ROME, Mardi 27 mars 2007 (ZENIT.org) - Mgr Michel Schooyans, proche ami de Jérôme Lejeune, évoque pour les lecteurs de Zenit celui qu'il considère comme « un grand Seigneur de l'esprit et du coeur », un « poète » et un « amoureux de la Vie ».
Mgr Michel Schooyans est professeur ordinaire émérite de Philosophie politique et d'Idéologies contemporaines à l'Université Catholique de Louvain. Il est Membre de l'Académie Pontificale pour la Vie, de l'Académie Pontificale pour les Sciences Sociales et de l'Académie Mexicaine de Bioéthique. Il est consulteur du Conseil Pontifical pour la Famille.
Q : Qui était pour vous Jérôme Lejeune ?
Mgr Schooyans - C'était d'abord une référence scientifique et morale indiscutable. Jérôme Lejeune était un grand seigneur de l'esprit et du coeur. Dans un monde où sévit la langue de bois, sa liberté de pensée impressionnait. La passion de la vérité à chercher et à communiquer était sa raison de vivre. Ses adversaires et ennemis devaient lui envier cette souveraine liberté, que leur interdisait une certaine discipline de l'arcane. Cependant, au fur et à mesure que l'on progressait dans la connaissance de Jérôme, on découvrait en lui un poète, capable de s'émerveiller et de faire partager son émerveillement. Chez lui, en un sens, le poète précédait le savant. C'était un amoureux de la Vie, qu'il a si bien servie et célébrée.
Q : Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Mgr Schooyans - Dès les années 70, les discussions sur l'avortement et sa légalisation se sont intensifiées. Dans ce contexte, les défenseurs de la vie, bien que peu nombreux et disposant de peu de moyens, ont commencé à mieux se connaître et à travailler ensemble. Il y avait des échanges d'articles, et surtout des congrès internationaux très animés. Il y eut, par exemple, deux grands congrès, l'un à Ostende, l'autre à Dublin ; un autre encore très important, à Paris, où Jérôme a été, comme à son habitude, éblouissant. Plus d'autres réunions dans divers pays et à Rome. A ces rencontres participaient des spécialistes de diverses disciplines ; ils constituèrent rapidement un réseau mondial pour la Vie. C'est dans ce contexte très stimulant que j'ai eu le privilège de rencontrer le Professeur Lejeune. Au fil du temps, nous nous sommes souvent revus et nous savions pouvoir compter l'un sur l'autre à tout moment.
Si je me souviens bien, notre dernier contact date du 2 mars 1994. Nous avons lu ensemble l'Évangile et je lui ai donné la Sainte Communion. Jérôme n'avait plus, à ce moment, qu'un filet de voix, mais il a ramassé toutes ses énergies pour me dire à la fois ses craintes mais aussi son inébranlable espérance. Un mois plus tard, du 6 au 10 avril, avait lieu à Irvine, Californie, la grande assemblée internationale de « Human Life International ». C'est en arrivant là, juste avant l'assemblée, que nous avons appris que Jérôme avait été rappelé à Dieu le jour de Pâques, le 3 avril. Le 8 avril, je proposais à l'assemblée plénière une motion acclamée et contresignée par de nombreuses personnalités présentes. Rédigée en anglais, cette pétition fut transmise aussitôt aux Autorités romaines. Après les attendus d'usage, il y était dit notamment : « Très Saint-Père, nous, participants de la XIIIème Conférence Mondiale de « Human Life International » sur « Love, Life & Family », demandons humblement à Votre Sainteté de commencer, au moment opportun, la cause de béatification du Dr Jérôme Lejeune ».
Q : Quels souvenirs avez-vous de lui ?
Mgr Schooyans - Je garde en mémoire un souvenir particulièrement émouvant parce qu'il implique deux personnalités pour lesquelles j'ai toujours eu respect et affection. Il y a près de vingt ans, Jérôme avait été invité par le Roi Baudouin au Palais Royal de Bruxelles. Le Professeur avait été invité à un colloque singulier qui devait porter, on s'en doute, sur le respect de la vie. Comme nous en étions convenus, aussitôt après cet entretien, Jérôme, rayonnant, m'a rejoint chez moi à Louvain-la-Neuve. Sa discrétion fut exemplaire, mais il n'était pas nécessaire que fût dévoilé le secret du Roi pour que l'on devine qu'entre Sa Majesté et le Savant, le courant était parfaitement passé.
Q : Pensez-vous qu'il peut être un exemple pour une nouvelle génération de serviteurs de la Vie ?
Mgr Schooyans - Les jeunes d'aujourd'hui, comme d'ailleurs les moins jeunes, ont besoin de figures de la trempe de Jérôme. Il est clair que dans un monde où trop de médecins servent la mort ou exploitent la souffrance des autres, le Professeur Lejeune apparaît, moralement et scientifiquement, comme une figure de proue appelée à susciter une nouvelle génération de chercheurs et de praticiens dans le vaste domaine des sciences biomédicales. Mais le rayonnement de Lejeune ne va pas s'arrêter là. Frère Jérôme va continuer à nous motiver tous pour que nous nous engagions davantage encore dans un éventail élargi d'actions concertées et convergentes pour la vie.
Q : Quels moyens concrets voyez-vous pour défendre la Vie ?
Mgr Schooyans - Ce qui est urgent, c'est d'améliorer la formation des jeunes. Sous couvert de « santé reproductive », des organisations internationales et des gouvernements nationaux sont en train de pervertir la jeunesse, dès l'enfance. Les parents devraient se liguer pour objecter en conscience à ces programmes de dépravation. De même il faut renverser la vision qui voit dans l'enfant un risque plutôt qu'un don, et dans la sexualité une exploitation de la physiologie au service de l'hédonisme individuel. Quant à l'Église, elle doit affronter les camelots de la mort. Elle doit rappeler que les chrétiens n'ont pas le monopole du respect de la vie, puisque ce respect est inscrit dans toutes les grandes traditions morales de l'humanité. Reconnaître la valeur de la vie humaine, c'est la condition préalable à l'entrée en morale chrétienne ; c'est le portique de cette morale.
Q : Quel rôle doit assumer le chrétien dans la vie publique ?
Mgr Schooyans - Contrairement à ce que l'on dit souvent, la religion n'est pas une affaire purement privée. La foi, dit l'Écriture, révèle son dynamisme dans la charité (Cf. Ga 5,6). Tout l'Évangile, toute la doctrine sociale de l'Église sont un appel à l'engagement chrétien dans le monde de ce temps. Les chrétiens ont toujours reconnu cette nécessité de contribuer à la bonne marche de la Cité, oeuvré au service de la justice et de la paix. Ils l'ont fait et continuent de le faire dans le secteur social et économique. Face aux attaques dont la vie est l'objet, existe aujourd'hui un devoir particulier et pressant d'engagement, non seulement dans le secteur biomédical, mais aussi dans le double secteur de la politique et du droit. Encore faut-il que les chrétiens ne donnent pas le spectacle scandaleux qu'offrent certains, disant : « Comme chrétien, je suis contre l'avortement ; mais comme politique, je suis pour sa légalisation. » En somme, deux pièges sont à éviter. Le premier, c'est la privatisation de la religion. Préconisée par le laïcisme, cette privatisation vise à neutraliser l'action des chrétiens dans la société et à les démobiliser. Le second, c'est la « récupération » : c'est le risque que courent des chrétiens qui flirtent avec des sociétés initiatiques. Le chrétien risque dans ce cas de devenir complice de la restriction mentale poussant l'initié à cacher une dimension essentielle de son identité : l'appartenance à telle société secrète. Au terme de ce processus ambigu de compagnonnage, il sera bien difficile au chrétien de refuser la main tendue et de critiquer publiquement, par exemple, tel projet moralement inadmissible...