Gamètes à gogo
paru dans France Catholique
lundi 24 novembre 2008
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Les spermatozoïdes sont sur la sellette. Déplorant un trop faible nombre de donneurs de sperme, l'Agence de biomédecine vient de relancer sa campagne de publicité afin d'inciter les Français à ce qu'elle croit devoir présenter comme un acte généreux, censé remplacer la précieuse semence d'hommes souffrant de stérilité. Numéro vert, site Internet et brochures d'information appâtent les candidats-donneurs, en les rassurant : on prend bien soin de leur préciser que, non, ils n'auront aucun lien avec les enfants qui pourraient naitre de leur don. Mais un coup de théâtre est survenu le 19 novembre par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Dans son rapport adopté à l'unanimité, les députés Jean-Sébastien Vialatte (UMP) et Alain Claeys (PS) considèrent comme une « revendication légitime » d'accéder à ses origines biologiques et se disent favorables à changer la loi sur ce point. On pourrait ainsi, à la majorité de l'enfant, lui donner accès aux informations qui concernent son origine.
En France, où le don est anonyme, un homme est devenu le véritable poil-à-gratter des procréateurs. Auteur du témoignage Né de spermatozoïde inconnu (Presses de la Renaissance, mars 2008) Arthur Kermalvezen a jeté un pavé dans la marre en affirmant avoir été injustement privé d'un droit inaliénable, celui de connaitre son origine biologique. Et voilà les scientifiques pris à contrepied, eux qui pensaient devoir être honoré comme bienfaiteurs de l'humanité. Arthur leur reproche de maintenir un secret sur ses origines. Douloureux lorsqu'il s'interroge sur ses antécédents généalogiques ou qu'il se demande si telle ou telle jeune femme croisée dans la rue n'est pas sa demi-soeur. C'est pourtant avec des arguments moralisateurs qu'on continue d'inciter à cette pratique contestable. Les gamètes ou les ovaires ayant pour unique mission de procréer, ne devraient-ils pas demeurer incessibles, au nom des droits des enfants qu'ils serviraient à concevoir ?
Lorsqu'on a « inventé » le don de gamètes pour palier certaines stérilités, on s'est naturellement mis du côté des couples demandeurs, sans trop s'interroger sur ce qu'on infligeait aux enfants ainsi conçus. Certains n'ont découvert que tardivement le mode de conception qui faisait que leur père n'était pas leur « géniteur ». Traumatisante révélation qui les fait aujourd'hui se retourner contre le système. Les enfants de l'espoir sont devenus des adultes pensants, aptes à demander des comptes à la société. La Parlement pourrait donc revenir sur une règle qui les infantilise. Certes, la France avait choisi l'anonymat pour éviter les dérives mercantilistes, observées dans les pays anglo-saxons où le choix des gamètes, voire des embryons, s'établit sur des critères libéraux flirtant avec l'eugénisme. Et il est vrai que, là où le don est nominatif, les donneurs craignent les retours de bâton : aux États-Unis, des adolescents ou jeunes adultes se réunissent pour rechercher ensemble leur géniteur. Il faut donc rémunérer ces derniers pour les convaincre. On assiste aussi à d'étranges chassés-croisés : de plus en plus de jeunes Australiens financent leurs virées en Grande-Bretagne en vendant leur sperme. En Australie ce sont des Ukrainiens qui ont répondu à un appel d'offre visant, par Internet, les Canadiens... Quant aux Françaises, c'est en Espagne que certaines négocieraient leurs ovocytes.
Le rapport de l'OPCEST préconise un autre coup d'arrêt à une dérive éthique avec le maintien de l'interdiction de la gestation pour autrui (ou mères porteuses). En revanche, il suggère l'élargissement de la recherche sur l'embryon et même l'accès des célibataires aux techniques de procréation artificielle. Difficile de déceler la logique de postures contradictoires qui ne privilégient pas systématiquement l'intérêt de l'embryon humain. Il semble cependant que l'arrivée à l'âge adulte des enfants de la procréation artificielle ait changé la donne. Hasard de calendrier, au moment de ce chassé-croisé autour du sperme, la presse titrait sur une angoisse planétaire nouvelle dont la pollution serait responsable : depuis un demi-siècle, la production de spermatozoïdes chez l'homme aurait diminué de moitié.
Tugdual DERVILLE