Benoît XVI de A à Z

Arbre de vie - Arbre de la vie

 

2005

 

6 juin 2005 – Au Congrès du Diocèse de Rome

     Le fondement anthropologique de la famille

     Mariage et famille ne sont pas en réalité une construction sociologique due au hasard, et fruit de situations historiques et économiques particulières. Au contraire, la question du juste rapport entre l'homme et la femme plonge ses racines dans l'essence la plus profonde de l'être humain et ne peut trouver sa réponse qu'à partir de là. C'est-à-dire qu'elle ne peut être séparée de la question ancienne et toujours nouvelle de l'homme sur lui-même:  qui suis-je? Qu'est-ce que l'homme? Et cette question, à son tour, ne peut être séparée de l'interrogation sur Dieu:  Dieu existe-t-il? Et qui est Dieu? Quel est son visage véritable? La réponse de

 

la Bible à ces deux questions les unit et en fait une conséquence l'une de l'autre:  l'homme est créé à l'image de Dieu, et Dieu lui-même est amour. C'est pourquoi la vocation à l'amour est ce qui fait de l'homme l'authentique image de Dieu:  il devient semblable à Dieu dans la mesure où il devient quelqu'un qui aime.

 

     De ce lien fondamental entre Dieu et l'homme en découle un autre: le lien indissoluble entre esprit et corps. L'homme est en effet une âme qui s'exprime dans le corps et un corps qui est vivifié par un esprit immortel. Le corps de l'homme et de la femme revêt donc également, pour ainsi dire, un caractère théologique, ce n'est pas uniquement un corps, et ce qui est biologique chez l'homme n'est pas seulement biologique, mais est l'expression et la réalisation de notre humanité. De même, la sexualité humaine n'est pas séparée de notre nature de personne, mais lui appartient. Ce n'est que lorsque la sexualité est intégrée dans la personne qu'elle réussit à acquérir un sens.

 

     Ainsi, des deux liens, celui de l'homme avec Dieu et, dans l'homme, celui du corps avec l'esprit, en découle un troisième:  celui entre personne et institution. La totalité de l'homme inclut en effet la dimension du temps, et le "oui" de l'homme est un dépassement du moment présent:  dans son intégrité, le "oui" signifie "toujours", et constitue l'espace de la fidélité. Ce n'est qu'au sein de celui-ci que peut croître la foi qui donne un avenir et qui permet que les enfants, fruits de l'amour, croient en l'homme et en son avenir en des temps difficiles. La liberté du "oui" se révèle donc comme une liberté capable d'assumer ce qui est définitif:  la plus grande expression de la liberté n'est alors pas la recherche du plaisir, sans jamais parvenir à une véritable décision. En apparence, cette ouverture permanente semble être la réalisation de la liberté, mais ce n'est pas vrai:  la véritable expression de la liberté est la capacité à se décider pour un don définitif, dans lequel la liberté, en se donnant, se retrouve pleinement elle-même.

 

     De façon concrète, le "oui" personnel et réciproque de l'homme et de la femme ouvre les portes à l'avenir, à l'authentique humanité de chacun, et, dans le même temps, est destiné au don d'une nouvelle vie. C'est pourquoi ce "oui" personnel ne peut être qu'un "oui" publiquement responsable, à travers lequel les conjoints assument la responsabilité publique de la fidélité qui garantit également l'avenir de la communauté. En effet, aucun de nous n'appartient exclusivement à soi-même:  c'est pourquoi chacun est appelé à assumer  au  plus profond de soi sa responsabilité publique. Le mariage comme institution n'est donc pas une ingérence indue de la société ou de l'autorité, l'imposition d'une forme extérieure dans la réalité la plus privée de la vie; il s'agit au contraire d'une exigence intrinsèque du pacte de l'amour conjugal et de la profondeur de la personne humaine.

 

     Les diverses formes actuelles de dissolution du mariage, comme les unions libres et le "mariage à l'essai", jusqu'au pseudo-mariage entre personnes du même sexe, sont au contraire l'expression d'une liberté anarchique, qui se fait passer à tort pour une libération de l'homme. Une telle pseudo-liberté repose sur une banalisation du corps, qui inclut inévitablement la banalisation de l'homme. Son présupposé est que l'homme peut faire ce qu'il veut de lui-même:  son corps devient ainsi une chose secondaire, manipulable du point de vue humain, qui peut être utilisé comme bon lui semble. Le libertinage, qui se fait passer pour la découverte du corps et de sa valeur, est en réalité un dualisme qui rend le corps méprisable, le plaçant pour ainsi dire en dehors de l'être authentique et de la dignité de la personne.

 

Mariage et famille dans l'histoire du salut

     La vérité du mariage et de la famille, qui plonge ses racines dans la vérité de l'homme, a trouvé sa réalisation dans l'histoire du salut, qui a en son centre la parole:  "Dieu aime son peuple". La révélation biblique, en effet, est avant tout l'expression d'une histoire d'amour, l'histoire de l'Alliance de Dieu avec les hommes:  c'est pourquoi l'histoire de l'amour et de l'union d'un homme et d'une femme dans l'alliance du mariage a pu être assumée par Dieu comme symbole de l'histoire du salut. Le caractère inexprimable, le mystère de l'amour de Dieu pour les hommes, reçoit sa forme linguistique dans le vocabulaire du mariage et de la famille, dans le sens positif et négatif:  le rapprochement de Dieu à l'égard de son peuple est en effet présenté à travers le langage de l'amour sponsal, tandis que l'infidélité d'Israël, son idolâtrie, est désignée comme un adultère et une forme de prostitution.

 

     Dans le Nouveau Testament, Dieu radicalise son amour jusqu'à devenir Lui-même, dans son Fils, chair de notre chair, vrai homme. De cette façon, l'union de Dieu avec l'homme a assumé sa forme suprême, irréversible et définitive. Et ainsi est tracée pour l'amour humain également, sa forme définitive, ce "oui" réciproque qui ne peut être révoqué:  cette forme n'aliène pas l'homme, mais le libère des aliénations de l'histoire pour le ramener à la vérité de la création. Le caractère sacramentel que le mariage revêt dans le Christ signifie donc que le don de la création a été élevé au niveau de la grâce de la rédemption. La grâce du Christ ne vient pas s'ajouter de l'extérieur à la nature de l'homme, elle ne lui fait pas violence, mais la libère et la restaure, précisément en l'élevant au-delà de ses propres limites. Et, de même que l'incarnation du Fils de Dieu révèle sa véritable signification dans la croix, ainsi, l'authentique amour humain est don de soi, il ne peut exister s'il veut se soustraire à la croix.

 

     Chers frères et soeurs, ce lien profond entre Dieu et l'homme, entre l'amour de Dieu et l'amour humain, trouve une confirmation également dans certaines tendances et développements négatifs, dont nous ressentons le poids. L'avilissement de l'amour humain, la suppression de l'authentique capacité d'aimer se révèle en effet, à notre époque, l'arme la plus adaptée et la plus efficace pour chasser Dieu de l'homme, pour éloigner Dieu du regard et du coeur de l'homme. De façon analogue, la volonté de "libérer" la nature de Dieu conduit à perdre de vue la réalité même de la nature, y compris la nature de l'homme, en  la  réduisant  à  un ensemble de fonctions  dont  on  peut  disposer à souhait pour édifier un monde supposé meilleur et une humanité supposée plus heureuse; au contraire, on détruit le dessein du Créateur et, ainsi, la vérité de notre nature.

 

La menace du relativisme

     Continuez donc, sans vous laisser décourager par les difficultés que vous rencontrez. Le rapport éducatif est de par sa nature quelque chose de délicat:  il met en effet en jeu la liberté de l'autre qui, pour autant que ce soit avec douceur, est cependant toujours invitée à prendre une décision. Ni les parents, ni les prêtres ou les catéchistes, ni les autres éducateurs ne peuvent se substituer à la liberté de l'enfant, de l'adolescent ou du jeune auquel ils s'adressent. Et la proposition chrétienne interpelle de manière particulièrement profonde la liberté, l'appelant à la foi et à la conversion. Aujourd'hui, un obstacle extrêmement menaçant pour l'oeuvre d'éducation est constitué par la présence massive, dans notre société et notre culture, de ce relativisme qui, en ne reconnaissant rien comme définitif, ne laisse comme ultime mesure que son propre moi avec ses désirs, et sous l'apparence de la liberté devient une prison pour chacun, séparant l'un de l'autre et réduisant chacun à se retrouver enfermé dans son propre "Moi". Dans un tel horizon relativiste une véritable éducation n'est donc pas possible:  en effet, sans la lumière de la vérité toute personne est condamnée, à un moment ou à un autre, à douter de la bonté de sa vie même et des relations qui la constituent, de la valeur de son engagement pour construire quelque chose en commun avec les autres.

 

Il est donc clair que nous devons non seulement chercher à surmonter le relativisme dans notre travail de formation des personnes, mais que nous sommes également appelés à nous opposer à sa domination destructrice dans la société et dans la culture. A côté de la parole de l'Eglise, le témoignage et l'engagement public des familles chrétiennes sont donc très importants, en particulier pour réaffirmer le caractère intangible de la vie humaine de sa conception jusqu'à son terme naturel, la valeur unique et irremplaçable de la famille fondée sur le mariage et la nécessité de mesures législatives et administratives qui soutiennent les familles dans leur tâche d'engendrer et d'éduquer les enfants, une tâche essentielle pour notre avenir commun. 

 

 

 

 

 

 

 

2010

13 février 2010 – A l’Académie Pontificale pour la Vie

     Les problématiques qui tournent autour du thème de la bioéthique permettent de vérifier à quel point les questions sous-jacentes mettent au premier plan la question anthropologique. Comme je l'affirme dans ma dernière lettre encyclique, Caritas in veritate: « Un domaine primordial et crucial de l'affrontement culturel entre la technique considérée comme un absolu et la responsabilité morale de l'homme est aujourd'hui celui de la bioéthique, où se joue de manière radicale la possibilité même d'un développement humain intégral. Il s'agit d'un domaine particulièrement délicat et décisif, où émerge avec une force dramatique la question fondamentale de savoir si l'homme s'est produit lui-même ou s'il dépend de Dieu. Les découvertes scientifiques en ce domaine et les possibilités d'intervention technique semblent tellement avancées qu'elles imposent de choisir entre deux types de rationalité, celle de la raison ouverte à la transcendance et celle d'une raison close dans l'immanence technologique » (n. 74). Face à de telles questions, qui touchent de façon si décisive la vie humaine dans sa tension permanente entre immanence et transcendance, et qui ont une grande importance pour la culture des générations à venir, il est nécessaire de mettre en œuvre un projet pédagogique intégral, qui permette d'affronter de telles thématiques dans une vision positive, équilibrée et constructive, surtout dans le rapport entre la foi et la raison.

     Les questions de bioéthique mettent souvent au premier plan le rappel de la dignité de la personne, un principe fondamental que la foi en Jésus Christ crucifié et ressuscité a toujours défendu, surtout lorsqu'il est négligé quand il s'agit de sujets plus simples et sans défense: Dieu aime chaque être humain de façon unique et profonde. Comme toute discipline, la bioéthique aussi a besoin d'un rappel capable de garantir une lecture cohérente des questions éthiques, qui, inévitablement, sont soulevées par les conflits d'interprétation possibles. C'est dans cet espace que s'ouvre le rappel normatif à la loi morale naturelle. La reconnaissance de la dignité humaine, en effet, en tant que droit inaliénable, trouve son premier fondement dans cette loi – qui n'est pas écrite par la main de l'homme, mais est inscrite par le Dieu Créateur dans le cœur de l'homme –, que toutes les législations sont appelées à reconnaître comme inviolable et que toute personne est tenue de respecter et de promouvoir (cf. Catéchisme de l'Eglise catholique, nn. 1954-1960). Sans le principe fondamental de la dignité humaine, il serait très difficile de trouver une source des droits de la personne, et impossible d'arriver à un jugement éthique face aux conquêtes de la science qui interviennent directement dans la vie humaine. Il est par conséquent nécessaire de répéter avec fermeté qu'il n'existe pas de compréhension de la dignité humaine liée seulement à des éléments extérieurs comme le progrès de la science, les étapes de la formation de la vie humaine, ou une piété facile devant des situations limites. Lorsque l'on invoque le respect de la dignité de la personne, il est fondamental qu'il soit complet, total, et sans contraintes, sauf celle de reconnaître que l'on se trouve toujours devant une vie humaine. Certes, la vie humaine connaît un développement propre, et l'horizon des recherches scientifiques et de la bioéthique est ouvert, mais il faut répéter que lorsqu'il s'agit de domaines relatifs à l'être humain, les scientifiques ne peuvent jamais penser qu'ils ont entre les mains seulement de la matière inanimée, et manipulable. En effet, dès le premier instant, la vie de l'homme est caractérisée par le fait d'être vie humaine, et pour cette raison, elle est toujours, partout et malgré tout, porteuse d'une dignité propre (cf. Congr. pour la doctrine de la foi, Instruction Dignitas personae sur certaines questions de bioéthique, n. 5). Sinon, nous nous trouverions toujours devant le danger d'une utilisation instrumentale de la science, avec cette inévitable conséquence de tomber facilement dans l'arbitraire, dans la discrimination, et dans l'intérêt économique du plus fort.

     Conjuguer bioéthique et loi morale naturelle permet de vérifier au mieux le rappel nécessaire et incontournable à la dignité que possède la vie humaine de façon intrinsèque, dès son premier instant jusqu'à sa fin naturelle. Au contraire, dans le contexte d'aujourd'hui, bien que le juste rappel des droits qui garantissent les droits de la personne émerge avec plus d'insistance, on remarque que de tels droits ne sont pas toujours reconnus à la vie humaine dans son développement naturel et au cours des étapes où elle est la plus faible. Une telle contradiction fait apparaître avec évidence l'engagement à assumer dans les différents milieux de la société et de la culture afin que la vie humaine soit toujours reconnue comme un sujet inaliénable de droit et jamais comme un objet soumis à l'arbitraire du plus fort. L'histoire a montré combien dangereux et délétère peut être un Etat qui légifère sur des questions qui touchent la personne et la société en prétendant être lui-même la source et le principe de l'éthique. Sans des principes universels qui permettent de vérifier un dénominateur commun pour toute l'humanité, le risque d'une dérive relativiste au niveau législatif ne doit absolument pas être sous-évalué (cf. Catéchisme de l'Eglise catholique, n. 1959). La loi morale naturelle, forte de son caractère universel, permet de conjurer ce danger et surtout elle offre au législateur la garantie d'un respect authentique de la personne et de tout l'ordre de la création. Elle se pose en force catalysante du consensus entre des personnes de cultures et de religions différentes et elle permet de dépasser les différences parce qu'elle affirme l'existence d'un ordre imprimé dans la nature par le Créateur et reconnu comme une instance de vrai jugement éthique rationnel pour chercher le bien et éviter le mal. La loi morale naturelle « appartient au grand patrimoine de la sagesse humaine que la Révélation, par sa lumière, a contribué à purifier et à développer davantage » (cf. Jean-Paul II, Discours à l'assemblée plénière de la Congrégation pour la doctrine de la foi, 6 février 2004).

     Illustres membres de l'Académie pontificale pour la vie, dans le contexte actuel, votre engagement apparaît toujours plus délicat et difficile, mais la sensibilité croissante à l'égard de la vie humaine encourage à poursuivre avec un élan toujours plus grand et avec courage cet important service de la vie et de l'éducation aux valeurs évangéliques des générations futures. Je vous souhaite à tous de poursuivre l'étude et la recherche afin que l'œuvre de promotion et de défense de la vie soit toujours plus efficace et féconde.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2012

 

3 mai 2012 – A l’Université catholique du Sacré-Coeur.

     La recherche scientifique et la question du sens, bien qu'ayant chacune une physionomie épistémologique et méthodologique spécifique, jaillissent d'une unique source, le Logos qui préside à l'œuvre de la création et qui guide l'intelligence de l'histoire. Une mentalité fondamentalement technopratique engendre un déséquilibre dangereux entre ce qui est techniquement possible et ce qui est moralement bon, avec des conséquences imprévisibles.

   Religion du Logos, le christianisme ne relègue pas la foi au domaine de l’irrationnel, mais attribue l’origine et le sens de la réalité à la Raison créatrice, qui, dans le Dieu crucifié, s’est manifestée comme amour et qui invite à parcourir la voie du quaerere Deum : « Je suis le chemin, la vérité, la vie ». Saint Thomas d’Aquin commente : « Le terme de ce chemin est la fin du désir humain. Or, l’homme désire avant tout deux choses: premièrement, la connaissance de la vérité, ce qui lui est propre ; en second lieu, la conservation de son être, ce qui est commun à toutes les réalités. Le Christ se trouve dans l’une et dans l’autre... Si donc tu cherches par où passer, accueille le Christ, parce qu’il est lui-même le Chemin » (Commentaire sur saint Jean, chap. 14, lectio 2). L’Évangile de la vie illumine alors le chemin difficile de l’homme, et devant la tentation de l’autonomie absolue, il rappelle que « la vie de l’homme vient de Dieu, c’est son don, son image et son empreinte, la participation à son souffle vital » (Jean-Paul II, Evangelium vitae, n. 39). Et c’est précisément en parcourant le sentier de la foi que l’homme peut entrevoir dans les réalités mêmes de la souffrance et de la mort qui traversent son existence, une possibilité authentique de bien et de vie. Dans la croix du Christ, il reconnaît l’Arbre de la vie, révélation de l’amour passionné de Dieu pour l’homme. Le soin des personnes qui souffrent est alors une rencontre quotidienne avec le visage du Christ, et le dévouement de l’intelligence et du cœur devient un signe de miséricorde de Dieu et de sa victoire sur la mort.

 

 

11 juin 2012 – au Congrès du Diocèse de Rome.

     « Renoncez-vous aux séductions du mal pour ne pas vous laisser dominer par le péché ? ». Que sont ces séductions du mal ? Dans l’Église antique, et encore pendant des siècles, il y avait l’expression : « Renoncez-vous aux pompes du diable ? », et aujourd’hui, nous savons ce que l’on entendait par cette expression « pompes du diable ». Les pompes du diable étaient surtout les grands spectacles sanglants, où la cruauté devient divertissement, où tuer des hommes devient quelque chose de spectaculaire : le spectacle devient la vie et la mort d’un homme.  Ces spectacles sanglants, ce divertissement du mal sont les « pompes du diable », où il apparaît sous une apparente beauté mais en réalité, il apparaît sous toute sa cruauté. Mais au-delà de cette signification immédiate de la parole « pompes du diable », on voulait parler d’un type de culture, d’un way of life, d’un mode de vivre où ne compte plus la vérité mais l’apparence, où l’on ne recherche pas la vérité, mais l’effet, la sensation, et, sous le prétexte de la vérité, en réalité, on détruit les hommes, on veut détruire et ne se créer que soi-même comme vainqueurs. Ce renoncement était donc très réel : c’était le renoncement à un type de culture qui est une anti-culture, contre le Christ et contre Dieu. On décidait contre une culture qui, dans l’Évangile de saint Jean, est appelée « kosmos houtos », « ce monde ». Avec « ce monde », naturellement, Jean et Jésus ne parlent pas de la Création de Dieu, de l’homme en tant que tel, mais parlent d’une certaine créature qui est dominante, qui s’impose comme si c’était cela le monde, et comme si c’était cela la façon de vivre qui s’impose. Je laisse à présent à chacun de vous le soin de réfléchir sur ces « pompes du diable », sur cette culture à laquelle nous disons « non ». Être baptisés signifie précisément en substance s’émanciper, se libérer de cette culture. Nous connaissons également aujourd’hui un type de culture dans laquelle la vérité ne compte pas; même si apparemment, on veut faire apparaître toute la vérité, seule la sensation compte et l’esprit de calomnie et de destruction. Une culture qui ne recherche pas le bien, dont le moralisme est, en réalité, un masque pour tromper, créer la confusion et la destruction. Contre cette culture, dans laquelle le mensonge se présente sous la forme de la vérité et de l’information, contre cette culture qui ne recherche que le bien-être matériel et nie Dieu, nous disons « non ». Nous connaissons bien également à partir de nombreux Psaumes cette opposition entre une culture dans laquelle on semble intouchable contre tous les maux du monde, on se place au-dessus de tous, en particulier de Dieu, alors qu’au contraire, c’est une culture du mal, une domination du mal. Et ainsi, la décision du baptême, cette partie du chemin néocatéchuménal qui dure toute notre vie, est précisément ce « non », prononcé et réalisé à nouveau chaque jour, même à travers les sacrifices qu’exige le fait de s’opposer à la culture dominante en grande partie dominante, même si elle s’imposait comme si elle était le monde, ce monde : ce n’est pas vrai. Et il y a également de nombreuses personnes qui désirent vraiment la vérité.

     Ainsi, nous arrivons au premier renoncement : « Renoncez-vous au péché pour vivre dans la liberté des fils de Dieu ? ». Aujourd’hui, liberté et vie chrétienne, observance des commandements de Dieu, vont dans des directions opposées; être chrétiens serait comme un esclavage; la liberté signifie s’émanciper de la foi chrétienne, s’émanciper — en fin de compte — de Dieu. Le terme de péché apparaît à de nombreuses personnes presque ridicule, car elles disent : « Mais comment! Nous ne pouvons pas offenser Dieu ! Dieu est si grand, cela ne l’intéresse pas si je commets une petite erreur ! Nous ne pouvons pas offenser Dieu, son intérêt est trop grand pour que nous l’offensions ». Cela semble vrai, mais ce n’est pas vrai. Dieu s’est fait vulnérable. Dans le Christ crucifié, nous voyons que Dieu s’est fait vulnérable, il s’est fait vulnérable jusqu’à la mort. Dieu s’intéresse à nous parce qu’il nous aime et l’amour de Dieu est vulnérabilité, l’amour de Dieu est intérêt de l’homme, l’amour de Dieu signifie que notre première préoccupation doit être ne pas blesser, ne pas détruire son amour, ne rien faire contre son amour car sinon, nous vivons aussi contre nous-mêmes et contre notre liberté. Et, en réalité, cette apparente liberté dans l’émancipation de Dieu devient immédiatement un esclavage de nombreuses dictatures du temps, qui doivent être suivies pour être considérées à la hauteur du temps.

     Et enfin : « Renoncez-vous à Satan ? ». Cela nous dit qu’il y a un « oui » à Dieu et un « non » au pouvoir du Malin qui coordonne toutes ces activités et veut se faire le dieu de ce monde, comme nous le dit encore saint Jean. Mais il n’est pas Dieu, il n’est que l’adversaire, et nous ne nous soumettons pas à son pouvoir ; nous disons «non» parce que nous disons « oui », un « oui » fondamental, le « oui » de l’amour et de la vérité. Ces trois renoncements, dans le rite du baptême, dans l’antiquité, étaient accompagnés de trois immersions : immersion dans l’eau comme symbole de la mort, d’un « non » qui est réellement la mort d’un type de vie et la résurrection à une autre vie. Nous y reviendrons. Puis la confession en trois questions : « Croyez-vous en Dieu le Père tout-puissant, Créateur ; en Jésus Christ et, enfin, en l’Esprit Saint et en l’Église ?» Cette formule, ces trois parties, ont été développées à partir de la Parole du Seigneur « baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit » ; ces paroles sont concrétisées et approfondies : que veut dire Père, que veut dire Fils — toute la foi dans le Christ, toute la réalité du Dieu fait homme — et que veut dire croire, être baptisés dans l’Esprit Saint, c’est-à-dire toute l’action de Dieu dans l’histoire, dans l’Église, dans la communion des saints. Ainsi, la formule positive du baptême est aussi un dialogue : elle n’est pas simplement une formule. Surtout, la confession de la foi n’est pas seulement une chose à comprendre, une chose intellectuelle, une chose à mémoriser — même si c’est aussi cela, bien sûr — elle touche aussi à l’intelligence, elle touche aussi avant tout à notre existence. Et cela me semble très important. Ce n’est pas quelque chose d’intellectuel, une pure formule. C’est un dialogue de Dieu avec nous, une action de Dieu avec nous, et notre réponse, c’est un chemin. La vérité du Christ ne peut se comprendre que si sa voie est comprise. Ce n’est que si nous acceptons le Christ comme une voie en commençant réellement à être dans la voie du Christ que nous pouvons aussi comprendre la vérité du Christ. La vérité qui n’est pas vécue ne s’ouvre pas; seule la vérité vécue, la vérité acceptée comme mode de vie, comme chemin, s’ouvre aussi comme vérité dans toute sa richesse et sa profondeur. Cette formule est donc une voie, c’est une expression de notre conversion, d’une action de Dieu. Et nous voulons réellement que cela soit présent dans toute notre vie également: que nous sommes en communion de chemin avec Dieu, avec le Christ. Et ainsi, nous sommes en communion avec la vérité : en vivant la vérité, la vérité devient la vie et en vivant cette vie, nous trouvons aussi la vérité.

 

 

10 août 2012 – Message au Congrès de Rimini

     Parler de l’homme et de son désir d’infini signifie avant tout reconnaître sa relation constitutive avec le Créateur. L’homme est une créature de Dieu. Aujourd’hui, ce mot — créature — semble presque passé de mode: on préfère penser à l’homme comme à un être accompli en soi et artisan absolu de son propre destin. La considération de l’homme comme créature apparaît «dérangeante», car elle implique une référence essentielle à quelque chose d’autre ou de mieux, à Quelqu’un d’autre — non gérable par l’homme — qui définit de façon essentielle son identité; une identité de relation, dont la première donnée est la dépendance originelle et ontologique de Celui qui nous a voulus et qui nous a créés. Pourtant, cette dépendance, dont l’homme moderne et contemporain tente de s’affranchir, non seulement ne cache pas ou ne diminue pas, mais révèle de façon lumineuse la grandeur et la dignité suprême de l’homme, appelé à la vie pour entrer en rapport avec la Vie elle-même, avec Dieu.

     Dire que «la nature de l’homme est le rapport avec l’infini» signifie alors dire que chaque personne est créée afin qu’elle puisse entrer en dialogue avec Dieu, avec l’Infini. Au début de l’histoire du monde, Adam et Eve sont le fruit d’un acte d’amour de Dieu, faits à son image et ressemblance, et leur vie et leur relation avec le Créateur coïncidaient: «Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa» (Gn 1, 27). Et le péché originel trouve sa racine ultime précisément dans le fait que nos ancêtres se sont soustraits à cette relation constitutive, ont voulu se mettre à la place de Dieu, en croyant pouvoir se passer de Lui. Même après le péché, toutefois, demeure dans l’homme le désir brûlant de ce dialogue, presque comme une signature marquée par le feu dans son âme et dans sa chair par le Créateur lui-même. Le Psaume 63 [62] nous aide à entrer au cœur de ce discours: «Dieu, c’est toi mon Dieu, je te cherche, mon âme a soif de toi, après toi languit ma chair, terre sèche, altérée, sans eau» (v. 2). Non seulement mon âme, mais chaque fibre de ma chair est faite pour trouver sa paix, sa réalisation en Dieu. Et cette tension est indélébile dans le cœur de l’homme: même lorsqu’il refuse ou nie Dieu, la soif d’infini qui habite l’homme ne disparaît pas. Commence en revanche une recherche effrénée et stérile, de «faux infinis», qui puissent satisfaire au moins pour un temps. La soif de l’âme et le désir de la chair dont parle le Psalmiste ne peuvent être éliminés, ainsi l’homme, sans le savoir, se lance à la recherche de l’Infini, mais dans de mauvaises directions: dans la drogue, dans une sexualité vécue de façon désordonnée, dans les technologies toutes puissantes, dans le succès à tout prix, jusque dans des formes trompeuses de religiosité. Même les choses bonnes, que Dieu a créées comme voies qui conduisent à Lui, courent souvent le risque d’être érigées en absolu et devenir ainsi des idoles qui se substituent au Créateur.

Reconnaître d’être faits pour l’infini signifie parcourir un chemin de purification de ce que nous avons appelé «faux infinis», un chemin de conversion du cœur et de l’esprit. Il faut déraciner toutes les fausses promesses d’infini qui séduisent l’homme et le rendent esclave. Pour se retrouver véritablement soi-même ainsi que sa propre identité, pour vivre à la hauteur de son être, l’homme doit se reconnaître à nouveau comme créature, dépendante de Dieu. A la reconnaissance de cette dépendance — qui au fond d’elle est la joyeuse découverte d’être fils de Dieu — est liée la possibilité d’une vie véritablement libre et pleine. Il est intéressant de noter que saint Paul, dans la Lettre aux Romains, voit le contraire de l’esclavage non pas tant dans la liberté, mais dans le fait d’être fils, d’avoir reçu l’Esprit Saint qui fait de nous des fils adoptifs et qui nous permet de crier à Dieu: «Abba! Père!» (cf. 8, 15). L’apôtre des nations parle d’un esclavage «mauvais»: celui du péché, de la loi, des passions de la chair. Mais à celui-ci il n’oppose pas l’autonomie, mais l’«esclavage du Christ» (cf. 6, 16-22), il se définit même comme «Paul, serviteur du Christ Jésus» (1, 1). Le point fondamental n’est donc pas d’éliminer la dépendance, qui est constitutive de l’homme, mais de l’orienter vers Celui qui seul peut nous rendre véritablement libres.

     Mais ici naît une question. N’est-il pas structurellement impossible pour l’homme de vivre à la hauteur de sa nature? Ce désir d’infini qu’il ressent sans jamais pouvoir l’assouvir pleinement n’est-il pas une condamnation? Cette interrogation nous conduit directement au cœur du christianisme. En effet, l’infini lui-même, pour devenir une réponse que l’homme puisse expérimenter, a pris une forme finie. Depuis l’Incarnation, à partir du moment où le Verbe s’est fait chair, s’est effacée la distance impossible à combler entre fini et infini: le Dieu éternel et infini a quitté son Ciel et est entré dans le temps, il s’est plongé dans la finitude humaine. Rien alors n’est banal ou insignifiant sur le chemin de la vie et du monde. L’homme est fait pour un Dieu infini qui est devenu chair, qui a revêtu notre humanité pour l’attirer vers les hauteurs de son être divin.

     Chaque chose, chaque relation, chaque joie et chaque difficulté trouvent leur raison ultime dans le fait d’être une occasion de relation avec l’Infini, voix de Dieu qui nous appelle continuellement et nous invite à élever le regard, à découvrir dans notre adhésion à Lui la pleine réalisation de notre humanité. «Tu nous a faits pour toi — écrivait Augustin — et notre cœur est sans repos jusqu’à ce qu’il repose en Toi» (Confessions, I, 1).

 

 

 

publié le : 04 juillet 2016

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