François de A à Z

Evangelium Vitae - 2016

 

 

2016

1er janvier 2016 – Homélie de la Messe

     Chaque jour, tandis que nous voudrions être soutenus par des signes de la présence de Dieu, nous devons rencontrer des signes opposés, négatifs, qui le font plutôt sentir comme absent. La plénitude des temps semble s’effriter devant les multiples formes d’injustice et de violence qui blessent chaque jour l’humanité. Parfois nous nous demandons : comment est-il possible que perdure le mépris de l’homme par l’homme ?, que l’arrogance du plus fort continue à humilier le plus faible, le reléguant aux marges les plus sordides de notre monde ? Jusqu’à quand la méchanceté humaine sèmera sur la terre violence et haine, provoquant d’innocentes victimes ? Comment ce peut être le temps de la plénitude, ce que nous donnent à voir des multitudes d’hommes, de femmes et d’enfants qui fuient la guerre, la faim, la persécution, disposés à risquer leur vie pour voir respectés leurs droits fondamentaux ? Un fleuve de misère, alimenté par le péché, semble contredire la plénitude des temps réalisée par le Christ.

     Pourtant, ce fleuve en crue ne peut rien contre l’océan de miséricorde qui inonde notre monde. Nous sommes tous appelés à nous immerger dans cet océan, à nous laisser régénérer, pour vaincre l’indifférence qui empêche la solidarité, et sortir de la fausse neutralité qui empêche le partage. La grâce du Christ, qui porte l’attente du salut à son accomplissement, nous pousse à devenir ses coopérateurs dans la construction d’un monde plus juste et fraternel, où chaque personne et chaque créature puisse vivre en paix, dans l’harmonie de la création originaire de Dieu…

     … Là où ne peut arriver la raison des philosophes ni les négociations de la politique, là peut arriver la force de la foi qui porte la grâce de l’Évangile du Christ, et qui peut toujours ouvrir de nouvelles voies à la raison et aux négociations.

9 juin 2016 -  Aux dirigeants des Ordres des médecins d’Espagne et d’Amérique latine.

     Cette année, l’Église catholique célèbre le jubilé de la miséricorde ; c’est une bonne occasion pour exprimer ma reconnaissance et ma gratitude à tous les professionnels de la santé qui, à travers leur dévouement, leur proximité et leur professionnalisme à l’égard des personnes atteinte d’une maladie, peuvent devenir une véritable personnification de la miséricorde. L’identité et l’engagement du médecin ne se fondent pas seulement sur la science et sur la compétence technique, mais aussi et surtout sur son attitude pleine de compassion — souffrir-avec — et miséricordieuse envers ceux qui souffrent dans leur corps et dans leur esprit. La compassion est, dans un certain sens, l’âme même de la médecine. La compassion, ce n’est pas éprouver de la peine, mais souffrir-avec.

     Dans notre culture technologique et individualiste, la compassion n’est pas toujours bien vue ; elle est parfois même méprisée parce qu’elle signifie soumettre la personne qui la reçoit à une humiliation. Et ceux qui se cachent derrière une prétendue compassion pour justifier et approuver la mort d’un malade ne manquent pas non plus. Mais il n’en est pas ainsi. La véritable compassion ne marginalise personne, elle n’humilie pas la personne, elle ne l’exclut pas et considère encore moins sa disparition comme quelque chose de bon. La véritable compassion la prend en charge. Vous savez bien que cela signifierait le triomphe de l’égoïsme, de cette « culture du rebut » qui refuse et méprise les personnes qui ne répondent pas à des critères de santé, de beauté et d’utilité déterminés. J’aime bénir les mains des médecins comme signe de reconnaissance de cette compassion qui se fait caresse de santé.

      La santé est l’un de dons les plus précieux et les plus désirés de tous. Dans la tradition biblique, la proximité entre le salut et la santé a toujours été soulignée, ainsi que leurs nombreuses implications réciproques. J’aime à rappeler le titre par lequel les pères de l’Église avaient l’habitude d’appeler le Christ et son ½uvre de salut. Christus medicus, Christ médecin. Il est le Bon Pasteur qui prend soin de la brebis blessée et réconforte celle qui est malade ( cf. Ez 34, 16 ). Il est le Bon Samaritain qui ne passe pas son chemin devant une personne blessée sur le bord de la route, mais qui, animé par la compassion, la soigne et l’assiste  ( cf. Lc 10, 33-34 ). La tradition médicale chrétienne s’est toujours inspirée de la parabole du Bon Samaritain. C’est une identification à l’amour du Fils de Dieu, « qui a passé en faisant le bien et en guérissant tous ceux qui étaient opprimés » ( cf. Ac 10, 38 ). Comme cela fait du bien à l’exercice de la médecine de penser et de sentir que la personne malade est notre prochain, qu’elle est de notre même chair et de notre même sang, et que dans son corps déchiré se reflète le mystère de la chair du Christ lui-même ! « Dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » ( Mt 25, 40 ).

     La compassion, ce souffrir-avec est la réponse adaptée à la valeur immense de la personne malade, une réponse faite de respect, de compréhension et de tendresse, car la valeur sacrée de la vie du malade ne disparaît pas et ne s’obscurcit jamais, mais elle resplendit avec plus de force précisément dans sa souffrance et dans sa vulnérabilité. Comme l’on comprend bien la recommandation de saint Camille de Lellis pour assister les malades. Il dit ainsi : « Mettez plus de c½ur dans ces mains ». La fragilité, la douleur et la maladie sont une dure épreuve pour tous, également pour le personnel médical, elles sont un appel à la patience, au souffrir-avec ; on ne peut donc pas céder à la tentation fonctionnaliste d’appliquer des solutions rapides et draconiennes, animés par une fausse compassion ou par de purs critères d’efficacité et d’épargne économique. Ce qui est en jeu est la dignité de la vie humaine ; ce qui est en jeu est la dignité de la vocation médicale. Je reviens à ce que j’ai dit sur le fait de bénir les mains des médecins. Et bien que dans l’exercice de la médecine, techniquement parlant, l’asepsie soit nécessaire, au c½ur de la vocation médicale l’asepsie va contre la compassion ; l’asepsie est un moyen technique nécessaire dans l’exercice de celle-ci, mais elle ne doit jamais conditionner l’essentiel de ce c½ur plein de compassion. Elle ne doit jamais conditionner le fait de «mettre plus de c½ur dans ces mains ».

     Chers amis, je vous assure de mon estime pour l’effort que vous accomplissez pour ennoblir chaque jour votre profession et pour accompagner, sauvegarder et valoriser l’immense don représenté par les personnes qui souffrent à cause de la maladie. Je vous assure de ma prière pour vous : vous pouvez faire tant de bien, tant de bien ; pour vous et pour vos familles, car que de fois vos familles doivent accompagner, en la soutenant, la vocation du médecin, homme ou femme, qui est comme un sacerdoce. Et je vous demande également de ne pas cesser de prier pour moi, qui suis un peu comme un médecin.

 

 

 

 

1er octobre 2016 – Homélie de la Messe en géorgie

     Parmi les nombreux trésors de ce splendide pays, ressort la grande valeur des femmes. Comme l’écrivait sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, dont nous faisons mémoire aujourd’hui – elles « aiment le Bon Dieu en bien plus grand nombre que les hommes » (Manuscrits autobiographiques, Manuscrit A, 66). Ici, en Géorgie, il y a beaucoup de grands-mères et de mères qui continuent à garder et à transmettre la foi, semée sur cette terre par sainte Nino, et apportent l’eau fraîche de la consolation de Dieu dans de nombreuses situations de désert et de conflit.

     Cela nous aide à comprendre la beauté de tout ce que le Seigneur dit : « Comme un enfant que sa mère console, ainsi, je vous consolerai » (Is 66, 13). Comme une mère prend sur elle les fardeaux et les fatigues de ses enfants, ainsi Dieu aime se charger de nos péchés et de nos inquiétudes ; Lui, il nous connaît et il nous aime infiniment, il est sensible à notre prière et il sait essuyer nos larmes. En nous regardant, chaque fois il s’émeut et s’attendrit, avec un amour viscéral, parce que, au-delà du mal dont nous sommes capables, nous sommes toujours ses enfants ; il désire nous prendre dans les bras, nous protéger, nous libérer des dangers et du mal. Laissons résonner dans notre c½ur ces paroles : “Comme une mère, je vous consolerai”.

     La consolation dont nous avons besoin, au milieu des événements tumultueux de la vie, est vraiment la présence de Dieu dans notre c½ur. Parce que sa présence en nous est la source de la véritable consolation, qui demeure, qui libère du mal, porte la paix et fait croître la joie. Pour cela, si nous voulons vivre comme des personnes consolées, il faut faire une place au Seigneur dans notre vie. Et pour que le Seigneur habite d’une façon stable en nous, il  faut lui ouvrir la porte et ne pas le laisser dehors. Il y a des portes de la consolation à tenir toujours ouvertes, parce que Jésus aime entrer par-là : l’Évangile lu chaque jour et porté toujours avec nous, la prière silencieuse et adorante, la Confession, l’Eucharistie. À travers ces portes le Seigneur entre et donne une saveur nouvelle aux choses. Mais quand la porte du c½ur se ferme, sa lumière n’arrive pas et on reste dans l’obscurité. Alors nous nous habituons au pessimisme, aux choses qui ne vont pas, aux réalités qui ne changeront jamais. Et nous finissons par nous renfermer dans la tristesse, dans les souterrains de l’angoisse, seuls à l’intérieur de nous-même. Si au contraire, nous ouvrons tout grand les portes de la consolation, la lumière du Seigneur entre !

     Mais Dieu ne nous console pas seulement dans le c½ur ; avec le prophète Isaïe, il ajoute en effet « dans Jérusalem, vous serez consolés » (66, 13). À Jérusalem, c’est-à-dire dans la cité de Dieu, dans la communauté : quand nous sommes unis, quand il y a la communion entre nous la consolation de Dieu agit. Dans l’Église on trouve la consolation, elle est la maison de la consolation : là Dieu désire consoler. Nous pouvons nous demander : moi, qui suis dans l’Église, suis-je porteur de la consolation de Dieu ? Est-ce que je sais accueillir l’autre comme un hôte et consoler celui que je vois fatigué et déçu ? Même lorsqu’il subit des malheurs et des fermetures, le chrétien est toujours appelé à répandre l’espérance en celui qui est résigné, à redonner courage à celui qui est découragé, à porter la lumière de Jésus, la chaleur de sa présence, le réconfort de son pardon. Nombreux sont ceux qui souffrent, qui font l’expérience des épreuves et des injustices, qui vivent dans l’inquiétude. Il y a besoin de l’onction du c½ur, de cette consolation du Seigneur qui n’enlève pas les problèmes, mais donne la force de l’amour, qui sait porter la douleur dans la paix. Recevoir et porter la consolation de Dieu : cette mission de l’Église est urgente. Chers frères et s½urs, sentons-nous appelés à cela : non pour nous figer dans ce qui ne va pas autour de nous ou pour nous attrister pour des manques d’harmonies que nous voyons parmi nous. Cela ne fait pas de bien de s’habituer à un “microclimat” ecclésial fermé ; cela nous fait du bien de partager des horizons larges, des horizons ouverts d’espérance, en vivant le courage humble d’ouvrir les portes et de sortir de nous-mêmes.

     Mais il y a une condition de fond pour recevoir la consolation de Dieu : devenir petits comme des enfants (cf. Mt 18, 4), être : « comme un petit enfant contre sa mère » (Ps 130, 2). Pour accueillir l’amour de Dieu cette petitesse de c½ur est nécessaire : seuls des petits, en effet, peuvent être tenus dans les bras de la maman.

     Celui qui se fait petit comme un enfant – nous dit Jésus – « est le plus grand dans le royaume des Cieux » (Mt 18, 4). La véritable grandeur de l’homme consiste dans le fait de se faire petit devant Dieu. Parce que Dieu ne se connaît pas par des pensées élevées et beaucoup d’étude, mais par la petitesse d’un c½ur humble et confiant. Pour être grands devant le Très-Haut, il ne faut pas accumuler honneurs et prestiges, biens et succès terrestres, mais [il faut] se vider de soi-même. L’enfant est vraiment celui qui n’a rien à donner et tout à recevoir. Il est fragile, dépendant du papa et de la maman. Celui qui se fait petit comme un enfant devient pauvre de lui-même, mais riche de Dieu.

    Les enfants, qui n’ont pas de problèmes pour comprendre Dieu, ont beaucoup à nous enseigner : ils nous disent que Lui, il accomplit de grandes choses avec celui qui ne lui oppose pas de résistance, avec celui qui est simple et sincère, sans duplicité. Cela, l’Évangile nous le montre, où de grandes merveilles s’accomplissent avec de petites chose : avec peu de pains et deux poissons (cf. Mt 14, 15-20), avec un grain de moutarde (cf. Mc 4, 30-32), avec un grain de blé qui meurt en terre (cf. Jn  12, 24), avec un seul verre d’eau donné (cf. Mt 10, 42), avec deux piécettes d’une pauvre veuve (cf. Lc 21, 1-4), avec l’humilité de Marie, la servante du Seigneur (cf. Lc 1, 46-55).

     Voilà la grandeur surprenante de Dieu, d’un Dieu plein de surprises et qui aime les surprises : ne perdons jamais le désir et la confiance des surprises de Dieu ! Et cela nous fera du bien de nous rappeler que nous sommes toujours et surtout ses enfants : non des propriétaires de la vie, mais des enfants du Père ; non des adultes autonomes et autosuffisants, mais des enfants qui ont toujours besoin d’être pris dans les bras, de recevoir amour et pardon. Bienheureuses les communautés chrétiennes qui vivent cette authentique simplicité évangélique ! Pauvres de moyens, elles sont riches de Dieu. Bienheureux les Pasteurs qui ne courent pas après la logique du succès mondain, mais suivent la loi de l’amour : l‘accueil, l’écoute, le service. Bienheureuse l’Église qui ne se fie pas aux critères du fonctionnalisme et de l’efficacité dans l’organisation et ne s’occupe pas du retour d’image. Petit troupeau aimé de Géorgie, qui te dévoue tant à la charité et à la formation, accueille l’encouragement du Bon pasteur, confie-toi à Lui qui te prend sur ses épaules et te console !

     Je voudrais résumer ces pensées avec quelques paroles de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Elle nous indique sa “petite voie” vers Dieu, « l’abandon du petit enfant qui s’endort sans crainte dans les bras de son Père », parce que « Jésus ne demande pas de grandes actions, mais seulement l’abandon et la reconnaissance » (Manuscrits autobiographiques, Manuscrit B, 1). Malheureusement, cependant – écrivait-elle alors, mais c’est aussi vrai aujourd’hui –, Dieu trouve « peu de c½urs qui se livrent à lui sans réserve, qui comprennent toute la tendresse de son Amour infini » (ibid.). La jeune sainte et Docteur de l’Église, au contraire, était experte dans la « science de l’Amour » (ibid.) et elle nous enseigne que « la charité parfaite consiste à supporter les défauts des autres, à ne point s’étonner de leurs faiblesses, à s’édifier des plus petits actes de vertu qu’on leur voit pratiquer » ; elle nous rappelle aussi que « la charité ne doit point rester enfermée dans le fond du c½ur » (Manuscrit C, 12). Demandons aujourd’hui, tous ensemble, la grâce d’un c½ur simple, qui croit et vit dans la force humble de l’amour ; demandons de vivre avec une confiance sereine et totale en la miséricorde de Dieu.

 

 

 

27 octobre 2016 – Audience à l’Institut Jean Paul II sur Mariage et Famille

1. L’intuition visionnaire de saint Jean-Paul II, qui a fortement voulu cette institution académique, peut être aujourd’hui encore mieux reconnue et appréciée dans sa fécondité et son actualité. Son sage discernement des signes des temps a ramené avec vigueur à l’attention de l’Église et de la société humaine elle-même la profondeur et la délicatesse des liens générés à partir de l’alliance conjugale de l’homme et de la femme. Le développement qu’a connu l’Institut sur les cinq continents confirme la validité et le sens de la forme « catholique » de son programme. La vitalité de ce projet, qui a engendré une institution d’un si haut profil, encourage à développer des initiatives ultérieures de dialogue et d’échange avec toutes les institutions académiques, y compris celles qui appartiennent à des domaines religieux et culturels différents, qui sont aujourd’hui engagées dans une réflexion sur cette frontière très délicate de l’humain.

2. Dans la conjoncture actuelle, les liens conjugaux et familiaux sont mis à l’épreuve de bien des manières. L’affirmation de soi d’une culture qui exalte un individualisme narcissique, une conception de la liberté débarrassée de la  responsabilité à l’égard de l’autre, la croissance de l’indifférence envers le bien commun, l’imposition d’idéologies qui agressent directement le projet familial, tout comme la croissance de la pauvreté qui menace l’avenir de tant de familles, sont autant de raisons de crises pour la famille contemporaine. Il y a aussi les questions ouvertes du développement des nouvelles technologies qui rendent possibles des pratiques parfois en conflit avec la véritable dignité de la vie humaine. La complexité de ces nouveaux horizons recommande un lien plus étroit entre l’Institut Jean-Paul II et l’Académie pontificale pour la vie. Je vous exhorte à fréquenter courageusement ces implications nouvelles et délicates avec toute la rigueur nécessaire, sans tomber « dans la tentation de les vernir, de les parfumer, de les ajuster un peu et de les domestiquer » (Lettre au Grand Chancelier de l’Université pontificale catholique argentine, 3 mars 2015).

L’incertitude et la confusion qui touchent les attaches fondamentales de la personne et de la vie déstabilisent tous les liens, familiaux et sociaux, faisant prévaloir toujours plus le « je » sur le « nous », l’individu sur la société. C’est un effet qui contredit le dessein de Dieu, qui a confié le monde et l’histoire à l’alliance de l’homme et de la femme (Gn 1,28-31). Cette alliance, par sa nature même, implique coopération et respect, dévouement généreux et responsabilité partagée, capacité de reconnaître la différence comme une richesse et une promesse, non comme un motif d’attrait et de domination.

La reconnaissance de la dignité de l’homme et de la femme comporte une juste valorisation de leur rapport mutuel. Comment pouvons-nous connaître à fond l’humanité concrète dont nous sommes faits sans l’apprendre à travers cette différence ? Et cela se produit quand l’homme et la femme se parlent et s’interrogent, s’aiment et agissent ensemble, avec un respect réciproque et bienveillance. Il est impossible de nier l’apport de la culture moderne à la redécouverte de la dignité de la différence sexuelle. C’est pourquoi il est très déconcertant de constater que cette culture, maintenant, apparaît comme bloquée par une tendance à effacer la différence au lieu de résoudre les problèmes qui la mortifient ;

La famille est le sein irremplaçable de l’initiation à l’alliance de l’homme et de la femme dans la création. Ce lien, soutenu par la grâce de Dieu créateur et sauveur, est destiné à se réaliser dans les nombreuses formes de leur rapport, qui se reflètent dans les différents liens communautaires et sociaux. La profonde corrélation entre les figures familiales et les formes sociales de cette alliance, dans la religion et dans l’éthique, dans le travail, dans l’économie et dans la politique, dans le soin de la vie et dans le rapport entre les générations, est désormais une évidence mondiale. En effet, quand les choses vont bien entre l’homme et la femme, le monde et l’histoire aussi vont bien. Dans le cas contraire, le monde devient inhospitalier et l’histoire s’arrête.

3. Le témoignage de l’humanité et de la beauté de l’expérience chrétienne de la famille devra donc nous inspirer encore plus à fond. L’Église dispense l’amour de Dieu pour la famille en vue de sa mission d’amour pour toutes les familles du monde. L’Église, qui se reconnaît comme un peuple familial, voit dans la famille l’image de l’alliance de Dieu avec la famille humaine tout entière. Et l’apôtre affirme que c’est un grand mystère, en référence au Christ et à l’Église (cf. Ép 5,32). La charité de l’Église nous engage donc à développer, sur le plan doctrinal et pastoral, notre capacité à lire et interpréter, pour notre temps, la vérité et la beauté du dessein créateur de Dieu. L’irradiation de ce projet divin, dans la complexité de la condition actuelle, requiert une intelligence d’amour particulière. Ainsi qu’un fort engagement évangélique animé d’une grande compassion et miséricorde pour la vulnérabilité et la faillibilité de l’amour entre les êtres humains.

Il est nécessaire de s’appliquer avec un plus grand enthousiasme au rachat – je dirais presque à la réhabilitation – de cette extraordinaire « invention » de la création divine. Ce rachat doit être pris au sérieux, dans le sens doctrinal comme dans le sens pratique, pastoral et du témoignage. Les dynamiques du rapport entre Dieu, l’homme et la femme, et leurs enfants, sont la clé en or pour comprendre le monde et l’histoire, avec tout ce qu’ils contiennent. Et enfin, pour comprendre quelque chose de profond qui se trouve dans l’amour même de Dieu. Réussissons-nous à penser comme cela « en grand » ? Sommes-nous convaincus de la puissance de vie que porte ce projet de Dieu dans l’amour du monde ? Savons-nous arracher les nouvelles générations à la résignation et les reconquérir à l’audace de ce projet ?

Nous sommes bien sûr bien conscients du fait que ce trésor aussi, nous le portons « dans des vases d’argile » (cf. 2 Cor 4,7). La grâce existe, comme aussi le péché. Apprenons donc à ne pas nous résigner à l’échec humain, mais soutenons le rachat du dessein créateur à tout prix. Il est juste, en effet, de reconnaître que parfois « nous avons présenté un idéal théologique du mariage trop abstrait, presqu’artificiellement construit, loin de la situation concrète et des possibilités effectives des familles réelles. Cette idéalisation excessive, surtout quand nous n’avons pas éveillé la confiance en la grâce, n’a pas rendu le mariage plus désirable et attractif, bien au contraire ! » (Exhort. ap. Amoris laetitia, 36). La justice de Dieu resplendit dans la fidélité à sa promesse. Et cette splendeur, comme nous l’avons appris de la révélation de Jésus, est sa miséricorde (cf. Rm 9,21-23).

4. Le double rendez-vous synodal des évêques du monde, cum Petro e sub Petro, a manifesté d’un commun accord la nécessité d’élargir la compréhension et le souci de l’Église pour ce mystère de l’amour humain où l’amour de Dieu pour tous se trace un chemin. L’exhortation apostolique Amoris laetitia garde précieusement cet élargissement et sollicite tout le peuple de Dieu afin de rendre plus visible et efficace la dimension familiale de l’Église. Les familles qui composent le peuple de Dieu et édifient le Corps du Seigneur par leur amour sont appelées à être plus conscientes du don de grâce qu’elles portent elles-mêmes et à devenir fières de pouvoir le mettre à disposition de tous les pauvres et les abandonnés qui désespèrent de pouvoir le trouver ou le retrouver. Le thème pastoral d’aujourd’hui n’est pas seulement celui de l’ « éloignement » de beaucoup par rapport à l’idéal et à la pratique de la vérité chrétienne du mariage et de la famille ; plus décisif encore devient le thème de la « proximité » de l’Église : proximité des nouvelles générations d’époux, pour que la bénédiction de leur lien les convainque toujours plus et les accompagne, et proximité des situations de faiblesse humaine pour que la grâce puisse les racheter, les réanimer et les guérir. Le lien indissoluble de l’Église avec ses enfants est le signe le plus transparent de l’amour fidèle et miséricordieux de Dieu.

5. Le nouvel horizon de cet engagement voit certainement convoqué, d’une manière tout à fait particulière, votre institut qui est appelé à soutenir l’ouverture nécessaire de l’intelligence de la foi au service de la sollicitude pastorale du Successeur de Pierre. La fécondité de cette tâche d’approfondissement et d’étude, en faveur de toute l’Église, est confiée à l’élan de votre esprit et de votre c½ur. N’oublions pas que « même les bons théologiens, comme de bons pasteurs, ont l’odeur du peuple et de la route et, par leur réflexion, versent l’huile et le vin sur les blessures des hommes » (3 mars 2015). Théologie et pastorale vont ensemble. Une doctrine théologique qui ne se laisse pas orienter et modeler par la finalité évangélisatrice et par le soin pastoral de l’Église est aussi impensable qu’une pastorale de l’Église qui ne sait pas garder précieusement la révélation et sa tradition en vue d’une meilleure intelligence et transmission de la foi.

Cette tâche demande d’être enracinée dans la joie de la foi et dans l’humilité d’un service joyeux rendu à l’Église. De l’Église telle qu’elle est, non d’une Eglise pensée à notre image et à notre ressemblance. L’Église vivante dans laquelle nous vivons, l’Église belle à laquelle nous appartenons, l’Église de l’unique Seigneur et de l’unique Esprit auquel nous nous remettons comme des « serviteurs inutiles » (Lc 17,10), qui offrent leurs dons les meilleurs. L’Eglise que nous aimons afin que tous puissent l’aimer. L’Eglise où nous nous sentons aimés au-delà de nos mérites et pour laquelle nous sommes prêts à faire des sacrifices, dans une joie parfaite. Que Dieu nous accompagne sur ce chemin de communion que nous ferons ensemble. Et qu’il bénisse dès maintenant la générosité avec laquelle vous vous apprêtez à semer dans le sillon qui vous est confié.

 

 

 


 

 

 

publié le : 27 octobre 2016

Sommaire documents

t>