1999
23 janvier 1999 – Homélie de Jean Paul II au sanctuaire marial de ND de Guadalupe, au Mexique
Chers frères et sœurs, l'heure est venue de bannir pour toujours du continent toute atteinte à la vie. Jamais plus de violence, de terrorisme et de trafic de drogue ! Jamais plus de torture ou d'autres formes d'abus ! Il faut mettre fin au recours inutile à la peine de mort ! Jamais plus d'exploitation des faibles, de discrimination raciale ou de ghettos de pauvreté ! Jamais plus! ce sont des maux intolérables qui élèvent leur cri vers le ciel et qui invitent les chrétiens à un style de vie différent, à un engagement social plus en harmonie avec leur foi. Nous devons réveiller la conscience des hommes et des femmes grâce à l'Evangile, dans le but de souligner leur vocation sublime de fils de Dieu. Cela les encouragera à édifier une Amérique meilleure. Il est urgent de susciter un nouveau printemps de sainteté sur le continent afin que l'action et la contemplation aillent de pair.
27 février 1999 – Aux membres de l’Académie Pontificale pour la Vie
1. Je vous souhaite la bienvenue, éminents membres de l'Académie pontificale pour la Vie, réunis à Rome à l'occasion de votre Assemblée générale annuelle! En adressant à chacun de vous un salut cordial, je remercie le Président, le Professeur Juan De Dios Vial Correa des aimables paroles à travers lesquelles il s'est fait l'interprète de vos sentiments à tous. Je salue également les évêques présents: Mgr Elio Sgreccia, Vice-président de l'Académie pontificale pour la Vie, et Mgr Javier Lozano Barragán, Président du Conseil pontifical pour la Pastorale des Services de la Santé, à laquelle l'Académie pontificale est liée.
J'adresse une pensée particulière à l'inoubliable premier Président, le Professeur Jérôme Lejeune, qui nous a quittés il y a presque cinq ans, le 3 avril 1994. Il a voulu profondément cette nouvelle Institution, presque comme un testament spirituel pour la sauvegarde de la vie humaine, en prévision des menaces croissantes qui se profilaient à l'horizon.
Je désire exprimer ma satisfaction pour toute l'activité de recherche rigoureuse et de vaste information que l'Académie pontificale a su mettre en place et réaliser durant ce premier quinquennat de vie. Le thème que vous avez choisi pour votre réflexion, «la dignité des mourants», veut apporter une lumière de doctrine et de sagesse sur un point qui est, sous certains aspects, nouveau et crucial. La vie des mourants et des malades graves, en effet, est exposée aujourd'hui à un ensemble de dangers, qui se manifestent parfois sous la forme de traitements déshumanisants, ou encore dans le manque de considération, ou même dans l'abandon, qui peut aller jusqu'à la solution de l'euthanasie.
2. Le phénomène de l'abandon des mourants, qui se diffuse dans la société développée, a diverses racines et de multiples dimensions, bien présentes dans votre analyse.
Il existe une dimension socio-culturelle, qui prend le nom d'«occultation de la mort»: les sociétés, organisées sur le critère de la recherche du bien-être matériel, ressentent la mort comme un non-sens, et, dans l'intention d'en effacer la question, en proposent parfois l'anticipation indolore. La soit-disante «culture du bien-être» comporte souvent l'incapacité de saisir le sens de la vie dans les situations de souffrance et de limitation, qui accompagnent l'approche de l'homme à la mort. Une telle incapacité est grave lorsqu'elle se manifeste au sein d'un humanisme fermé au transcendant, et se traduit souvent par la perte de la confiance pour la valeur de l'homme et de la vie.
Il existe ensuite une dimension philosophique et idéologique, sur la base de laquelle on fait appel à l'autonomie absolue de l'homme, comme s'il était l'auteur de sa vie. Dans cette optique, on s'appuie sur le principe de l'autodétermination et l'on arrive également à exalter le suicide et l'euthanasie comme des formes paradoxales d'affirmation et à la fois de destruction de son moi.
Il existe en outre une dimension médicale et d'assistance qui s'exprime à travers une tendance à limiter le soin des malades graves, envoyés dans des structures sanitaires qui ne sont pas toujours capables de fournir une assistance personnalisée et humaine. La conséquence est que la personne hospitalisée perd souvent contact avec sa famille et est soumise à une sorte d'acharnement technologique qui porte atteinte à sa dignité.
Il y a, enfin, l'influence occulte de la soit-disante «éthique utilitariste», qui règlemente de nombreuses sociétés avancées sur la base de critères de productivité et d'efficacité: dans cette optique, le malade grave et les mourants qui ont besoin de soins prolongés et qualifiés sont ressentis, sous le rapport coût-bénéfice, comme un poids et un sujet passif. Cette mentalité encourage donc une baisse du soutien en ce qui concerne la phase de déclin de la vie.
3. Tel est le contexte idéologique auquel puisent les campagnes d'opinion toujours plus fréquentes visant à la mise en place de lois en faveur de l'euthanasie et du suicide assisté. Les résultats déjà obtenus dans certains pays, parfois à travers des sentences de la Cour suprême, ou encore à travers des votes émanant du Parlement, confirment la diffusion de certaines convictions.
Il s'agit du progrès de la culture de la mort, qui ressort également d'autres phénomènes découlant, d'une façon ou d'une autre, d'un manque de valorisation de la dignité humaine: tel est le cas, par exemple, des personnes qui meurent à cause de la faim, de la violence, de la guerre, du manque de contrôle de la circulation, du manque d'attention aux normes de sécurité sur le lieu de travail.
Face aux nouvelles manifestations de la culture de la mort, l'Eglise a le devoir de rester fidèle à son amour pour l'homme «qui est la première route qu'elle doit parcourir» (Redemptor hominis, n. 14). Elle a aujourd'hui le devoir d'illuminer le visage de l'homme, en particulier le visage des mourants avec toute la lumière de sa doctrine, avec la lumière de la raison et de la foi; elle a le devoir d'appeler à rassembler, comme elle l'a déjà fait en diverses occasions cruciales, toutes les forces de la communauté et des personnes de bonne volonté, afin qu'autour des mourants se resserre avec une ardeur renouvelée un lien d'amour et de solidarité.
L'Eglise est consciente que le moment de la mort est toujours accompagné par une densité particulière de sentiments humains: il y a une vie terrestre qui s'accomplit; la rupture des liens affectifs, de génération, mais aussi de liens sociaux, qui font partie du plus profond de la personne; il y a dans la conscience du sujet qui meurt et de celui qui l'assiste un conflit entre l'espérance en l'immortalité et l'inconnu, qui trouble également les esprits les plus éclairés. L'Eglise élève sa voix afin que l'on ne porte pas offense aux mourants, mais que l'on se consacre avec une sollicitude bienveillante à les accompagner, tandis qu'ils s'apprêtent à franchir le seuil du temps pour s'introduire dans l'éternité.
4. «La dignité des mourants» est enracinée dans sa condition de créature et dans sa vocation personnelle à la vie immortelle. Le regard plein d'espérance transfigure la décomposition de notre corps mortel. «Quand donc cet être corruptible aura revêtu l'incorruptibilité et que cet être mortel aura revêtu l'immortalité, alors s'accomplira la parole qui est écrite: la mort a été engloutie dans la victoire» (1 Co 15, 54; cf. 2 Co 5, 1).
C'est pourquoi, l'Eglise, en défendant le caractère sacré de la vie également chez les mourants, n'obéit à aucune forme d'absolutisation de la vie physique, mais enseigne à respecter la véritable dignité de la personne, qui est créature de Dieu et aide à accepter de façon sereine la mort, lorsque les forces physiques ne peuvent plus être soutenues. J'ai écrit dans l'Encyclique Evangelium vitae: «La vie du corps dans sa condition terrestre n'est pas un absolu pour le croyant: il peut lui être demandé de l'abandonner pour un bien supérieur [...] Toutefois, personne ne peut choisir arbitrairement de vivre ou de mourir; ce choix, en effet, seul le Créateur en est le maître absolu, lui en qui "nous avons la vie, le mouvement et l'être" (Ac 17, 28)» (n. 47).
De là découle une ligne de conduite morale envers le malade grave et les mourants qui est contraire, d'une part, à l'euthanasie et au suicide (cf. ibid., n. 61) et, d'autre part, aux formes «d'acharnement thérapeutique» qui ne représentent pas un réel soutien à la vie et à la dignité des mourants.
Il est opportun de rappeler ici le jugement de condamnation de l'euthanasie entendue au sens propre comme «une action ou une omission qui, de soi et dans l'intention, donne la mort afin de supprimer ainsi toute douleur», dans la mesure où elle constitue une «grave violation de la Loi de Dieu» (ibid., n. 65). Il faut également tenir compte de la condamnation du suicide dans la mesure où celui-ci «du point de vue objectif, est un acte gravement immoral, parce qu'il comporte le refus de l'amour envers soi-même et le renoncement aux devoirs de justice et de charité envers le prochain, envers les différentes communautés dont on fait partie et envers la société dans son ensemble. En son principe le plus profond, il constitue un refus de la souveraineté absolue de Dieu sur la vie et sur la mort» (ibid., n. 66).
5. L'époque à laquelle nous vivons exige la mobilisation de toutes les forces de la charité chrétienne et de la solidarité humaine. Il faut en effet faire face au nouveau défi de la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté. A cette fin, il ne suffit pas de s'opposer, dans l'opinion publique et dans les parlements, à cette tendance de mort, mais il faut également engager la société et les structures mêmes de l'Eglise à une digne assistance aux mourants.
Dans cette perspective, j'encourage volontiers tous ceux qui promeuvent des œuvres et des initiatives pour l'assistance des malades graves, des malades mentaux chroniques, des mourants. Que ceux-ci s'engagent, si nécessaire, à adapter les œuvres d'assistance déjà existantes aux nouvelles nécessités, afin qu'aucun mourant ne soit abandonné ou laissé seul et sans assistance face à la mort. C'est la leçon que nous ont laissée tant de saints et de saintes au cours des siècles et également récemment Mère Teresa de Calcutta, avec ses sages initiatives. Il faut éduquer chaque communauté diocésaine et paroissiale à prendre soin de ses personnes âgées, à soigner et à visiter ses malades à domicile et dans les structures spécifiques, selon les nécessités.
L'éveil des consciences dans les familles et dans les hôpitaux ne manquera pas de favoriser une application plus vaste des «soins palliatifs» chez les malades graves et les mourants, afin de soulager les symptômes de la douleur, en leur apportant dans le même temps un réconfort spirituel à travers une assistance assidue et attentive. De nouvelles œuvres devront être créées pour accueillir les personnes âgées non autonomes qui se retrouvent seules, mais il faudra surtout promouvoir une organisation étendue pour apporter un soutien économique, outre que moral, à l'assistance à domicile: en effet, les familles qui veulent garder chez elles les personnes gravement malades, sont soumises à des sacrifices parfois très lourds.
Les Eglises locales et les Congrégations religieuses ont parfois l'occasion d'offrir dans ce domaine un témoignage de pionniers, conscientes de la Parole du Seigneur au sujet de ceux qui se prodiguent pour soulager les malades: «J'étais malade et vous m'avez soigné» (Mt 25, 36).
Que Marie, la Mère des douleurs qui a assisté Jésus mourant sur la croix, diffuse dans l'Eglise-mère son esprit et l'accompagne dans l'accomplissement de cette mission.
Je donne à tous ma Bénédiction.
1er octobre 1999 – Lettre aux personnes âgées
A mes frères et sœurs âgés!
Le nombre de nos années? soixante-dix,
quatre-vingts pour les plus vigoureux!
Leur plus grand nombre n'est que peine et misère;
elles s'enfuient, nous nous envolons (Ps 90 [89], 10)
1. Soixante-dix ans était un grand âge à l'époque où le Psalmiste écrivait ces mots, et peu nombreux étaient ceux qui allaient au-delà; aujourd'hui, grâce aux progrès de la médecine et à toutes les améliorations des conditions économiques et sociales, dans beaucoup de régions du monde la durée de la vie s'est considérablement allongée. Il reste toujours vrai, cependant, que les années passent vite; le don de la vie, malgré la peine et la misère qui la marquent, est trop beau et trop précieux pour que nous puissions nous en lasser.
Âgé moi aussi, j'ai ressenti le désir d'engager le dialogue avec vous. Et je le fais avant tout en rendant grâce à Dieu pour les dons et les faveurs qu'il m'a accordés en abondance jusqu'à aujourd'hui. Je revois en pensée les étapes de mon existence, qui s'entremêle avec l'histoire d'une grande partie de ce siècle, et je vois affleurer les visages d'innombrables personnes, dont quelques-unes me sont particulièrement chères: les souvenirs d'événements ordinaires et extraordinaires, souvenirs de moments de joie et d'autres marqués par la souffrance. Mais surtout je vois se tendre la main providentielle et miséricordieuse de Dieu le Père, qui “ prend le plus grand soin de tout ce qui existe ” (1) et qui “ nous écoute, si nous demandons quelque chose selon sa
volonté ” (1 Jn 5, 14). A Lui, je dis comme le Psalmiste: “ Mon Dieu, tu m'as instruit dès ma jeunesse, jusqu'à présent j'ai proclamé tes merveilles. Au jour de la vieillesse et des cheveux blancs, ne m'abandonne pas, ô mon Dieu, et je dirai aux hommes de ce temps ta puissance, à tous ceux qui viendront tes exploits ” (Ps 71 [70], 17-18).
Ma pensée se tourne avec affection vers vous toutes, chères personnes âgées de toutes langues et de toutes cultures. Je vous adresse cette lettre au cours de l'année que l'Organisation des Nations unies a voulu opportunément consacrer aux personnes âgées, pour attirer l'attention de toute la société sur la situation de ceux qui, en raison du poids des ans, doivent souvent affronter de multiples et difficiles problèmes.
Sur ce thème, le Conseil pontifical pour les Laïcs a déjà présenté toute une série de précieuses réflexions.(2) Par la présente lettre, je voudrais seulement vous exprimer ma proximité spirituelle dans l'esprit de celui qui, année après année, sent croître en lui une compréhension toujours plus grande de cette étape de la vie et qui éprouve donc le besoin d'un contact plus immédiat avec ses contemporains, pour s'entretenir de ce qui constitue l'expérience commune, plaçant tout sous le regard de Dieu, qui nous enveloppe de son amour et qui, par sa providence, nous soutient et nous conduit.
2. Chers frères et sœurs, se remémorer le passé pour tenter une sorte de bilan est spontané à notre âge. Ce regard rétrospectif permet d'évaluer plus sereinement et plus objectivement les personnes et les situations rencontrées tout au long du chemin. L'écoulement du temps fait s'évanouir les contours des événements et en adoucit les côtés douloureux. Malheureusement soucis et tribulations sont largement présents dans l'existence de chacun. Il s'agit parfois de problèmes et de souffrances qui mettent à dure épreuve la résistance psychophysique et qui ébranlent peut-être la foi elle-même. Mais l'expérience enseigne que les souffrances quotidiennes elles-mêmes contribuent souvent, avec la grâce du Seigneur, à la maturité des personnes, en trempant leur caractère. Au-delà des événements particuliers, la réflexion qui s'impose le plus est celle qui concerne le temps qui s'écoule inexorablement. “ Le temps fuit et sans retour ”, jugeait déjà le vieux poète latin.(3) L'homme est plongé dans le temps: en lui, il naît, il vit et il meurt. Avec la naissance se trouve fixée une date, la première de sa vie, et, avec la mort, une autre, l'ultime: l'alpha et l'oméga, le commencement et la fin de sa vie terrestre, comme le souligne la tradition chrétienne, en gravant ces lettres de l'alphabet grec sur les pierres tombales.
Mais si fragile et mesurée que soit l'existence de chacun d'entre nous, nous sommes confortés par la pensée que, parce que nous avons une âme spirituelle, nous survivons à la mort elle-même. La foi nous ouvre à “ une espérance qui ne déçoit pas ” (cf. Rm 5, 5), en nous indiquant la perspective de la résurrection finale. Ce n'est pas pour rien que l'Eglise, dans la solennité de la Veillée pascale, fait usage de ces mêmes lettres, en référence au Christ vivant hier, aujourd'hui, et toujours: “ Commencement et fin de toutes choses, Alpha et Oméga; à lui le temps et l'éternité ”.(4) L'aventure humaine, même soumise au temps, est située par le Christ dans la perspective de l'immortalité. Il “ s'est fait homme parmi les hommes, afin de rattacher la fin au commencement, c'est-à-dire l'homme à Dieu ”.(5)
Un siècle complexe
vers un avenir plein d'espérance
3. En me tournant vers les personnes âgées, j'ai conscience que je parle à des personnes, et de personnes, qui ont accompli un long parcours (cf. Sg 4, 13). Je parle à des personnes de mon âge; je peux donc facilement chercher une analogie dans ma vie personnelle. Notre vie, chers frères et sœurs, a été inscrite par la Providence dans ce vingtième siècle, qui a reçu du passé un lourd héritage et qui a été le témoin d'événements nombreux et extraordinaires.
Comme tant d'autres époques de l'histoire, la nôtre a enregistré ombres et lumières. Tout n'a pas été sombre. Beaucoup d'aspects positifs y ont contrebalancé le négatif ou en ont émergé comme une bienfaisante réaction de la conscience collective.
Il est vrai cependant — et il serait aussi injuste que dangereux de l'oublier! — qu'il y a eu des souffrances inouïes, qui ont marqué la vie de millions et de millions de personnes. Il suffit de penser aux conflits qui ont explosé sur les divers continents à la suite de contestations territoriales entre Etats ou de haines interethniques. Il faut considérer comme tout aussi graves les conditions d'extrême pauvreté qui affectent des couches entières de la société dans l'hémisphère sud, le phénomène honteux de la discrimination raciale et la violation systématique des droits humains dans de nombreux pays. Et que dire ensuite des grands conflits mondiaux?
Dans la première moitié de ce siècle, il y en eut deux, avec une quantité jamais vue de morts et de destructions. La première guerre mondiale faucha des millions de soldats et de civils, brisant une multitude de vies humaines au sortir de l'adolescence, ou même de l'enfance. Et que dire de la seconde guerre mondiale? Survenue après quelques dizaines d'années de paix relative dans le monde, spécialement en Europe, elle fut plus tragique encore que la précédente, avec de terribles conséquences pour la vie des nations et des continents. Ce fut une guerre totale, une mobilisation inouïe de la haine, qui s'abattit brutalement même sur des populations civiles sans défense et qui détruisit des générations entières. Le tribut payé à la folie meurtrière de la guerre, sur les différents fronts, fut incalculable, comme furent aussi terrifiants les massacres perpétrés dans les camps d'extermination, vrais Golgotha de l'époque contemporaine.
Sur la seconde moitié du siècle a pesé, durant des années, le cauchemar de la guerre froide, autrement dit de l'affrontement entre les deux grands blocs idéologiques opposés, l'Est et l'Ouest, dans une course folle aux armements et sous la menace constante d'une guerre atomique, capable de conduire à l'extinction de l'humanité.(6) Grâce à Dieu, cette page obscure s'est achevée avec la chute des régimes totalitaires oppressifs en Europe; c'est là un fruit de la lutte pacifique qui a fait usage des armes de la vérité et de la justice.(7) Il s'est ainsi engagé un processus de dialogue et de réconciliation, laborieux mais profitable, visant à instaurer une convivialité plus sereine et plus solide entre les peuples.
Mais trop de pays sont encore bien loin de connaître les bienfaits de la paix et de la liberté. C'est une grande inquiétude qu'a suscitée, ces derniers mois, le violent conflit qui a éclaté dans la région des Balkans, qui fut déjà les années précédentes le théâtre d'une terrible guerre d'inspiration ethnique: d'autres sangs ont été versés, d'autres destructions ont eu lieu, d'autres haines ont été alimentées. Maintenant que finalement la fureur des armes s'est apaisée, on commence à penser à la
reconstruction, dans la perspective du nouveau millénaire. Mais en attendant, continuent d'éclater, sur d'autres continents, de multiples foyers de guerre, parfois avec des massacres et des violences trop vite oubliés par la presse.
4. Si ces souvenirs et cette actualité douloureuse nous attristent, nous ne pouvons oublier que notre siècle a vu se lever à l'horizon de nombreux signes positifs, qui constituent autant de motifs d'espérance pour le troisième millénaire. Ainsi on a vu croître — malgré bien des contradictions, spécialement quant au respect de la vie de tout être humain — la conscience des droits humains universels, proclamés dans des déclarations solennelles qui engagent les peuples.
Dans le cadre des rapports nationaux et internationaux inspirés par la valorisation des identités culturelles et en même temps par le respect des minorités, on a vu également se développer le sens du droit des peuples à se gouverner eux-mêmes. L'écroulement des régimes totalitaires, comme ceux de l'Est de l'Europe, a fait croître la perception universelle de la valeur de la démocratie et du libre marché, sans pour autant supprimer l'immense défi d'avoir à conjuguer liberté et justice sociale.
Il faut également considérer comme un grand don de Dieu le fait que les religions s'efforcent, avec toujours plus de détermination, de nouer un dialogue qui en fait un élément fondamental de paix et d'unité pour le monde.
Et que dire de la croissance, dans la conscience commune, de la reconnaissance de la dignité de la femme? Il y a encore, indubitablement, beaucoup de chemin à parcourir, mais la voie est tracée. Autre motif d'espérance: l'intensification des communications qui, favorisées par la technologie actuelle, permettent de dépasser les frontières traditionnelles, en faisant de nous comme des citoyens du monde.
Un autre domaine de maturation est la nouvelle sensibilité écologique, qui mérite d'être encouragée. Les grands progrès de la médecine et des sciences qui se consacrent au bien-être de l'homme sont aussi des facteurs d'espérance.
Ainsi donc, nous ne manquons pas de motifs pour lesquels nous devons rendre grâce à Dieu. Cette fin de siècle se présente, malgré tout, avec un grand potentiel de paix et de progrès. Des épreuves mêmes par lesquelles notre génération est passée émerge une lumière capable d'éclairer les années de notre vieillesse. Ainsi est confirmé un principe cher à la foi chrétienne: “ Non seulement les tribulations ne détruisent pas l'espérance, mais elles en sont le fondement ”.(8)
Il est alors significatif qu'au moment où le siècle et le millénaire s'achèvent et que pointe déjà l'aube d'une nouvelle saison pour l'humanité, nous nous arrêtions pour méditer sur la réalité de la fuite du temps, non pour nous résigner à un destin inexorable, mais pour donner pleine valeur aux années qu'il nous reste à vivre.
L'automne de la vie
5. Qu'est-ce que la vieillesse? Parfois, on parle d'elle comme de l'automne de la vie — comme le faisait déjà Cicéron (9) —, suivant l'analogie suggérée par les saisons et les phases successives de la nature. Il suffit de regarder la variété du paysage, tout au long de l'année, sur les montagnes ou dans les plaines, dans les champs, les vallées, les bois, sur les arbres et sur les plantes. Il y a une étroite ressemblance entre les biorythmes humains et les cycles de la nature, dont fait partie l'automne.
En même temps toutefois, l'homme se distingue de toutes les autres réalités qui l'environnent parce qu'il est une personne. Façonné à l'image et à la ressemblance de Dieu, il est un sujet conscient et responsable. Et c'est aussi par sa dimension spirituelle qu'il vit la succession de diverses étapes, toutes également fugitives. Saint Éphrem le Syrien aimait comparer la vie aux doigts d'une main, soit pour mettre en évidence que sa durée ne dépasse par un empan, soit pour indiquer que, comme
chacun des doigts, chaque étape de la vie a sa caractéristique, “ les doigts représentant les cinq marches que l'homme gravit successivement ”.(10)
S'il est vrai, donc, que l'enfance et la jeunesse constituent pour l'être humain la période où il se forme, où il vit projeté vers l'avenir et où, prenant conscience de ses potentialités, il bâtit ses projets pour l'âge adulte, en revanche, la vieillesse ne manque pas de certains avantages, car — comme l'observe saint Jérôme —, en atténuant la force des passions, elle “ accroît la sagesse, elle donne des conseils plus avisés ”.(11) En un certain sens, c'est l'époque privilégiée de la sagesse, qui est en général le fruit de l'expérience, parce que “ le temps est un grand maître ”.(12) On connaît la prière du Psalmiste: “ Apprends-nous la vraie mesure de nos jours: que nos cœurs pénètrent la sagesse ” (Ps 90 [89], 12).
Les personnes âgées dans la Sainte Ecriture
6. “ La jeunesse et les cheveux noirs ne sont qu'un souffle ”, observe Qohélet (11, 10). La Bible n'hésite pas à attirer l'attention, parfois avec un franc réalisme, sur la précarité de la vie et sur la fuite inexorable du temps: “ Vanité des vanités, ... vanité des vanités, tout est vanité ” (Qo 1, 2): qui ne connaît le sévère avertissement de cet ancien Sage? Nous, les personnes âgées, qui sommes instruites par l'expérience, nous le comprenons fort bien.
Malgré ce réalisme désenchanté, l'Ecriture garde une vision très positive de la valeur de la vie. L'homme reste toujours fait “ à l'image de Dieu ” (cf. Gn 1, 26) et chaque âge a sa beauté et ses tâches. Dans la parole de Dieu, le grand âge est en si grande vénération que la longévité est considérée comme signe de la bienveillance divine (cf. Gn 11, 10-32). Avec Abraham, homme dont on souligne que le grand âge est un privilège, cette bienveillance prend le sens d'une promesse: “ Je ferai de toi un grand peuple et je te bénirai, je magnifierai ton nom et tu deviendras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront et je réprouverai ceux qui te maudiront et par toi seront bénies toutes les familles de la terre ” (Gn 12, 2-3). A ses côtés, il y a Sara, femme qui voit vieillir son propre corps, mais qui fait l'expérience, dans les limites d'une chair désormais flétrie, de la puissance de Dieu qui supplée l'insuffisance humaine.
Moïse est un homme âgé lorsque Dieu lui confie la mission de faire sortir d'Egypte le peuple élu. Ce n'est pas durant sa jeunesse mais pendant sa vieillesse qu'il accomplit, sur ordre du Seigneur, les grandes œuvres en faveur d'Israël. Parmi d'autres exemples que nous offrent les personnes âgées, je voudrais citer l'histoire de Tobie, qui s'efforce, avec courage et humilité, d'observer la loi divine, de venir en aide aux nécessiteux, de supporter avec patience la cécité, jusqu'à ce qu'il constate
l'intervention décisive de l'ange de Dieu (cf. Tb 3, 16-17); et il y a encore l'histoire d'Eléazar, dont le martyre témoigne d'une force et d'une générosité peu communes (cf. 2 M 6, 18-31).
7. Rayonnant de la lumière du Christ, le Nouveau Testament compte, lui aussi, d'éloquentes figures de vieillards. L'Evangile de Luc s'ouvre par la présentation de deux époux “ avancés en âge ” (1, 7), Elisabeth et Zacharie, les parents de Jean-Baptiste. La miséricorde du Seigneur (cf. Lc 1, 5-25. 39-79) se tourne vers eux: on annonce à Zacharie, désormais âgé, la naissance d'un fils. C'est lui-même qui le souligne: “ Moi, je suis un vieillard et ma femme est avancée en âge ” (Lc 1, 18). Tandis que Marie vient lui rendre visite, sa vieille cousine Elisabeth, remplie de l'Esprit Saint, s'exclame: “ Bénie es-tu entre les femmes et béni le fruit de ton sein ” (Lc 1, 42) et, à la naissance de Jean-Baptiste, Zacharie entonne l'hymne du Benedictus. Voilà un admirable couple de vieillards, envahi par un profond esprit de prière.
Au Temple de Jérusalem, où ils ont amené Jésus pour l'offrir au Seigneur, ou plutôt, selon la Loi, pour le racheter comme premier-né, Marie et Joseph font la rencontre du vieillard Syméon qui, depuis longtemps, attendait le Messie. Prenant l'Enfant dans ses bras, Syméon bénit Dieu et s'écrie dans le Nunc dimittis: “ Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s'en aller en paix... ” (Lc 2, 29).
Près de lui, nous trouvons Anne, une veuve de quatre-vingt-quatre ans qui, fréquentant assidûment le Temple, éprouve à cette occasion la joie de voir Jésus. L'évangéliste note qu'elle “ louait Dieu et parlait de l'enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem ” (Lc 2, 38).
Membre estimé du Sanhédrin, Nicodème est un homme âgé. Il se rend de nuit chez Jésus pour ne pas attirer l'attention. Le divin Maître lui révèle qu'Il est le Fils de Dieu, venu pour sauver le monde (cf. Jn 3, 1-21). Nous retrouverons Nicodème au moment de l'ensevelissement du Christ, lorsque, apportant un mélange de myrrhe et d'aloès, il triomphera de la peur et s'affirmera comme disciple du Crucifié (cf. Jn 19, 38-40). Quels témoignages réconfortants! Ils nous montrent qu'à tout âge le
Seigneur demande à chacun d'apporter ses talents. Le service de l'Evangile n'est pas une question d'âge. Et que dire de Pierre, appelé dans sa vieillesse à témoigner de sa foi par le martyre? Un jour, Jésus lui avait dit: “ Quand tu étais plus jeune, tu mettais toi-même ta ceinture, et tu allais où tu voulais; mais quand tu auras vieilli, tu étendras les mains, et un autre te ceindra et te mènera là où tu ne voudrais pas ” (Jn 21, 18). Ce sont des paroles qui me touchent de près en tant que successeur de Pierre et qui me font éprouver avec force le besoin de tendre les mains vers celles du Christ, par obéissance à son commandement: “ Suis-moi! ” (Jn 21, 19).
8. Comme en une synthèse des témoignages éclatants de vieillards que l'on trouve dans la Bible, le Psaume 92 [91] proclame: “ Le juste grandira comme un palmier, il poussera comme un cèdre du Liban... Vieillissant, il fructifie encore, il garde sa sève et sa verdeur pour annoncer: “Le Seigneur est droit” ” (13. 15-16). Et l'Apôtre Paul, faisant écho au Psalmiste, note dans la lettre à Tite: “ Que les vieillards soient sobres, dignes, pondérés, robustes dans la foi, la charité, la constance. Que, pareillement, les femmes âgées aient le comportement qui sied à des saintes...; qu'elles soient de bon conseil, pour apprendre aux jeunes à aimer leur mari et leurs enfants ” (2, 2-5).
A la lumière de l'enseignement de la Bible et selon son langage, la vieillesse se présente donc comme un “ temps favorable ” à l'achèvement de l'aventure humaine et elle entre dans le dessein de Dieu sur l'homme comme le temps où tout concourt à ce que l'homme puisse mieux saisir le sens de la vie et parvienne à la “ sagesse du cœur ”. “ La vieillesse honorable — remarque le livre de la Sagesse — n'est pas celle que donnent de longs jours, elle ne se mesure pas au nombre des années; c'est cheveux blancs pour les hommes que l'intelligence, c'est un âge avancé qu'une vie sans tache ” (4, 8-9). Elle constitue l'étape définitive de la maturité humaine et elle est l'expression de la bénédiction divine.
Gardiens d'une mémoire collective
9. Dans le passé, on nourrissait un grand respect pour les personnes âgées. Le poète latin Ovide écrivait à ce sujet: “ Grand était jadis le respect qu'inspirait une tête chenue ”.(13) Déjà des siècles auparavant, le poète grec Phocylide donnait ce conseil: “ Respecte les cheveux blancs: ces hommages que tu rends à ton père, rends-les de même au vieux sage ”.(14)
Et de nos jours? Si l'on s'arrête un instant pour analyser la situation actuelle, on constate que chez quelques peuples la vieillesse est estimée et valorisée; chez d'autres, au contraire, elle l'est beaucoup moins à cause d'une mentalité qui prône l'utilité immédiate et la productivité de l'homme. Une telle attitude amène souvent à déprécier ce qu'on appelle le troisième ou le quatrième âge, et les personnes âgées elles-mêmes en viennent à se demander si leur existence est encore utile.
Avec une insistance croissante, on va jusqu'à proposer l'euthanasie pour résoudre les situations difficiles. Malheureusement, ces derniers temps, le concept d'euthanasie a perdu peu à peu, pour beaucoup de gens, la connotation d'horreur qu'elle suscite naturellement lorsqu'on est sensible au respect de la vie. Il peut arriver, il est vrai, que, dans les cas de maladies graves accompagnées de souffrances insupportables, les personnes éprouvées soient poussées à l'exaspération, et leurs proches ou ceux qui sont chargés de les soigner peuvent se sentir enclins, par une compassion mal comprise, à tenir pour raisonnable la solution de la “ mort douce ”. A ce propos, il faut rappeler que la loi morale permet de renoncer à ce qu'on appelle “ acharnement thérapeutique ” (15) et qu'elle réclame seulement les soins qui entrent dans les exigences normales de l'assistance médicale, laquelle est surtout destinée, dans les maladies incurables, à alléger la douleur. Mais toute autre est l'euthanasie, entendue comme provocation directe de la mort! Malgré les intentions et les circonstances, elle demeure un acte intrinsèquement mauvais, une violation de la loi divine, une offense à la dignité de la personne humaine.(16)
10. Il est urgent de se replacer dans la perspective juste qui consiste à considérer la vie dans son ensemble. Et cette perspective juste, c'est l'éternité, dont la vie, dans chacune de ses étapes, est une préparation significative. Le temps de la vieillesse, lui aussi, a son rôle à jouer dans ce processus de maturation progressive de l'être humain en marche vers l'éternité. De cette maturation, tout le groupe social auquel appartient la personne âgée ne pourra que tirer profit.
Les personnes âgées aident à prendre tous les événements d'ici-bas avec plus de sagesse, car les vicissitudes les ont dotées d'expérience et de maturité. Elles sont les gardiennes de la mémoire collective et, pour cette raison, les interprètes privilégiées de l'ensemble de valeurs et d'idéaux communs qui règlent et guident la convivialité sociale. Les exclure, c'est, au nom d'une modernité sans mémoire, refuser le passé où s'enracine le présent. Les personnes âgées, par leur expérience et leur maturité, sont en mesure de proposer aux jeunes des conseils et des enseignements précieux.
Sous cet angle, les aspects fragiles de l'humanité, liés de manière plus visible à la vieillesse, constituent alors un appel à l'interdépendance et à la nécessaire solidarité qui unissent entre elles les générations, parce que chacun a besoin de l'autre et s'enrichit des dons et des charismes de tous.
A cet égard, les réflexions d'un poète qui m'est cher ont une résonance significative: “ Ce n'est pas seulement l'avenir qui est éternel, pas seulement. [...] Oui, le passé appartient aussi à l'éternité: tout ce qui est déjà passé ne reviendra pas tout d'un coup comme il était, [...] il reviendra comme Idée, mais il ne reviendra pas en tant que lui-même ”.(17)
“ Honore ton père et ta mère ”
11. Pourquoi alors ne pas continuer à témoigner envers les personnes âgées du respect que les saines traditions de nombreuses cultures, sur tous les continents, ont mis en valeur? Pour les peuples des régions gagnées à l'influence de la Bible, la référence a été, de tout temps, le commandement du Décalogue “ Honore ton père et ta mère ”; ce devoir est d'ailleurs universellement admis. Sa mise en pratique, totale et cohérente, n'a pas seulement fait jaillir l'amour des enfants pour leurs parents, elle a mis aussi en évidence les liens étroits qui existent entre les générations. Là où le précepte est accueilli et fidèlement observé, les personnes âgées savent qu'elles ne courent pas le risque d'être considérées comme un poids mort ou encombrant.
Au contraire, ce qu'enseigne le commandement, c'est de faire preuve de respect envers ceux qui nous ont précédés et tout ce qu'ils ont fait de bien: “ ton père et ta mère ” indiquent le passé, le lien d'une génération à l'autre, la condition qui rend possible l'existence même d'un peuple. Selon la double rédaction proposée par la Bible (cf. Ex 20, 2-17; Dt 5, 6-21), ce commandement divin occupe la première place dans la seconde Table de la Loi, celle qui concerne les devoirs de l'être humain envers lui-même et envers la société. C'est aussi le seul commandement auquel est associée une promesse: “ Honore ton père et ta mère, afin que se prolongent tes jours sur la terre que te donne Yahvé ton Dieu ” (Ex 20, 12; cf. Dt 5, 16).
12. “ Tu te lèveras devant une tête chenue, tu honoreras la personne du vieillard ” (Lv 19, 32). Honorer les personnes âgées implique un triple devoir à leur égard: les accueillir, les assister et mettre en valeur leurs qualités. Dans beaucoup de milieux, tout cela se pratique presque spontanément, comme par une habitude très ancienne. Ailleurs, en particulier dans les nations les plus évoluées sur le plan économique, c'est un devoir d'opérer une inversion de tendance pour faire en sorte que ceux qui avancent en âge puissent vieillir dans la dignité, sans devoir craindre d'être réduits à ne compter pour rien. Il faut se convaincre qu'il appartient à une civilisation pleinement humaine de respecter et d'aimer les personnes âgées, pour que, malgré l'affaiblissement de leurs forces, elles se sentent partie prenante de la société. Cicéron avait déjà observé que “ le poids de l'âge est plus léger pour qui se sent respecté et aimé de la jeunesse ”.(18)
L'esprit humain, du reste, tout en participant du vieillissement du corps, reste en un sens toujours jeune s'il vit tourné vers l'éternel; de cette éternelle jeunesse, il fait la plus vive des expériences lorsque, au témoignage intérieur de la bonne conscience, s'ajoute l'affection prévenante et reconnaissante des personnes aimées. L'homme alors, comme l'écrit saint Grégoire de Nazianze, “ ne vieillira pas dans son esprit: il acceptera la dissolution comme le moment décidé selon la loi de la liberté humaine. Avec douceur, il passera dans l'au-delà, où il n'y a ni immaturité, ni vieillesse, mais où tous ont la perfection de l'âge spirituel ”.(19)
Nous connaissons tous des exemples éloquents de vieillards d'une jeunesse et d'une vigueur d'esprit surprenantes. Celui qui s'en approche est stimulé par leur conversation et réconforté par leur exemple. Puisse la société valoriser pleinement les personnes âgées, qui, dans certaines régions du monde — je pense en particulier à l'Afrique —, sont estimées à bon droit comme des “ bibliothèques vivantes ” de sagesse, des gardiennes d'un patrimoine inestimable de témoignages humains et spirituels. S'il est vrai que sur le plan physique elles ont en général besoin d'aide, il est tout aussi vrai que, dans leur grand âge, elles peuvent aussi soutenir les jeunes dans leur marche au moment où ils s'ouvrent à leur avenir et en cherchent les voies.
Tandis que je parle des personnes âgées, je ne peux pas ne pas me tourner aussi vers les jeunes pour les inviter à se tenir à leurs côtés. Je vous exhorte, chers jeunes, à le faire avec amour et générosité. Les anciens peuvent vous apporter beaucoup plus que vous ne sauriez l'imaginer. Le livre du Siracide donne cet avertissement à ce sujet: “ Ne néglige pas le discours des vieillards, car eux-mêmes ont appris de leurs pères ” (8, 9); “ tiens-toi dans l'assemblée des vieillards; y a-t-il quelqu'un de sage? attache-toi à lui ” (6, 34); car “ quelle belle chose que la sagesse ” des personnes âgées (25, 5)!
13. Quant à la communauté chrétienne, elle peut recevoir beaucoup de la présence sereine de ceux qui sont avancés en âge. Je pense surtout à l'évangélisation: son efficacité ne dépend pas principalement des résultats de l'action. Dans combien de familles, les petits-enfants reçoivent-ils de leurs grands-parents les premiers rudiments de la foi! Mais il y a bien d'autres domaines où peut s'étendre l'apport bénéfique des personnes âgées. L'Esprit agit comme il veut et où il veut, se servant souvent de voies humaines qui, aux yeux du monde, apparaissent de peu de valeur. Nombreux sont ceux qui trouvent compréhension et réconfort auprès des personnes âgées, seules ou malades, mais capables de redonner courage par un conseil affectueux, par la prière silencieuse, par le témoignage d'une souffrance accueillie dans l'abandon et la patience! C'est vraiment lorsque diminuent leurs énergies et que se réduisent leurs capacités d'agir que nos frères et sœurs âgés deviennent d'autant plus précieux dans le dessein mystérieux de la Providence.
De ce point de vue aussi, et non seulement en raison d'une évidente exigence psychologique des personnes âgées elles-mêmes, le lieu le plus naturel pour vivre la condition de la vieillesse reste le cadre dans lequel elles se sentent “ chez elle ”, parmi les leurs, parmi leurs connaissances et leurs amis, et où elles peuvent rendre encore quelques services. A mesure que, avec l'allongement moyen de la vie, le nombre des personnes âgées augmente, il deviendra toujours plus urgent de promouvoir cette culture d'une vieillesse accueillie et valorisée, et non reléguée au ban de la société. L'idéal serait que les personnes âgées restent en famille, avec la garantie d'aides sociales efficaces pour les nécessités croissantes propres à leur âge ou à la maladie. Toutefois, il y a des cas où les circonstances recommandent ou imposent l'entrée dans une maison de retraite, afin que les
personnes âgées puissent jouir de la compagnie d'autres personnes et profiter d'une assistance spécialisée. Ces institutions sont donc dignes d'éloge et l'expérience montre qu'elles peuvent rendre un service précieux dans la mesure où elles s'inspirent de critères non seulement d'efficacité dans l'organisation, mais aussi d'attention affectueuse. Dans ce domaine, tout est plus facile si les relations établies par les familles, les amis, les communautés paroissiales, avec les résidents âgés sont de nature à les aider à se sentir aimés et encore utiles à la société. Et comment ne pas exprimer ici mon admiration et ma gratitude à toutes les Congrégations religieuses et aux groupes de bénévoles qui se dévouent avec un soin spécial à l'assistance des personnes âgées, surtout des plus pauvres, de celles qui sont abandonnées ou en difficulté?
Chères personnes âgées, vous qui vous trouvez dans des conditions précaires, de santé ou autres, je vous suis proche par le cœur. Quand Dieu permet que nous souffrions de maladie, de solitude ou en raison d'autres motifs liés à notre grand âge, il nous donne toujours la grâce et la force de nous unir avec plus d'amour au sacrifice de son Fils et de participer avec plus d'intensité à son projet de salut. Soyons-en persuadés: il est notre Père, un Père riche d'amour et de miséricorde!
Je pense de manière spéciale à vous, veufs et veuves, qui êtes restés seuls pour parcourir la dernière étape de votre vie; à vous, religieux et religieuses âgés, qui, pendant de longues années, avez servi dans la fidélité la cause du Royaume des Cieux; à vous, chers frères dans le sacerdoce et dans l'épiscopat, qui, atteints par la limite d'âge, avez quitté la responsabilité directe du ministère pastoral. L'Eglise a encore besoin de vous. Elle apprécie les services que vous vous sentez encore en mesure d'accomplir dans de nombreux champs d'apostolat; elle compte sur votre prière continuelle; elle est à l'écoute de vos conseils expérimentés et elle s'enrichit du témoignage évangélique que vous donnez jour après jour.
“ Tu m'apprendras le chemin de la vie
devant ta face, débordement de joie ” (Ps 16 [15], 11)
14. Au fil des années, il est naturel de se familiariser avec la pensée du “ déclin ”. S'il en était autrement, le fait même de voir les rangs s'éclaircir dans nos familles, nos connaissances et nos amis nous le rappellerait: nous nous en rendons compte en plusieurs occasions, par exemple lorsque nous nous retrouvons dans des réunions familiales, dans des rencontres entre amis d'enfance, d'école, d'université, de service militaire, entre confrères de séminaire... La frontière entre la vie et la mort traverse ainsi nos communautés et elle s'approche inexorablement de nous. Si la vie est un pèlerinage vers la patrie céleste, la vieillesse est la période où il est le plus naturel de regarder le seuil de l'éternité.
Et pourtant, nous aussi, les personnes âgées, ce n'est pas sans peine que nous nous résignons à envisager ce passage. En lui en effet, dans la condition humaine marquée par le péché, il y a quelque chose d'obscur qui nécessairement nous attriste et nous fait peur. Comment en serait-il autrement? L'homme a été fait pour la vie, tandis que la mort — comme nous l'explique la Sainte
Ecriture dès ses premières pages (cf. Gn 2-3) — n'était pas prévue dans le projet initial de Dieu, mais elle est survenue à la suite du péché, fruit de “ l'envie du diable ” (Sg 2, 24). On comprend donc pourquoi, devant cette réalité de ténèbres, l'homme réagit et se rebelle. Il est significatif, à ce propos, que Jésus lui-même, “ ayant été éprouvé en toute chose, comme nous, à l'exception du péché ” (He 4, 15), ait connu la peur devant la mort: “ Père, s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi ” (Mt 26, 39). Et comment oublier ses larmes sur la tombe de son ami Lazare, alors même qu'il s'apprêtait à le ressusciter (cf. Jn 11, 35)?
Quoique d'un point de vue biologique la mort soit compréhensible par la raison, il n'est pas possible de la vivre de manière “ naturelle ”. Elle est contraire à l'instinct le plus profond de l'homme. Comme le soulignait le Concile, “ c'est en face de la mort que l'énigme de la condition humaine atteint son point culminant. L'homme n'est pas seulement tourmenté par la douleur et la dissolution progressive de son corps, mais plus encore par la peur d'un anéantissement durable ”.(20) Il est certain que la douleur serait inconsolable si la mort était la destruction totale, la fin de tout. C'est pourquoi la mort pousse l'homme à se poser les questions fondamentales sur le sens de la vie: qu'y a-t-il derrière le mur d'ombre de la mort? Celle-ci constitue-t-elle le terme définitif de la vie ou existe-t-il quelque chose au-delà?
15. Depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, les réponses réductrices n'ont pas manqué dans la culture de l'humanité, réponses qui limitent la vie à notre existence terrestre. Dans l'Ancien Testament lui-même, quelques commentaires au Livre de Qohélet imaginent la vieillesse comme un édifice en démolition et la mort comme sa destruction totale et définitive (cf. 12, 1-7). Mais c'est précisément à la lumière de ces réponses pessimistes que prend toute sa valeur la vue pleine d'espérance qui émane de toute la Révélation et en particulier de l'Evangile: “ Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants ” (Lc 20, 38). L'Apôtre Paul atteste que le Dieu qui donne la vie aux morts (cf. Rm 4, 17) donnera aussi la vie à nos corps mortels (cf. ibid. 8, 11). Et Jésus affirme de lui-même: “ Moi, je suis la Résurrection et la vie; qui croit en moi, même s'il meurt, vivra; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais ” (Jn 11, 25-26).
Le Christ, ayant franchi le seuil de la mort, a révélé qu'au-delà, il y a bien une vie, dans ce “ territoire ” non exploré par l'homme qu'est l'éternité. Il est le premier Témoin de la vie immortelle; en Lui l'espérance de l'homme se révèle comblée d'éternité. “ Si la loi de la mort nous afflige, la promesse de l'immortalité nous apporte la consolation ”.(21) Après ces paroles que la Liturgie offre
aux croyants comme réconfort à l'heure où ils disent un dernier adieu à une personne bien-aimée vient une annonce de l'espérance: “ Pour tous ceux qui croient en toi, Seigneur, la vie n'est pas détruite, elle est transformée; et lorsque prend fin leur séjour sur la terre, ils ont déjà une demeure éternelle dans les cieux ”.(22) Dans le Christ, cette réalité dramatique et bouleversante qu'est la mort est rachetée et transformée, jusqu'à apparaître comme une “ sœur ” qui nous conduit dans les bras du Père.(23)
16. La foi éclaire ainsi le mystère de la mort et elle donne de la sérénité à la vieillesse, qui n'est plus considérée ni vécue comme l'attente passive d'un événement destructeur, mais comme la promesse de parvenir à la pleine maturité. Ce sont des années qu'il faut vivre en s'abandonnant avec foi entre les mains de Dieu le Père et de sa miséricordieuse Providence; c'est une période qu'il faut employer, de façon inventive, à approfondir sa vie spirituelle, en priant plus intensément et en se dévouant à ses frères dans la charité.
Il faut donc louer toutes les initiatives sociales qui permettent aux personnes âgées de continuer à s'entretenir sur les plans physique et intellectuel, et dans leur vie de relations, aussi bien que de se rendre utiles en mettant au service des autres leur temps, leurs capacités et leur expérience. C'est ainsi qu'on garde et qu'on développe le goût de la vie, ce premier don de Dieu. D'autre part, un tel goût de vivre ne va pas à l'encontre du désir d'éternité qui mûrit chez tous ceux qui font une expérience spirituelle profonde, comme le montre bien la vie des saints.
L'Evangile nous remet en mémoire, à ce sujet, les paroles du vieillard Syméon, qui se déclare prêt à mourir, puisqu'il a pu tenir dans ses bras le Messie qu'il attendait: “ Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s'en aller en paix selon ta parole; car mes yeux ont vu ton salut ” (Lc 2, 29-30). L'Apôtre Paul a le sentiment d'être comme écartelé entre le désir de continuer à vivre pour annoncer l'Evangile et le désir “ d'être libéré du corps pour être avec le Christ ” (Ph 1, 23). Tandis que saint Ignace d'Antioche s'en allait tout joyeux subir le martyre, il affirmait qu'il entendait dans son cœur la voix du Saint-Esprit, comme une “ eau ” vive jaillissant intérieurement et lui murmurant l'invitation: “ Viens vers le Père ”.(24) On pourrait multiplier les exemples. Ceux-ci ne jettent aucune ombre sur la valeur de la vie terrestre, qui est belle malgré ses limites et ses souffrances, et
qui doit être vécue jusqu'au bout. Mais ils nous rappellent qu'elle n'est pas la valeur dernière, que, selon la vision chrétienne, ce déclin de l'existence apparaît comme un “ passage ”, comme un pont jeté de la vie à la vie, entre la joie fragile et incertaine de cette terre et la joie pleine et entière que le Seigneur réserve à ses serviteurs fidèles: “ Entre dans la joie de ton Maître! ” (Mt 25, 21).
Un présage de vie
17. Dans cet esprit, en vous souhaitant, chers frères et sœurs âgées, de vivre sereinement les années que le Seigneur a préparées pour chacun, je me sens poussé, par un désir spontané, à vous faire part en toute sincérité des sentiments qui m'animent en cette dernière étape de ma vie, après plus de vingt ans de ministère sur le Siège de Pierre et dans l'attente du troisième millénaire, désormais à nos portes. Malgré les limitations qui surviennent avec l'âge, je conserve le goût de la vie. J'en rends grâce au Seigneur. Il est beau de pouvoir se dépenser jusqu'à la fin pour la cause du Royaume de Dieu!
En même temps, j'éprouve une grande paix quand je pense au moment où le Seigneur m'appellera: de la vie à la vie! C'est pourquoi monte souvent à mes lèvres, sans aucun sentiment de tristesse, une prière que le prêtre récite après la célébration eucharistique: In hora mortis meæ voca me, et iube me venire ad te – à l'heure de la mort, appelle-moi, et ordonne-moi de venir à toi. C'est la prière de l'espérance chrétienne, qui n'ôte rien à la joie de l'heure présente, tandis qu'elle confie le lendemain à la protection de la divine bonté.
18. “ Iube me venire ad te! ”: c'est là le désir le plus profond du cœur humain, même en celui qui n'en a pas conscience.
Donne-nous, ô Seigneur de la vie, d'en prendre une conscience lucide et de savourer toutes les saisons de notre vie comme un don riche de promesses futures!
Fais-nous accueillir ta volonté avec amour, en nous remettant chaque jour entre tes mains miséricordieuses!
Et lorsque viendra le moment du “ passage ” ultime, accorde-nous de l'affronter avec une âme sereine, sans rien regretter de ce que nous laisserons. Car te rencontrer, après t'avoir cherché longtemps, ce sera retrouver toute valeur authentique expérimentée ici sur la terre, avec tous ceux qui nous ont précédés sous le signe de la foi et de l'espérance.
Et toi, Marie, Mère de l'humanité en marche, prie pour nous “ maintenant et à l'heure de notre mort ”! Tiens-nous toujours étroitement unis à Jésus, ton Fils bien-aimé et notre frère, le Seigneur de la vie et de la gloire!
Amen!
Du Vatican, le 1er octobre 1999.
(1) S. JEAN DAMASCENE, Exposition de la foi orthodoxe, 2, 29.
(2) Cf. La dignité de la personne âgée et sa mission dans l'Eglise et dans le monde, Cité du Vatican 1998: La Documentation catholique 96 (1999), pp. 211-221.
(3) VIRGILE, “ Fugit inreparabile tempus ”; Géorgiques, III, 284: Paris (1947), p. 108.
(4) Liturgie de la Veillée pascale.
(5) S. IRENEE DE LYON, Contre les hérésies, 4, 20, 4: SCh 100 (1965), p. 635.
(6) Cf. JEAN-PAUL II, Encycl. Centesimus annus, n. 18: La Documentation catholique 88 (1991), p. 528.
(7) Cf. ibid., n. 23: La Documentation catholique 88 (1991), pp. 529-530.
(8) S. JEAN CHRYSOSTOME, Homélie sur la Lettre aux Romains, 9, 2.
(9) Cf. Caton l'ancien (De senectute), XIX, 70: Paris (1940), p. 174.
(10) Sur “ Tout est vanité et affliction d'esprit ”, 5-6.
(11) “ Auget sapientiam, dat maturiora consiglia ”, Commentaria in Amos, 2, prol.
(12) CORNEILLE, Sertorius, a. II, sc. 4, v. 717: Paris (1987), p. 335.
(13) “ Magna fuit quondam capitis reverentia cani ”, Les Fastes, V, v. 57: Paris (1993), p. 42.
(14) Sentences, XLII.
(15) Cf. JEAN-PAUL II, Encycl. Evangelium vitæ, n. 65: La Documentation catholique 92 (1995), pp. 384-385.
(16) Cf. ibid.
(17) C.K. NORWID, Nie tylko przyszlosc..., Post scriptum, I, vv. 1-4.
(18) “ Levior fit senectus, eorum qui a iuventute coluntur et diliguntur ”: Caton l'ancien (De senectute), VIII, 26: Paris (1940),
pp. 143-144.
(19) Discours au retour de la campagne, 11.
(20) CONC. OECUM. VAT. II, Const. past. Gaudium et spes, n. 18.
(21) Missel Romain, Ire Préface des défunts.
(22) Ibid.
(23) Cf. S. FRANÇOIS D'ASSISE, Cantique des Créatures.
(24) Lettre aux Romains, 7, 2.
18 novembre 1999 - Aux Evêques d’Allemagne, en Visite Ad Limina
En tant que "Vicaire de l'amour du Christ" (Saint Ambroise, Expositio in Luc., livre X), j'ai récemment considéré de mon devoir de résoudre les divergences qui sont apparues entre vous et dans les Eglises particulières qui vous sont confiées, en cherchant à harmoniser à nouveau les voix individuelles "dans l'unique grande symphonie pour la vie", à laquelle l'Eglise catholique doit rester fidèle à toutes les époques et dans tous les lieux. Je demande au Seigneur de faire en sorte que l'Eglise qui est en Allemagne rende témoignage de façon unanime et claire en faveur de l'Evangile de la vie. Je compte à mon tour sur votre prière, pour qu'il me soit donné de servir de façon cohérente la vérité en tant que premier dépositaire, pour le bien de l'Eglise universelle. Peut-être la Providence m'a-t-elle confiée la chaire de Pierre pour être au seuil du troisième millénaire un "avocat de la vie" passionné. En effet, j'ai dû faire l'expérience, dès ma jeunesse, de la façon dont, au cours d'un chapitre particulièrement obscur de l'histoire de ce siècle tourmenté, la vie humaine a été bafouée et anéantie de façon systématique, non loin de ma ville natale de Wadowice!...
... En tant que "fidèles dispensateurs de la parole de vérité" (2 Tm 2, 15), nous devons transmettre ensemble ce que nous avons nous-mêmes reçu. Il ne s'agit pas de notre propre parole, même si elle est sage, car nous ne prêchons pas nous-mêmes, mais la vérité révélée qui doit être transmise fidèlement et en union avec les autres membres du collège des pasteurs.
Dans vos rapports sur vos diocèses, il apparaît que, en accomplissant votre ministère d'enseigner, vous rencontrez un climat culturel de méfiance et même d'hostilité, car beaucoup de nos contemporains s'opposent à l'exigence d'avoir des certitudes dans la connaissance de la vérité. Une mentalité aujourd'hui très répandue tend à exclure de la vie publique les interrogations à propos des vérités ultimes et à reléguer dans le domaine privé la foi religieuse et les convictions à propos des valeurs morales. Ce processus est arrivé à un point où il semble opportun de se demander quel rôle est encore attribué à Dieu, auquel les Pères de la Loi fondamentale de votre pays, il y a cinquante ans, voulurent faire une référence explicite lorsqu'au début de la constitution, ils rappelèrent "la conscience de la responsabilité devant Dieu et les hommes" (Préambule de la Loi fondamentale de la République fédérale allemande du 23 mai 1949).
On court le danger que les lois, qui exercent une forte influence sur la pen-sée, ainsi que sur le comportement des hommes, se détachent peu à peu du fondement moral. Cela se produirait cependant au détriment des lois elles-mêmes qui, au fil du temps, seraient considérées uniquement comme des moyens pour organiser la société, sans aucune référence à l'ordre moral objectif. Face à cette situation, je comprends qu'il ne soit pas toujours facile pour vous de prêcher "la parole de la vérité, l'évangile du salut" (Ep 1, 13) et d'en favoriser la diffusion.
Malheureusement, la pression psychologique de certains milieux de la société civile en Allemagne pousse également des fidèles catholiques à remettre en question la doctrine de l'Eglise et sa discipline. Dans un climat d'individualisme religieux courant, certains membres de l'Eglise s'arrogent même le droit de choisir en matière de foi les enseignements qui, selon eux, seraient admissibles, et ceux qui en revanche devraient être refusés. Mais les vérités de la foi constituent un ensemble organique qui ne permet pas de telles discriminations arbitraires. Celui qui le fait ne peut pas se considérer cohérent avec la foi qu'il professe.
Très chers frères, vous savez que le devoir fondamental de l'évêque, en tant que pasteur, est d'inviter les membres des Eglises particulières qui lui sont confiées à accepter dans toute sa plénitude l'enseignement autorisé de l'Eglise à propos des questions de foi et de morale. Nous ne devons pas nous décourager si notre annonce n'est pas accueillie partout. Avec l'aide du Christ, qui a vaincu le monde (cf. Jn 16, 33), le remède le plus efficace pour combattre l'erreur est l'annonce courageuse et sereine de l'Evangile "à temps et à contre temps" (2 Tm 4, 2).
J'exprime ce souhait en pensant en particulier aux jeunes. Un grand nombre d'entre eux sont exigeants en ce qui concerne le sens et le modèle de leur vie et ils désirent se libérer de la confusion religieuse et morale. Aidez-les dans cette entreprise! En effet, les nouvelles générations sont ouvertes et sensibles aux valeurs religieuses, même si c'est parfois de manière irréfléchie. Elles ont l'intuition que le relativisme religieux et moral ne rend pas heureux et que la liberté sans la vérité demeure vaine et illusoire. En accomplissant le ministère ecclésial d'enseigner en union avec vos prêtres et avec vos collaborateurs dans le service catéchétique, ayez particulièrement soin de la formation de la conscience morale. Sans aucun doute, la conscience morale doit être respectée comme "sanctuaire" de l'homme, où il est seul avec Dieu, dont la voix retentit dans l'intimité du coeur (cf. Gaudium et spes, n. 16). Mais rappelez avec une égale ferveur à vos fidèles que la conscience est un tribunal exigeant, dont le jugement doit toujours se conformer aux normes morales révélées par Dieu et proposées avec autorité par l'Eglise avec l'aide de l'Esprit.
24 novembre 1999 - Audience Générale
Lecture: Gn 1, 26-28
1. Parmi les défis du moment historique actuel sur lesquels le grand Jubilé nous pousse à réfléchir, j'ai indiqué, dans la Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, celui qui est lié au respect des droits de la femme (cf. TMA, n. 51). Je désire aujourd'hui rappeler quelques aspects de la problématique féminine, sur laquelle, du reste, je n'ai déjà pas manqué d'intervenir en d'autres occasions.
L'Ecriture Sainte jette une lumière importante sur le thème de la promotion de la femme, en indiquant le projet de Dieu sur l'homme et sur la femme dans les deux récits de la création.
Dans le premier, il est affirmé : "Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa" ( Gn 1, 27). Il s'agit d'une affirmation qui se trouve à la base de l'anthropologie chrétienne, car elle indique le fondement de la dignité de l'homme en tant que personne dans son être créé "à l'image" de Dieu. Dans le même temps, le texte dit avec clarté que ni l'homme, ni la femme ne sont séparément à l'image du Créateur, mais l'homme et la femme le sont dans leur réciprocité. Ils représentent en égale mesure le chef-d’œuvre de Dieu.
Dans le deuxième récit de la création, à travers le symbolisme de la création de la femme née de la côte de l'homme, l'Ecriture met en évidence que l'humanité n'est, de fait, pas complète tant que la femme n'est pas créée (cf. Gn 2, 18, 24). Celle-ci reçoit un nom qui, déjà dans l'assonance verbale de la langue hébraïque, indique une relation à l'homme (is/issah). "Créés ensemble, l'homme et la femme sont voulus par Dieu l'un pour l'autre" ( Catéchisme de l'Eglise catholique, n. 371). Le fait que la femme soit présentée comme une "aide qui lui soit assortie" ( Gn 2, 18) ne doit pas être compris dans le sens où la femme est la servante de l'homme - "aide" n'équivaut pas à "serviteur", le Psalmiste dit à Dieu: "Sur toi j'ai mon appui" ( Ps 70, 6; cf. 115, 9.10.11; 118, 7; 146, 5) -; l'expression signifie plutôt que la femme est en mesure de collaborer avec l'homme, car elle lui correspond parfaitement. La femme est un autre type de "moi" dans la commune humanité, constituée en parfaite égalité de dignité par l'homme et la femme.
2. Il faut se réjouir du fait que l'approfondissement de la "féminité" ait contribué, dans la culture contemporaine, à repenser le thème de la personne humaine en fonction du réciproque "être pour l'autre", dans la communion interpersonnelle. Aujourd'hui, concevoir la personne dans sa dimension oblative est en passe de devenir une acquisition de principe. Malheureusement, cela reste souvent lettre morte sur le plan pratique. Parmi les nombreuses agressions à la dignité humaine, il faut donc dénoncer avec force la violation courante de la dignité de la femme, qui se manifeste par l'exploitation de sa personne et de son corps. Il faut empêcher avec force toute pratique qui offense la femme dans sa liberté et sa féminité : ce qui est défini comme "tourisme sexuel", la vente de jeunes filles, la stérilisation de masse et, en général, toute forme de violence à l'égard de l'autre sexe.
L'attitude requise par la loi morale, qui prêche la dignité de la femme comme personne créée à l'image d'un Dieu-Communion, est bien différente ! Il est aujourd'hui plus que jamais nécessaire de reproposer l'anthropologie biblique de la relation, qui aide à saisir de façon authentique l'identité de la personne humaine dans sa relation avec les autres personnes et en particulier entre homme et femme. Dans la personne humaine, pensée en termes de "relation", se retrouve un vestige du mystère même de Dieu, révélé dans le Christ comme unité substantielle dans la communion de trois personnes divines. A la lumière de ce mystère, on comprend bien l'affirmation de Gaudium et spes selon laquelle la personne humaine "seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé d'elle-même" (GS, n. 24). La diversité entre l'homme et la femme rappelle l'exigence de la communion interpersonnelle, et la méditation sur la dignité et la vocation de la femme corrobore la conception de la communion de l'être humain (cf. Mulieris dignitatem, n. 7).
3. C'est précisément cette attitude de communion, que la féminité évoque avec force, qui permet de repenser la paternité de Dieu, en évitant des projections figuratives de type patriarcal tellement contestées, non sans raison, dans certains courants de la littérature contemporaine. Il s'agit, en effet, de saisir le visage du Père à l'intérieur du mystère de Dieu en tant que Trinité, c'est-à-dire unité parfaite dans la distinction. La figure du Père doit être reméditée en ce qui concerne son lien avec le Fils, qui est tourné vers lui depuis l'éternité (cf. Jn 1, 1) dans la communion de l'Esprit Saint. Il faut également souligner que le Fils de Dieu s'est fait homme dans la plénitude des temps et qu'il est né de la Vierge Marie (cf. Ga 4, 4), ce qui jette également une lumière sur la féminité, en montrant en Marie le modèle de femme voulu par Dieu. En Elle, et à travers Elle, a eu lieu ce qu'il y a de plus grand dans l'histoire des hommes. La paternité de Dieu-Père se trouve non seulement en relation avec Dieu-Fils dans le mystère éternel, mais également avec son Incarnation qui a eu lieu dans le sein d'une femme. Si Dieu-Père, qui "engendre" le Fils depuis l'éternité, a valorisé une femme, Marie, pour "l'engendrer" dans le monde, la faisant ainsi devenir "Theotokos", Mère de Dieu, cela n'est pas sans signification pour comprendre la dignité de la femme dans le projet divin.
4. C'est pourquoi, l'annonce évangélique de la paternité de Dieu, loin de constituer une limitation à l'égard de la dignité et du rôle de la femme, se présente au contraire comme une garantie de ce que la "féminité symbolise humainement, c'est-à-dire accueillir, prendre soin de l'homme, engendrer la vie. Tout cela est en effet enraciné de façon transcendante dans le mystère de "l'engendrement" divin éternel. La paternité en Dieu est certes entièrement spirituelle. Toutefois, elle exprime cette réciprocité éternelle et cette relation proprement trinitaire qui se trouve à l'origine de toute paternité et fonde la commune richesse de l'homme et de la femme.
La réflexion sur le rôle et la mission de la femme se situe donc à juste titre dans cette année consacrée au Père, en nous incitant à un engagement encore plus incisif, pour que soit reconnu à la femme toute la place qui lui revient dans l'Eglise et dans la société.
1er décembre 1999 – Enseignement de Jean Paul II – Audience Générale
Lecture: Jn 17, 20-21
1. Pour une préparation appropriée au grand Jubilé, un sérieux engagement pour redécouvrir la valeur de la famille et du mariage ne peut pas manquer dans la communauté chrétienne (cf. Tertio millennio adveniente, n. 51). Cela est d'autant plus urgent que cette valeur est aujourd'hui mise en discussion par une grande partie de la culture et de la société.
Les modèles contestés ne sont pas seulement certains modèles de vie familiale, qui changent sous la pression des transformations sociales et des nouvelles conditions de travail. C'est la conception même de la famille, en tant que communauté fondée sur le mariage entre un homme et une femme, qui est visée au nom d'une éthique relativiste qui se diffuse dans de vastes couches de l'opinion publique et de la législation civile elle-même.
La crise de la famille devient, à son tour, la cause de la crise de la société. De nombreux phénomènes pathologiques - allant de la solitude à la violence et à la drogue - s'expliquent également du fait que les cellules familiales ont perdu leur identité et leur fonction. Là où la famille se désagrège, le tissu conjonctif de la société tend à disparaître, avec des conséquences désastreuses sur les personnes, en particulier les plus faible s: des enfants aux adolescents, aux porteurs de handicap, aux malades, aux personnes âgées...
2. Il faut donc promouvoir une réflexion qui aide non seulement les croyants, mais tous les hommes de bonne volonté à redécouvrir la valeur du mariage et de la famille. Dans le Catéchisme de l'Eglise catholique on lit: "La famille est la cellule originelle de la vie sociale. Elle est la société naturelle où l'homme et la femme sont appelés au don de soi dans l'amour et dans le don de la vie. L'autorité, la stabilité et la vie de relations au sein de la famille constituent les fondements de la liberté, de la sécurité, de la fraternité au sein de la société" (n. 2207).
La raison elle-même peut arriver à la redécouverte de la famille en écoutant la loi morale inscrite dans le coeur humain. Communauté "fondée et vivifiée par l'amour" (cf. Exhort. apos. Familiaris consortio, n. 18), la famille tire sa force de l'alliance d'amour définitive à travers laquelle un homme et une femme se donnent réciproquement, devenant ensemble des collaborateurs de Dieu dans le don de la vie.
Sur la base de ce rapport fondamental d'amour, les relations qui s'établissent avec et entre les autres membres de la famille doivent elles aussi s'inspirer de l'amour et être caractérisées par une affection et un soutien réciproque. Loin de refermer la famille sur elle-même, l'amour authentique l'ouvre à la société tout entière, car la petite famille domestique et la grande famille de tous les êtres humains ne se trouvent pas en opposition, mais dans une relation intime et originelle. A la racine de tout cela se trouve le mystère même de Dieu, que la famille évoque précisément de façon particulière. Comme je l'écrivais, en effet, il y a quelques années dans la Lettre aux familles, "à la lumière du Nouveau Testament il est possible d'entrevoir comment le modèle originel de la famille doit être recherché dans Dieu lui-même, dans le mystère trinitaire de sa vie. Le "Nous" divin constitue le modèle éternel du "nous" humain ; de ce "nous" qui est tout d'abord formé par l'homme et par la femme, créés à l'image et à la ressemblance divine" (n. 6: Insegnamenti XVII/ [1994], 332).
3. La paternité de Dieu est la source transcendante de chaque autre paternité et maternité humaine. En la contemplant avec amour, nous devons nous sentir engagés à redécouvrir cette richesse de communion, de procréation et de vie qui caractérise le mariage et la famille.
En elle se développent les relations interpersonnelles où une tâche spécifique est confiée à chacun, sans cadres rigides. Je n'entends pas ici faire référence aux rôles sociaux et aux fonctions qui sont l'expression de contextes historiques et culturels particuliers. Je pense plutôt à l'importance que revêtent, dans la relation sponsale réciproque et dans l'engagement commun de parents, la figure de l'homme et de la femme en tant que personnes appelées à développer leurs caractéristiques naturelles dans le cadre d'une communion profonde, enrichissante et respectueuse. "A cette "unité des deux" est confiée par Dieu non seulement l'oeuvre de procréation et la vie de la famille, mais également la construction même de l'histoire" (Lettre aux femmes, 8: Insegnamenti XVIII/1 [1995], 1878).
4. Un enfant doit en outre être considéré comme la plus haute expression de la communion de l'homme et de la femme, c'est-à-dire de l'accueil/don réciproque qui se réalise et se transcende en un "tiers", précisément dans l'enfant. Les enfants sont la bénédiction de Dieu. Ils transforment le mari et la femme en père et en mère (cf. Exhort. apos. Familiaris consortio, n. 21). Tous deux "sortent de soi" et s'expriment dans une personne, qui, bien qu'étant le fruit de leur amour, va au-delà d'eux-mêmes.
On peut appliquer de façon particulière à la famille l'idéal exprimé dans la prière sacerdotale, dans laquelle Jésus demande que son unité avec le Père interpelle les disciples (cf. Jn 17, 11) et ceux qui croiront à leur parole (cf. Jn 17, 20-21). La famille chrétienne, "église domestique" (cf. Lumen gentium, n. 11), est appelée à réaliser de façon particulière cet idéal de communion parfaite.
5. En avançant vers la conclusion de cette année consacrée à la méditation sur Dieu le Père, nous redécouvrons donc la famille à la lumière de la paternité divine. De la contemplation de Dieu le Père, nous pouvons nous rendre compte d'une urgence qui correspond de manière particulière aux défis du moment historique actuel.
Tourner son regard vers Dieu le Père signifie concevoir la famille comme le lieu de l'accueil et de la promotion de la vie, atelier de fraternité où, avec l'aide de l'Esprit du Christ, se crée entre les hommes "une fraternité et une solidarité nouvelles, véritable reflet du mystère de don et d'accueil mutuels de la Très Sainte Trinité" (Evangelium vitae, n. 76).
De l'expérience de familles chrétiennes renouvelées, l'Eglise elle-même pourra apprendre, à tous les membres de la communauté, à cultiver une dimension plus familiale, en adoptant et en promouvant un style de relations plus humaines et fraternelles (cf. FC, n. 64).
29 décembre 1999 – Enseignement de Jean Paul II lors de l’Audience Générale
1. Dimanche dernier, la liturgie nous a présenté la Sainte Famille de Nazareth, modèle de toute famille qui se laisse guider par l'action surprenante de Dieu.
Dans le monde occidental, Noël est considéré comme la fête de la famille. Se retrouver ensemble et échanger des dons souligne le fort désir de communion réciproque et met en lumière les valeurs les plus élevées de l'institution familiale. Celle-ci se redécouvre comme communion d'amour entre personnes, fondée sur la vérité, sur la charité, sur la fidélité indissoluble des conjoints, sur l'accueil à la vie. Dans la lumière de Noël, la famille ressent sa vocation à être une communauté de projets, de solidarité, de pardon, de foi, où chaque individu ne perd pas sa propre identité, mais, apportant ses dons spécifiques, contribue à la croissance de tous. C'est ce qui a eu lieu dans la Sainte Famille, que la foi présente comme début et modèle des familles illuminées par le Christ.
2. Prions afin que le grand Jubilé, qui vient de commencer, soit réellement une occasion de grâce et de rédemption pour toutes les familles du monde. Que la lumière de l'Incarnation du Verbe les aide à mieux comprendre et à réaliser leur vocation originelle, le projet que le Dieu de la vie a pour eux, afin qu'ils deviennent une image vivante de son amour.
Le Jubilé offrira ainsi l'opportunité d'un temps de conversion et de pardon réciproque au sein de chaque famille. Ce sera une période propice pour renforcer les relations d'affection dans chaque famille et pour recomposer les cellules familiales divisées. Que chaque famille chrétienne prenne toujours plus conscience de sa haute mission dans l'Eglise et dans le monde! Aujourd'hui l'on ressent le besoin d'une attention particulière à l'égard de chaque famille, en particulier envers les plus pauvres et les moins sereines; il est nécessaire d'encourager et d'accueillir la vie naissante, car chaque enfant qui vient au monde est don et espérance pour tous.
3. A notre époque, où "la famille, comme les autres institutions et peut-être plus qu'elles, a été atteinte par les transformations, larges, profondes et rapides, de la société et de la culture", il est important que de la part des croyants soit réaffirmé avec vigueur que "le mariage et la famille constituent l'un des biens les plus précieux de l'humanité". C'est pourquoi l'Eglise ne se lasse pas de se mettre au "service de tout homme soucieux du sort du mariage et de la famille" (Familiaris consortio, n. 1).
Que le grand Jubilé de l'An 2000 soit pour toutes les familles une occasion pour ouvrir avec courage les portes au Christ, unique Rédempteur de l'homme. En effet, le Christ est la nouveauté qui dépasse toute attente de l'homme, le critère ultime pour juger la réalité temporelle et chaque projet qui vise à rendre l'existence de l'homme toujours plus humaine (cf. Incarnationis mysterium, n. 1).
Avec cette conscience, nous entrons en esprit dans la maison de Nazareth et nous demandons à la Sainte Famille de protéger et de bénir les familles du monde, afin qu'elles soient "une école d'humanité plus complète et plus riche" (Gaudium et spes, n. 52).
29 décembre 1999 – Aux pèlerins de langue française, au terme de l’Audience Générale
Le Jubilé est un moment privilégié pour rendre grâce à Dieu, dont la tendresse remplit de lumière les réalités humaines. La liturgie de dimanche dernier nous a présenté la Sainte Famille de Nazareth comme modèle d'une famille qui se laisse guider par l'action surprenante de Dieu.
A Noël, une grâce spéciale est donnée à la famille: elle se redécouvre comme communion d'amour entre les personnes, fondée sur la vérité, la charité, l'indissoluble fidélité des conjoints et l'accueil de la vie. Elle perçoit sa vocation à être une communauté de valeurs, de projets, de solidarité, de pardon et de foi; chacun de ses membres y apporte ses dons spécifiques et contribue à la croissance de tous.
La Sainte Famille, en qui se réalise de façon spéciale le dessein originel du Créateur, est le modèle de toutes les familles. Prions pour que le grand Jubilé soit pour elles une occasion de réaliser toujours davantage leur vocation et le projet que Dieu à sur elles; ainsi elles deviendront des images vivantes de son amour. Demandons à la Sainte Famille de Nazareth de protéger et de bénir toutes les familles du monde pour qu'elles soient des écoles d'enrichissement humain et spirituel.