Mgr Bagnard - Evêque de Belley-Ars
mars 2009
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Depuis des années, il semblerait, au dire de bien des médias, que l'Église catholique n'intéresse plus personne. Devenue insignifiante, elle serait sur la voie de la disparition, n'étant plus aujourd'hui qu'un organe témoin du passé.
L'actualité de ces dernières semaines apporte un démenti manifeste à ce genre d'analyse. Il a suffi des quelques paroles échangées par le Pape avec les journalistes dans l'avion qui l'emmenait en terre africaine pour que, d'un bout à l'autre du monde, moyennant la facilité des communications, croyants et incroyants, gouvernants et hommes politiques, chrétiens ou non, tout le monde s'enflamme !
• L'amplitude immense des réactions démontre que l'Eglise catholique existe bien et qu'elle se situe au coeur du monde - et non à côté de lui - ! Si elle suscite partout une telle fièvre, allant jusqu'aux railleries et aux insultes, comme l'a souligné le Cardinal Schönborn, c'est que sa parole ne laisse personne indifférent. Autrement, comment expliquer qu'on soit ainsi suspendu aux lèvres du pape ! L'Église catholique est bien vivante ! On ne se bat pas contre un cadavre ! On se contente plutôt de l'inhumer dans le silence et le respect !
Il reste que bien des catholiques ont souffert de voir le Pape attaqué, parfois injurié, tandis que d'autres ont été personnellement affectés parce qu'ils ne percevaient pas bien la cohérence des propos du Pape, n'ayant d'informations que par les "grands" médias. D'où une réelle désorientation. C'est le signe de leur attachement profond à l'Église. Aux uns et aux autres, j'exprime ma proximité dans l'amitié, la prière et la communion de la foi. Gardons ensemble la confiance et l'espérance ; prions pour le Pape et pour l'Eglise : qu'elle demeure fidèle au Christ et ouverte à toute détresse humaine.
• Qu'a dit le Pape ? Voici : "On ne peut pas surmonter ce problème du sida uniquement avec des slogans publicitaires. Si on n'y met pas l'âme, si les Africains ne s'entraident pas, on ne peut pas résoudre ce fléau par la distribution de préservatifs : au contraire, le risque est d'augmenter le problème." Il ajoute aussitôt cette précision : la solution se trouve dans une "humanisation de la sexualité" et dans "une véritable amitié pour les personnes qui souffrent."
Où donc se trouvent les propos scandaleux qui devraient, selon certains, conduire le pape à démissionner, enfermé qu'il serait dans un "autisme" dangereux pour l'humanité tout entière ?
On est d'autant moins enclin à souscrire à ces affirmations aussi péremptoires que l'on prend le temps de lire les rapports de certains experts qualifiés. Ainsi, par exemple, voici ce qu'a déclaré, le 18 mars, sur le National Reporter Online, le directeur du Projet de recherche sur la prévention du sida à l'université de Harvard aux Etats-Unis, Edward C. Green : "Le Pape a raison. Ou pour répondre plus précisément : les meilleures données dont nous disposons confirment les propos du Pape. Il existe une relation systématique, mise en évidence par nos meilleures enquêtes, y compris celles menées par l'organisme "Demographic Health Surveys" financé par les Etats-Unis, entre l'accès facilité aux préservatifs et leur usage plus fréquent et des taux d'infection par le virus du sida plus élevés, et non plus faibles. Cela pourrait être dû en partie au phénomène connu sous le nom de "compensation du risque", ce qui veut dire que lorsque l'on a recours à une "technologie" de réduction du risque comme le préservatif, l'on perd souvent le bénéfice lié à la réduction du risque par une "compensation" qui consiste à prendre davantage de risques qu'on ne le ferait en l'absence de technologie de réduction du risque."
Autrement dit, le recours au préservatif encourage à adopter des conduites à risques. C'est facile à comprendre. L'assurance d'être en totale sécurité par l'utilisation du préservatif entraîne immédiatement un relâchement dans la conduite ! L'exemple de la circulation routière est très parlant. Si un automobiliste sait qu'il passe à proximité d'un radar, il lève automatiquement le pied ; si, au contraire, il se sent à l'abri de tout contrôle, il ne gardera pas les yeux rivés sur son compteur ; insensiblement, il ira plus vite ! Le préservatif joue le rôle du feu vert qui rend la voie libre et donne le sentiment d'être totalement protégé. Cette assurance pousse à multiplier les expériences et crée des habitudes. Et l'on sait l'énorme difficulté qu'il y a à se libérer d'une habitude, comme il en va pour toute addiction.
Dans ce contexte, la préoccupation d'humaniser la sexualité avec ce qu'elle implique comme vigilance, maîtrise de soi, appel à l'effort, respect de l'autre disparaît du champ des préoccupations. Le souci est avant tout de proposer unilatéralement des moyens techniques avec leur mode d'emploi. On ne voit pas d'autre solution que de laisser l'homme vivre au rythme de ses instincts. Cela présuppose une vue très pessimiste sur l'être humain : il n'y a rien à faire pour changer l'homme ! Aucune espérance !!
L'Église, de son côté, cherche à le faire grandir, à l'élever au-dessus de sa nature animale. Ainsi, il semble bien que, dans les pays où le nombre des catholiques est important et où l'on appelle d'abord à l'abstinence et à la fidélité, le sida est en régression. C'est particulièrement vrai en Ouganda, au Gabon, en Guinée équatoriale, au Congo Kinshasa, en Angola, au Burundi... Autant que peuvent le dire les statistiques, après dix ans de prévention, les pays qui ont le mieux lutté contre l'épidémie sont majoritairement catholiques !
• Alors que le pape s'envolait sous une volée de bois vert administrée par l'Occident, il était accueilli avec un enthousiasme débordant par l'Afrique. Contraste étrange qui a laissé plus d'un européen perplexe. Peut-être même en a-t-il jeté beaucoup dans le malaise. Car comment expliquer ce phénomène ? Pourquoi l'Afrique ne se mettait-elle pas à l'unisson des pays nantis ? Il faut avoir le courage de garder ouvertes nos oreilles d'occidentaux pour entendre ce que certains Responsables africains ont pu dire au Pape. Par exemple, ce qu'a écrit au Pape M. Bruno Ben-Moubama, porte-parole des "Acteurs Libres la Société Civile Gabonaise en Europe", journaliste et doctorant à l'EHESS :
"Nous, les Acteurs Libres de la Société Civile Gabonaise en Europe, au nom des Peuples Africains, nous tenons à vous remercier pour ce que vous avez dit sur le SIDA [...] Nous, les Acteurs Libres de la Société Civile Gabonaise, au nom de l'Afrique, contestons la vision « copulative » à laquelle nous réduisent les décideurs africains et les médias, comme si nous étions condamnés à vivre dans le règne animal jusqu'à la fin des temps. [...] Pourquoi ceux qui s'intéressent tant à notre salut lorsqu'il s'agit de préservatifs ne se coalisent-t-ils pas pour nous délivrer plutôt de la dictature et du sous-développement ? [...] Nous sommes blessés par les agressions dont vous avez été victime, pour une fois que les projecteurs de la communauté internationale étaient, grâce à vous, braqués sur nous. [...] Très Saint Père, au nom de l'Afrique qui est dans les chaînes, nous vous demandons pardon pour les insultes qui vous ont été adressées."
Une fois de plus, il faut que nous nous gardions de penser à la place des Africains, et de leur dicter leur conduite. Nous devons recueillir et respecter ce qui leur est propre - en particulier leur sagesse séculaire - au lieu de vouloir les réduire à n'être qu'un reflet de nous-mêmes. N'auraient-ils rien à nous dire sur l'Église, sur le Pape et sur la façon de combattre le sida ?
• En définitive, En affirmant "sa" différence, au nom de l'Évangile, il devient brusquement quelqu'un qui existe pour le monde entier ! "Exister" ainsi inaugure toujours un chemin de croix.