Les Evêques et le début de la vie - Tugdual Derville
dans frace Catholique
samedi 23 février 2008
L'arrêt de la Cour de cassation du 6 février 2008 et la session des évêques sur le début de la vie, en prévision de la révision des lois sur bioéthique, ont fait ressurgir le fantôme de la loi de 1975 sur l'avortement. Bras de fer tactique ou confusion ?
C'est à huis clos que s'est tenue (du 18 au 20 février à Cesson-Sévigné, près de Rennes), une session pour une soixantaine d'évêques français, venus se former sur « le début de la vie humaine, aspects scientifique, éthique, juridique pour un discernement pastoral ». Mais sa conférence de presse fut largement médiatisée. Il faut dire que, hasard de calendrier, la session est tombée quelques jours après le revirement historique de la Cour de cassation rendant possible un statut civil pour tout foetus mort-né (cf. F.C. n°3107). Les circonstances ont voulu que les évêques entendent, comme scientifique, le professeur Axel Kahn, celui-là même qui venait de protester vigoureusement contre le nouvel arrêt, estimant qu'on était entré dans un processus menaçant la loi de 1975.
Rien de scandaleux, au demeurant, dans le fait de dialoguer avec des experts reconnus, même si certains ont pu s'étonner de la distribution des rôles annoncés pour cette session. Que soixante évêques distraient trois jours de leur temps pour étudier la vie commençante constitue la preuve qu'ils prennent le sujet au sérieux. La « nouvelle culture de vie sera capable de susciter un débat culturel sérieux et courageux avec tous », annonçait Jean-Paul II dans l'Évangile de la vie, avant d'inciter l'Eglise à « commencer par renouveler la culture de la vie à l'intérieur des communautés chrétiennes elles-mêmes ».
La session de Rennes vient en écho à cette double exhortation. Et, en effet, des propositions inédites, ou plutôt rarement médiatisées à ce niveau, ont été exprimées par les responsables catholiques. « Il nous faut à la fois venir au secours du foetus et de la mère, membres de la même famille » soulignait Mgr Pierre d'Ornellas, archevêque de Rennes et président du groupe de travail sur la bioéthique à la Conférence des Évêques de France. Interviewé par Ouest France, son président, le cardinal André Vingt-Trois réaffirmait de son côté « le respect absolu de la vie humaine, en raison de sa dignité intrinsèque ». Et l'archevêque de Paris de soulever la question du statut du foetus et de l'embryon, déplorant leur chosification par « transformation rampante », « depuis une cinquantaine d'années ». Il reprécisait en cette occasion la conviction de l'Eglise : « On doit agir comme si l'embryon était une personne ». À l'appui de cette posture intangible, il ajoutait quelques arguments de circonstances : l'appel à un « principe de précaution » et la demande d'orienter les recherches sur les cellules souches adultes alors que les cellules d'origine embryonnaires n'ont produit, « pour l'instant aucun progrès notables ».
Là où le débat s'est singulièrement compliqué, comme il fallait s'y attendre, c'est sur la loi de 1975, dite loi Veil. Elle a focalisé l'attention à cause du nouvel arrêt, bien qu'il ne la concerne pas et qu'elle-même ne soit pas concernée directement pas les lois bioéthiques.
Fin renard, Axel Kahn - comme s'il avait eu des confidences - se permettait d'interpréter à son profit la position des évêques : « Cette question n'est pas au centre du discours de l'Église, contrairement aux évangélistes américains qui en ont fait leur cheval de bataille » a-t-il déclaré au Figaro, ajoutant : « Même si les décisions de la cour de Cassation pourraient donner aux autorités catholiques les arguments pour reprendre leur combat contre la loi Veil, je ne pense pas que ce soit leur volonté. » Si l'on devait l'en croire, les adversaires de cette loi se trouveraient vite rangés dans le camp des « intégristes », justement ceux où il avait tenté de les enfermer, la semaine précédente, dans un entretien accordé à l'Humanité.
Conduit à s'exprimer sur ce sujet, Mgr d'Ornellas se bornait à répondre : « Cette loi ne se prononce pas sur le statut de l'embryon, elle se prononce sur la situation des femmes en détresse ». L'idée, reprise par Mgr Vingt-Trois est de plaider pour un statut du foetus et de l'embryon en affirmant qu'il ne nécessiterait pas de réviser la loi dépénalisant l'avortement. Toutefois, la législation actuelle n'est plus celle de 1975 dont le critère de détresse, subjectif, n'a d'ailleurs jamais été explicité ni vérifié, sans compter qu'il ne saurait légitimer, aux yeux de l'Église, l'avortement.
La situation est doublement paradoxale : d'abord l'Église tente de prendre les adversaires du respect de la vie à leur propre logique, celle de leur sacro-sainte loi de 1975 (même si, depuis, le législateur a malheureusement consacré un vrai droit à l'avortement) ; ensuite c'est au moment où les évêques se mobilisent fortement pour que soit respecté le début de la vie qu'on en vient à faire croire qu'ils baisseraient les bras sur la loi de 1975. Cette dernière a fait basculer la France dans une culture qui produit ses conséquences les plus néfastes aujourd'hui : 40 % des Françaises en âge de procréer avortent désormais au moins une fois dans leur vie féconde, et de plus en plus de mineures. Derrière ces statistiques brutales, ce sont autant d'injustices et de drames humains avec leur lot de larmes, de ruptures et d'enfermement dans la culpabilité. Il ne s'agit donc pas d'un débat d'idées mais de vies en jeu.
Pour les évêques, plaider en faveur d'un statut anténatal est une façon pragmatique de promouvoir un renforcement du respect de la vie, comme première étape. L'ultime objectif reste la disparition de l'avortement de notre droit, mais surtout la chute de sa pratique. Ce but nécessite un tel retournement culturel que l'attendre ou le demander pour « tout de suite » relèverait assurément du voeu pieux, et risquerait par ailleurs d'empêcher une reconquête progressive du respect de la vie. Une telle progressivité est d'ailleurs conforme à l'enseignement de l'Évangile de la vie qui consacre à cette hypothèse son article 73.
Le drame de l'avortement mérite d'être pris à bras-le-corps par l'Église, comme un enjeu humanitaire et spirituel crucial. C'est ce qu'a fait l'archevêque de Rennes, osant évoquer l'adoption comme alternative à l'avortement. Alors que 25 000 couples sont en attente d'adoption, et que seulement 1 000 enfants nés en France sont adoptables chaque année, on annonçait au même moment que les adoptions internationales avaient baissé de 20%.