LA CROIX - juin 2009
Mgr Dominique You, évêque de Santissima Conceição do Araguaia (Brésil), en poste en Amazonie depuis 2002, déplore les nombreux abus sexuels dont sont victimes les jeunes dans cette région de migrations
Au Brésil, près d'un jeune sur trois est confronté dans sa vie à des abus sexuels (Photo Sprague/Ciric International).
Quelle est la situation de votre diocèse ?
Mgr Dominique You : Il couvre 52 000 km2, au sud de l'État du Parà, dans une région complètement déforestée. Pour desservir nos dix paroisses, nous disposons seulement de cinq prêtres diocésains et quinze religieux ; parmi ces vingt prêtres, dix sont étrangers. Jusqu'à présent, les terres étaient surtout livrées au bétail, mais des compagnies minières (américaines, australiennes, mais aussi japonaises et chinoises) commencent à s'installer pour extraire du fer, du nickel, du manganèse et de l'or.
Du fait de la crise, cette activité minière s'est arrêtée, mais elle reprendra très vite. Je cherche d'ailleurs à aider les jeunes de la région à se former pour se faire embaucher par ces compagnies étrangères. Car les conditions de vie ici sont très dures. J'ai proposé à deux congrégations enseignantes italiennes de venir à Conceição ouvrir un centre d'apprentissage professionnel pour garçons.
Comment comptez-vous le financer ?
Nous n'avons pas un sou ! Avec dix paroisses pauvres, le diocèse est dans l'incapacité de se financer... Je ne peux même pas payer la formation de mes dix séminaristes à Belém (à 1 500 km de Conceição) ! J'ai demandé à des diocèses riches du sud du Brésil d'en prendre trois en charge financièrement. La Conférence épiscopale du Brésil aide également les douze diocèses d'Amazonie. Je voudrais aussi créer un centre pour les équipes du mouvement « Évangélisation de la vie et de l'amour » (Eva).
Comme je l'avais fait à Bahia comme curé d'une paroisse populaire (1994-2002) puis comme évêque auxiliaire (2002-2006), j'ai lancé de semblables équipes Eva à Conceição. Dix jeunes parents volontaires sont formés par le diocèse pendant trois mois, puis visitent tout le diocèse pendant cinq mois ; ensuite, pendant cinq mois, ils se rendent dans des écoles publiques et auprès des jeunes des quartiers défavorisés. En 2008, ces équipes ont ainsi rencontré 30 000 jeunes ; en 2009, ils devraient en rencontrer 50 000.
Le but de ces équipes d'évangélisation est d'aider les adolescents à découvrir la beauté et la dignité de la sexualité et à mieux se défendre contre ceux qui tentent d'abuser d'eux. Car, outre le problème des sans-terre, l'une des graves « blessures » en Amazonie est l'exploitation sexuelle, notamment des adolescents, filles et garçons, qui sont abusés dans leur famille, mais aussi par des professeurs, des élus municipaux ou des policiers.
Comment expliquer cela ?
Depuis la réforme agraire de 1970 - quand l'Amazonie fut déclarée « terre sans hommes pour des hommes sans terre » -, des centaines de milliers de colons déracinés sont arrivés ici. Comme souvent dans des régions de migrations, la fragilité des structures familiales et sociales laisse les plus jeunes sans protection. Au Brésil, il y a une carence dans la transmission des valeurs humaines aux jeunes.
Nous avons réalisé deux montages audiovisuels. L'un, montré lors des premières visites des équipes Eva, porte sur la beauté de la vie avant la naissance. Le second, qui évoque explicitement une situation d'exploitation sexuelle, est utilisé pour faire réagir les adolescents : un jeune sur trois a été ou est toujours dans cette situation. On propose ensuite aux jeunes des entretiens individuels, menés par des séminaristes ou des laïcs formés à l'écoute.
On ne peut pas encore évaluer le résultat de ces missions scolaires, mais elles sont très demandées par les écoles publiques. Plus encore que la question de la terre, cette question de l'exploitation sexuelle provoque aujourd'hui le plus de tensions en Amazonie. Dénoncer l'exploitation sexuelle met en danger de mort.
Est-ce votre cas ?
Non, car mon action n'est pas encore connue... Mais trois évêques, sur les douze de l'État du Parà, sont menacés de mort pour cette raison. Outre Mgr Erwin Kraütler (Xingu), menacé aussi pour sa lutte pour les droits des minorités indigènes, Mgr Flavio Giovenale (Abaetetuba) sait que sa vie est en danger depuis qu'il a dénoncé le fait qu'une jeune fille mineure ait été emprisonnée avec des hommes adultes et odieusement abusée par eux. Quant à Mgr José-Luis Azcona (Marajo), il est menacé depuis qu'il a dénoncé l'exploitation sexuelle par les autorités locales.
Recueilli par Claire LESEGRETAIN