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Que faire des embryons surnuméraires? La réponse de Mgr Suaudeau


Décryptage
Bioéthique
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19 mars 2009 | Pierre-Olivier Arduin

Des centaine de milliers d'embryons surnuméraires sont congelés dans le monde. Régulièrement, l'Église est sommée de se prononcer sur le sort à leur réserver, comme si elle était responsable d'une situation qu'elle a toujours condamnée. « Il n'y a pas de solution morale à une situation immorale » répond Mgr Suaudeau, qui compare le sort des embryons maintenus en survie artificielle à l'acharnement thérapeutique.

LA LOI BIOETHIQUE de 2004 a maintenu le principe de reconnaissance de la dignité de l'embryon tout en autorisant qu'il soit l'objet de recherches, à certaines conditions. Il a été explicitement prévu que cette dérogation coure sur une période de cinq ans à compter de la parution du décret du 6 février 2006 relatif à la recherche sur l'embryon. Le 5 février 2011, celle-ci sera donc de nouveau strictement prohibée.

De nombreux scientifiques, Axel Kahn et Marc Peschanski en tête, réclament depuis plusieurs mois la levée de toutes restrictions à cette recherche. Les rapports de l'Agence de biomédecine et de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) abondent en ce sens. Pourtant, au fil des auditions qui se succèdent à l'Assemblée nationale, cette position est en train de s'effriter, faisant la preuve de sa fragilité et de son incohérence au regard du droit et de l'éthique.

Il apparaît en effet de plus en plus certain que la suppression de ce régime dérogatoire aboutirait à une instrumentalisation irrémédiable de l'embryon contraire au principe de dignité humaine. Lors de la seconde rencontre organisée le 28 février dans le cadre des États généraux de la bioéthique par le diocèse de Fréjus-Toulon, le député Jean-Sébastien Vialatte a publiquement - et il faut le dire avec un certain courage - remis en cause les conclusions du rapport de l'Opecst qu'il a cosigné avec Alain Claeys. Se désolidarisant des recommandations prônant un régime d'autorisation pérenne [1], il a estimé que sur le plan symbolique il fallait garder le principe d'interdiction de recherche sur l'embryon, assumant ce revirement de position en raison de l'importance de l'article 16 du Code civil : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie. » Un avis qui semble avoir la faveur de Jean Leonetti, rapporteur de la mission de révision de la loi.

Le ministre de la Santé elle-même, Roselyne Bachelot, a fait part également de ses réticences à la levée du moratoire : « Je pense qu'il faut maintenir des barrières pour éviter toute dérive » (La Croix, 9 mars 2009). Où l'on voit que les responsables politiques font montre d'une vraie réflexion et sont conscients des exigences éthiques qui s'imposent à eux.

Le danger d'un régime dérogatoire

Cependant, le danger d'un régime dérogatoire est que le dispositif de dérogation lui-même s'étende jusqu'à vider de sa substance le principe d'interdiction de recherche sur l'embryon. Celui-ci ne serait plus qu'une coquille vide à l'instar de la loi sur l'IVG construite sur le même modèle : la multiplication des avortements pour simple convenance et le nombre faramineux d'IVG en France sont en passe de devenir un problème de santé publique qui inquiète les autorités.

Concernant la révision de la loi de bioéthique, le législateur ne peut donc se permettre de négliger une autre option : la protection sans conditions de l'embryon in vitro. Le professeur Arnold Munnich, conseiller personnel du chef de l'État en bioéthique, l'a lui-même envisagée devant l'Opecst : « Il est techniquement possible de revenir en arrière, sachant qu'il y a des précédents comme les OGM [2]. » Dans l'éventualité d'une interdiction de la recherche sur l'embryon, la mission d'évaluation de la loi de bioéthique ne pourra non plus éluder le problème de la création massive d'embryons surnuméraires issus de l'assistance médicale à la procréation. L'Allemagne ou l'Italie pour ne citer que ces deux pays ont interdit la constitution de stocks d'embryons congelés.

La France est d'ailleurs incapable de réguler ces flux d'embryons : 176 500 dans les congélateurs au 31 décembre 2006, avec une augmentation de 25 % par rapport à 2005 [3]. Le système n'est tout simplement plus contrôlé, et le moins que l'on puisse dire, c'est que ces chiffres auraient dû susciter nombre de commentaires et une réflexion approfondie.

Or, en admettant que le législateur revienne sur la cryoconservation embryonnaire, et même au cas où il déciderait d'interdire strictement toute recherche, comment ne pas revendiquer « un effet d'aubaine » sur ce stock d'embryons existants ? Voués à la destruction en l'absence de projet parental, pourquoi ne pas les utiliser « pour les progrès de la science » puisqu'ils vont de toute façon mourir ? Ce raisonnement a été l'objet d'un échange particulièrement intéressant entre Alain Claeys, Jean Leonetti et Chantal Lebastard, administratrice de l'Unaf, lors de l'audition du 11 mars 2009.

Pour nous éclairer sur cette problématique complexe, rappeler les enjeux sous-jacents à la question de la congélation embryonnaire et ne pas se laisser piéger par ce choix truqué, nous avons demandé l'avis compétent de Mgr Jacques Suaudeau, médecin, officiel de l'Académie pontificale pour la Vie et responsable de sa section scientifique.

P.-Ol. A.

Mgr Jacques Suaudeau : « Il n'y a pas de solution morale à une situation immorale »

Les embryons créés « en surplus » dans le cadre des fécondations in vitro, conservés par la suite par congélation, et qui arrivent au terme de la période maximale de conservation autorisée par la loi (cinq à sept ans selon les pays) sans que les « parents » de ces embryons aient manifesté un quelconque « projet parental » à leur égard, font habituellement l'objet d'un arrêt de cette cryoconservation, pour mettre fin à leur existence.

Certains émettent le souhait de voir utiliser les cellules de ces embryons promis à la mort, de la même façon que l'on prélève des organes vitaux sur un sujet en état de mort cérébrale. La recherche biomédicale en bénéficierait sans que cela contrevienne à l'éthique puisque l'on ne détruirait pas ces embryons pour en tirer les cellules utiles à la recherche, mais que l'on profiterait seulement de la mort programmée des dits embryons pour effectuer un tel prélèvement. On a par ailleurs dit que l'Église catholique ne devrait pas faire trop d'objections à une telle proposition, vu que, dans son récent document Dignitas personae, elle considèrerait déjà la décongélation des embryons comme la seule solution acceptable au problème posé par l'accumulation d'embryons congelés ne faisant pas objet d'un projet parental.

Cette dernière opinion appelle à quelque correction. La position de l'Église, exprimée dans Dignitas Personae au n.19, n'est pas, en effet, d'« autoriser » la destruction embryonnaire, en la couvrant d'une licéité qui contredirait l'illicéité mainte fois affirmée de toute destruction embryonnaire volontaire et programmée.

Dans ce paragraphe 19, le Magistère :

dénonce une fois de plus la pratique de la production d'embryons « en surplus », qui amène à les conserver par congélation, et fait entrer dans « une injustice irréparable » ;
s'élève contre la poursuite de cette pratique, en dépit des injonctions morales répétées du Magistère à cet égard ;
estime que la « solution » de l'adoption embryonnaire proposée par certains comme un remède à cette injustice n'est pas acceptable, en raison de la promesse des époux lors du mariage de ne devenir père et mère que de l'un par l'autre. De plus l'adoption ne ferait que donner une porte de sortie « morale » à une situation immorale volontairement provoquée. Enfin, l'adoption embryonnaire se place matériellement dans le cadre technique propre aux fécondations artificielles extracorporelles avec transfert d'embryon et se charge automatiquement de l'illicéité de ces techniques.

Le Magistère, dans ce paragraphe 19, ne donne pas de solution au problème, parce qu'il n'y a pas de solution morale à une situation immorale, créée volontairement par les acteurs de cette situation. Ce n'est que par déduction négative que l'on en arrive à accepter la destruction embryonnaire, comme « moindre mal » (une expression très dangereuse car on ne peut jamais faire un mal même pour un bon résultat).

Il n'y aurait que deux autres solutions, également inacceptables :
la conservation indéfinie de ces embryons. Elle n'est pas envisageable pour des motifs à la fois techniques et moraux. Ces embryons humains ainsi « conservés » sont en fait dans une situation absurde, de vie suspendue, sans aucun espoir de sortie, indigne d'une vie humaine ;
le transfert des embryons dans l'utérus maternel, si l'on arrive à retrouver les « parents » des embryons et à les persuader de se prêter à cette opération, que ces embryons se développent ou non in utero. Sans parler des risques tératogéniques inacceptables d'une telle opération (risques d'anomalies génétiques ou de malformations, liés à la conservation prolongée) cette implantation tardive ne ferait que reprendre le programme de FIVET interrompu par la congélation et serait de ce fait illicite.

S'il fallait traduire en clair ce paragraphe 19, cela donnerait, à l'égard des praticiens de la fécondation in vitro, et des parents qui se sont soumis à cette technique :


Vous avez pris sur vous de créer, de façon immorale, ces embryons surnuméraires, en prévoyant de les congeler pour une éventuelle reprise de la FIV. Vous êtes responsables de cette situation pour laquelle il n'existe aucune solution morale.
Il ne vous reste comme solution pratique que de détruire ces embryons, qui ne peuvent être conservés indéfiniment. L'Église ne saurait approuver cette destruction de vies humaines. Toutefois elle ne se déclare pas directement sur l'illicéité de cette destruction. On peut en effet soutenir que ces embryons surnuméraires, congelés, et abandonnés, sont maintenus artificiellement en survie, dans des conditions totalement anormales, non proportionnées, et que l'interruption des moyens assurant cette survie artificielle pourrait être comparée à l'interruption des moyens extraordinaire de soutien vital dans les cas de fin de vie.
Ces embryons, encore animés d'une vie humaine, doivent être respectés dans leur intégrité jusqu'à constatation de leur mort. La perspective utilitariste d'en extraire la masse cellulaire interne pour en tirer des cellules souches n'est pas acceptable. Elle reviendrait à utiliser des êtres humains comme moyen, au travers d'un acte qui les détruit directement.


+ J. S.



Et après la mort des embryons ?

Si l'on accepte de ne pas extraire la masse cellulaire interne de ces embryons avant leur mort, ne pourrait-on pas, tout de même, utiliser les cellules, encore en vie, de ces embryons, une fois leur mort constatée (fin de l'unité organismique) ?

Ceci a été proposé par divers auteurs (Landry DW, Zucker HA, J.clin.Invest., nov 2004). Le seul problème est que nous n'avons aucun moyen de diagnostiquer dans le concret la mort embryonnaire autre que le critère morphologique, trop tardif pour une récupération cellulaire valable. Si une telle opération avait quelque chance de succès (mort embryonnaire vérifiée, cellules de la masse interne encore en vie) elle pourrait être considérée comme licite sous des conditions analogues à celles prescrites pour l'utilisation de tissus foetaux prélevés sur des foetus avortés : absence de lien entre l'équipe qui décongèle les embryons et l'équipe qui récupère les cellules, locaux différents, absence de motivation commerciale. J. S.





[1] Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte, La Loi bioéthique de demain, Rapport de l'Opecst, tome 1, p. 193-195.
[2] La Loi bioéthique de demain, op. cit., tome 2, p. 94.
[3] Agence de biomédecine, Rapport annuel et bilan des activités 2007.

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