Mgr Vingt-Trois : «Gare à la surchauffe scientifique sur l'embryon ! »
Propos recueillis par Claire Legros et Jean Mercier
La Vie
Jeudi 16 février 2006
Eugénisme social, trafic de cellules, falsifications des recherches... L'archevêque de Paris s'inquiète des nouveaux décrets encadrant la recherche sur l'humain.
Cette fois on y est ! Le 7 février dernier, les décrets très attendus par les scientifiques, autorisant l'utilisation des embryons à des fins de recherche, ont été publiés au Journal Officiel. Dix-huit mois après le vote des lois de bioéthique, les équipes de chercheurs français ont donc désormais accès aux embryons conçus par fécondation in vitro et qui ne font plus l'objet d'un projet parental. Pour l'archevêque de Paris, cette nouvelle étape conduit à instrumentaliser la vie humaine.
La Vie : Les décrets encadrant la recherche sur l'embryon humain en France viennent de paraître. Les chercheurs français pourront désormais avoir accès aux embryons surnuméraires issus des fécondations in vitro. Comment réagissez-vous à cette nouvelle étape ?
André Vingt-Trois : Depuis 30 ans, la France est l'un des rares pays à stocker massivement des embryons en surnombre. Aujourd'hui, on ne sait pas ce que ces embryons vont devenir. Va-t-on continuer longtemps à fabriquer des embryons en surplus ? Dans beaucoup de domaines, on met en avant le principe de précaution, y compris lorsqu'il n'y a pas de danger réel. Il est vrai qu'un embryon n'est pas une personne accomplie, mais on ne peut nier qu'il est un être pleinement enraciné dans l'existence humaine. Par précaution, ne doit-on pas le traiter avec le respect dû à tout être humain ?
Il existe une forte attente de la part des malades pour ces recherches. Des chrétiens, de leur côté, s'interrogent : puisque ces embryons sont voués à la destruction, pourquoi ne pas leur prélever une cellule dans une démarche proche du don d'organes ?
Existe-t-il un seuil qui autorise à instrumentaliser l'humain, même pour des raisons généreuses ? On nous parle d'utilité thérapeutique, on nous promet la guérison des maladies de Parkinson ou d'Alzheimer grâce à ces cellules souches embryonnaires. Dans la réalité, les pronostics sont moins optimistes. Il s'agit plutôt d'un acte de foi aveugle que l'on n'oserait pas demander dans le domaine religieux ! Gare à la surenchère et à la propagande, alors même qu'on touche au cour de l'existence humaine.
L'épiscopat coréen a appelé les catholiques à donner de l'argent pour renforcer la recherche sur les cellules souches adultes. Une telle initiative pourrait-elle être proposée par les évêques de France ?
Nous ne sommes pas en Corée. Les évêques coréens ont pris cette décision au cour de la surchauffe médiatique qui accompagnait les travaux du chercheur Hwang Woo-Suk. Aujourd'hui, la supercherie est dévoilée. En France, des équipes de chercheurs sont engagées, et avec des résultats très prometteurs, sur les cellules souches adultes. Leurs travaux sont largement ignorés et ne font pas la une des journaux. Pourquoi ?
On voit aujourd'hui des familles se retourner contre leur médecin parce qu'il n'a pas décelé le handicap de leur enfant pendant la grossesse, ce qui les a empêché, disent-elles, d'avorter. La cour de cassation vient une nouvelle fois d'accorder une indemnisation à l'enfant lui-même. Comment réagissez-vous ?
En accédant à une telle demande, notre société recule vers une forme de barbarie. Il me paraît tout simplement monstrueux que des enfants puissent, comme on l'a vu récemment dans une autre affaire, se porter partie civile du fait de la naissance de leur frère handicapé, parce qu'ils auraient été privés en partie des soins de leurs parents. Derrière ces décisions, on trouve l'idée générale qu'il serait préférable d'éliminer avant la naissance tous ceux qui ne sont pas conformes au modèle. Cela peut sembler moins traumatisant qu'une élimination après la naissance, mais relève d'un même processus d'eugénisme social.
Ces familles justifient ces poursuites par des raisons financières. Elles se sentent abandonnées par la société et ne peuvent prendre en charge dignement leur enfant handicapé.
Les couples traumatisés par l'annonce d'un handicap ont besoin d'être entourés et soutenus. Il faut leur laisser le temps de parler avec des familles d'enfants handicapés, et avec d'autres qui ont eu recours à l'interruption médicale de grossesse, afin qu'ils récupèrent leur capacité de discernement et leur liberté de choix. Trop souvent, la décision d'avorter est prise dans un état de crise aiguë et de pression morale. L'idée se répand qu'il est plus généreux de ne pas mettre au monde un enfant porteur de handicap. Je suis inquiet de la dérive au nom de laquelle on pourrait aller jusqu'à reprocher à des couples d'avoir accueilli leur enfant. On va jusqu'à entendre : « Ils ont choisi de le garder, eh bien, qu'ils s'en occupent ! »
Que pensez-vous de la loi sur la fin de vie qui autorise le « laisser mourir » mais pas le « faire mourir » ?
Compte-tenu de la pression extérieure, la loi à laquelle on a abouti était probablement la solution la moins mauvaise qu'on pouvait espérer. Elle introduit de manière très claire la non obligation de l'acharnement thérapeutique. Pie XII le préconisait déjà dès 1950. Une vraie question demeure : quels moyens avons-nous de gérer, non pas la seule situation du malade, mais le travail de deuil des vivants ? C'est à dire : comment aide-t-on une famille à se préparer à la mort d'un proche ? Ultimement, arrive le moment où quelqu'un de l'équipe médicale doit avoir le courage de dire : maintenant on ne peut plus rien faire. Il faut alors avoir les moyens d'accompagner les gens dans ce passage. On est ramené aux problèmes des moyens et des choix budgétaires. Notre système de soins est dans une situation paradoxale : on dépense des fortunes pour des opérations très spectaculaires, des traitements très lourds, et on n'a pas les moyens de financer une présence humaine suffisante du personnel hospitalier autour des personnes qui sont malades.
La position de l'Eglise sur ces questions est-elle confessionnelle ?
Je suis convaincu que l'Eglise exprime la conscience profonde des gens. Cela fait partie de ma foi : la lumière de la Révélation est pour le bonheur des hommes. Quand le pape dit que l'amour est le centre du mystère de l'humanité, tout le monde comprend ce que cela veut dire ! Je crois que notre civilisation doit au christianisme de reconnaître et de manifester un respect absolu pour chaque être humain, quels que soient ses qualités, ses défauts. L'enjeu est ici la dignité de chaque personne humaine. S'attaquer aux éléments les plus faibles et les moins conformes d'une société, c'est s'attaquer à la valeur de chacun des membres de cette société, au-delà des victimes directes. Et c'est la qualité humaine de la vie qui perd.