27 janvier 1985 – Homélie de Jean Paul II à la Messe célébrée à Caracas, en présence de plus d’un million de fidèles
Rappelez-vous qu’il n’est jamais licite de supprimer une vie humaine, par l’avortement où l’euthanasie.
15 mai 1985 – Discours de Jean Paul II aux représentants des Institutions et Organismes de la Communauté Européenne, au Luxembourg
A l’époque actuelle, un perfectionnement du droit, élargi à la dimension d’une vaste communauté, apparaît d’autant plus nécessaire que la société qu’il sert se modifie sous des influences multiples et souvent contradictoires. Les hommes, dont le droit est appelé à favoriser les aspirations fondamentales, tendent à se disperser en poursuivant tant d’objectifs divers qu’il n’est pas facile d’y discerner l’essentiel. L’exagération de certains désirs, amplifiés par leur projection dans les médias, les craintes éprouvées devant toutes les menaces de violence et d’instabilité qui pèsent sur le monde, les séductions ambiguës qu’exercent les possibilités inouïes des sciences de la vie, tout cela expose l’homme contemporain à ne plus savoir tracer sa route dans la clarté, à se laisser saisir par les vertiges du doute et finalement à perdre de vue les bases d’une saine éthique. C’est dire la gravité du devoir qui incombe à tous ceux qui doivent exprimer les règles de la vie sociale. Il leur faut une grande probité intellectuelle, il leur faut un grand courage pour pratiquer un discernement ardu mais indispensable. L’Eglise, pour sa part, ne ménage pas ses efforts pour défendre les valeurs primordiales du respect de la vie à toutes ses étapes, les biens inaliénables de l’institution familiale, l’exercice des droits humains fondamentaux, la liberté de conscience et de pratique religieuse, l’épanouissement de la personne dans une libre communion avec ses frères. J’ai confiance que cette intention vous anime. Et je formule le v½u ardent que l’Europe saura réagir à tout ce qui affaiblirait les bienfaits d’une juste éthique, afin de mettre en lumière la vérité de l’homme. Et comment ne pas souhaiter que, grâce à des échanges culturels élargis, tous les pays de l’Europe puissent promouvoir les valeurs qu’ils ont en commun?
18 mai 1985 – Rencontre de Jean Paul II avec les jeunes à Namur, à Bruxelles
Dire “Notre Père . . . ne nous soumets pas à la tentation”, c’est demander à Dieu la lucidité et la force pour déjouer les pièges par lesquels notre société exploite les faibles, par lesquels le Malin exploite nos faiblesses et nos passions: la promesse de jouissance immédiate et facile, la sexualité débridée, les drogues de tout genre, les gadgets artificiels, les modes coûteuses, le bruit abrutissant, les marchands d’illusion et d’évasion, toutes les idoles modernes qui entretiennent nos égoïsmes sous toutes leurs formes. Un chrétien du deuxième siècle écrivait déjà : “La chair déteste l’âme et lui fait la guerre, sans que celle-ci lui ait fait du tort, mais parce qu’elle l’empêche de jouir des plaisirs” (Epistula ad Diognetum). Il désignait par “chair” non pas le corps lui-même, qui est l’expression merveilleuse de la personne humaine, mais la condition de l’homme faible et pécheur. Le chrétien connaît les tentations du “monde”, il doit les discerner, lutter, choisir le bien, au prix de sacrifices et toujours avec la prière.
20 mai 1985 – Discours de Jean Paul II au Siège de la Communauté Economique Européenne
Nous nous trouvons face à un ébranlement moral et spirituel de l’homme, particulièrement sensible en vos pays. On dirait qu’il joue avec la vie, quand il ne se laisse pas saisir par la désespérance. L’aisance avec laquelle la science intervient dans les processus biologiques peut entraîner des égarements mortifères. L’acte merveilleux de transmettre la vie se voit privé d’une part de son sens ; la coulpe se ferme sur lui-même ; avec le consentement de la société, il en vient trop souvent à refuser à l’être sans défense la dignité d’homme et le droit de vivre. Ou bien, la volonté de posséder un enfant justifie des manipulations qui font violence à la nature de l’être humain. Une certaine priorité donnée aux satisfactions affectives de l’individu compromet la stabilité du couple et de la famille et fait perdre de vue les vraies finalités du mariage.
Ces graves altérations dans l’éthique chez une part de nos contemporains ne sont-elles pas liées à l’absence d’un idéal, à l’étroitesse du projet humain quand il lui manque l’ouverture de la foi ? Mesure-t-on les conséquences d'une diminution du nombre des naissances qui provoque le vieillissement de la population ? L’homme aurait-il perdu confiance dans une libre et fidèle communion avec l’autre, dans le développement de toutes ses possibilités, à commencer par celle de donner le meilleur de soi-même à ceux qui poursuivront les réussites de la civilisation et feront croître sa beauté ? D’avoir renoncé aux aspirations généreuses et désintéressées, cela entraîne les maux de la solitude et durcit les écarts entre les générations. Les jeunes sont déçus du monde où nous les plaçons. Nos manières de vivre leur permettront-elles de respecter leur propre dignité d’hommes, de découvrir un idéal, de s’épanouir dans une communion d’êtres heureux dans leur dignité ? Il est de notre responsabilité à tous de mesurer l’enjeu de ces questions. L’homme a assez de pouvoir sur lui-même pour reprendre sa route, se relever s’il est tombé, et répondre à la vocation de se dépasser sans cesse.
11 octobre 1985 – Discours de Jean Paul II au VIème symposium des Evêques d’Europe – ORLF 22.10.1985
L’introduction d’une législation permissive sur l’avortement a été considérée comme l’affirmation d’un principe de liberté. Mais, demandons-nous donc si au contraire ce n’est pas le triomphe du principe du bien-être matériel et de l’égoïsme sur la valeur la plus sacrée, celle de la vie humaine. On a dit que l’Eglise serait mise en échec parce qu’elle n’a pas réussi à faire assimiler sa loi morale. Mais moi, je pense que, dans ce phénomène si triste d’involution, ceux qui sont vraiment vaincus, c’est l’homme, c’est la femme. Il est mis en échec le médecin qui a renié le serment et le titre le plus noble de la médecine, celui de défendre et de sauver la vie humaine ; il a été vraiment vaincu l’Etat « sécularisé » qui a renoncé à protéger le droit fondamental et sacré à la vie, pour devenir l’instrument d’un prétendu intérêt de la collectivité et qui se montre parfois incapable de sauvegarder le respect de ses propres lois permissives. L’Europe devra méditer sur cette défaire.
La dénatalité et le vieillissement démographique ne peuvent plus être ignorés ou considérés comme une solution au problème du chômage. La population européenne, qui représentait 25 % de la population mondiale en 1960, ne serait plus que de 5 % au milieu du siècle prochain si les tendances démographiques actuelles se poursuivent. Ces chiffres ont conduit certains dirigeants européens à parler d'un « suicide démographique » de l'Europe. Si cette involution nous préoccupe, c'est d'autant plus parce que, observée en profondeur, elle apparaît comme un symptôme grave d'une perte de volonté de vivre et de perspectives ouvertes sur l'avenir, et plus encore d'une profonde aliénation spirituelle. C'est pourquoi nous ne devons pas nous lasser de dire et de répéter à l'Europe : redécouvre-toi ! Redécouvre ton âme !
13 décembre 1985- Au Conseil Pontifical pour la Famille
Nous avons, depuis un mois, commémoré plusieurs documents conciliaires, approuvés et publiés il y a juste vingt ans. L’un des documents principaux était la constitution pastorale “Gaudium et Spes”, adoptée le 7 décembre 1965. Elle présente une vision chrétienne de l’homme et de la société, et l’interaction de l’Eglise, comme peuple de Dieu, et des communautés humaines. Elle traite de nombre de problèmes qui sont d’une importance cruciale pour le monde d’aujourd’hui et au premier rang desquels il faut mentionner la doctrine sur le mariage et la famille.
Ces deux thèmes ont été depuis lors l’objet d’une attention spéciale de la part du Magistère de l’Eglise. L’encyclique “Humanae Vitae” de mon prédécesseur Paul VI, le Synode sur la mission de la famille et l’exhortation apostolique “Familiaris Consortio”, tout comme les catéchèses que j’ai consacrées aux aspects concrets de la doctrine chrétienne sur le mariage, sans compter beaucoup de documents pastoraux de mes Frères dans l’épiscopat, ont indiqué aux fidèles le juste ordre humain et chrétien de l’union qui leur fait partager le mystère sacramentel du mariage.
Le Comité de la Famille - devenu le Conseil pontifical pour la Famille - a été institué pour mieux contribuer à exposer et à divulguer la doctrine sur le mariage et la famille, et aussi pour apporter une aide directe et adéquate à la pastorale spécifique des diverses situations qui affectent la vie familiale. Vous êtes donc, vous tous qui appartenez de plein droit à ce Dicastère de l’Eglise, coopérateurs du Pape dans sa sollicitude pour toutes les Eglises. Je vous remercie vivement de votre collaboration. Votre mission se réfère à la fois à la doctrine et à la pastorale des foyers.
2. Il vous faut donc d’abord vous référer à la vérité que l’Eglise expose et transmet sur le mariage. Le Magistère de l’Eglise ne crée pas la doctrine, il enseigne les exigences de l’ordre moral afin qu’à sa lumière le jugement de la conscience puisse être vrai. Le fidèle a le droit de recevoir du Magistère l’enseignement sur la vérité morale. Et l’on ne peut pas dire que le Magistère de l’Eglise s’oppose aux “droits de la conscience”. Si la raison humaine et le Magistère fondé sur la Révélation ont accès, bien que de manière différente, à la vérité qui est fondée en Dieu, la conscience éclairée par la raison ne verra pas dans cette autre lumière qui lui vient à travers le Magistère une simple conception parmi d’autres, mais le soutien apporté par la Providence divine à notre nature humaine, dans sa condition faible et limitée.
Le Magistère de l’Eglise ne remplace donc pas la conscience morale des personnes; il l’aide à se former, à découvrir la vérité des choses, le mystère et la vocation de la personne humaine, le sens profond de ses actes et de ses relations. Car la conscience ne peut jamais se livrer à l’arbitraire; elle peut se tromper en s’orientant vers ce qui lui paraît raisonnablement un bien; mais son devoir est de s’orienter vers le bien selon la vérité.
Il n’est pas étonnant que le mariage et les relations conjugales soient l’un des domaines où le désordre intérieur, conséquence du péché originel et des péchés personnels de Chacun, a largement répandu les brouillards de la désorientation et du doute. C’est précisément un point où le Magistère de l’Eglise doit exposer la vérité en étant particulièrement attentif à promouvoir le bien des personnes et de la société humaine, si étroitement dépendant de cette cellule de base qu’est la famille.
En exposant les lois morales qui entourent la vérité du don des conjoints, l’Eglise ne promeut pas seulement la rectitude morale de chacun des conjoints, mais elle défend la vérité du mariage lui-même, origine et garantie de la famille. C’est pourquoi la constitution pastorale “Gaudium et Spes”, en exposant les critères objectifs - “tirés de la nature même de la personne et de ses actes” - qui déterminent la moralité de la vie intime des conjoints, les appellent “critères qui respectent, dans un contexte d’amour véritable, la signification totale d’une donation réciproque et d’une procréation à la mesure de l’homme”. Mais, en même temps, cette donation mutuelle totale et la procréation humaine ne sont pas autres choses, dans la vie conjugale, que le fidèle reflet de la nature du mariage. Logiquement, les liens essentiels entre la nature du mariage lui-même, le don de soi mutuel et l’ouverture à la vie, déterminent la vérité des actes spécifiques du mariage, conditionnant en même temps le fait qu’ils soient bons ou non.
En ce sens, on peut dire que le rappel de la doctrine de l’Eglise est une façon profonde d’exercer la charité: un amour qui ne se limite pas à promouvoir des “solutions”, peut-être faciles et d’un effet immédiat, mais qui, comme le bon médecin, cherche à soigner les causes du désordre, même lorsque, parfois, on ne voit pas tout de suite les résultats. Or, là où abonde le désordre de la vie conjugale, les fondements de l’institution du mariage et de la stabilité de la famille sont mines, et il faut préparer des remèdes profonds, à la mesure du mal.
Mais il importe de bien exposer la doctrine, avec des arguments et des exemples qui soient de nature à mieux toucher et convaincre nos contemporains.
Par ailleurs, les problèmes de la famille sont loin de se limiter à ceux que je viens d’évoquer touchant l’union des époux. Ils sont multiples. Ils ne concernent pas seulement la procréation, mais l’éducation, et toute l’ambiance de vie des familles.
Enfin les progrès scientifiques, notamment ceux qui concernent l’embryon, sont en train de poser beaucoup de questions nouvelles et graves. Il faut que l’Eglise les regarde en face. Votre Conseil y a sa part, et doit y demeurer attentif, tout en admettant que Ses réponses complexes du Magistère seront le fruit de la collaboration de plusieurs Dicastères, utiliseront la réflexion d’experts très qualifiés, ainsi que le jugement théologique et moral des divers théologiens et de leurs Pasteurs. C’est là encore un service que l’Eglise doit apporter aux consciences et à la société.
3. L’activité apostolique de votre Conseil, s’appuyant sur la doctrine, doit viser une meilleure pastorale familiale, permettant aux fidèles de mieux accueillir cette vérité et de la faire entrer dans leur propre vie, comme dans les moeurs de la société. C’est le deuxième aspect de votre mission, inséparable du premier. Vous avez d’ailleurs réfléchi durant votre Assemblée sur la façon de préparer les agents de la pastorale familiale.
Votre contribution demeure très précieuse et particulière. Car vous êtes au sein de la Curie, en relation directe avec le Pape; l’horizon de votre sollicitude est l’Eglise universelle; et la composition même du Conseil, avec des couples chrétiens de différents pays qui ont assimilé la doctrine familiale de l’Eglise et cherchent à en vivre, prédispose à cet apostolat.
Mais vous êtes conscients de l’immensité de l’½uvre. C’est l’ensemble des laïcs vivant la vocation du mariage qui sont appelés à cet apostolat, aidés de leurs prêtres. Il faut souhaiter que de multiples initiatives soient prises en ce sens dans les Eglises locales, et que les associations familiales, les mouvements, les centres spécialisés apportent une collaboration qualifiée et généreuse, inspirée de l’esprit chrétien, en fidélité à la doctrine de l’Eglise. Sur place, les évêques sont directement responsables de l’authenticité chrétienne et de l’opportunité de cette action. Ils comptent sur votre compréhension et votre encouragement.
Un tel apostolat prendra en considération la formation et les conditions particulières des personnes pour les amener à mieux comprendre les exigences du mariage chrétien et à progresser dans l’amour conjugal et parental tel que le veut le Seigneur. S’il n’est pas permis de parler de “gradualité de la loi”, comme si la loi était plus ou moins exigeante suivant les situations concrètes, il n’est pas moins nécessaire de tenir compte de la “loi de gradualité”, car tout bon pédagogue, sans infirmer les principes, est attentif à la situation personnelle de ses interlocuteurs pour leur permettre un meilleur accueil de la vérité. Ceux qui conforment leur vie à ces exigences, ou qui au moins s’efforcent de les vivre de manière cohérente, sont mieux à même d’en communiquer les valeurs.
Outre cette cohérence chrétienne avec la vérité, toutes les sciences en relation avec la pédagogie, celles qui aident à mieux connaître la personne et qui favorisent la communication, seront certainement d’une grande utilité.
Mais si nécessaire que soit ce travail de formation doctrinale, le témoignage de vie des époux chrétiens est d’une valeur tout à fait unique. Le Magistère de l’Eglise ne présente pas des vérités impossibles à vivre. Certes, les exigences de la vie chrétienne dépassent les possibilités de l’homme s’il n’est pas aidé par la grâce. Mais ceux qui se laissent vivifier par l’Esprit de Dieu font l’expérience que l’accomplissement de la loi du Christ est possible, qu’il s’agit même d’un “joug qui est doux” et que cette fidélité procure de grands bienfaits. Le témoignage de cette expérience constitue alors pour les autres couples de bonne volonté, souvent désorientés et insatisfaits, un puissant motif de crédibilité et d’entraînement; comme le sel dont parle l’Evangile, elle leur donne le goût de vivre ainsi. Le sacrement de mariage rend les époux chrétiens capables de ce charisme. Ils manifestent alors que les valeurs chrétiennes couronnent et fortifient les valeurs humaines. La vérité plénière du Christ, loin d’amoindrir le véritable amour, le garantit et le protège; elle est à la source du bien propre des époux; elle suscite pour la société des foyers qui seront les ferments d’une humanité meilleure.
Beaucoup de responsables de la société civile, prenant conscience des mutations profondes et de la crise qui affectent si largement la vie familiale, la stabilité des foyers, l’épanouissement des époux et des enfants, sont sans doute prêts à prendre en considération l’importance de cette contribution spécifique, inspirée des principes moraux naturels et chrétiens, offerte loyalement et humblement.
Voilà, en tout cas, ce qu’il nous faut promouvoir dans l’Eglise avec lucidité et courage, en liaison avec les forces vives qui travaillent déjà pour la pastorale familiale.
Le prochain Synode sur la mission des laïcs fortifiera sans nul doute cette prise de conscience et cet appel, déjà avivés par le précédent Synode ordinaire, car la famille est l’un des domaines spécifiques où il revient aux laïcs d’imprégner la société humaine de l’Esprit du Christ.