6 janvier 2001 – Lettre Au début du nouveau millénaire (Paragraphes 51 et 52)
Par ailleurs, comment nous tenir à l'écart des perspectives d'un désastre écologique, qui fait que de larges zones de la planète deviennent inhospitalières et hostiles à l'homme? Ou devant les problèmes de la paix, souvent menacée, avec la hantise de guerres catastrophiques? Ou devant le mépris des droits humains fondamentaux de tant de personnes, spécialement des enfants? Nombreuses sont les urgences auxquelles l'esprit chrétien ne peut rester insensible.
Un engagement particulier doit concerner certains aspects de la radicalité évangélique, qui sont souvent les moins compris, au point de rendre impopulaire l'intervention de l'Église, mais qui ne sauraient pour autant être absents des rendez-vous ecclésiaux de la charité. Je veux parler ici du devoir de s'engager pour le respect de la vie de tout être humain depuis sa conception jusqu'à sa fin naturelle. De même, le service de l'homme nous impose de crier, à temps et à contretemps, que ceux qui tirent profit des nouvelles potentialités de la science, spécialement dans le domaine des biotechnologies, ne peuvent jamais se dispenser de respecter les exigences fondamentales de l'éthique, alors qu'ils font parfois appel à une solidarité discutable qui finit par créer des discriminations entre vie et vie, au mépris de la dignité propre à tout être humain.
Pour que le témoignage chrétien soit efficace, spécialement dans ces domaines délicats et controversés, il est important de faire un gros effort pour expliquer, de manière appropriée, les motifs de la position de l'Église, en soulignant surtout qu'il ne s'agit pas d'imposer aux non-croyants une perspective de foi, mais d'interpréter et de défendre les valeurs fondées sur la nature même de l'être humain. La charité se fera alors nécessairement service de la culture, de la politique, de l'économie, de la famille, pour que partout soient respectés les principes fondamentaux dont dépendent les destinées de l'être humain et l'avenir de la civilisation.
Il est clair que tout cela devra être réalisé selon un style spécifiquement chrétien: ce sont surtout les laïcs qui seront présents dans ces tâches, afin de réaliser leur vocation propre, sans jamais céder à la tentation de réduire les communautés chrétiennes à des services sociaux. En particulier, les relations avec la société civile devront être réalisées de manière à respecter l'autonomie et les compétences de cette dernière, selon les enseignements proposés par la doctrine sociale de l'Église.
On connaît les efforts accomplis par le Magistère ecclésial, surtout au cours du vingtième siècle, pour lire les réalités sociales à la lumière de l'Évangile et pour offrir, de manière toujours plus précise et plus organique, leur contribution à la solution de la question sociale, devenue désormais une question planétaire.
Ce versant éthique et social constitue une dimension absolument nécessaire du témoignage chrétien: on doit repousser toute tentation d'une spiritualité intimiste et individualiste, qui s'harmoniserait mal avec les exigences de la charité, pas plus qu'avec la « logique » de l'Incarnation et, en définitive, avec la tension eschatologique du christianisme. Si cette dernière nous rend conscients du caractère relatif de l'histoire, cela ne conduit en aucune manière à nous désengager du devoir de construire cette histoire. À ce propos, l'enseignement du Concile Vatican II demeure plus que jamais actuel: « Par le message chrétien, les hommes ne sont pas détournés de la construction du monde et ne sont pas poussés à négliger le bien de leurs semblables, mais bien plutôt ils sont liés de façon plus étroite par le devoir d'œuvrer dans ce sens ».36
- le 13 février 2001, au nouvel Ambassadeur d’Autriche. ORLF 10.4.2001
Doit prévaloir dans nos sociétés une « culture de la vie ». Quiconque affirme à juste titre que cette dignité personnelle est une possession inaliénable de chaque être humain ne peut avoir aucun doute sur le fait que cette dignité personnelle trouve son expression première et fondamentale dans le caractère inviolable de la vie humaine. Lorsque le droit à la vie n’est pas fermement défendu comme condition de tous les autres droits, toutes les autres références aux droits humains - à la santé, au logement, au travail, à la famille - demeurent vains et illusoires.
Nous ne pouvons nous résigner face aux nombreuses atteintes portées à la personne humaine en ce qui concerne son droit à la vie...
L’homme possède un droit à la vie à toutes les étapes de son existence, du moment de sa conception jusqu’à sa mort naturelle. Il conserve ce droit dans toutes les conditions dans lesquelles il se trouve : dans la santé ou la maladie, dans la perfection physique ou le handicap, dans la richesse et la pauvreté. C’est pourquoi, le fait que l’avortement soit autorisé au cours des trois premiers mois de la grossesse dans de nombreux pays européens, demeure une blessure sanglante dans mon coeur.
Ce qui s’applique au début de la vie s’applique également à sa fin : malheureusement, il semble que dans le débat croissant sur l’euthanasie, l’affirmation selon laquelle l’homme a reçu la vie comme un don devient de moins en moins répandue. Il devient donc toujours plus difficile de défendre le droit humain à mourir lorsque Dieu l’a décidé. La mort également fait partie de la vie. Quiconque prive une personne du droit à la vie au terme de son existence terrestre, se prive, en ultime analyse, lui-même de sa vie, même s’il tente de dissimuler le crime de l’euthanasie sous le masque d’une « mort digne ».
Enfin, c’est avec une profonde préoccupation que je voudrais mentionner la responsabilité qui découle de l’immense développement dans le domaine des sciences biologiques et médicales ainsi que des étonnants progrès technologiques qui y sont liés : aujourd’hui, l’homme est en mesure non seulement d’« observer » la vie humaine dès son commencement et au cours des premières étapes de son développement, mais également de la « manipuler » et de la « cloner ».
A la lumière de ces immenses défis, j’encourage des « actions concertées » dans le but de « rappeler la culture aux principes d’un authentique humanisme, afin que la promotion et la défense des droits de l’homme puissent trouver un fondement dynamique et solide dans son essence même » (CFL,38).
Un jardin est en fleur lorsque plusieurs fleurs s’épanouissent ensemble. Cette image s’applique également aux personnes dans le jardin de la société. La société est le signe que les personnes sont appelées à vivre en communauté. Cette dimension sociale de l’existence humaine trouve son expression première et primordiale dans le mariage et la famille. En tant que berceau de la vie dans lequel les êtres humains naissent et grandissent, la famille représente la cellule de base de la société.
A travers ses initiatives pastorales, l’Église s’allie avec enthousiasme à tous ceux qui, à travers des décisions politiques, des mesures législatives ou des moyens financiers, soutiennent le mariage et la famille comme le lieu privilégié pour « l’humanisation » de l’individu et de la société. L’objectif de l’édification d’une « civilisation de l’amour » allant de pair avec une « culture de la vie », à travers le renforcement du mariage et de la famille, doit être poursuivi avec urgence, car les atteintes à la stabilité et à la fécondité du mariage deviennent de plus en plus diffuses, de même que les tentatives visant à relativiser le statut légal de cette cellule fondamentale de la société.
L’expérience montre que la stabilité des nations est encouragée avant tout par des familles florissantes. De plus, « l’avenir de l’humanité passe par la famille » (FC,86). C’est pourquoi la famille exige un respect et une protection particulière de la part des autorités publiques. Le jardin de notre société redeviendra luxuriant lorsque les familles fleuriront à nouveau.
De plus, la famille représente un lieu particulier d’apprentissage. Elle n’est pas seulement le « sanctuaire de la vie » (EV,94), mais également une école de « charité sociale » miniature. (CA,10), qui, à grande échelle, est appelée « solidarité ». Il ne s’agit « donc pas d’un sentiment de compassion vague ou d’attendrissement superficiel pour les maux subis par tant de personnes proches ou lointaines. Au contraire, c’est la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun ; c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce que tous nous sommes vraiment responsables (SRC,38). A cet égard, je voudrais rappeler un principe qui sous-tend tout ordre politique stable : plus les personnes sont sans défense dans la société, plus elles dépendent de la sollicitude et du soin des autres, en particulier de l’intervention de l’autorité de l’État.
C’est pourquoi je salue toutes les initiatives visant à promouvoir la famille et les politiques caractérisées par l’allocation d’aides appropriées et des formes actives de soutien aux enfants et d’assistance aux personnes âgées, afin que celles-ci ne soient pas séparées de leurs familles, et que les relations entre les générations soient ainsi renforcées.
Dans notre contexte social actuel, marqué par une lutte dramatique entre la « culture de la vie » et « la culture de la mort », nous sommes liés par l’objectif commun, plus de dix ans après la transformation politique, de réaliser une transformation culturelle également, qui conduira à une mobilisation des consciences et instaurera de nouvelles priorités pour la volonté humaine : la primauté des êtres sur les choses (EV,98). C’est le bien-être de la personne humaine qui doit être au centre de la préoccupation commune de l’État et de l’Église en oeuvrant ensemble en tant que partenaires dans la promotion de nobles valeurs et idéaux.