paru dans Décryptage
Société
"Baby life": mon bébé quand je veux, comme je veux
21 novembre 2008 | Ambroise Raymond
Depuis quelques semaines, les Parisiens découvrent dans le métro une affiche étrange. On y voit deux charmants bambins, un blanc et un noir, nus et de dos. En observant plus attentivement, on peut observer deux petites cornes de diable sur la tête du bébé blanc, deux ailes d'ange sur le dos du bébé noir.
Répartition hasardeuse des rôles ? Dieu seul le sait, ainsi que certains chargés de communication.
Il s'agit d'une publicité pour la dernière trouvaille de Nintendo DS : le jeu de simulation Baby life, sortie prévue pour le 28 novembre prochain. L'affiche indique bien que le jeu est interdit aux moins de trois ans. Autrement dit, il est ouvert à tous. Aux petits comme aux grands. Aux parents comme aux enfants. C'est sûr, chacun devrait se sentir concerné par l'éducation virtuelle de ces petits. Ange ou démon, noir ou blanc, qu'importe !
Les futurs « parents » commencent par « créer » leur progéniture. À l'heure du virtuel, tout devient possible. À bientôt peut-être des bébés en vente sur Amazon.fr, avec la mention : « Pour terminer votre commande, cliquez sur ajouter au panier ».
Trois millions de modèles
Revenons à nos poupons. Pour rendre leur enfant unique, les parents pourront choisir parmi trois millions de caractéristiques différentes. Les possibilités ne manquent pas. Le préférez vous roux aux yeux violets ? Opterez-vous plutôt pour le blondinet aux yeux azur, ou pour un modèle plus exotique ?
Laissons la parole aux créateurs du jeu :
« Après neuf mois, les joueurs pourront élever leur tout-petit, qui passera par trois stades de développement jusqu'à l'âge de 18 mois. L'apparence et le caractère du bébé changeront, il apprendra à marcher et à parler, il communiquera avec les autres enfants et surtout, il apportera à tous beaucoup de bonheur. Les bambins se comportent comme dans la vie réelle : ils se déplacent de façon très réaliste, jouent, sourient ou pleurent, réclament à manger, veulent être baignés, etc. »
Que du bonheur
Quel réalisme en effet ! Et surtout, « il apportera à tous beaucoup de bonheur » ! Péguy ne se demandait-il pas dans le Porche du mystère de la deuxième vertu : « Qu'est-ce que l'on ferait, qu'est ce que l'on serait, mon Dieu, sans les enfants. Qu'est-ce que l'on deviendrait. » Le poète avait bien raison, mais c'était le poète de l'incarnation...
Sérieusement, quelle était l'idée des concepteurs du jeu ? Consoler ceux qui n'ont pas la chance d'avoir une progéniture ? Amuser la galerie ? Insuffler un sentiment de toute puissance? Ancrer dans la réalité en enseignant l'éducation ? On se perd en conjectures...
Cinq ans après, l'ombre de Second Life plane encore sur les jeux vidéos. La « simulation sociétale virtuelle », qui permet de vivre une « seconde vie » sous la forme « d'un avatar dans un univers persistant géré par les joueurs » a rencontré un franc succès. Des millions de joueurs l'utilisent, dotés de ce sentiment d'être, de cette jouissance d'exister. L'idée est la même pour Baby Life. Être tel que je voudrais être, avoir le sentiment d'exister, oser enfin, avec cette nuance que je projette mon désir sur un autre.
Despotes
Ces jeux déconnectent du monde réel, et entretiennent le joueur dans le fantasme d'une fausse identité. Soit, c'est la règle... du jeu. Mais avec Baby Life, le risque couru est plus grand : en exacerbant l'illusion co-créatrice du virtuel et les mirages d'une éducation artificielle, ne transforme-ton pas le désir d'enfant en désir d'instrumentalisation de l'enfant véritable ?
L'enfant de Baby Life, comme malheureusement beaucoup d'enfants d'aujourd'hui, n'est plus reconnu en tant qu'« être », « être unique », mais comme enfant « voulu ainsi », c'est-à-dire conforme à l'image que les parents s'en font. Ceux qui réclament « un enfant comme je veux, quand je veux », renoncent à la gratuité du don de la vie dont ils peuvent être l'instrument. Ont-ils conscience du pouvoir despotique qu'ils se donnent ?
Beaucoup de jeunes aujourd'hui souffrent du regard que leurs parents portent sur eux. Baby life s'inscrit dans la logique de l'enfant « projet ». Chacun de nous est « fils de, ou fille de », mais n'appartient, fût-ce comme projet, à personne, sinon à Dieu. Lui, respecte parfaitement notre liberté.