PRÊTRE, MON AMI...
Les prêtres - et les évêques ! - ont leurs défauts. Un évêque est bien placé pour le savoir... Dans les pays d'Occident, le principal défaut est, dans le chef d'une minorité, d'ordre intellectuel. Mal préparés, peut-être, au temps du séminaire, à affronter avec esprit critique les grands courants de pensée, mais aussi les slogans faciles de notre époque, ils ont, souvent de bonne foi, ratifié une lecture très sélective et fort superficielle des textes du Concile Vatican II. D'où les approximations, voire les erreurs doctrinales, les désaccords irresponsables avec l'enseignement moral de l'Église, les bricolages bénins ou parfois graves sur le plan liturgique, les entorses lourdes de conséquences à la discipline sacramentelle.
Les dérapages d'ordre moral sont moins nombreux qu'on ne le dit. Parfois fleurit dans la presse telle ou telle déclaration prétendument statistique, mais ne reposant sur aucune enquête scientifique, selon laquelle 30% seraient alcooliques, 20% pratiquants homosexuels, 15% concubins discrets, 10% psychopathes légers, 5% pédophiles, etc. Je cite de mémoire des chiffres rocambolesques parfois entendus. Ils n'ont d'autre fondement assuré que l'imagination de ceux qui les avancent. Certes, dans chaque diocèse, il y a un certain nombre de prêtres qui ont des problèmes d'alcool, qui mènent une vie affective ambiguë ou qui connaissent des moments de déséquilibre psychique. L'évêque connaît une partie de ces situations et essaie de les gérer du mieux qu'il peut avec les intéressés et l'aide de personnes compétentes. D'autres, par définition, lui restent probablement inconnues ou ne lui reviennent que sous la forme de rumeurs souvent incontrôlables, mais qu'il cherche quand même à vérifier ou à infirmer. Pour avoir rencontré personnellement et avoir vu vivre sur le terrain tous les prêtres de mon diocèse et la plupart de ceux qui oeuvrent en dehors du diocèse, je pense pouvoir dire que le type de chiffres avancés ci-dessus est hautement fantaisiste. Et, de toute manière, si dérapages il y a, ils sont proportionnellement moins nombreux que dans le reste de la population, ce qui est d'ailleurs on ne peut plus logique, étant donné les procédures exigeantes de recrutement et de sélection.
Les fidèles ont, en général, une attitude très juste à l'égard de leurs prêtres. Il y a, bien sûr, les pisse-vinaigre qui, à la moindre incartade, réelle ou supposée, de leur curé, envoient une lettre, parfois anonyme, un courriel vengeur, voire une pétition, pour dénoncer leur pasteur auprès de l'évêque. Il faut alors faire la part des choses et, souvent, prendre la défense du curé qui n'a fait que son devoir, fût-ce, à l'occasion, un peu maladroitement. Mais, le plus souvent, les gens ont un jugement juste concernant leurs pasteurs. Ils leur passent volontiers quelque dérapage occasionnel ou inoffensif : un verre de trop lors d'une fête, un comportement un peu léger en telle circonstance, un retard lors d'un office, etc. Les seuls cas où les fidèles se montrent impitoyables, c'est lorsqu'ils sont confrontés à des abus sexuels caractérisés sur des personnes fragiles, à un autoritarisme arbitraire ou à l'avarice, à l'appât du gain de la part de leur prêtre. Dans ces cas surtout, leur attitude les désole profondément. Mais, heureusement, elle est rare.
En effet, ce qui me semble caractériser globalement les prêtres de ce temps, quelles que soient leurs orientations doctrinales et leurs sensibilités liturgiques ou autres, c'est leur générosité foncière, leur désintéressement, leur dévouement à leur peuple. Oui, beaucoup de gens considèrent leur pasteur comme un ami sur lequel ils peuvent compter. Je suis d'ailleurs toujours dans l'admiration quand je vois comment les curés et vicaires de mon diocèse connaissent leurs gens, sont au courant des joies et peines de leur vie et les partagent fraternellement avec eux. Ils sont près de leur peuple. Il est d'ailleurs symptomatique que les critiques viennent rarement des paroissiens réguliers, mais plutôt des paroissiens irréguliers ou de chrétiens étrangers à la paroisse. Plus les gens sont étrangers à une paroisse, plus ils sont exigeants, parfois à la limite de la bienséance, à l'égard de prêtres qu'ils traitent comme des valets. Mais ceux qui vivent de l'intérieur la vie de l'Église savent, eux, qu'ils peuvent compter sur la disponibilité sans faille de leur pasteur.
Quand un prêtre change de paroisse ou de mission, quand il célèbre un anniversaire marquant de naissance, d'ordination ou de présence dans la paroisse ou dans un autre lieu d'apostolat, il est touchant de voir avec quel empressement, quelle délicatesse, ses gens le fêtent et parfois même tiennent à mettre l'évêque dans le coup d'une manière ou d'une autre. Tout cela est très beau.
Et quand un prêtre meurt à la tâche, c'est avec beaucoup d'émotion que ses gens lui disent leur « adieu » et leur reconnaissance pour la manière dont il a usé sa vie à leur service. La gratitude est peut-être même encore plus grande aujourd'hui qu'en d'autres temps, car les fidèles savent que la vie du prêtre n'est pas facile dans un monde sécularisé, déchristianisé où il lui faut souvent ramer à contre-courant.
Je suis moi-même très reconnaissant à l'égard de mes amis les prêtres. Je suis d'abord l'un d'eux, issu du même diocèse. Je les connais tous et ils me connaissent. Même quand ils ne partagent pas certaines de mes convictions, voire même s'y opposent, leur courtoisie, leur délicatesse fraternelle à mon égard me touchent. Car si le prêtre est souvent l'ami de ses paroissiens, il trouve aussi beaucoup d'amitié chez ses confrères. Nous formons vraiment, au meilleur sens du terme, une confrérie. Certes, il y a aussi des rivalités et des tensions, parfois douloureuses, entre certains prêtres. Cela fait mal, même si c'est humainement prévisible. Un vieux dicton courait jadis, en latin, dans le clergé : "Homo homini lupus ; sacerdos sacerdoti lupior ; femina feminae lupissima !" En français : « L'homme est un loup pour l'homme ; le prêtre est plus loup encore pour le prêtre ; et la femme est 'lupissime' à l'égard de sa semblable ! » C'est dit avec humour, mais recouvre occasionnellement la réalité... Mais, dans l'ensemble, quelle solidarité et quelle amitié entre prêtres ! Je puis d'ailleurs attester moi-même que, depuis plus de 40 ans d'ordination, c'est avec des prêtres que j'ai noué les amitiés les plus fidèles et auprès d'eux que j'ai trouvé le soutien le plus précieux.
Nous gagnerions beaucoup dans l'Église à moins critiquer nos prêtres de leur vivant (car, après leur mort, ils n'ont plus, de toute façon, que des qualités !) et à les soutenir et encourager amicalement. Ils ont fait librement le choix de répondre à l'appel du Seigneur. Ils ont engagé dans leur vocation tout leur être, leur intelligence, leur volonté, leur coeur, leur affectivité et leur corps, dans le célibat généreusement assumé pour l'amour du Seigneur et le service de son peuple. Ils vivent à la fois une certaine solitude liée à leur célibat (mais avec le Seigneur et l'amitié de leurs gens) et un trop-plein parfois d'activités, de responsabilités et de contacts. Ils ont donc plus besoin, comme chacun, de bienveillance que de coups de bâton.
J'écris ces lignes dans un ermitage de « Maison Notre-Dame » (« Madonna House » en anglais), cette communauté d'hommes et de femmes consacrés, de prêtres aussi, née au Canada anglais sous l'impulsion de Catherine de Hueck Doherty, une Russe convertie au catholicisme dont beaucoup connaissent l'ouvrage sur la vie au désert : "Poustinia ou le désert au coeur des villes" (Paris, Éd. du Cerf, 1976). J'ai sous les yeux sa "Lettre d'amour aux prêtres" (Ourscamp, Éd. du Serviteur, 1990). Un beau titre en vérité ! Elle y dit des choses splendides, notamment sur l'amour à l'égard des prêtres.
Quand un prêtre meurt, quand une paroisse se retrouve sans prêtre résident (car il y a toujours un autre prêtre qui aura en charge la paroisse), les fidèles (et les autres aussi souvent) mesurent le trésor que représente la présence d'un pasteur parmi eux. N'attendons pas ce moment pour mesurer notre bonheur. La présence du prêtre parmi nous est une grande grâce, car, pour reprendre les mots bien connus du saint Curé d'Ars, Jean-Marie Vianney, le patron de tous les curés du monde : « Le sacerdoce, c'est l'amour du coeur de Jésus ! » Et l'amour ne demande qu'à être aimé. Avec cela, tout est dit.
Mgr A.-M. LEONARD,
Évêque de Namur.