Décryptage
International
6 décembre 2008 | Elizabeth Montfort*
Le 11 décembre prochain, l'ONU célèbrera le soixantième anniversaire de la Déclaration de 1948 qui a scellé l'organisation de nos démocraties. À cette occasion, le Vatican s'est opposé à la proposition française de dépénalisation universelle de l'homosexualité, une proposition qui illustre l'ambiguïté de la référence moderne aux droits de l'homme.
Pour saisir la portée de l'anniversaire de la Déclaration de 1948, il faut préciser le contexte de son adoption. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Déclaration voulait refonder les droits de l'homme, après les épreuves cruelles des deux dictatures de Hitler et de Staline. Mais c'est surtout le rejet du nazisme qui l'a inspirée (les communistes appartenaient au camp du vainqueur). Il s'agissait de fixer aux États un ensemble d'objectifs pour éviter tout retour au totalitarisme et assurer l'avènement de la démocratie sur toute la planète.
Sortir les droits de l'homme de la compétence des États était le plus sûr moyen de les imposer aux États pour éviter toute tentative d'asservissement de l'homme par un État peu scrupuleux.
À cette occasion, la France présentera un message hautement symbolique puisqu'elle préside l'Union européenne jusqu'au 31 décembre. Rama Yade, dans son discours à l'Unesco le 3 septembre dernier, avait déjà annoncé les objectifs et les priorités de la présidence française, des priorités en décalage avec le caractère universel des droits de l'homme.
Objectifs : universalité et cohérence
En retirant aux États la définition des droits de l'homme, la Déclaration situe ces droits au-delà des cultures, des circonstances et des organisations politiques. La Déclaration est la conséquence d'une longue tradition classique de l'expression des droits de l'homme. Tout être humain participe à la même humanité. C'est la nature unique de l'homme, ce caractère mystérieusement irréductible de la personne humaine, qui fonde sa dignité. Cette dignité, unique dans la Création, est fondatrice des droits de l'homme.
Jusqu'à la Déclaration de 1948, cette conception réaliste est unanimement reconnue : l'homme ne s'invente pas, il existe, il est sujet de droit, antérieurement aux institutions politiques ou juridiques. Cette Déclaration est reconnue comme patrimoine commun de toute l'humanité. Ces droits sont liés à la nature de l'homme, ils ont une portée universelle.
Le premier droit de l'homme, le droit à la vie fonde tous les autres :
« Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne » (article 3).
Au nom de la France, Mme Rama Yade a rappelé à l'Unesco le caractère universel et indivisible des droits de l'homme : tous les hommes et toutes les femmes de toute la planète doivent avoir les mêmes droits :
« C'est cela l'universalité : par définition, ne pas accepter le relativisme » (3 septembre 2008).
Réduction à l'individu
Cependant, à peine proclamée, la Déclaration de 1948 sera remise en cause par trois facteurs : l'exaltation de l'individu, le relativisme et le volontarisme.
Dans la nouvelle conception des droits de l'homme, l'homme n'est plus considéré comme une personne, ouverte à autrui et à la transcendance, capable de relations avec son semblable, il est réduit à son individualité. Il est un être particulier qui se choisit ses vérités, ses intérêts et ses plaisirs. Les droits de l'homme sont devenus ainsi un catalogue de revendications ponctuelles : droit à l'avortement droit à l'enfant, droit à être parent, droits sexuels et reproductifs, droit à la santé, droit à la santé....
Ils sont l'expression de la volonté souveraine de l'individu qui devient sa propre mesure : « Ce que je choisis est bien puisque je l'ai choisi. » Si bien que des groupes de pression n'hésitent pas à exiger des modifications de la Déclaration de 1948, en particulier sur l'avortement et sur le mariage.
Ces revendications ne sont pas nouvelles. Déjà au Sommet mondial sur le développement au Caire en 1994 et sur la femme à Pékin en 1995, les mêmes groupes de pressions avaient présenté les mêmes exigences (citons principalement l'IPPF-International Planned Parenthood Federation et Marie Stopes International).
Il n'est donc pas étonnant qu'au moment où l'ONU prépare le 60e anniversaire de la Déclaration de 1948, ces lobbies reviennent en force.
Et il n'est pas surprenant que le secrétaire d'État aux droits de l'homme de la République française, tout en affirmant l'universalité des droits de l'homme, se contredise en présentant ses deux priorités : les femmes pour la violence qu'elles subissent, les homosexuels pour la discrimination dont ils font l'objet.
Priorités : les femmes et les homosexuels
Les actes de violences faites aux femmes sont contraires à la dignité de la femme, comme tout acte de violence à l'égard d'un être humain. Cette violence ne peut se limiter au domaine conjugal.
La France qui préside l'Union européenne a manqué l'occasion de faire de la lutte contre la traite des femmes une grande cause européenne et mondiale. Il est urgent de mettre en oeuvre la Convention de Varsovie sur la lutte contre la traite des êtres humains, signée en mai 2005 au Conseil de l'Europe.
On sait que parmi ces esclaves modernes, les femmes sont les plus nombreuses : chaque année, en Europe, 300 000 femmes sont vendues comme esclaves pour la prostitution, l'industrie du sexe ou le travail clandestin. Privées de leurs papiers d'identité, elles ne sont plus rien.
Il est encore temps de reprendre les voeux du président Nicolas Sarkozy le 6 juin 2007 :
« Je veux que partout dans le monde, les opprimés, les femmes martyrisées...sachent qu'il y a un pays dans le monde qui sera généreux pour tous les persécutés, c'est la France. »
Si Mme Rama Yade veut faire de la lutte contre la violence faite aux femmes sa priorité, elle ne doit en oublier aucune. En outre l'Union européenne n'a pas besoin de texte supplémentaire. Elle doit mettre en oeuvre les directives qui existent et les conventions du Conseil de l'Europe adoptées par les États membres. C'est ce que doit rappeler la France le 10 décembre à l'ONU.
La deuxième priorité de la France c'est la lutte contre l'homophobie.
Rama Yade a parfaitement raison de s'opposer à toute discrimination contre les personnes homosexuelles. C'est d'ailleurs l'esprit de la Déclaration de 1948 : la dignité de toute personne doit être respectée et assurée en toutes circonstances. Ce qui est vrai pour les personnes homosexuelles l'est tout autant pour tous les citoyens.
Il n'est pas besoin de leur reconnaître des droits particuliers pour lutter contre ces discriminations, sans remettre en cause l'universalité de la Déclaration de 1948. De plus, le choix de vie, comme l'orientation sexuelle, appartient à la vie privée de chacun.
C'est d'ailleurs le sens de l'avis du CCNE, lors de la création de la Halde en décembre 2005 :
« L'universalité des droits de l'homme transcende les différences entre les êtres humains, sans les nier. Les droits de l'homme sont fondés sur la dignité inhérente à toute personne humaine [1]. »
La segmentation des droits de l'homme, en fonction des groupes, est un déni du caractère universel et indivisible des droits de l'homme tels qu'exprimés dans la Déclaration de 1948.
C'est la raison le père Lombardi, porte-parole du Saint-Siège, a confirmé les déclarations de son observateur permanent à l'Onu, Mgr Migliore, pour rappeler que « le refus d'un grand nombre de pays de mettre sur un même plan toute orientation sexuelle n'est pas contraire au respect des droits de l'homme ».
« Le catéchisme de l'Église catholique dit, et cela ne date pas d'aujourd'hui, qu'il faut éviter toute marque d'injustice envers les personnes homosexuelles », a prévenu Mgr Migliore, observateur permanent du Saint-Siège près de l'Onu. « Mais cette déclaration [...] créera de nouvelles discriminations », assure l'homme d'Église, arguant que "les États qui ne reconnaissent pas l'union entre deux personnes de même sexe comme un mariage, seront mis au pilori et feront l'objet de pressions » [2].
À l'occasion de ce 60e anniversaire de la Déclaration, Mme Rama Yade doit donc réaffirmer sans ambiguïté l'attachement de la France à l'esprit et à l'universalité des droits de l'homme exprimés dans la Déclaration de 1948. Cette Déclaration représente le socle du patrimoine commun de toute l'humanité qu'aucune nation ne peut remettre en cause. Modifier un des articles reviendrait à refuser la cohérence de la Déclaration qui reconnaît la dignité de tout être humain comme le fondement de ses droits.
C'est ce caractère d'universalité et de respect de la dignité de tout être humain que l'ONU doit rappeler le 10 décembre prochain à New York.
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[1] Avis du le Comité national des droits de l'homme lors du vote de la proposition de loi créant la Haute-Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), créée en France en décembre 2005.
[2] Mgr Migliore s'est dit par ailleurs « indigné et attristé » par le projet d'élever l'avortement au rang des droits de l'homme, comme certaines associations le demandent. L'initiative « représente l'introduction du principe homo homini lupus , l'homme est un loup pour l'homme et pour ses semblables », estime le prélat, dénonçant « une barbarie moderne, qui, de l'intérieur, mène à démanteler nos sociétés