Même après le péché, demeure dans l’homme le désir brûlant de ce dialogue avec Dieu, presque comme une signature marquée par le feu dans son âme et dans sa chair par le Créateur lui-même - Benoit XVI, le 10 août 2012

Publié le 2012-10-07


     Parler de l’homme et de son désir d’infini signifie avant tout reconnaître sa relation constitutive avec le Créateur. L’homme est une créature de Dieu. Aujourd’hui, ce mot — créature — semble presque passé de mode: on préfère penser à l’homme comme à un être accompli en soi et artisan absolu de son propre destin. La considération de l’homme comme créature apparaît «dérangeante», car elle implique une référence essentielle à quelque chose d’autre ou de mieux, à Quelqu’un d’autre — non gérable par l’homme — qui définit de façon essentielle son identité; une identité de relation, dont la première donnée est la dépendance originelle et ontologique de Celui qui nous a voulus et qui nous a créés. Pourtant, cette dépendance, dont l’homme moderne et contemporain tente de s’affranchir, non seulement ne cache pas ou ne diminue pas, mais révèle de façon lumineuse la grandeur et la dignité suprême de l’homme, appelé à la vie pour entrer en rapport avec la Vie elle-même, avec Dieu.
     Dire que «la nature de l’homme est le rapport avec l’infini» signifie alors dire que chaque personne est créée afin qu’elle puisse entrer en dialogue avec Dieu, avec l’Infini. Au début de l’histoire du monde, Adam et Eve sont le fruit d’un acte d’amour de Dieu, faits à son image et ressemblance, et leur vie et leur relation avec le Créateur coïncidaient: «Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa» (Gn 1, 27). Et le péché originel trouve sa racine ultime précisément dans le fait que nos ancêtres se sont soustraits à cette relation constitutive, ont voulu se mettre à la place de Dieu, en croyant pouvoir se passer de Lui. Même après le péché, toutefois, demeure dans l’homme le désir brûlant de ce dialogue, presque comme une signature marquée par le feu dans son âme et dans sa chair par le Créateur lui-même. Le Psaume 63 [62] nous aide à entrer au cœur de ce discours: «Dieu, c’est toi mon Dieu, je te cherche, mon âme a soif de toi, après toi languit ma chair, terre sèche, altérée, sans eau» (v. 2). Non seulement mon âme, mais chaque fibre de ma chair est faite pour trouver sa paix, sa réalisation en Dieu. Et cette tension est indélébile dans le cœur de l’homme: même lorsqu’il refuse ou nie Dieu, la soif d’infini qui habite l’homme ne disparaît pas. Commence en revanche une recherche effrénée et stérile, de «faux infinis», qui puissent satisfaire au moins pour un temps. La soif de l’âme et le désir de la chair dont parle le Psalmiste ne peuvent être éliminés, ainsi l’homme, sans le savoir, se lance à la recherche de l’Infini, mais dans de mauvaises directions: dans la drogue, dans une sexualité vécue de façon désordonnée, dans les technologies toutes puissantes, dans le succès à tout prix, jusque dans des formes trompeuses de religiosité. Même les choses bonnes, que Dieu a créées comme voies qui conduisent à Lui, courent souvent le risque d’être érigées en absolu et devenir ainsi des idoles qui se substituent au Créateur.
Reconnaître d’être faits pour l’infini signifie parcourir un chemin de purification de ce que nous avons appelé «faux infinis», un chemin de conversion du cœur et de l’esprit. Il faut déraciner toutes les fausses promesses d’infini qui séduisent l’homme et le rendent esclave. Pour se retrouver véritablement soi-même ainsi que sa propre identité, pour vivre à la hauteur de son être, l’homme doit se reconnaître à nouveau comme créature, dépendante de Dieu. A la reconnaissance de cette dépendance — qui au fond d’elle est la joyeuse découverte d’être fils de Dieu — est liée la possibilité d’une vie véritablement libre et pleine. Il est intéressant de noter que saint Paul, dans la Lettre aux Romains, voit le contraire de l’esclavage non pas tant dans la liberté, mais dans le fait d’être fils, d’avoir reçu l’Esprit Saint qui fait de nous des fils adoptifs et qui nous permet de crier à Dieu: «Abba! Père!» (cf. 8, 15). L’apôtre des nations parle d’un esclavage «mauvais»: celui du péché, de la loi, des passions de la chair. Mais à celui-ci il n’oppose pas l’autonomie, mais l’«esclavage du Christ» (cf. 6, 16-22), il se définit même comme «Paul, serviteur du Christ Jésus» (1, 1). Le point fondamental n’est donc pas d’éliminer la dépendance, qui est constitutive de l’homme, mais de l’orienter vers Celui qui seul peut nous rendre véritablement libres.
     Mais ici naît une question. N’est-il pas structurellement impossible pour l’homme de vivre à la hauteur de sa nature? Ce désir d’infini qu’il ressent sans jamais pouvoir l’assouvir pleinement n’est-il pas une condamnation? Cette interrogation nous conduit directement au cœur du christianisme. En effet, l’infini lui-même, pour devenir une réponse que l’homme puisse expérimenter, a pris une forme finie. Depuis l’Incarnation, à partir du moment où le Verbe s’est fait chair, s’est effacée la distance impossible à combler entre fini et infini: le Dieu éternel et infini a quitté son Ciel et est entré dans le temps, il s’est plongé dans la finitude humaine. Rien alors n’est banal ou insignifiant sur le chemin de la vie et du monde. L’homme est fait pour un Dieu infini qui est devenu chair, qui a revêtu notre humanité pour l’attirer vers les hauteurs de son être divin.
     Chaque chose, chaque relation, chaque joie et chaque difficulté trouvent leur raison ultime dans le fait d’être une occasion de relation avec l’Infini, voix de Dieu qui nous appelle continuellement et nous invite à élever le regard, à découvrir dans notre adhésion à Lui la pleine réalisation de notre humanité. «Tu nous a faits pour toi — écrivait Augustin — et notre cœur est sans repos jusqu’à ce qu’il repose en Toi» (Confessions, I, 1).

 

Benoit XVI, 10 août 2012 – Message au Congrès de Rimini     (extraits)

 

 

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