dont parlaient déjà les anciens et qui est pour tous, croyants ou non, le fondement et le garant universel de la dignité humaine et de la vie en société. Je ne puis que reprendre à ce sujet ce que j’ai écrit naguère : « S’il n’existe aucune vérité dernière qui guide et oriente l’action politique, les idées et les convictions peuvent alors être facilement exploitées au profit du pouvoir… » (Centesimus annus, 46). Devant la conscience, « il n’y a de privilèges ni d’exceptions pour personne. Que l’on soit le maître du monde ou le dernier des misérables sur la face de la terre, cela ne fait aucune différence : devant les exigences morales, nous sommes tous absolument égaux. » (Veritatis Splendor, 96)

 

 

 

22 janvier 1998 – Homélie de Jean Paul II lors de la Messe célébrée sur le terrain de sport de l’Institut Supérieur de Culture Physique Manoel Fajardo, Santa Clara, à Cuba

      1. «Que ces paroles que je te dicte aujourd'hui restent dans ton c½ur! Tu les répéteras à tes fils, tu les leur diras aussi bien assis dans ta maison que marchant sur la route» (Dt 6, 6-7). Nous sommes réunis sur le terrain de sport de l'Institut supérieur de Culture physique «Manoel Fajardo», transformé aujourd'hui en un immense temple à ciel ouvert. Au cours de cette rencontre, nous désirons rendre grâce à Dieu pour le grand don de la famille.

Dès la première page de la Bible, l'auteur sacré nous présente cette institution: «Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa» (Gn 1, 27). Dans ce sens, les personnes humaines, dans leur diversité sexuelle sont, comme Dieu lui-même et par sa volonté, source de vie: «Soyez féconds, multipliez» (Gn 1, 28). La famille est donc appelée à coopérer au plan de Dieu et à son ½uvre de création à travers l'alliance d'amour sponsal entre l'homme et la femme; comme nous le dira saint Paul, cette alliance est également le signe de l'union du Christ avec son Eglise (cf. Ep 5, 32).

     2. Chers frères et s½urs: je suis heureux de saluer avec une grande affection Mgr Fernando Prego Casal, Evêque de Santa Clara, Messieurs les Cardinaux et les autres évêques, les prêtres et les diacres, les membres des communautés religieuses ainsi que vous tous, fidèles laïcs. Je désire également adresser un salut respectueux aux représentants des Autorités civiles. Mes paroles s'adressent en particulier aux familles ici présentes, qui désirent proclamer leur ferme intention de réaliser dans leur vie le projet salvifique du Seigneur.

     3. L'institution familiale à Cuba est dépositaire du riche patrimoine de vertus qui distingue les familles créoles des temps passés, dont les membres s'engagèrent avec tant de force dans les divers domaines de la vie sociale et forgèrent le pays sans reculer devant les sacrifices et l'adversité. Ces familles, solidement fondées sur les principes chrétiens, ainsi que sur leur sens de solidarité familiale et sur le respect pour la vie, furent d'authentiques communautés d'affection réciproque, de joie et de fête, de confiance et de sécurité, et de réconciliation sereine. Elles se distinguèrent également — comme de nombreux foyers aujourd'hui — par leur unité, le profond respect pour les anciens, le sens profond des responsabilités, le respect sincère de l'autorité paternelle et maternelle, la joie et l'optimisme, dans la pauvreté comme dans la richesse, le désir de lutter pour un monde meilleur et surtout la grande foi et la confiance en Dieu.

     Aujourd'hui, les familles de Cuba doivent affronter elles aussi les défis que tant d'autres familles dans le monde supportent actuellement. Nombreux sont les membres de ces familles qui ont lutté et consacré leur vie à la conquête d'une existence meilleure, dans laquelle les droits humains fondamentaux sont garantis: travail, nourriture, santé, éducation, sécurité sociale, participation sociale, liberté d'association et liberté de choisir sa vocation. La famille, cellule de base de la société et garantie de sa stabilité, ressent toutefois les crises qui peuvent frapper la société elle-même. C'est ce qui arrive lorsque les époux vivent dans des systèmes économiques ou culturels qui, sous l'apparence trompeuse de la liberté et du progrès, promeuvent ou défendent même une mentalité anti-nataliste, poussant de cette façon les conjoints à recourir à des méthodes de contrôle de la natalité qui ne sont pas conformes à la dignité humaine. On en arrive même à l'avortement, qui est toujours, outre un crime abominable (cf. Gaudium et spes, n. 51), un appauvrissement absurde de la personne et de la société elle-même. Face à cela, l'Eglise enseigne que Dieu a confié aux hommes la mission de transmettre la vie d'une façon digne de l'homme, fruit de la responsabilité et de l'amour entre les conjoints.

      La maternité est parfois présentée comme un pas en arrière ou comme une limitation de la liberté de la femme, déformant ainsi sa véritable nature et sa dignité. Les enfants sont présentés non pas comme ce qu'ils sont — un grand don de Dieu —, mais comme quelque chose contre lequel il faut se défendre. La situation sociale présente dans ce pays bien-aimé a également entraîné de nombreuses difficultés quant à la stabilité familiale: les carences matérielles, — lorsque les salaires ne sont pas suffisants ou lorsque le pouvoir d'achat est très limité —, les insatisfactions d'ordre idéologique, l'attraction exercée par la société de consommation. Ces difficultés, ajoutées à d'autres mesures relatives à l'emploi ou à d'autres domaines, ont engendré un problème qui dure depuis des années à Cuba: la séparation forcée des familles au sein du pays et l'émigration, qui a déchiré des familles entières, semant la douleur dans une grande partie de la population. Les familles font l'expérience pas toujours acceptée et parfois traumatisante de la séparation des enfants et de la substitution du rôle des parents, en raison des études poursuivies loin de la famille lors de l'adolescence, dans des situations qui ont pour triste conséquence la prolifération de la promiscuité, l'appauvrissement éthique, la vulgarité, les rapports pré-matrimoniaux à un jeune âge, et le recours facile à l'avortement. Tout cela laisse des marques profondes et négatives sur la jeunesse, qui est appelée à incarner les valeurs morales authentiques pour la consolidation d'une société meilleure.

     4. Le chemin permettant de vaincre ces maux n'est autre que Jésus-Christ, sa doctrine et son exemple d'amour total qui nous sauve. Aucune idéologie ne peut remplacer sa sagesse infinie et son pouvoir. C'est pourquoi il est nécessaire de retrouver les valeurs religieuses dans le domaine familial et social, en promouvant la pratique des vertus qui caractérisent les origines de la Nation cubaine, dans le processus d'édification de son avenir «avec tous et pour le bien de tous», comme le demandait José Martí. La famille, l'école et l'Eglise doivent former une communauté éducative où les fils de Cuba puissent «croître en humanité». N'ayez pas peur, ouvrez les familles et les écoles aux valeurs de l'Evangile de Jésus-Christ, qui ne représentent un danger pour aucun projet social.

     5. «L'Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit: "Lève-toi, prends avec toi l'enfant et sa mère"» (Mt 2, 13). La Parole révélée nous montre que Jésus a voulu protéger la famille et la préserver de tout danger. C'est pourquoi l'Eglise, animée et illuminée par l'Esprit Saint, cherche à défendre et à proposer à ses fils et à tous les hommes de bonne volonté la vérité sur les valeurs fondamentales du mariage chrétien et de la famille. De la même façon, elle proclame comme devoir incontournable la sainteté de ce sacrement et ses exigences morales pour sauvegarder la dignité de chaque personne humaine.

     Le mariage, avec son caractère d'union exclusive et permanente, est sacré car il trouve son origine en Dieu. En recevant le sacrement du mariage, les chrétiens participent au dessein créateur de Dieu et reçoivent les grâces dont ils ont besoin pour accomplir leur mission, pour éduquer et former les enfants et répondre à l'appel de la sainteté. Il s'agit d'une union qui diffère de tout autre type d'union humaine, car elle est fondée sur le dévouement et sur l'acceptation réciproque des conjoints en vue de devenir «une seule chair» (Gn 2, 24), vivant dans une communauté de vie et d'amour dont la vocation est celle d'être un «sanctuaire de la vie» (cf. Evangelium vitae, n. 59). A travers leur union fidèle et persévérante, les conjoints contribuent au bien de l'institution familiale et démontrent que l'homme et la femme ont la capacité de se donner pour toujours l'un à l'autre, sans que ce don volontaire et éternel ne les prive de leur liberté, car dans le mariage, chaque personnalité doit restée inchangée et développer la grande loi de l'amour: se donner l'un à l'autre pour se consacrer ensemble au devoir que Dieu leur confie. Si la personne humaine est le centre de toute institution sociale, alors la famille, premier lieu de socialisation, doit être une communauté de personnes libres et responsables en qui le mariage se réalise comme un projet d'amour qui tend sans cesse vers la perfection, qui apporte vitalité et dynamisme à la société civile.

     6. Dans la vie matrimoniale, le service à la vie ne se limite pas à la conception, mais se prolonge dans l'éducation des nouvelles générations. Les parents, ayant donné la vie à leurs enfants, ont le devoir important de les éduquer, et par conséquent, doivent être reconnus comme les premiers et principaux éducateurs de leurs enfants. Ce devoir éducatif est si important que lorsqu'il vient à manquer, il peut difficilement être remplacé (cf. Gravissimum educationis, n. 3). Il s'agit d'un devoir et d'un droit irremplaçable et inaliénable. Il est vrai que dans le domaine éducatif, l'autorité publique a des droits et des devoirs, car elle doit servir le bien commun; toutefois, cela ne lui confère pas le droit de se substituer aux parents. C'est pourquoi les parents, sans attendre que d'autres les substituent dans ce qui est leur responsabilité, doivent pouvoir choisir pour leurs enfants la méthode pédagogique, les contenus éthiques et civils et l'inspiration religieuse auxquels ils désirent les former de façon intégrale. N'attendez-pas que l'on vous donne tout. Assumez votre mission éducative, en cherchant et en créant les espaces et les moyens adaptés dans la société civile.

Il faut en outre offrir aux familles une maison digne et un foyer uni, de façon à ce qu'elles puissent recevoir et transmettre une éducation morale et créer un environnement propice pour cultiver les idéaux élevés et pour vivre la foi.

      7. Chers frères et s½urs, chers époux et parents, chers enfants: j'ai voulu rappeler certains aspects essentiels du projet de Dieu sur le mariage et sur la famille pour vous aider à vivre avec générosité et dévouement ce chemin de sainteté auxquels un grand nombre d'entre vous sont appelés. Accueillez avec amour la Parole du Seigneur proclamée au cours de cette Eucharistie. Dans le Psaume responsorial, nous avons écouté: «Heureux tous ceux qui craignent Yahvé et marchent dans ses voies! [...] Tes fils: des plants d'olivier à l'entour de la table [...] Voilà de quels biens sera béni l'homme qui craint Yahvé» (Ps 127, 1.3.4.).

     La vocation à la vie matrimoniale et familiale, inspirée par la Parole de Dieu, selon le modèle de la Sainte Famille de Nazareth, est grande. Bien-aimés Cubains: soyez fidèles à la Parole divine et à ce modèle! Chers maris et épouses, pères et mères, familles du noble pays de Cuba: conservez dans votre vie ce modèle sublime, aidés par la grâce qui vous a été accordée dans le sacrement du mariage! Que Dieu, Père, Fils et Esprit Saint, demeure dans vos foyers domestiques! Ainsi, les familles catholiques de Cuba contribueront de façon décisive à la grande cause divine du salut de l'homme sur cette terre bénie qu'est votre Patrie et votre Nation. Cuba, prends soin de tes familles afin que ton c½ur demeure sain!

     Que la Virgen de la Caridad del Cobre, Mère de tous les Cubains, Mère de la Famille de Nazareth, intercède pour toutes les familles de Cuba afin que, renouvelées, vivifiées et aidées dans leurs difficultés, elles vivent dans la sérénité et la paix, elles surmontent les problèmes et les difficultés, et que tous leurs membres obtiennent le salut qui vient de Jésus-Christ, Seigneur de l'histoire et de l'humanité! A lui gloire et puissance pour les siècles des siècles. Amen.

     Je désire répéter les paroles de votre poète José Martí: dans le processus de construction de son avenir «avec tous et pour le bien de tous», la famille, l'école et l'Eglise doivent former une communauté éducative où les enfants de Cuba puissent «croître en humanité».

 

24 février 1998, à l’Académie Pontificale pour la Vie

       En vous saluant tous, membres ordinaires et correspondants de l'Académie Pontificale pour la Vie, je désire exprimer un vif remerciement au Président, le Prof. Juan de Dios Vial Correa, pour ses aimables paroles. Je salue également le vice-président Mons. Elio Sgreccia, qui travaille généreusement pour votre prestigieuse Institution.

     Je profite volontiers de cette occasion pour exprimer ma satisfaction pour ce que l’Académie est en train de réaliser, et ce, dès les premiers pas de son parcours, dans l'accomplissement de sa tâche de promotion et de défense de la valeur fondamentale de la vie.

 

     Je suis heureux que vous ayez porté à l'attention de votre quatrième Assemblée Générale le thème : "Génome humain : personnalité humaine et société du futur". Dans le merveilleux voyage que l'esprit humain entreprend pour connaître l'univers, l'étape franchie ces dernières années dans le domaine génétique est particulièrement évocatrice, car elle conduit l'homme à la découverte des secrets les plus intimes de sa propre corporéité.

     Le génome humain est comme le dernier continent que l'on explore actuellement. Dans ce millénaire qui s'achève, si riche en drames et en conquêtes, les hommes, à travers des explorations et des découvertes géographiques, se sont rencontrés et, d'une certaine manière, se sont rapprochés. La connaissance humaine a aussi réalisé d’importantes acquisitions dans le monde de la physique, jusqu'à la découverte récente de la structure des composants de l'atome. Aujourd'hui, les scientifiques, grâce à la connaissance de la génétique et de la biologie moléculaire, lisent avec le regard pénétrant de la science dans le tissu intime de la vie et les mécanismes qui caractérisent les individus, assurant la continuité des espèces vivantes.

 

      Ces conquêtes révèlent de plus en plus la grandeur du Créateur, car elles permettent à l'homme de constater l'ordre inhérent à la création et d'apprécier les merveilles de son corps, outre que celui de son intellect, dans lequel, dans une certaine mesure, se reflète la lumière de la Parole "par laquelle toutes choses ont été créées" (Jn 1, 3).

      Cependant, à l'époque moderne, il y a une vive tendance à rechercher la connaissance non pas tant pour admirer et contempler, mais plutôt pour accroître le pouvoir sur les choses. La connaissance et le pouvoir sont de plus en plus imbriqués dans une logique qui peut emprisonner l'homme lui-même. Dans le cas de la connaissance du génome humain, cette logique pourrait conduire à intervenir dans la structure interne de la vie humaine elle-même de l’homme avec la perspective d'assujettir, de sélectionner et de manipuler le corps et, en fin de compte, la personne et les générations futures.

      Votre Académie pour la Vie a donc bien fait de porter la réflexion sur les découvertes en cours dans le domaine du génome humain, avec l'intention de placer à la base de ses travaux une fondation anthropologique, fondé sur la dignité même de la personne humaine.

 

     Le génome apparaît comme l'élément structurant et constructif du corps dans ses caractéristiques tant individuelles qu’ héréditaires : il marque et conditionne l'appartenance à l'espèce humaine, le lien héréditaire et les notes biologiques et somatiques de l'individualité. Son influence dans la structure de l'être corporel est déterminante dès la première aube de la conception jusqu'à la mort naturelle. C'est sur la base de cette vérité interne du génome, déjà présente au moment de la procréation lorsque les patrimoines génétiques du père et de la mère s’unissent, que l'Église s'est donné comme engagement de défendre la dignité humaine de chaque individu dès sa conception.

     En fait, l’approfondissement anthropologique porte à reconnaître qu'en vertu de l'unité substantielle du corps avec l'esprit, le génome humain n'a pas seulement une signification biologique ; il est porteur d'une dignité anthropologique, qui trouve son fondement dans l'âme spirituelle qui l'imprègne et la vivifie.

     Il n'est donc pas licite d'intervenir de quelque manière que ce soit sur le génome, sauf si c'est pour le bien de la personne, entendue comme l'unité du corps et de l'esprit ; tout comme il n'est pas licite de discriminer les sujets humains sur la base d'éventuels défauts génétiques détectés avant ou après la naissance.

 

     L'Église catholique, qui reconnaît dans l'homme racheté par le Christ sa voie (cf. Redemptor hominis, 14), insiste pour que la reconnaissance de la dignité de l'être humain en tant que personne dès le moment de sa conception soit également assurée par la loi. Elle invite également tous les responsables politiques et les scientifiques à promouvoir le bien de la personne par la recherche scientifique visant à mettre au point des thérapies appropriées, y compris dans le domaine génétique, si elles sont réalisables et exemptes de risques disproportionnés. Cela est possible, en reconnaissance des scientifiques eux-mêmes, dans le cadre d'interventions thérapeutiques sur le génome des cellules somatiques, mais pas sur le génome des cellules germinales et des embryons précoces.

     Je sens qu’il est mon devoir d'exprimer ici ma préoccupation quant à l'instauration d'un climat culturel favorisant la dérive du diagnostic prénatal dans une direction qui n'est plus celle de la thérapie, dans le but d’ un meilleur accueil de la vie de l'enfant à naître, mais plutôt celle de la discrimination à l'égard de ceux qui ne sont pas en bonne santé lors de l'examen prénatal. Actuellement, il existe une grave disproportion entre les possibilités diagnostiques, qui sont en phase d'expansion progressive, et les rares possibilités thérapeutiques : ce fait pose de sérieux problèmes éthiques aux familles, qui ont besoin d'être soutenues dans l'accueil de la vie naissante même lorsqu'elles sont affectées par un défaut ou une malformation quelconque.

 

     De ce point de vue, il est juste de dénoncer l'émergence et la propagation d'un nouvel eugénisme sélectif, qui provoque la suppression d'embryons et de f½tus souffrant de certaines maladies. Nous utilisons parfois pour cette sélection de théories sans fondement sur les différences anthropologiques et éthiques dans les divers degrés de développement de la vie prénatale : le soi-disant "gradualisme de l'humanisation du f½tus". Parfois, on fait appel à une conception erronée de la qualité de la vie, qui devrait - dit-on - prévaloir sur le caractère sacré de la vie. À cet égard, on ne peut pas ne pas demander que les droits proclamés par les Conventions et Déclarations Internationales sur la protection du génome humain et, en général sur le droit à la vie, aient pour propriétaire tout être humain dès le moment de la fécondation, sans discrimination, que cette discrimination soit liée à des imperfections génétiques ou à des défauts physiques ou qu'elle concerne les différentes périodes du développement de l'être humain. Il est donc urgent de renforcer les remparts juridiques face aux immenses possibilités de diagnostic que révèle le projet de séquençage du génome humain.

 

     Plus les connaissances et le pouvoir d'intervention augmentent, plus la conscience des valeurs en jeu doit être grande. J'espère donc que la conquête de ce nouveau continent de la connaissance, le génome humain, ouvrira de nouvelles possibilités de victoire sur la maladie et qu'une orientation sélective des êtres humains ne sera jamais avalisée.

     Dans cette perspective, il sera très utile que les organisations scientifiques internationales veillent à ce que les avantages souhaités de la recherche génétique soient également mis à la disposition des peuples en développement. On évitera ainsi une nouvelle source d'inégalité, étant donné également que d'énormes ressources financières sont investies dans ce type de recherche qui pourrait, selon certains, être consacrée en priorité au soulagement des maladies curables et de la misère économique persistante d'une grande partie de l'humanité.

     Ce qui semble certain dès maintenant, c'est que la société de l'avenir se mesurera sur la dignité de la personne humaine et à l'égalité entre les peuples si les découvertes scientifiques sont orientées vers le bien commun, qui passe toujours par le bien de chaque personne et nécessite la coopération de tous, en particulier celle des scientifiques d'aujourd'hui.

     En invoquant sur votre travail l'assistance divine pour un service toujours plus incisif et efficace à la cause fondamentale de la vie humaine, je vous bénis tous cordialement.

 

 

 

 

 

31 octobre 1998, aux participants à la XIIIème Conférence Internationale sur le thème de la grandeur et du prix de la vie humaine, à tout âge et dans toute condition, organisée par le Conseil Pontificale pour la Pastorale de la Santé.

    Votre Conférence a voulu traiter le problème avec ce respect des personnes âgées qui resplendit dans la Sainte Ecriture quand elle nous montre les figures d'Abraham et de Sara (Gn 17, 15-22), décrit l'accueil que Syméon et Anne firent à Jésus (Lc 2, 23-28), appelle les prêtres du nom d'«Anciens» (Ac 14, 23; 1 Tm 4, 14; 5, 17-19; Tt 1, 5; 1 P 5, 1), résume l'hommage de toute la création dans l'adoration des vingt-quatre Anciens (Ap 4, 4) et, enfin, désigne Dieu lui-même comme «le Vieillard» (Dn 7, 9-22).

     2. L'ensemble de votre réflexion souligne la grandeur et le prix très élevé de la vie humaine, dont la valeur subsiste à tout âge et dans toute condition. Ainsi est réaffirmé avec autorité l'Evangile de la vie que l'Eglise, sondant avec attention le mystère de la Rédemption, reçoit avec un étonnement toujours nouveau ; elle se sent alors appelée à l'annoncer aux hommes de tous les temps (cf. Evangelium vitae, n. 2).

     Votre Conférence ne s'est pas seulement contentée de réfléchir sur les aspects démographiques, médicaux et psychologiques de la vieillesse, mais elle a aussi cherché à approfondir son discours en regardant attentivement ce que la Révélation présente à cet égard, le confrontant à la réalité que nous vivons. L'action que l'Eglise exerça tout au long des siècles a, elle aussi, été mise en lumière d'une manière historique et dynamique, avec des propositions de mise à jour, utiles et nécessaires, de toutes les initiatives d'assistance, dans une collaboration responsable avec les autorités civiles.

     3. La vieillesse est le troisième âge de l'existence : la vie qui naît, la vie qui croît, la vie qui baisse, ce sont-là les trois moments du mystère de l'existence, de cette vie humaine qui «vient de Dieu; c'est son don, son image et son empreinte, la participation à son souffle vital» (Evangelium vitae, n. 39).

     L'Ancien Testament promet aux hommes une longue vie en réponse de l'accomplissement de la Loi de Dieu : « La crainte du Seigneur prolonge les jours » (Pr 10, 27). La conviction commune était que l'on devait considérer le prolongement de la vie physique jusqu'à la « vieillesse heureuse » (Gn 25, 8), quand l'homme pouvait mourir « rassasié de jours » (Gn 25, 8), comme la preuve d'une bienveillance particulière de la part de Dieu. Il faut aussi redécouvrir cette valeur dans une société qui, très souvent, ne semble parler de la vieillesse qu'en termes de problème.

     Prêter attention à la complexité des problèmes qui concernent le monde des personnes âgées, cela signifie pour l'Eglise scruter un « signe des temps » et l'interpréter à la lumière de l'Evangile. Ainsi, d'une manière adaptée à chaque génération, elle répond aux éternelles interrogations des hommes sur le sens de la vie présente et future, et sur leur rapport réciproque (cf. Gaudium et spes, 4).

     4. Notre époque se caractérise par une augmentation de la durée de la vie qui, allant de pair avec un déclin de la fertilité, a conduit à un vieillissement notable de la population mondiale.

Pour la première fois dans l'histoire de l'homme, la société se trouve face à un profond bouleversement de la structure de la population, de sorte qu'elle est obligée de modifier ses stratégies d'assistance, avec des répercussions à tous les niveaux. Il s'agit de redessiner le projet de société et de rediscuter sa structure économique, comme aussi la vision du cycle de la vie et des interactions entre générations. C'est un vrai défi qui est posé à la société, et celle-ci se montre juste dans la mesure où elle répond aux besoins d'aide de tous ses membres : son degré de civilisation est proportionnel à la protection des composantes les plus faibles du tissu social.

     5. Les personnes âgées doivent être appelées à participer elles aussi à cette ½uvre, alors que, très souvent, elles ne sont considérées que comme les destinataires d'interventions d'assistance. Avec les années, la population âgée peut parvenir à une très grande maturité dans les domaines de l'intelligence et de la sagesse. Aussi le Siracide nous avertit-il: «Tiens-toi dans l'assemblée des vieillards et, si tu vois un sage, attache toi à lui» (Si 6, 34). Et encore : «Ne fais pas fi du discours des vieillards, car eux-mêmes ont été à l'école de leurs parents; c'est d'eux que tu apprendras la prudence et l'art de répondre à point nommé» (Si 8, 9). Il en découle que la personne âgée ne doit pas être vue seulement comme objet d'attention, de sollicitude et de service. Elle aussi a une précieuse contribution à apporter à la vie. Grâce au riche patrimoine d'expérience qu'elle a acquis tout au long des années, elle peut et elle doit être dispensatrice de sagesse, témoin de l'espérance et de la charité (cf. Evangelium vitae, n. 94).

     Le rapport famille-personnes âgées doit être vu comme un rapport où l'on donne et où l'on reçoit. La personne âgée donne elle aussi : on ne peut ignorer son expérience qui a mûri au fil des années. Si cette expérience - comme cela peut arriver - n'est pas en harmonie avec les temps qui changent, il reste tout un vécu qui peut devenir source de nombreuses indications pour les proches, constituant la continuation de l'esprit de groupe, des traditions, des choix professionnels, des fidélités religieuses, etc. Nous connaissons tous les rapports privilégiés qui existent entre les personnes âgées et les enfants. Mais les adultes, eux aussi, s'ils savent créer autour des anciens un climat de considération et d'affection, peuvent puiser chez eux sagesse et discernement pour faire des choix prudents.

     6. C'est dans cette perspective que la société doit redécouvrir la solidarité entre les générations : elle doit redécouvrir le sens et la signification de la vieillesse dans une culture trop dominée par le mythe de la productivité et de l'efficacité physique. Nous devons permettre à la personne âgée de vivre dans la sécurité et la dignité, et sa famille doit aussi être aidée dans le domaine économique, afin qu'elle constitue le lieu naturel des rapports entre les générations.

     D'autres observations doivent encore être faites en ce qui concerne l'aide socio-sanitaire et de rééducation, qui s'avère bien souvent nécessaire. Les progrès des technologies au service de la santé allongent la durée de la vie, mais n'améliorent pas nécessairement sa qualité. Il faut élaborer des stratégies d'assistance qui tiennent compte, en premier lieu, de la dignité de la personne humaine et qui l'aident, autant que possible, à garder un sentiment d'estime de soi-même, afin qu'on n'en arrive pas, se sentant un poids inutile, à désirer et à demander la mort (cf. Evangelium vitae, n. 94).

     7. Appelée à des gestes prophétiques dans la société, l'Eglise défend la vie depuis son commencement jusqu'à sa conclusion avec la mort. Surtout en ce qui concerne cette dernière phase qui, souvent, se prolonge pendant des mois et des années - ce qui crée de très graves problèmes -, je lance un appel solennel à la sensibilité des familles pour qu'elles sachent accompagner ceux qui leur sont chers jusqu'au terme de leur pèlerinage terrestre. Comment ne pas rappeler les paroles chaleureuses de l'Ecriture : « Mon fils, viens en aide à ton père dans sa vieillesse, ne lui fais pas de peine pendant sa vie. Même si son esprit faiblit, sois indulgent, ne le méprise pas, toi qui es en pleine force. Car une charité faite à un père ne sera pas oubliée et, pour tes péchés, elle te vaudra réparation. Au jour de ton épreuve, Dieu se souviendra de toi » (Si 3, 12-15).

     8. Le respect que nous devons aux personnes âgées m'oblige à élever encore une fois la voix contre toutes ces pratiques qui abrègent la vie, et que l'on connaît sous le nom d'euthanasie.

Devant une mentalité sécularisée qui ne respecte pas la vie, spécialement quand elle est faible, nous devons souligner qu'elle est un don de Dieu, cette vie que nous nous efforçons tous de protéger. Ce devoir concerne, en particulier, ceux qui travaillent dans le monde de la santé, dont la mission spécifique est de devenir « les ministres de la vie » en toutes ses phases, spécialement en celles qui sont marquées par la faiblesse et la maladie.

     « La tentation de l'euthanasie se révèle comme l'un des symptômes les plus alarmants de la "culture de mort", laquelle progresse surtout dans les sociétés de bien-être » (cf. Evangelium vitae, n. 64).

     L'euthanasie est un attentat contre la vie qu'aucune autorité humaine ne peut légitimer, car la vie de l'innocent est un bien dont on ne peut disposer.

     9. M'adressant maintenant à toutes les personnes âgées du monde, je voudrais leur dire : très chers frères et s½urs, ne vous découragez pas : la vie ne se termine pas ici, sur cette terre ; elle n'a ici-bas que son commencement. Nous devons être des témoins de la Résurrection ! La joie doit être ce qui caractérise la personne âgée ; une joie sereine, parce que les temps sont mûrs et qu'approche la récompense que le Seigneur Jésus a préparée pour son fidèle serviteur. Comment ne pas penser aux paroles touchantes de l'Apôtre Paul : « Je me suis bien battu, j'ai tenu jusqu'au bout de la course, je suis resté fidèle. Je n'ai plus qu'à recevoir la récompense du vainqueur : dans sa justice, le Seigneur, le juge impartial, me la remettra en ce jour-là, comme à tous ceux qui auront désiré avec amour sa manifestation dans la gloire » (2 Tm 4, 7-8)?

     Avec ces sentiments, j'accorde à tous ceux qui sont ici présents, à tous ceux qui vous sont chers et surtout aux personnes âgées, une affectueuse Bénédiction.


 

 

 

publié le : 18 février 2018

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