■
■ ROME, Lundi 19 janvier 2009 (ZENIT.org) - Soixante ans après la signature de la Déclaration universelle des droits de l'homme (10 décembre 2008), la plus grave menace contre le document et les principes qui y sont proclamés vient de l'organisation même qui est à l'origine du texte : l'ONU.
C'est en substance ce qu'affirme Mgr Michel Schooyans, spécialiste de philosophie politique et de démographie dans un entretien à ZENIT.
■ Zenit - Un nouveau type de totalitarisme?
Mgr M. Schooyans - Oui, parce que désormais la souveraineté des nations n'est plus qu'une simple façade. Kelsen l'explique très bien: le droit international, qui dicte sa loi aux nations, doit être lui-même validé, approuvé, par le sommet de la pyramide, par l'instance suprême. Prenons un exemple: au moment même où nous parlons, il y a un débat au siège des Nations unies sur l'introduction ou non de l'avortement en tant que « nouveau droit de l'homme ». Ce serait une nouvelle version de la Déclaration de 1948. Une modification catastrophique, car elle introduirait subrepticement un principe purement positif dans une déclaration qui est anthropologique et morale. Là se placerait également le droit à l'euthanasie. Il ne resterait plus à chaque nation qu'à ratifier ces « nouveaux droits humains » émanant de l'instance suprême. Ce qui signifie que, comme la référence aux droits naturels de l'homme aura été désactivée, cette nouvelle Déclaration se transformerait en un document juridique purement positif, qui serait appliqué par toutes les nations adhérant au nouveau texte de la Déclaration ou à tout autre document similaire.
C'est déjà quasiment fait, et tout simplement effrayant. Et cela va plus loin. La Cour pénale internationale, qui a été instituée il y a quelques années, va avoir comme domaine de compétence de juger les nations ou organismes qui refuseraient de reconnaître ces « nouveaux droits » inventés ou à inventer. L'Eglise catholique est l'une des cibles possibles de cette Cour internationale. Il s'en est déjà trouvé il y a quelques années pour dire que le pape Jean-Paul II pourrait être sommé de comparaître devant le Tribunal international pour s'être opposé à un « nouveau droit », ou un « droit » de la femme à l'avortement. Une même menace plane sur Benoît XVI. Et c'est pareil dans le domaine de l'éducation avec l'idéologie du genre (gender). En vertu d'un « nouveau droit de l'homme », les personnes pourraient choisir leur genre, pourraient changer de genre. Le genre doit alors être enseigné dans les écoles. C'est l'endoctrinement idéologique à grande échelle, au point que celui qui ne souscrirait pas à cette idéologie serait pénalisé par une Cour internationale.
Zenit - Il y a donc un débat sur une modification du texte de la Déclaration ?
Mgr M. Schooyans - La Déclaration de 1948 énonce des principes fondamentaux. Il s'agit de vérités premières, fondatrices. Nous reconnaissons ce fait, que tous les êtres humains naissent avec le droit à la vie, à la liberté, à la propriété, à se marier, à s'associer, à s'exprimer librement, et que tout cela ne découle pas de la volonté arbitraire des hommes. Avant même d'entrer dans une société politique, organisée, l'homme possède déjà des droits humains fondamentaux. Et les droits précèdent la loi. Mais l'homme a besoin que la société s'organise pour que ces droits soient appliqués, respectés et que les infractions soient éventuellement sanctionnées. Tout cela est actuellement entrain d'être remis en question. Des campagnes de signatures circulent. Il y a des pétitions en faveur de l'avortement, d'autres contre. Mais ceux qui crient le plus fort sont les partisans de l'introduction d'une modification de la Déclaration de 1948 qui dénaturerait la Déclaration, comme d'ailleurs l'ONU elle-même.
Zenit - Est-ce le fruit uniquement de la manipulation du pouvoir ou également d'un « obscurcissement des consciences », pour reprendre une expression de Benoît XVI ?
Mgr M. Schooyans - Benoît XVI a des raisons on ne peut plus solides pour insister sur le rôle et la noblesse de la raison. Tout ce dont nous venons de débattre sont des problèmes d'anthropologie et de morale naturelle. Remarquez que la défense de l'être humain ne constitue pas un privilège de l'Eglise; elle fait partie du patrimoine des grandes traditions morales de l'humanité. La nécessité de défendre l'homme, de reconnaître sa dignité, est quelque chose d'accessible à tout le monde moyennant un bon usage de la raison. Malheureusement, nous assistons à une sorte de perversion de la raison même. On se sert de la raison pour la prendre à ses propres pièges. L'homme est capable d'être manipulé; il est capable d'être dominé. En portugais, il y a une très jolie expression pour le dire, utilisée semble-t-il dans le candomblé : on peut « fazer a cabeça de alguém », embobiner quelqu'un, lui laver le cerveau. C'est exactement cela. La raison d'un individu ou d'un peuple peut être déconnectée. C'est alors que vous pouvez lui bourrer le crâne avec des idées complètement loufoques et folles. C'est le cas de l'avortement et de l'euthanasie.
En Belgique, l'avortement était criminalisé par la loi de 1867. Ceux qui ont demandé d'adopter cette loi n'étaient pas les catholiques, mais bien les libéraux qui, à l'époque, étaient de tendance plutôt maçonnique, encore aujourd'hui d'ailleurs. Ce sont eux qui ont fait cette loi. Les catholiques ont approuvé, mais l'initiative est venue des libéraux, alors majoritaires. Cela signifie que la raison fonctionnait. Leur raison avait découvert qu'il était évident que l'être humain devait être protégé avant sa naissance. C'est une question de raison. Les temps ont changé. On peut altérer la capacité de raisonnement. Nous assistons aujourd'hui à diverses manoeuvres qui vont dans ce sens. En témoignent les cas de l'avortement, de l'euthanasie, du genre. Il y a le problème de l'homosexualité: il y a encore 30 ans, qui aurait pensé à promouvoir un « nouveau droit » à l'homosexualité? La raison humaine est capable de génie, mais c'est aussi une faculté délicate, vulnérable, fragile, une faculté qui peut être démobilisée, hibernée. La pire forme d'esclavage est l'esclavage mental, l'esclavage de la raison, qui comporte un « bonus » (en prime): le naufrage de la foi, car il n'y a pas d'acte de foi qui ne soit fondé sur la raison. Alors si vous entrez dans cette confusion mentale de déclarer que l'avortement est un droit, l'euthanasie est un droit, vous entrez dans un processus qui finit par corrompre non seulement votre raison, mais aussi votre foi.
Propos recueillis en portugais par Alexandre Ribeiro