Lobbying
vendredi 15 juin 2007 - France Catholique
par Tugdual Derville
Candidat à la présidence de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer propose de rendre plus transparent le lobbying parlementaire. Une activité sensible qui pourrait évoluer avec la nouvelle législature.
Les lignes ont bougé. La nouvelle législature commence avec une bonne dose de blues à gauche et, logiquement, beaucoup de "bleus" dans la vague bleue. Avec une question que ces députés fraîchement élus ne se sont peut-être jamais posée : une fois passé l'euphorie de la victoire, comment exister ?
Le président de la République veut gouverner. Certes, il a promis au Parlement, y compris à l'opposition, des pouvoirs réels. Mais il entend aussi décider vite au bénéfice de l'état de grâce. Les députés de l'UMP vont donc naturellement voter comme un seul homme les grandes réformes du projet présidentiel sur lequel ils ont été élus. Ensuite, pour ceux qui ne sont pas des ténors de l'hémicycle, il faudra choisir un thème, s'y spécialiser, et déployer ainsi leur capacité d'influence. Tout nouvel élu à l'Assemblée nationale se sent légitimement investi d'un mandat pour faire changer les choses. Se limiter à voter les textes préparés par le gouvernement serait frustrant. Certains, en raison de la spécificité de leur circonscription, de leur formation ou de convictions personnelles, embrassent une cause et s'y tiennent. D'autres la cherchent. Tous sont sollicités - certains diront harcelés - par de multiples groupes de pression.
Ce sujet du lobbying est revenu au premier plan à la faveur d'un rapport d'enquête rendu par deux députés UMP. Arlette Grosskost et Patrick Beaudoin étaient coprésidents du groupe de travail parlementaire "lobbying et démocratie" dont les conclusions font échos au livre Députés sous influence (Fayard, 2006) de Vincent Nouzille et Hélène Constanty. Alors que certains dénoncent une "dérive marchande de la politique", le député Bernard Accoyer qui brigue le poste convoité de président de l'Assemblée nationale, après avoir occupé celui de président du groupe UMP lors de la précédente législature, a annoncé son intention de rendre le lobbying plus transparent.
Le lobbying a beau avoir mauvaise presse en France, alors qu'il est considéré outre-Atlantique comme un auxiliaire utile à la démocratie, il n'en est pas moins actif, et, sous certaines conditions, utile. Celui, autrefois puissant, des fameux bouilleurs de cru a fait long feu. Aujourd'hui, les groupes d'influence se sont diversifiés et professionnalisés. Bien des thèmes désormais politiques ont d'ailleurs commencé par ce mode d'expression : l'écologie et son "antidote" que constitue le groupe CNPT sont deux exemples récents de l'irruption du lobbying en politique puisqu'ils sollicitent le suffrage universel. Restés aux portes des urnes, les groupes de pression sur les questions de société n'en sont pas moins politisés. C'est ainsi que l'on doit largement au Mouvement français pour le planning familial les lois qui, dans l'élan de mai 68, ont dynamité les repères familiaux. Nul n'ignore plus qu'elles ont été concoctées en secret dans les loges puis relayées par la fraternelle parlementaire. Sur des sujets connexes, c'est aujourd'hui le lobby homosexuel qui fait valoir ses "droits" tandis que l'Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité, promotrice de l'euthanasie, a déjà réussi à se faire habiliter officiellement par le gouvernement Villepin pour représenter les usagers de l'hôpital. Toutes ces nébuleuses associatives réussissent à agir simultanément sur des plans qu'on pourrait juger antagonistes : transgression, protestation, revendication et... partenariat officiel avec les pouvoirs publics.
L'Interassociative lesbienne, gaie, bi et trans, organisatrice de la Gay pride a obtenu que la plupart des partis politiques soient représentés au premier rang de sa marche annuelle sous une bannière qui synthétise la revendication du moment. Affirmant regrouper 50 associations, elle a approuvé le 7 juin "l'alignement de la fiscalité successorale du pacs sur celle du mariage" annoncée par le ministre du Budget, mais lui demande d'aller jusqu'à "l'égalité totale". Elle préfère l'évolution du Pacs au contrat réservé aux homosexuels promis par Nicolas Sarkozy qu'elle juge "communautariste et ghettoïsant".
Le Planning familial a quant à lui réussi le tour de force de s'imposer comme l'interlocuteur quasi-monopolistique des pouvoirs publics en matière de "droit des femmes" et de sexualité. Il est essentiellement financé par des subventions et c'est lui qui reçoit les femmes ou jeunes filles mineures que le système social ou éducatif oriente vers lui. Dans le même temps, il revendique l'organisation de filières clandestines pour avorter hors de France quand le délai légal est dépassé. Pour le moment, la droite n'a su trouver d'autres interlocuteurs, alors que le Planning familial ne lui fait pas de cadeau : il a encore appelé solennellement à "voter à gauche" aux élections législatives, taxant par avance le nouveau gouvernement de tramer "une politique libérale, sécuritaire et dangereuse pour les libertés individuelles".
Même son de cloche chez la chercheuse de l'INSERM Nathalie Bajos, qui fait figure d'expert en matière de statistiques de l'avortement et de la sexualité : elle a publié dans Libération du 26 mai une tribune au vitriol pour fustiger le ralliement de "Messieurs Hirsch et Kouchner" à Nicolas Sarkozy, "Un président qui censure la presse [et] adhère à une vision déterministe de la nature humaine." Dans sa colère, la chercheuse va jusqu'à évoquer sa "femme de ménage [qui] se lève tôt et (...) n'aura jamais rien à léguer" et ses propres enfants auxquels il lui "faudra expliquer ce soir (...) que le goût du pouvoir peut conduire certains à renier les engagements passés." L'idéologie de gauche ne s'embarrasse pas de la confusion entre le politique, l'administratif et l'associatif. Il faudra mesurer si la droite "décomplexée" qu'a annoncée Nicolas Sarkozy, tout en stigmatisant les dégâts causés par mai 68, saura se doter de partenaires plus en conformité avec ses convictions. Ces derniers sont généralement plus respectueux de la distinction des genres. Les Associations Familiales Catholiques ont publié les "neuf orientations prioritaires pour les familles", en les accompagnant d'une campagne d'affichage ambitieuse dans tout le pays. De son côté, l'Alliance pour les Droits de la Vie a envoyé un dossier de sensibilisation aux candidats aux élections législatives, de gauche comme de droite, leur demandant de se positionner sur chacune des quatre mesures-clés de son Programme pour la vie. Deux démarches parmi d'autres qui plaident pour l'ouverture de l'ère sarkozienne en direction de mouvements de terrain qui proposent une alternative à l'idéologie post-soixante-huitarde.
P.-S.
Assainir ? Pas si simple
Pervers le lobbying ? Mais alors, il faudrait abolir le syndicalisme. Cette forme d'organisation de l'influence catégorielle est pourtant considérée comme un outil indispensable de régulation des crises et de participation à la démocratie. Malgré ses problèmes de représentativité en France, et certaines dérives ou scandales, les pouvoirs publics font des syndicats des partenaires officiels appelés à gérer d'importants budgets mutualisés car ils savent qu'il est essentiel d'organiser le dialogue pour préserver la paix sociale. Il n'est pire colère que celle qui ne peut s'exprimer : en l'absence des syndicats, sans doute la véhémence des jeux de rôles que s'imposent leurs négociateurs, férus de dialectique, perdrait en intensité, mais ce serait au risque que, faute de parole, une violence physique désordonnée ne prenne la place de la virulence verbale. C'est avec la même légitimité qu'après les salariés et leurs patrons puis les agriculteurs, les entreprises - et désormais les causes d'intérêt général - ont organisé leur influence auprès des pouvoirs publics et du Parlement. Ils utilisent pour ce faire leurs administrateurs, des salariés dédiés et des cabinets indépendants qui fleurissent en France depuis le début des années 80. A ce jour quelques dizaines de grandes entreprises du CAC 40 ont officiellement une carte d'accès à l'Assemblée nationale. Mais l'activité des cabinets n'est ni transparente ni réglementée. C'est ce que proposent les deux députés à l'initiative de l'enquête intitulée "lobbying et démocratie". Dans la mouvance de leur travail, certains collaborateurs de parlementaires ont dénoncé des pratiques flirtant avec la corruption, comme celle d'inviter les politiques dans des séminaires paradisiaques ou de rémunérer des attachés parlementaires leur assurant un complément au (maigre) salaire que leur versent les députés... La principale revendication des auteurs de l'enquête est l'établissement d'une liste sur laquelle les lobbyistes seraient inscrits à condition d'adhérer à un code de déontologie. Séduisante sur le principe, dans une France férue de réglementation, la proposition n'est pas simple à mettre en oeuvre. Elle semble surtout refléter le conflit qui oppose divers "prestataires" autour de leurs parts du marché, certains espérant visiblement rendre leur clientèle captive. La rigidité, n'est-ce pas finalement la critique principale qu'on fait aujourd'hui au syndicalisme à la française, fossilisé dans des systèmes de représentativité périmés ? Peut-on d'ailleurs imaginer "fonctionnariser" le dispositif par essence informel d'information et d'interpellation des parlementaires, sans introduire, sous couvert de protection de la démocratie, de nouveaux privilèges ? Une codification excessive du lobbying risquerait à terme de se retourner contre l'objectif d'assainissement affiché.