6 février 2009
En novembre dernier, Liberté politique.com a relayé la nouvelle du veto opposé par le président uruguayen, Tabaré Vazquez, à une légalisation de l'avortement (Le Fil, 21 novembre). Grâce à l'un de nos correspondants, voici la traduction du texte original du veto présidentiel. Ce travail a été réalisé avec le concours d'un hispanisant et d'un juriste - pour assurer la fidélité au vocabulaire juridique spécifique employé dans le texte.
Présidence de la République orientale d'Uruguay
Ministère de la Santé Publique
Montevideo, le 14 novembre 2008
Monsieur le Président de l'Assemblée Générale,
Le Pouvoir Exécutif s'adresse à ce Corps en vertu des facultés que lui confère l'article 137 et suivants de la Constitution de la République, en vue de faire des observations sur les chapitres II, III et IV, articles 7 à 20 du Projet de Loi établissant des normes relatives à la santé sexuelle et reproductive qui a été sanctionné par le Pouvoir Législatif.
Les observations portent sur les dispositions citées dans leur ensemble, pour des motifs de constitutionalité et de convenance dont les fondements sont exposés ci-dessous.
Il s'est établi un consensus sur le fait que l'avortement est un mal social qu'il convient d'éviter. Pourtant, dans les pays où l'avortement a été libéralisé, il a augmenté en nombre. Aux Etats-Unis les avortements ont triplé durant les dix premières années, et le nombre se maintient : la coutume s'est installée. Il en a été de même en Espagne.
La législation ne peut méconnaître la réalité de l'existence de la vie humaine lors de la gestation, manifestée par la science de façon évidente. La biologie a beaucoup évolué. Des découvertes révolutionnaires, telles que la fécondation in vitro et l'ADN, avec le séquençage du génome humain, mettent en évidence qu'une nouvelle vie humaine, un nouvel être, apparaît dès le moment de la conception. Tant et si bien que dans les systèmes juridiques modernes, y compris le nôtre, l'ADN est devenue « la reine des preuves » qui détermine l'identité des personnes, indépendamment de leur âge, et même dans des cas de corruption, c'est-à-dire quand il ne reste pratiquement rien de l'être humain, après un long laps de temps.
Le véritable degré de civilisation d'une nation se mesure à la manière dont elle protège les plus faibles. C'est pourquoi l'on doit protéger davantage ceux qui sont les plus fragiles. Car le critère ultime n'est pas la valeur du sujet en fonction des sentiments qu'il suscite chez les autres, ni de l'utilité qu'on lui reconnaît, mais la valeur inhérente à son existence même.
Cette loi contredit l'ordre constitutionnel (articles 7, 8, 36, 40, 41, 42, 44, 72 et 332) et les engagements pris par notre pays par des traités internationaux, entre autres le Pacte de Saint José de Costa Rica approuvé par la loi n° 15737 du 8 mars 1985 et de la Convention sur les droits de l'enfant approuvée par la loi n° 16137 du 28 septembre 1990.
En effet, des dispositions comme l'article 42 de notre Charte obligent expressément à protéger la maternité, et le Pacte de Saint José de Costa Rica - transformé en outre en loi interne de façon à réaffirmer son adhésion à la protection et au maintien des droits humains - contient des dispositions explicites, telles que son article 2 et son article 4, qui obligent notre pays à protéger la vie de l'être humain dès sa conception. En outre ils lui accordent le statut de personne.
S'il est vrai qu'il peut être dérogé à une loi par une autre loi, il n'en est pas de même pour les traités internationaux, auxquels on ne saurait déroger par une loi postérieure. Si l'Uruguay veut suivre une ligne juridique politique différente de celle qu'établit la Convention américaine des droits humains, il doit dénoncer la dite Convention (art. 78 de la Convention).
D'autre part, en réglementant de façon déficiente l'objection de conscience, le projet approuvé engendre une source de discrimination injuste envers les médecins qui considèrent que leur conscience leur interdit de procéder à des avortements ; il empêche également ceux qui changent leur opinion et décident de ne plus pratiquer d'avortement d'exercer leur liberté de conscience.
Notre Constitution ne reconnaît d'inégalités devant la loi que fondées sur les talents et les vertus des personnes. Ici, en outre, la liberté de pensée dans un domaine profond et intime n'est pas respectée.
Ce texte contredit également la liberté d'entreprise et d'association, lorsqu'il impose à des institutions médicales aux statuts approuvés conformément à notre législation, et qui fonctionnent parfois depuis plus de cent ans, de procéder à des avortements, en contradiction expresse avec leurs principes fondateurs.
Par ailleurs, le projet qualifie à tort, de façon forcée et contraire au sens commun, l'avortement d'acte médical, méconnaissant par là des déclarations internationales comme celles d'Helsinki et de Tokyo, assumées dans le cadre du MERCOSUR, qui sont l'objet d'une internalisation expresse dans notre pays depuis 1996, et qui obéissent par ailleurs aux principes de la médecine hippocratique définissant le médecin comme celui qui agit en faveur de la vie et de l'intégrité physique.
Conformément au caractère de notre peuple, il serait plus adéquat de rechercher une solution fondée sur la solidarité, susceptible de protéger la femme et son enfant, en lui offrant la possibilité d'opter pour d'autres solutions, permettant ainsi de sauver l'un et l'autre.
Il convient de s'attaquer aux véritables causes de l'avortement dans notre pays, qui proviennent de notre situation socio-économique. Un grand nombre de femmes, en particulier dans les milieux les plus défavorisés, assument seules la charge du foyer. C'est pourquoi il convient d'entourer la femme en détresse de la protection solidaire indispensable, au lieu de faciliter l'avortement.
Le Pouvoir Exécutif exprime à ce Corps sa profonde considération.
Dr Tabaré Vazquez
Président de la République