Décryptage
Bioéthique
Pourquoi l'Église dit non à l'assistance médicale à la procréation, y compris entre époux (I)
14 janvier 2009 | Pierre-Olivier Arduin*
L'instruction Dignitas personae confirme l'opposition de l'Église catholique à l'assistance médicale à la procréation (fécondation in vitro et insémination artificielle).
Si donner la vie à un enfant est pour les époux l'objet d'un désir légitime, la procréation humaine doit demeurer « un acte personnel du couple homme-femme qui n'admet aucune forme de délégation substitutive ». L'Église réaffirme ainsi le lien entre le don de la vie et la dignité de l'amour humain (I), mais aussi le respect dû à l'embryon (II).
DEUX AXES FONDAMENTAUX structurent le discernement moral proposé par l'Instruction Dignitas personae : 1/ la reconnaissance inconditionnelle « de la dignité de la personne à tout être humain depuis sa conception jusqu'à sa mort naturelle » (n. 1) ; 2/ la dignité inviolable « du mariage et de la famille qui constituent le contexte authentique où la vie humaine trouve son origine » (n. 6).
Or ce second critère, notamment lorsqu'on l'applique à l'assistance médicale à la procréation (AMP) homologue [1], c'est-à-dire au sein du couple demandeur, semble faire toujours débat si l'on en juge les commentaires de l'Instruction [2]. Va pour la condamnation des mères porteuses, de l'insémination avec sperme de donneur, du diagnostic préimplantatoire, du clonage, de la recherche sur l'embryon ou de la création de chimères, mais réaffirmer aujourd'hui l'illégitimité morale de la procréation artificielle lorsqu'elle a lieu entre les deux époux, ne peut rendre que singulièrement inaudible, voire contre-productif, le message du magistère, entend-on régulièrement. L'AMP n'est-elle pas au service de la vie ? S'obstiner à en condamner le principe, n'est-ce pas disqualifier irrémédiablement tout discours sur la bioéthique ? Les rédacteurs de Dignitas personae auraient-ils sur ce point rendu une mauvaise copie ?
Si l'on examine de plus près les tenants et les aboutissants de la fécondation artificielle homologue, force est pourtant de constater que la réflexion éthique et anthropologique conduite par l'Église depuis plus de vingt ans sonne juste.
Le déclassement de l'acte conjugal à un fait purement biologique
L'instruction rappelle qu'en matière d'infertilité, « les nouvelles technologies doivent respecter trois valeurs fondamentales : a/ le droit à la vie et à l'intégrité physique de tout être humain depuis la conception jusqu'à la mort naturelle ; b/ l'unité du mariage qui implique le respect mutuel du droit des conjoints à devenir père et mère seulement l'un à travers l'autre ; c/ les valeurs spécifiquement humaines de la sexualité qui exigent que la procréation d'une personne humaine doit être poursuivie comme le fruit de l'acte conjugal spécifique de l'amour des époux » (n. 12).
Concernant les deux derniers points, il est manifeste que l'AMP manipule l'acte conjugal de telle sorte qu'il n'exprime que sa dimension purement biologique excluant le langage des corps et l'union affective et spirituelle des époux. La procréation est amputée, non pas des mécanismes reproductifs, lesquels sont récupérés par la technique, mais de la communion interpersonnelle conjugale et de son expression corporelle. On substitue la technique au geste des corps, ce qui aboutit à une dégradation de la signification plénière de la procréation humaine. Ce que l'on savait pour ainsi dire anthropologiquement est aujourd'hui corroboré sur le plan psychologique. Une étude extrêmement pertinente, menée par l'Institut national d'études démographiques (Ined) [3], met en avant le vécu existentiel des couples soumis à la médicalisation à outrance de la procréation et confirme indirectement l'analyse éthique du magistère.
D'après les auteurs, l'équipe biomédicale semble en effet régir et exercer une emprise de plus en plus forte sur l'homme et la femme en s'immisçant dans leur intimité conjugale. Un des chapitres de l'ouvrage explore l'un des tabous de la médecine reproductive, autour du recueil de sperme en laboratoire. Après enquête, il apparaît que « la masturbation est devenue la pratique emblématique du dispositif médical de l'AMP [4] ».
« Les propos des hommes qui ont participé à nos entretiens rendent compte d'un sentiment d'intimité dépouillée et exposée [...]. L'instrumentalisation de l'usager permet à la biomédecine de désacraliser l'activité sexuelle et la masturbation, dans le but de l'accomplissement d'une procréation par voie non sexuelle. »
L'étude investigue d'ailleurs avec précision l'envers du décor, les magazines pornographiques dans la cabine du laboratoire prévue à cet effet, le devoir de se masturber sur commande « sous le regard de l'institution médicale » pendant que l'infirmière et les autres hommes attendent dans la salle d'attente... Les sociologues parlent d'une activité sexuelle transgressive, non conjugale et non reproductive. Les témoignages des femmes rejoignent l'expérience des hommes :
« Je ne supporte plus l'idée de faire un bébé avec du sperme. Car depuis longtemps je n'ai plus le sentiment de faire un bébé avec mon mari. L'homme dans la FIV est réduit à l'état de sperme. Il donne ses spermatozoïdes. Un point, c'est tout [...]. À tel point que j'ai l'impression étrange et désagréable de fabriquer un bébé avec le médecin plutôt qu'avec mon compagnon. La femme, le sperme du mari et le gynécologue : voilà la nouvelle Sainte Trinité [5]. »
Les femmes vivent très mal cette mainmise sur leur féminité évoquant une dépersonnalisation de leur corps manipulé comme un objet par les médecins et qui n'est plus considéré que sous l'angle d'une machine à produire des ovocytes. Les auteurs vont jusqu'à émettre cette explication pour rendre compte de la souffrance des couples pris dans l'engrenage de l'AMP : « La déshumanisation [...] pourrait correspondre à la disparition de l'acte amoureux. »
On voit donc que la norme éthique dégagée par le magistère n'est pas là pour s'imposer de manière extérieure à la vie des époux et à l'acte conjugal proprement dit : elle est plutôt la condition intérieure de son authenticité même et vise à sauvegarder la richesse et la spécificité de la sexualité et de la procréation humaines. Passer outre, c'est susciter des dégâts psychologiques qui sont aujourd'hui étudiés avec précision. Ce qui prouve a posteriori que le critère d'une procréation responsable n'est pas d'abord de naturelle confessionnelle mais s'appuie sur la recta ratio. C'est pourquoi Dignitas personae rappelle à la suite de Benoît XVI que la transmission de la vie est « inscrite dans la nature, et ses lois demeurent comme une norme non écrite à laquelle tous doivent se référer » (n. 6). La procédure est d'ailleurs si rebutante que plus de 40% des couples abandonnent après une ou deux tentatives infructueuses.
L'Ined montre à ce propos la césure formidable qui existe entre l'illusion de toute-puissance de la médecine, largement relayée par les médias, qui habite les couples en début de parcours et l'échec qui est la règle générale de l'AMP. Le taux d'insuccès flirtant avec les 80-85%. Paradoxalement, l'abandon du processus, souvent à la demande du mari, représente un soulagement pour le couple, singulièrement pour la femme « se sentant enfin rassurée sur sa féminité [6] ». L'éventualité de l'adoption peut être alors investie avec sérieux par les époux qui l'intègre progressivement comme un choix réfléchi.
Un rapport de domination entre les sujets producteurs et l'embryon produit
Ainsi, la logique de l'AMP, même « classique » au sein du couple, pervertit la signification anthropologique de la sexualité et de la procréation humaines.
Mais elle entame aussi irrémédiablement le respect de la dignité de l'être humain. La liste des atteintes dont l'enfant embryonnaire est la victime est à vrai dire impressionnante.
Avec l'AMP, qu'on le veuille ou non, on entre dans un rapport de domination entre le ou les sujets producteurs et l'objet produit. C'est toute la relation à l'enfant qui est changée : il n'est plus un don, mais un dû. De manière consciente ou non, les parents exigent que les techniciens satisfassent ce renversement et ce désir de « production » d'un enfant conforme aux désirs des uns et des autres. L'AMP entraîne dès lors un retentissement qui n'est pas mineur sur le respect dû à l'enfant.
Dignitas personae rappelle une donnée technique simple : « Compte tenu du rapport entre le nombre total d'embryons produits et ceux effectivement nés, le nombre d'embryons sacrifiés reste très élevé » (n. 14) ; l'instruction cite des chiffres au-dessus de 80%, même dans les meilleurs centres internationaux de fécondation artificielle. Une hécatombe tolérée par les équipes et les parents (mais savent-ils vraiment ce que l'on fait avec leurs gamètes ?) comme le prix à payer pour obtenir des résultats satisfaisants. Le rendement reproductif justifie « le traitement purement instrumental des embryons » (n. 15).
Par ailleurs, sans même parler du tri sélectif des embryons par diagnostic préimplantatoire, une technique qui n'a pu prospérer que dans le sillage de l'AMP, les embryons issus d'une fécondation artificielle de routine sont eux aussi classés en différents types de manière à ne garder que les plus « vigoureux ». C'est donc intrinsèquement que l'AMP s'est présentée dès l'origine comme une pratique eugéniste permettant de rejeter les embryons qui n'ont pas un « bel aspect » au microscope. Comment aurait-il pu en être autrement à partir de l'instant où les embryons conçus sont à la merci de la puissance biotechnique ?
C'est si vrai que les embryons jugés défectueux peuvent être à présent livrés aux scientifiques. En effet, le décret du 6 février 2006 reconnaît que lorsque un couple met en oeuvre une AMP pour bénéficier d'une FIV, il peut lui être proposé « de consentir dans le même temps par écrit à ce que les embryons, qui ne seraient pas susceptibles d'être transférés ou conservés, fassent l'objet d'une recherche ». Il peut donc être demandé à l'avance aux parents leur consentement à abandonner certains des embryons conçus jugés de faible qualité biologique. Quelle différence y a-t-il alors avec l'intention de créer des embryons in vitro à des fins de recherche strictement prohibée par le droit français ? Certains embryons sont a priori disqualifiés pour être donnés à la science avant même que les autres n'aient été implantés dans l'utérus maternel.
La semaine prochaine : « Le scandale de la congélation des embryons »
[1] Article L. 2141-2 du CSP : « Le couple bénéficiaire de l'AMP est formé d'un homme et d'une femme vivants et en âge de procréer. Il doit être marié ou être en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans. »
[2] Cf. par exemple La Vie, n. 3303, 17 décembre 2008. Cf. également l'entretien de Jacques Lansac, président du Collège national des gynécologues-obstétriciens français : tout en se présentant comme catholique, il critique sévèrement la position de l'Église en matière d'AMP (La Nouvelle République, 24 décembre 2008).
[3] Élise de la Rochebrochard (dir.), De la pilule au bébé-éprouvette, choix individuels ou stratégies médicales ?, Institut national d'études démographiques, Paris, 2008.
[4] Ibid., p. 238.
[5] Ibid., p. 38.
[6] Ibid., p. 257.