Message pour le Carême 2006
«Voyant les foules, Jésus eut pitié d'elles» (Mt 9, 36)
Chers frères et s½urs !
Le Carême est le temps privilégié du pèlerinage intérieur vers Celui qui est la source de la miséricorde. C'est un pèlerinage au cours duquel Lui-même nous accompagne à travers le désert de notre pauvreté, nous soutenant sur le chemin vers la joie profonde de Pâques. Même dans les «ravins de la mort» dont parle le Psalmiste (Ps 22 [23], 4), tandis que le tentateur nous pousse à désespérer ou à mettre une espérance illusoire dans l'½uvre de nos mains, Dieu nous garde et nous soutient. Oui, Aujourd'hui encore le Seigneur écoute le cri des multitudes affamées de joie, de paix, d'amour. Comme à chaque époque, elles se sentent abandonnées. Cependant, même dans la désolation de la misère, de la solitude, de la violence et de la faim, qui frappent sans distinction personnes âgées, adultes et enfants, Dieu ne permet pas que l'obscurité de l'horreur l'emporte. Comme l'a en effet écrit mon bien-aimé Prédécesseur Jean-Paul II, il y a une «limite divine imposée au mal», c'est la Miséricorde (Mémoire et identité, 4, Paris, 2005, pp. 35 ss.). C'est dans cette perspective que j'ai voulu placer au début de ce Message l'annotation évangélique selon laquelle, «voyant les foules, Jésus eut pitié d'elles» (Mt 9, 36). Dans cet esprit, Je voudrais m'arrêter pour réfléchir sur une question très débattue parmi nos contemporains : la question du développement. Aujourd'hui encore le «regard» de compassion du Christ ne cesse de se poser sur les hommes et sur les peuples. Il les regarde sachant que le «projet» divin prévoit l'appel au salut. Jésus connaît les embûches qui s'opposent à ce projet et il est pris de compassion pour les foules : il décide de les défendre des loups, même au prix de sa vie. Par ce regard, Jésus embrasse les personnes et les multitudes, et il les remet toutes au Père, s'offrant lui-même en sacrifice d'expiation.
Éclairée par cette vérité pascale, l'Église sait que, pour promouvoir un développement plénier, il est nécessaire que notre «regard» sur l'homme soit à la mesure de celui du Christ. En effet, il n'est en aucune manière possible de dissocier la réponse aux besoins matériels et sociaux des hommes de la réponse aux désirs profonds de leur c½ur. Il convient d'autant plus de souligner cela à notre époque de grandes transformations, où nous percevons de manière toujours plus vive et plus urgente notre responsabilité envers les pauvres du monde. Mon vénéré Prédécesseur, le Pape Paul VI, identifiait déjà avec précision les dommages du sous-développement comme étant un amoindrissement d'humanité. Dans cet esprit, il dénonçait dans l'Encyclique Populorum progressio «les carences matérielles de ceux qui sont privés du minimum vital, et les carences morales de ceux qui sont mutilés par l'égoïsme, [...] les structures oppressives, qu'elles proviennent des abus de la possession ou des abus du pouvoir, de l'exploitation des travailleurs ou de l'injustice des transactions» (n. 21). Comme antidote à de tels maux, Paul VI suggérait non seulement «la considération accrue de la dignité d'autrui, l'orientation vers l'esprit de pauvreté, la coopération au bien commun, la volonté de paix», mais aussi, «la reconnaissance par l'homme des valeurs suprêmes et de Dieu, qui en est la source et le terme» (ibid.). Dans cette ligne le Pape n'hésitait pas à proposer «la foi, don de Dieu accueilli par la bonne volonté de l'homme, et l'unité dans la charité du Christ» (ibid.). Donc, le «regard» du Christ sur la foule nous incite à affirmer le véritable contenu de «l'humanisme intégral» qui, toujours selon Paul VI, consiste dans le «développement intégral de tout l'homme et de tous les hommes» (ibid., n. 42). C'est pourquoi La première contribution que l'Église offre au développement de l'homme et des peuples ne se concrétise pas en moyens matériels ou en solutions techniques, mais dans l'annonce de la vérité du Christ qui éduque les consciences et enseigne l'authentique dignité de la personne et du travail, en promouvant la formation d'une culture qui réponde vraiment à toutes les interrogations de l'homme.
Face aux terribles défis de la pauvreté d'une si grande part de l'humanité, l'indifférence et le repli sur son propre égoïsme se situent dans une opposition intolérable avec le «regard» du Christ. Avec la prière, le jeûne et l'aumône, que l'Église propose de manière spéciale dans le temps du Carême, sont des occasions propices pour se conformer à ce «regard» du Christ. Les exemples des saints et les multiples expériences missionnaires qui caractérisent l'histoire de l'Église constituent des indications précieuses sur le meilleur moyen de soutenir le développement. Aujourd'hui encore, au temps de l'interdépendance globale, on peut constater qu'aucun projet économique, social ou politique ne remplace le don de soi à autrui, dans lequel s'exprime la charité. Celui qui agit selon cette logique évangélique vit la foi comme amitié avec le Dieu incarné et, comme Lui, se charge des besoins matériels et spirituels du prochain. Il le regarde comme un mystère incommensurable, digne d'une attention et d'un soin infinis. Il sait que celui qui ne donne pas Dieu donne trop peu, comme le disait la bienheureuse Teresa de Calcutta : «La première pauvreté des peuples est de ne pas connaître le Christ». Pour cela il faut faire découvrir Dieu dans le visage miséricordieux du Christ : hors de cette perspective, une civilisation ne se construit pas sur des bases solides.
Grâce à des hommes et à des femmes obéissant à l'Esprit Saint, sont nées dans l'Église de nombreuses ½uvres de charité, destinées à promouvoir le développement : hôpitaux, universités, écoles de formation professionnelle, micro-réalisations. Ce sont des initiatives qui, bien avant celles de la société civile, ont montré que des personnes poussées par le message évangélique avaient une préoccupation sincère pour l'homme. Ces ½uvres indiquent une voie pour guider encore aujourd'hui l'humanité vers une mondialisation dont le centre soit le bien véritable de l'homme et conduise ainsi à la paix authentique. Avec la même compassion que Jésus avait pour les foules, l'Église ressent aujourd'hui encore comme son devoir de demander à ceux qui détiennent des responsabilités politiques et qui ont entre leurs mains les leviers du pouvoir économique et financier de promouvoir un développement fondé sur le respect de la dignité de tout homme. Une importante authentification de cet effort consistera dans la liberté religieuse effective, entendue non pas simplement comme possibilité d'annoncer et de célébrer le Christ, mais aussi comme contribution à l'édification d'un monde animé par la charité. Dans cet effort, s'inscrit également la considération effective du rôle central que les valeurs religieuses authentiques jouent dans la vie de l'homme, en tant que réponse à ses interrogations les plus profondes et motivation éthique par rapport à ses responsabilités personnelles et sociales. Tels sont les critères sur la base desquels les chrétiens devront aussi apprendre à évaluer avec sagesse les programmes de ceux qui les gouvernent.
Nous ne pouvons pas ignorer que des erreurs ont été commises au cours de l'histoire par nombre de ceux qui se disaient disciples de Jésus. Souvent, face aux graves problèmes qui se posaient, ils ont pensé qu'il valait mieux d'abord améliorer la terre et ensuite penser au ciel. La tentation a été de croire que devant les urgences pressantes on devait en premier lieu pourvoir au changement des structures extérieures. Cela eut comme conséquence pour certains la transformation du christianisme en un moralisme, la substitution du croire par le faire. C'est pourquoi, mon Prédécesseur de vénérée mémoire, Jean-Paul II, observait avec raison : «Aujourd'hui, la tentation existe de réduire le christianisme à une sagesse purement humaine, en quelque sorte une science pour bien vivre. En un monde fortement sécularisé, est apparue une 'sécularisation progressive du salut', ce pourquoi on se bat pour l'homme, certes, mais pour un homme mutilé, ramené à sa seule dimension horizontale. Nous savons au contraire que Jésus est venu apporter le salut intégral» (Encyclique Redemptoris missio, n. 11).
C'est justement à ce salut intégral que le Carême veut nous conduire en vue de la victoire du Christ sur tout mal qui opprime l'homme. En nous tournant vers le divin Maître, en nous convertissant à Lui, en faisant l'expérience de sa miséricorde grâce au sacrement de la Réconciliation, nous découvrirons un «regard» qui nous scrute dans les profondeurs et qui peut animer de nouveau les foules et chacun d'entre nous. Ce «regard» redonne confiance à ceux qui ne se renferment pas dans le scepticisme, en leur ouvrant la perspective de l'éternité bienheureuse. En fait, déjà dans l'histoire, même lorsque la haine semble dominer, le Seigneur ne manque jamais de manifester le témoignage lumineux de son amour. À Marie, «fontaine vive d'espérance» (Dante Alighieri, Le Paradis, XXXIII, 12), je confie notre chemin du Carême, pour qu'Elle nous conduise à son Fils. Je Lui confie spécialement les multitudes qui, aujourd'hui encore, éprouvées par la pauvreté, invoquent aide, soutien, compréhension. Dans ces sentiments, de grand c½ur, j'accorde à tous une particulière Bénédiction apostolique.
Du Vatican, le 29 septembre 2005.
26 février 2006 – Angelus
L'Évangile de Marc, qui constitue le fil conducteur des célébrations du dimanche de cette année liturgique, offre un itinéraire catéchuménal qui conduit le disciple à reconnaître en Jésus le Fils de Dieu. Par une heureuse coïncidence, le passage d'aujourd'hui aborde le thème du jeûne. Comme vous le savez, mercredi prochain commencera le temps du Carême, avec le rite des Cendres et le jeûne pénitentiel. La page évangélique apparaît donc particulièrement appropriée. On y raconte en effet que, tandis que Jésus était à table dans la maison de Lévi, le publicain, les pharisiens et les fidèles de Jean-Baptiste lui demandent pourquoi ses disciples ne jeûnent pas comme eux. Jésus répond que les invités à la noce ne peuvent pas jeûner pendant que l'époux est avec eux, ils jeûneront lorsque l'époux leur sera enlevé (Mc 2, 18-20). En disant cela, Jésus révèle son identité de Messie, Époux d'Israël, venu pour les noces avec son peuple. Ceux qui le reconnaissent et l'accueillent avec foi sont en fête. Mais lui devra être rejeté et mis à mort précisément par les siens. C'est à ce moment-là, lors de sa passion et de sa mort, que viendra l'heure du deuil et du jeûne.
Comme je le disais, l'épisode évangélique anticipe la signification du Carême. En effet, celui-ci, dans son ensemble, commémore la passion du Seigneur, en préparation à la Pâque de la Résurrection. Au cours de cette période, on s'abstient de chanter l'alleluia et l'on est invité à pratiquer des formes opportunes de renoncement pénitentiel. Le temps du Carême ne doit pas être affronté avec un esprit "vieux", comme s'il s'agissait d'une obligation pesante et ennuyeuse, mais avec l'esprit nouveau de celui qui a trouvé en Jésus et dans son mystère pascal le sens de la vie, et qui sent que désormais tout doit se référer à Lui. Telle était l'attitude de l'Apôtre Paul, qui affirmait avoir tout quitté pour pouvoir connaître le Christ, "la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, lui devenir conforme dans sa mort, afin de parvenir si possible à ressusciter d'entre les morts" (Ph 3, 10-11).
Que la Très Sainte Vierge Marie, qui, lorsque Jésus se dirigea de façon résolue vers Jérusalem pour y subir la Passion, le suivit avec une foi totale, soit notre guide et notre éducatrice dans notre itinéraire de Carême. Comme des "outres neuves", recevez le "vin nouveau" (Mc 2, 22). Et ainsi, cette grâce, qu'elle-même, avec un instinct de Mère, avait sollicitée pour les époux de Cana, elle la reçut en premier sous la Croix, provenant du C½ur transpercé de son Fils, incarnation de l'amour de Dieu pour l'humanité (cf. Deus caritas est, nn. 13-15).
1er mars 2006 – Homélie Messe des Cendres
La procession pénitentielle, par laquelle nous avons commencé la célébration d'aujourd'hui, nous a aidés à entrer dans le climat typique du Carême, qui est un pèlerinage personnel et communautaire de conversion et de renouvellement spirituel. Selon la très antique tradition romaine des stationes quadragésimales, au cours de ce temps, les fidèles, avec les pèlerins, se réunissent chaque jour et s'arrêtent - statio - devant l'une des nombreuses "mémoires" des Martyrs, qui constituent les fondements de l'Eglise de Rome. Dans les Basiliques, où sont exposées leurs reliques, est célébrée la Messe, précédée par une procession, au cours de laquelle on chante les litanies des Saints. On fait ainsi mémoire de tous ceux qui, à travers leur sang, ont rendu témoignage au Christ, et leur évocation devient un encouragement pour chaque chrétien à renouveler son adhésion à l'Evangile. En dépit des siècles écoulés, ces rites conservent leur valeur, car ils rappellent combien il est important, notamment à notre époque, d'accueillir sans compromis les paroles de Jésus: "Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix chaque jour, et qu'il me suive" (Lc 9, 23).
Un autre rite symbolique, geste caractéristique et exclusif du premier jour du Carême, est l'imposition des Cendres. Quelle est sa signification la plus profonde? Il ne s'agit certes pas d'un simple rituel, mais de quelque chose de très profond, qui touche notre coeur. Celui-ci nous fait comprendre l'actualité de l'avertissement du prophète Joël, qui a retenti au cours de la première lecture, un avertissement qui conserve sa valeur salutaire également pour nous: aux gestes extérieurs doit toujours correspondre la sincérité de l'âme et la cohérence des oeuvres. A quoi sert en effet - se demande l'auteur inspiré - de déchirer ses vêtements, si le coeur demeure éloigné du Seigneur, c'est-à-dire du bien et de la justice? Voilà ce qui compte véritablement: retourner à Dieu, avec une âme sincèrement repentie, pour obtenir sa miséricorde (cf. Jl 2, 12-18). Un coeur nouveau et un esprit nouveau: c'est ce que nous demandons à travers le Psaume pénitentiel par excellence, le Miserere, dont nous chantons aujourd'hui le refrain: "Aie pitié de nous Seigneur, car nous avons péché". Le vrai croyant, conscient d'être pécheur, aspire de tout son être - esprit, âme et corps - au pardon divin, comme à une nouvelle création, en mesure de lui redonner joie et espérance (cf. Ps 50, 3.5.12.14).
Un autre aspect de la spiritualité quadragésimale est celui que nous pourrions définir de "compétition", et qui ressort de la prière de la "collecte" d'aujourd'hui, où il est question d'"armes" de la pénitence et de "lutte" contre l'esprit du mal. Chaque jour, mais en particulier au cours du Carême, le chrétien doit affronter une lutte comme celle que le Christ a soutenue dans le désert de Judée, où, pendant quarante jours, il fut tenté par le diable, puis au Gethsémani, lorsqu'il repoussa la tentation extrême en acceptant jusqu'au bout la volonté du Père. Il s'agit d'une lutte spirituelle, qui est dirigée contre le péché, et, en ultime analyse, contre satan. C'est une lutte qui engage la personne tout entière, et qui exige une vigilance attentive et constante. Saint Augustin observe que celui qui veut marcher dans l'amour de Dieu et dans sa miséricorde ne peut se contenter de se libérer des péchés graves et mortels, mais "accomplit la vérité en reconnaissant également les péchés que l'on considère moins graves... et vient à la lumière en accomplissant des oeuvres dignes. Même les péchés moins graves, s'ils sont négligés, prolifèrent et conduisent à la mort" (In Io. evang. 12, 13, 35).
Le Carême nous rappelle donc que l'existence chrétienne est une lutte sans relâche, au cours de laquelle sont utilisées les "armes" de la prière, du jeûne et de la pénitence. Lutter contre le mal, contre toute forme d'égoïsme et de haine, et mourir à soi-même pour vivre en Dieu représente l'itinéraire ascétique que tout disciple de Jésus est appelé à parcourir avec humilité et patience, avec générosité et persévérance. L'obéissance docile au Maître divin fait des chrétiens des témoins et des apôtres de paix. Nous pourrions dire que cette attitude intérieure nous aide à mieux mettre en évidence également quelle doit être la réponse chrétienne à la violence qui menace la paix dans le monde. Certainement pas la vengeance, ni la haine, ni même la fuite vers un faux spiritualisme. La réponse de la personne qui suit le Christ est plutôt celle qui consiste à parcourir la voie choisie par Celui qui, devant les maux de son temps et de tous les temps, a embrassé de façon décidée la Croix, en suivant le chemin plus long mais efficace de l'amour. Sur ses traces et unis à Lui, nous devons tous nous engager en vue de lutter contre le mal par le bien, contre le mensonge par la vérité, contre la haine par l'amour. Dans l'Encyclique Deus caritas est, j'ai voulu présenter cet amour comme le secret de notre conversion personnelle et ecclésiale. En me référant aux paroles de Paul aux Corinthiens, "l'amour du Christ nous presse" (2 Co 5, 14), j'ai souligné que "la conscience qu'en Lui Dieu lui-même s'est donné pour nous jusqu'à la mort doit nous amener à ne plus vivre pour nous-mêmes, mais pour Lui et avec Lui pour les autres" (n. 33).
L'amour, comme le souligne Jésus aujourd'hui dans l'Evangile, doit ensuite se traduire par des gestes concrets envers le prochain, en particulier envers les pauvres et les personnes dans le besoin, en subordonnant toujours la valeur des "bonnes actions" à la sincérité du rapport avec "le Père qui est dans les cieux", qui "voit dans le secret" et "récompensera" ceux qui font le bien de façon humble et désintéressée (cf. Mt 6, 1.4.6.18). Le caractère concret de l'amour constitue l'un des éléments essentiels de la vie des chrétiens, qui sont encouragés par Jésus à être la lumière du monde, afin que les hommes, en voyant leurs "bonnes ½uvres", rendent gloire à Dieu (cf. Mt 5, 16). Cette recommandation nous apparaît très opportune au début du Carême, car nous comprenons toujours plus que "la charité n'est pas pour l'Eglise une sorte d'activité d'assistance sociale [...] mais elle appartient à sa nature, elle est une expression de son essence elle-même, à laquelle elle ne peut renoncer" (Deus caritas est, n. 25.a). L'amour véritable se traduit en gestes qui n'excluent personne, à l'exemple du Bon Samaritain, qui, avec une grande ouverture d'esprit, aida un inconnu en difficulté, rencontré "par hasard" le long du chemin (cf. Lc 10, 31).
Messieurs les Cardinaux, vénérés Frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce, chers religieux, religieuses et fidèles laïcs, que je salue tous avec une profonde cordialité, entrons dans le climat caractéristique de cette période liturgique avec ces sentiments, en nous laissant illuminer et guider par la Parole de Dieu. Au cours du Carême, nous entendrons souvent retentir l'invitation à nous convertir et à croire à l'Evangile, et nous serons constamment encouragés à ouvrir notre esprit à la puissance de la grâce divine. Tirons profit de ces enseignements que l'Eglise nous offrira en abondance au cours de ces semaines. Animés par un profond engagement de prière, décidés à accomplir un effort plus grand de pénitence, de jeûne et d'attention d'amour envers nos frères, mettons-nous en marche vers Pâques, accompagnés de la Vierge Marie, Mère de l'Eglise et modèle de tout disciple authentique du Christ.
1er mars 2006 – Audience Générale
Aujourd'hui, avec la Liturgie du Mercredi des Cendres, commence l'itinéraire quadragésimal de quarante jours, qui nous conduira au Triduum pascal, mémoire de la passion, de la mort et de la résurrection du Seigneur, coeur du mystère de notre salut. Il s'agit d'un temps favorable, où l'Eglise invite les chrétiens à prendre une conscience plus vive de l'oeuvre rédemptrice du Christ et à vivre plus profondément leur Baptême. En effet, en cette période liturgique, le Peuple de Dieu, depuis les premiers temps, se nourrit avec abondance de la Parole de Dieu pour se renforcer dans la foi, en reparcourant toute l'histoire de la création et de la rédemption.
De par sa durée de quarante jours, le Carême possède une force évocatrice indéniable. Il entend en effet rappeler plusieurs des événements qui ont rythmé la vie et l'histoire de l'antique Israël, en nous en reproposant également la valeur de paradigme: pensons, par exemple, aux quarante jours du déluge universel, qui aboutirent au pacte de l'alliance scellée par Dieu avec Noé, et ainsi, avec l'humanité, et aux quarante jours passés par Moïse sur le Mont Sinaï, qui furent suivis par le don des tables de la Loi. La période quadragésimale veut surtout nous inviter à revivre avec Jésus les quarante jours qu'il passa dans le désert, en priant et en jeûnant, avant d'entreprendre sa mission publique. Nous aussi, nous entreprenons aujourd'hui un chemin de réflexion et de prière avec tous les chrétiens du monde, pour nous diriger spirituellement vers le Calvaire, en méditant sur les mystères centraux de la foi. Nous nous préparerons ainsi à faire l'expérience, après le mystère de la Croix, de la joie de la Pâque de résurrection.
On accomplit aujourd'hui, dans toutes les communautés paroissiales, un geste austère et symbolique: l'imposition des cendres, et ce rite est accompagné par deux formules riches de sens, qui constituent un appel pressant à se reconnaître pécheurs et à retourner à Dieu. La première formule dit: "Souviens-toi que tu es poussière, et que tu retourneras à la poussière" (cf. Gn 3, 19). Ces paroles, tirées du livre de la Genèse, évoquent la condition humaine placée sous le signe de la précarité et de la limite, et entendent nous pousser à placer toutes nos espérances uniquement en Dieu. La deuxième formule se réfère aux paroles prononcées par Jésus au début de son ministère itinérant: "Convertissez-vous et croyez à l'Evangile" (Mc 1, 15). C'est une invitation à adhérer de manière ferme et confiante à l'Evangile comme fondement du renouveau personnel et communautaire. La vie du chrétien est une vie de foi, fondée sur la Parole de Dieu et nourrie par elle. Dans les épreuves de la vie et face à chaque tentation, le secret de la victoire se trouve dans l'écoute de la Parole de vérité et dans le ferme refus du mensonge et du mal. Tel est le programme véritable et central du temps du Carême: écouter la Parole de vérité, vivre, parler et faire la vérité, refuser le mensonge qui empoisonne l'humanité et qui ouvre la porte à tous les maux. Il est donc urgent d'écouter à nouveau, au cours de ces quarante jours, l'Evangile, la Parole du Seigneur, parole de vérité, afin qu'en chaque chrétien, en chacun de nous, se renforce la conscience de la vérité qui lui est donnée, qui nous est donnée, afin que nous en vivions et en devenions le témoin. Le Carême nous invite à laisser pénétrer notre vie par la Parole de Dieu et à connaître ainsi la vérité fondamentale: qui sommes-nous, d'où venons-nous, où devons-nous aller, quel est le chemin à prendre dans la vie? Et ainsi, le temps du Carême nous offre un parcours ascétique et liturgique qui, alors qu'il nous aide à ouvrir les yeux sur notre faiblesse, nous fait ouvrir notre coeur à l'amour miséricordieux du Christ.
En nous rapprochant de Dieu, le chemin quadragésimal nous permet de poser sur frères et leurs besoins un regard nouveau. Celui qui commence à voir Dieu, à regarder le visage du Christ, contemple avec un autre regard également son frère, découvre son frère, son bien, son mal, ses nécessités. C'est pourquoi le Carême, comme écoute de la vérité, est le moment favorable pour se convertir à l'amour, car la vérité profonde, la vérité de Dieu, est dans le même temps amour. En nous convertissant à la vérité de Dieu, nous devons nécessairement nous convertir à l'amour. Un amour qui sache adopter l'attitude de compassion et de miséricorde du Seigneur, comme j'ai voulu le rappeler dans le Message pour le Carême, qui a pour thème les paroles évangéliques: "Voyant les foules, Jésus eut pitié d'elles" (Mt 9, 36). Consciente de sa mission dans le monde, l'Eglise ne cesse de proclamer l'amour miséricordieux du Christ, qui continue à tourner son regard plein d'émotion vers les hommes et les peuples de tous les temps. "Face aux terribles défis de la pauvreté d'une si grande part de l'humanité - ai-je écrit dans le Message de Carême susmentionné -, l'indifférence et le repli sur son propre égoïsme se situent dans une opposition intolérable avec le "regard du Christ". Avec la prière, le jeûne et l'aumône, que l'Eglise propose de manière spéciale dans le temps du Carême, sont des occasions propices pour se conformer à ce "regard"", au regard du Christ, et nous voir nous-mêmes, l'humanité et les autres, avec ce regard. Dans cet esprit, nous entrons dans le climat d'austérité et de prière du Carême, qui est véritablement un climat d'amour pour nos frères.
Que ce soient des jours de réflexion et d'intense prière, au cours desquels nous nous laissons guider par la Parole de Dieu, que la liturgie nous propose en abondance. Que le Carême soit, en outre, un temps de jeûne, de pénitence et de vigilance sur nous-mêmes, persuadés que la lutte contre le péché ne finit jamais, car la tentation est une réalité de chaque jour, et la fragilité et l'illusion sont l'expérience de tous. Enfin, que le Carême soit, à travers l'aumône et les actions de bien à l'égard de nos frères, une occasion de partage sincère des dons reçus avec nos frères et d'attention aux besoins des plus pauvres et des laissés-pour-compte. Que Marie, la Mère du Rédempteur, modèle d'écoute et de fidèle adhésion à Dieu, nous accompagne dans cet itinéraire pénitentiel. Que la Très Sainte Vierge nous aide à arriver, purifiés et renouvelés dans notre coeur et notre esprit, à célébrer le grand mystère de la Pâque du Christ. Avec ces sentiments, je souhaite à tous un bon et fructueux Carême.
2 mars 2006 – Avec les prêtres du Diocèse de Rome
Le grand discours de Moïse au seuil de la Terre Sainte, après un pèlerinage de quarante ans dans le désert, est un résumé de toute la Torah, de toute la Loi. Nous trouvons ici l'essentiel non seulement pour le peuple juif, mais également pour nous. Cet élément essentiel est la parole de Dieu: "Je te propose la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction; choisis donc la vie" (Dt 30, 19). Cette parole fondamentale du Carême est également la parole fondamentale de l'héritage de notre grand Pape Jean-Paul II: choisir la vie. Telle est notre vocation sacerdotale: choisir nous aussi la vie et aider les autres à choisir la vie. Il s'agit de renouveler pendant le Carême notre "option fondamentale", pour ainsi dire, l'option pour la vie.
Le Carême devrait être un temps pour renouveler notre connaissance de Dieu, notre amitié avec Jésus, pour être ainsi capables de guider les autres de façon convaincante à l'option pour la vie, qui est avant tout une option pour Dieu. Il faut qu'il nous apparaisse clairement qu'en choisissant le Christ, nous n'avons pas choisi la négation de la vie, mais nous avons réellement choisi la vie en abondance.
Le programme du Carême: choisir la vie, c'est-à-dire renouveler le "oui" du Baptême, qui est précisément le choix de la vie.
5 mars 2006 – Angelus
Mercredi dernier, nous avons commencé le Carême, et aujourd'hui, nous célébrons le premier dimanche de ce temps liturgique, qui pousse les chrétiens à entreprendre un chemin de préparation à Pâques. Aujourd'hui, l'Évangile nous rappelle que Jésus, après avoir été baptisé dans le fleuve Jourdain, poussé par l'Esprit Saint, qui était descendu sur Lui, le révélant comme étant le Christ, se retira pendant quarante jours dans le désert de Judée, où il surmonta les tentations de Satan (cf. Mc 1, 12-13). En suivant leur Maître et Seigneur, les chrétiens eux aussi entrent spirituellement dans le désert du Carême pour affronter avec Lui "la lutte contre l'esprit du mal".
L'image du désert est une métaphore très éloquente de la condition humaine. Le Livre de l'Exode rapporte l'expérience du peuple d'Israël qui, sorti d'Égypte, accomplit un pèlerinage dans le désert du Sinaï pendant quarante ans avant de parvenir à la terre promise. Au cours de ce long voyage, les juifs ressentirent toute la force et l'insistance du tentateur, qui les poussait à perdre confiance dans le Seigneur et à revenir en arrière; mais, dans le même temps, grâce à la médiation de Moïse, ils apprirent à écouter la voix de Dieu, qui les appelait à devenir son peuple saint. En méditant sur cette page biblique, nous comprenons que pour réaliser pleinement la vie dans la liberté, il faut surmonter l'épreuve que la liberté elle-même comporte, c'est-à-dire la tentation. Ce n'est que libérée de l'esclavage du mensonge et du péché que la personne humaine, grâce à l'obéissance de la foi qui l'ouvre à la vérité, trouve le véritable sens de son existence et atteint la paix, l'amour et la joie.
C'est précisément pour cela que le Carême constitue un temps favorable pour un examen attentif de la vie dans le recueillement, la prière et la pénitence. Les Exercices spirituels qui, selon la tradition, se tiendront à partir de ce soir jusqu'à samedi prochain ici, dans le Palais apostolique, m'aideront, ainsi que mes collaborateurs de la Curie romaine, à entrer avec une plus grande conscience dans ce climat quadragésimal caractéristique. Chers frères et s½urs, tandis que je vous demande de m'accompagner par vos prières, je vous assure de mon souvenir dans le Seigneur afin que le Carême soit pour tous les chrétiens une occasion de conversion et d'élan plus courageux vers la sainteté. Nous invoquons pour cela l'intercession maternelle de la Vierge Marie.
12 mars 2006 – Angelus
Hier matin s'est conclue la semaine d'Exercices spirituels, que le Patriarche émérite de Venise, le Cardinal Marco Cé, a prêchés ici, au Palais apostolique. Ce furent des journées consacrées entièrement à l'écoute du Seigneur, qui nous parle toujours, mais qui attend de nous une plus grande attention, en particulier en ce temps de Carême. C'est ce que nous rappelle également la page évangélique de ce dimanche, en reproposant le récit de la transfiguration du Christ sur le Mont Thabor. Tandis qu'ils se tenaient, stupéfaits, aux côtés du Seigneur transfiguré qui s'entretenait avec Moïse et Élie, Pierre, Jacques et Jean furent soudain enveloppés d'une nuée, dont sortit une voix qui proclama : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé; écoutez-le" (Mc 9, 7).
Lorsque l'on a la grâce de faire une profonde expérience de Dieu, c'est comme si l'on vivait quelque chose d'analogue à ce qui eut lieu pour les disciples au cours de la Transfiguration: pendant quelques instants, l'on a un avant-goût de ce qui constituera la béatitude du paradis. Il s'agit en général de brèves expériences, que Dieu concède parfois, en particulier en vue d'épreuves difficiles. Toutefois, il n'est donné à personne de vivre "sur le Thabor", tant que l'on se trouve sur cette terre. En effet, l'existence humaine est un chemin de foi et, en tant que tel, avance davantage dans l'ombre que dans la lumière, non sans moments d'obscurité, mais également d'intenses ténèbres. Tant que nous nous trouvons ici-bas, notre relation avec Dieu a lieu davantage dans l'écoute que dans la vision et la contemplation elle-même se réalise, pourrait-on dire, les yeux fermés, grâce à la lumière intérieure allumée en nous par la Parole de Dieu.
La Vierge Marie elle-même, tout en étant de toutes les créatures celle qui est la plus proche de Dieu, a marché jour après jour comme dans un pèlerinage de foi (cf. Lumen gentium, n. 58), conservant et méditant sans cesse dans son c½ur la Parole que Dieu lui adressait, aussi bien à travers les Saintes Écritures qu'à travers les événements de la vie de son Fils, dans lesquels elle reconnaissait et accueillait la voix mystérieuse du Seigneur. Tels sont alors le don et l'engagement de chacun de nous au cours du temps du Carême, écouter le Christ, comme Marie. L'écouter à travers sa Parole, conservée dans les Saintes Écritures. L'écouter dans les événements mêmes de notre vie, en cherchant à y lire les messages de la Providence. Enfin, l'écouter dans nos frères, en particulier dans les petits et les pauvres, dans lesquels Jésus lui-même demande notre amour concret. Écouter le Christ et obéir à sa voix, telle est la voie maîtresse, l'unique, qui conduit à la plénitude de la joie et de l'amour.
19 mars 2006 – Homélie de la Messe
La Loi mosaïque a trouvé son plein accomplissement en Jésus, qui a révélé la sagesse et l'amour de Dieu à travers le mystère de la Croix, "scandale pour les Juifs, folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs... puissance de Dieu et sagesse de Dieu" (1 Co 1, 23, 24). C'est précisément à ce mystère que fait référence la page évangélique qui vient d'être proclamée: Jésus chasse du temple les marchands et les changeurs. L'évangéliste fournit la clé de lecture de cet épisode significatif à travers le verset d'un Psaume: "Car le zèle de ta maison me dévore" (cf. Ps 69, 10). Jésus est bien "dévoré" par ce "zèle" pour la "maison de Dieu", utilisée dans des buts différents de ceux auxquels elle devrait être destinée. Face à la demande des responsables religieux, qui prétendent un signe de son autorité, à la stupéfaction des personnes présentes, il affirme: "Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai" (Jn 2, 19). Une parole mystérieuse, incompréhensible à ce moment-là, mais que Jean reformule pour ses lecteurs chrétiens, en observant que: "Lui parlait du sanctuaire de son corps" (Jn 2, 21). Ce "sanctuaire", ses adversaires allaient le détruire, mais après trois jours, il l'aurait reconstruit à travers la résurrection. La douloureuse et "scandaleuse" mort du Christ allait être couronnée par le triomphe de sa glorieuse résurrection. Alors qu'en ce temps de Carême, nous nous préparons à revivre dans le triduum pascal cet événement central de notre salut, notre regard est déjà tourné vers le Crucifié, en entrevoyant en Lui le rayonnement du Ressuscité.
25 mars 2006 - Homélie de la Messe Solennité de l’Annonciation et Consistoire
Profitant du temps propice du Carême, efforçons-nous de nous assurer que toute chose dans notre vie personnelle comme dans l'activité ecclésiale dans laquelle nous sommes engagés, est dictée par la charité et tendue vers la charité.
26 mars 2006 – Homélie Messe dans une paroisse romaine
Le quatrième dimanche de Carême, traditionnellement désigné comme "dimanche Laetare", est empreint d'une joie qui, dans une certaine mesure, adoucit le climat de pénitence de ce temps saint: "Réjouissez-vous avec Jérusalem - dit l'Eglise dans le chant d'entrée - Exultez à cause d'elle [...] Avec elle soyez plein d'allégresse, vous tous qui portiez son deuil". Le refrain du Psaume responsorial fait écho à cette invitation: "Ton souvenir, Seigneur, est notre joie". Penser à Dieu procure de la joie. On se demande alors spontanément: mais quel est le motif pour lequel nous devons nous réjouir ? Un des motifs est certainement l'approche de Pâques, dont la prévision nous fait goûter à l'avance la joie de la rencontre avec le Christ ressuscité. La raison la plus profonde se trouve cependant dans le message offert par les lectures bibliques que la liturgie propose aujourd'hui …. Celles-ci nous rappellent que, malgré notre indignité, nous sommes les destinataires de la Miséricorde infinie de Dieu. Dieu nous aime d'une façon que nous pourrions qualifier d'"obstinée", et il nous enveloppe de son inépuisable Tendresse…
"Dieu, qui est riche en Miséricorde, à cause du grand amour dont Il nous a aimés, alors que nous étions morts par suite de nos fautes, nous a fait revivre avec le Christ" (Ep 2, 4-5). Pour exprimer cette réalité de salut l'Apôtre, à côté du terme de Miséricorde, eleos en grec, utilise également la parole Amour, agape, reprise et amplifiée ultérieurement dans la très belle … : "Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique: ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle" (Jn 3, 16). Nous savons que ce "don" de la part du Père a eu un développement dramatique : il est allé jusqu'au sacrifice du Fils sur la Croix. Si toute la mission historique de Jésus est le signe éloquent de l'amour de Dieu, sa mort l'est de manière tout à fait particulière, la Tendresse rédemptrice de Dieu s'étant pleinement exprimée en elle. Le centre de notre méditation doit donc toujours être, mais particulièrement en ce temps de Carême, la Croix. Dans celle-ci, nous contemplons la Gloire du Seigneur qui resplendit dans le corps martyrisé de Jésus. C'est précisément dans ce don total de soi qu'apparaît la grandeur de Dieu, qu'apparaît qu'il est Amour. C'est la gloire du Crucifié que chaque chrétien est appelé à comprendre, à vivre et à témoigner à travers son existence. La Croix - le don de soi-même du Fils de Dieu - est en définitive le "signe" par excellence qui nous est donné pour comprendre la vérité de l'homme et la vérité de Dieu : nous avons tous été créés et rachetés par un Dieu qui a immolé son Fils unique par amour. Voilà pourquoi dans la Croix, comme je l'ai écrit dans l'Encyclique Deus caritas est (DCE, 12), "s'accomplit le retournement de Dieu contre lui-même, dans lequel il se donne pour relever l'homme et le sauver - tel est l'amour dans sa forme la plus radicale".
2 avril 2006 – Après l’Angelus
Que votre rencontre personnelle du Seigneur, pendant ce temps du carême, illumine vos yeux et vos c½urs. Qu'en vous mettant à l'écoute du Fils bien-aimé de Dieu vous trouviez la joie et le bonheur d'en être les disciples parmi les hommes d'aujourd'hui!
21 février 2007 – Homélie Messe Mercredi des Cendres
Avec la procession pénitentielle, nous sommes entrés dans le climat austère du Carême, et au début de cette célébration eucharistique, nous venons de prier pour que le Seigneur aide le peuple chrétien à "commencer un chemin de conversion véritable pour affronter de façon victorieuse, avec les armes de la pénitence, le combat contre l'esprit du mal" (Prière de la Collecte). Lorsque nous recevrons, dans quelques instants, les cendres sur le front, nous réécouterons encore une claire invitation à la conversion qui peut s'exprimer par une double formule: "Convertissez-vous et croyez à l'Evangile", ou bien: "Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras à la poussière". C'est précisément en raison de la richesse des symboles et des textes bibliques et liturgiques que le Mercredi des Cendres est considéré comme la "porte" du Carême. En effet, la liturgie d'aujourd'hui et les gestes qui la caractérisent forment un ensemble qui anticipe de manière synthétique la physionomie même de toute la période quadragésimale. Dans sa tradition, l'Eglise ne se limite pas à nous offrir la thématique liturgique et spirituelle de l'itinéraire quadragésimal, mais elle nous indique également les instruments ascétiques et pratiques pour le parcourir de façon fructueuse.
"Revenez à moi de tout votre c½ur, dans le jeûne, les pleurs et les cris de deuil". C'est par ces paroles que débute la Première Lecture, tirée du livre du prophète Joël (2, 12). Les souffrances, les catastrophes qui affligeaient à cette époque la terre de Judée poussent l'auteur saint à encourager le peuple élu à la conversion, c'est-à-dire à retourner avec une confiance filiale au Seigneur en se lacérant le c½ur et non les vêtements. En effet, Celui-ci, rappelle le prophète, "est tendresse et pitié, lent à la colère, riche en grâce, et il a regret du mal" (2, 13). L'invitation que Joël adresse à ceux qui l'écoutent vaut également pour nous, chers frères et s½urs. N'hésitons pas à retrouver l'amitié de Dieu perdue avec le péché; en rencontrant le Seigneur, faisons l'expérience de la joie de son pardon. Et ainsi, en répondant presque aux paroles du prophète, nous avons fait nôtre l'invocation du refrain du Psaume responsorial: "Pardonne-nous, Seigneur, nous avons péché". En proclamant le Psaume 50, le grand Psaume pénitentiel, nous en avons appelé à la miséricorde divine; nous avons demandé au Seigneur que la puissance de son amour nous redonne la joie d'être sauvés.
Dans cet esprit, nous débutons le temps favorable du Carême, comme nous l'a rappelé saint Paul dans la Seconde lecture, pour nous laisser réconcilier avec Dieu dans le Christ Jésus. L'Apôtre se présente comme ambassadeur du Christ et montre clairement que c'est précisément grâce à Lui qu'est offerte au pécheur, c'est-à-dire à chacun de nous, la possibilité d'une réconciliation authentique. "Celui qui n'avait pas connu le péché - dit-il - Il l'a fait péché pour nous afin qu'en lui nous devenions justice de Dieu" (2 Co 5, 21). Seul le Christ peut transformer chaque situation de péché en nouveauté de grâce. Voilà pourquoi l'exhortation que Paul adresse aux chrétiens de Corinthe revêt un profond impact spirituel: "Nous vous en supplions au nom du Christ: laissez-vous réconcilier avec Dieu"; et encore: "Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut" (5, 20; 6, 2). Alors que Joël parlait du prochain jour du Seigneur comme d'un jour de jugement terrible, saint Paul, en se référant à la parole du prophète Isaïe, parle de "moment favorable", de "jour du salut". Le prochain jour du Seigneur est devenu l'"aujourd'hui". Le jour terrible s'est transformé dans la Croix et dans la Résurrection du Christ, en jour du salut. Et ce jour, c'est maintenant, comme nous l'avons entendu dans le Chant de l'Evangile: "Aujourd'hui, n'endurcissez pas votre c½ur, mais écoutez la voix du Seigneur". L'appel à la conversion, à la pénitence résonne aujourd'hui de toute sa force, pour que son écho nous accompagne à tous les moments de notre vie.
La liturgie du Mercredi des Cendres indique ainsi dans la conversion du c½ur à Dieu la dimension fondamentale du temps quadragésimal. Tel est le rappel très suggestif qui nous vient du rite traditionnel de l'imposition des cendres, que nous renouvellerons d'ici peu. Un rite qui revêt une double signification: la première relative au changement intérieur, à la conversion et à la pénitence, alors que la seconde renvoie à la précarité de la condition humaine, comme on le perçoit facilement dans les deux formules différentes qui accompagnent le geste. Ici, à Rome, la procession pénitentielle du Mercredi des Cendres part de Saint-Anselme pour se conclure dans cette Basilique Sainte-Sabine, où a eu lieu la première station quadragésimale. A ce propos, il est intéressant de rappeler que l'antique liturgie romaine, à travers les stations quadragésimales, avait élaboré une géographie singulière de la foi, en partant de l'idée que, avec l'arrivée des apôtres Pierre et Paul et avec la destruction du Temple, Jérusalem s'était transférée à Rome. La Rome chrétienne était entendue comme une reconstruction de la Jérusalem du temps de Jésus à l'intérieur des murs de l'Urbs. Cette nouvelle géographie intérieure et spirituelle, inhérente à la tradition des églises "stationnelles" du Carême, n'est pas un simple souvenir du passé, ni une vaine anticipation de l'avenir; au contraire, elle entend aider les fidèles à parcourir un chemin intérieur, le chemin de la conversion et de la réconciliation, pour parvenir à la gloire de la Jérusalem céleste où habite Dieu.
Chers frères et s½urs, nous avons quarante jours pour approfondir cette extraordinaire expérience ascétique et spirituelle. Dans l'Evangile qui a été proclamé, Jésus indique quels sont les instruments utiles pour accomplir l'authentique renouvellement intérieur et communautaire: les ½uvres de charité (l'aumône), la prière et la pénitence (le jeûne). Ce sont trois pratiques fondamentales chères également à la tradition juive, parce qu'elles contribuent à purifier l'homme devant Dieu (cf. Mt 6, 1-6.16-18). Ces gestes extérieurs, qui sont accomplis pour plaire à Dieu et non pour obtenir l'approbation ou l'assentiment des hommes, sont acceptés par Lui s'ils expriment la détermination du c½ur à le servir, avec simplicité et générosité. Cela nous est rappelé également par une des Préfaces quadragésimales où, à propos du jeûne, nous lisons cette expression singulière: "ieiunio... mentem elevas: par le jeûne, tu élèves ton esprit" (Préface IV).
Le jeûne, auquel l'Eglise nous invite en ce temps fort, ne naît certes pas de motivations d'ordre physique ou esthétique, mais provient de l'exigence que l'homme a d'une purification intérieure qui le désintoxique de la pollution du péché et du mal; qui l'éduque à ces renonciations salutaires qui affranchissent le croyant de l'esclavage de son moi; qui le rende plus attentif et disponible à l'écoute de Dieu et aux services de ses frères. C'est pour cette raison que le jeûne et les autres pratiques quadragésimales sont considérées par la tradition chrétienne comme des "armes" spirituelles pour combattre le mal, les mauvaises passions et les vices. A ce sujet, je suis heureux d'écouter à nouveau avec vous un bref commentaire de saint Jean Chrysostome. "De même qu'à la fin de l'hiver - écrit-il - revient la saison estivale et le marin tire le bateau à la mer, le soldat nettoie ses armes et entraîne son cheval pour la lutte, l'agriculteur affile sa faux, le pèlerin revigoré se prépare à son long voyage et l'athlète dépose ses vêtements et se prépare à la compétition; ainsi, nous aussi, au début de ce jeûne, comme une sorte de retour à un printemps spirituel, nous fourbissons les armes comme les soldats, nous affilons la faux comme les agriculteurs, et comme les maîtres d'équipage, nous remettons en ordre le navire de notre esprit pour affronter les flots des passions absurdes, comme des pèlerins, nous reprenons le voyage vers le ciel et comme des athlètes, nous nous préparons à la lutte en nous dépouillant de tout" (Homélies au peuple d'Antioche, n. 3).
Dans le message pour le Carême, j'ai invité à vivre ces quarante jours de grâce particulière comme un temps "eucharistique". En puisant à la source intarissable de l'amour qu'est l'Eucharistie, dans laquelle le Christ renouvelle le sacrifice rédempteur de la Croix, chaque chrétien peut persévérer sur l'itinéraire que nous entreprenons aujourd'hui solennellement. Les ½uvres de charité (l'aumône), la prière et le jeûne en même temps que tout autre effort sincère de conversion trouvent leur plus haute signification et valeur dans l'Eucharistie, centre et sommet de la vie de l'Eglise et de l'histoire du salut. "Que ce sacrement que nous avons reçu, ô Père - ainsi prierons-nous à la fin de la messe -, nous soutienne sur le chemin quadragésimal, qu'il sanctifie notre jeûne et le rende efficace pour la guérison de notre esprit". Nous demandons à Marie de nous accompagner afin qu'au terme du Carême, nous puissions contempler le Seigneur ressuscité, intérieurement renouvelés et réconciliés avec Dieu et avec nos frères.
Message pour le Carême 2007
« Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé. » (Jn 19, 37). C'est le thème biblique qui guidera cette année notre réflexion quadragésimale. Le Carême est une période propice pour apprendre à faire halte avec Marie et Jean, le disciple préféré, auprès de Celui qui, sur la Croix, offre pour l'Humanité entière le sacrifice de sa vie (cf. Jn 19, 25). Aussi, avec une participation plus fervente, nous tournons notre regard, en ce temps de pénitence et de prière, vers le Christ crucifié qui, en mourant sur le Calvaire, nous a révélé pleinement l'amour de Dieu. Je me suis penché sur le thème de l'amour dans l'encyclique Deus caritas est, en soulignant ses deux formes fondamentales : l'agape et l'eros.
L'amour de Dieu : agape et eros.
Le terme agape, que l'on trouve très souvent dans le Nouveau Testament, indique l'amour désintéressé de celui qui recherche exclusivement le bien d'autrui ; le mot eros, quant à lui, désigne l'amour de celui qui désire posséder ce qui lui manque et aspire à l'union avec l'aimé.
L'amour dont Dieu nous entoure est sans aucun doute agape. En effet, l'homme peut-il donner à Dieu quelque chose de bon qu'Il ne possède pas déjà ? Tout ce que la créature humaine est et a, est un don divin : aussi est-ce la créature qui a besoin de Dieu en tout. Mais l'amour de Dieu est aussi eros. Dans l'Ancien Testament, le Créateur de l'univers montre envers le peuple qu'il s'est choisi une prédilection qui transcende toute motivation humaine. Le prophète Osée exprime cette passion divine avec des images audacieuses comme celle de l'amour d'un homme pour une femme adultère (3, 1-3) ; Ézéchiel, pour sa part, n'a pas peur d'utiliser un langage ardent et passionné pour parler du rapport de Dieu avec le peuple d'Israël (16, 1-22). Ces textes bibliques indiquent que l'eros fait partie du c½ur même de Dieu : le Tout-puissant attend le « oui » de sa créature comme un jeune marié celui de sa promise. Malheureusement, dès les origines, l'humanité, séduite par les mensonges du Malin, s'est fermée à l'amour de Dieu, dans l'illusion d'une impossible autosuffisance (Jn 3, 1-7). En se repliant sur lui-même, Adam s'est éloigné de cette source de la vie qu'est Dieu lui-même, et il est devenu le premier de « ceux qui, leur vie entière, étaient tenus en esclavage par la crainte de la mort » (Hb 2, 15). Dieu, cependant, ne s'est pas avoué vaincu, mais au contraire, le « non » de l'homme a été comme l'impulsion décisive qui l'a conduit à manifester son amour dans toute sa force rédemptrice.
La Croix révèle la plénitude de l'amour de Dieu.
C'est dans le mystère de la Croix que se révèle pleinement la puissance irrésistible de la miséricorde du Père céleste. Pour conquérir à nouveau l'amour de sa créature, Il a accepté de payer un très grand prix : le sang de son Fils Unique. La mort qui, pour le premier Adam, était un signe radical de solitude et d'impuissance, a été ainsi transformée dans l'acte suprême d'amour et de liberté du nouvel Adam. Aussi, nous pouvons bien affirmer, avec Maxime le Confesseur, que le Christ « mourut, s'il l'on peut dire, divinement parce que il murut librement » (Ambigua, 91, 1956). Sur la Croix, l'eros de Dieu se manifeste à nous. Eros est effectivement - selon l'expression du Pseudo-Denys - cette force « qui ne permet pas à l'amant de demeurer en lui-même, mais le pousse à s'unir à l'aimé » (De divinis nominibus, IV, 13 : PG 3, 712). Existe-t-il plus « fol eros » (N. Cabasilas, Vita in Christo, 648) que celui qui a conduit le Fils de Dieu à s'unir à nous jusqu'à endurer comme siennes les conséquences de nos propres fautes ?
« Celui qu'ils ont transpercé »
Chers frères et s½urs, regardons le Christ transpercé sur la Croix ! Il est la révélation la plus bouleversante de l'amour de Dieu, un amour dans lequel eros et agape, loin de s'opposer, s'illuminent mutuellement. Sur la Croix c'est Dieu lui-même qui mendie l'amour de sa créature : Il a soif de l'amour de chacun de nous. L'apôtre Thomas reconnut Jésus comme « Seigneur et Dieu » quand il mit la main sur la blessure de son flanc. Il n'est pas surprenant que, à travers les saints, beaucoup aient trouvé dans le C½ur de Jésus l'expression la plus émouvante de ce mystère de l'amour. On pourrait précisément dire que la révélation de l'eros de Dieu envers l'homme est, en réalité, l'expression suprême de son agape. En vérité, seul l'amour dans lequel s'unissent le don désintéressé de soi et le désir passionné de réciprocité, donne une ivresse qui rend légers les sacrifices les plus lourds. Jésus a dit : « Quand je serai élevé de terre, j'attirerai à moi tous les hommes. » (Jn 12, 32). La réponse que le Seigneur désire ardemment de notre part est avant tout d'accueillir son amour et de se laisser attirer par lui. Accepter son amour, cependant, ne suffit pas. Il s'agit de correspondre à un tel amour pour ensuite s'engager à le communiquer aux autres : le Christ « m'attire à lui » pour s'unir à moi, pour que j'apprenne à aimer mes frères du même amour.
Le sang et l'eau.
« Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé ». Regardons avec confiance le côté transpercé de Jésus, d'où jaillissent « du sang et de l'eau » (Jn 19, 34) ! Les Pères de l'Église ont considéré ces éléments comme les symboles des sacrements du Baptême et de l'Eucharistie. Avec l'eau du Baptême, grâce à l'action du Saint Esprit, se dévoile à nous l'intimité de l'amour trinitaire. Pendant le chemin du Carême, mémoire de notre Baptême, nous sommes exhortés à sortir de nous-mêmes pour nous ouvrir, dans un abandon confiant, à l'étreinte miséricordieuse du Père (cf. saint Jean Chrysostome, Catéchèses 3,14). Le sang, symbole de l'amour du Bon Pasteur, coule en nous tout spécialement dans le mystère eucharistique : « L'Eucharistie nous attire dans l'acte d'offrande de Jésus... nous sommes entraînés dans la dynamique de son offrande » (Encyclique Deus caritas est, 13). Nous vivons alors le Carême comme un temps « eucharistique », dans lequel, en accueillant l'amour de Jésus, nous apprenons à le répandre autour de nous dans chaque geste et dans chaque parole. Contempler « celui qu'ils ont transpercé » nous poussera de manière telle à ouvrir notre c½ur aux autres en reconnaissant les blessures infligées à la dignité de l'être humain ; cela nous poussera, en particulier, à combattre chaque forme de mépris de la vie et d'exploitation des personnes, et à soulager les drames de la solitude et de l'abandon de tant de personnes. Le Carême est pour chaque chrétien une expérience renouvelée de l'amour de Dieu qui se donne à nous dans le Christ, amour que chaque jour nous devons à notre tour « redonner » au prochain, surtout à ceux qui souffrent le plus et sont dans le besoin. De cette façon seulement nous pourrons participer pleinement à la joie de Pâques. Marie, Mère du Bel Amour, tu nous guides dans ce chemin du Carême, chemin d'authentique conversion à l'amour du Christ.
18 février 2007 - Angélus
Le Carême, qui commencera mercredi prochain avec le rite des Cendres, est le temps favorable au cours duquel tous les chrétiens sont invités à se convertir toujours plus profondément à l'amour du Christ. Demandons à la Vierge Marie, disciple docile du Rédempteur, de nous aider à nous laisser conquérir sans réserve par cet amour, à apprendre à aimer comme Il nous a aimés, pour être miséricordieux comme est miséricordieux notre Père qui est aux cieux (cf. Lc 6, 36).
25 février 2007 - Angelus
« Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé » (Jn 19, 37). Le disciple bien-aimé, présent aux côtés de Marie, la Mère de Jésus, et d'autres femmes, au Calvaire, fut un témoin oculaire du coup de lance qui transperça le côté du Christ, en en faisant jaillir du sang et de l'eau (cf. Jn 19, 31-34). Ce geste, accompli par un soldat romain anonyme, destiné à se perdre dans l'oubli, est resté imprimé dans les yeux et le c½ur de l'Apôtre qui le proposa à nouveau dans son Evangile. Tout au long des siècles, combien de conversions ont eu lieu précisément à cause de l'éloquent message d'amour que reçoit celui qui tourne son regard vers Jésus crucifié !
Entrons donc dans le temps du Carême, le « regard » fixé sur le côté de Jésus. Dans ma Lettre encyclique Deus caritas est (cf. n. 12) j'ai voulu souligner que l'on ne peut connaître et contempler la vérité fondamentale que « Dieu est amour » (1 Jn 4, 8.16) qu'en tournant le regard vers Jésus mort sur la croix pour nous. « À partir de ce regard - ai-je écrit - le chrétien trouve la route pour vivre et pour aimer » (Deus caritas est, 12). En contemplant le Crucifié avec les yeux de la foi nous pouvons comprendre en profondeur ce qu'est le péché, combien sa gravité est tragique, et dans le même temps, l'incommensurabilité de la puissance du pardon et de la miséricorde du Seigneur. Durant ces jours de Carême, ne détournons pas notre c½ur de ce mystère de profonde humanité et de haute spiritualité. En regardant le Christ, sentons dans le même temps son regard posé sur nous. Celui que nous avons nous-mêmes transpercé par nos fautes, ne se lasse pas de reverser sur le monde un torrent inépuisable d'amour miséricordieux. Puisse l'humanité comprendre que l'on ne peut puiser que de cette source l'énergie spirituelle indispensable pour construire la paix et le bonheur dont tout être humain est en quête sans relâche.
Demandons à la Vierge Marie qui fut transpercée dans son âme près de la croix de son Fils, de nous obtenir le don d'une foi solide. En nous conduisant sur le chemin quadragésimal, qu'elle nous aide à abandonner tout ce qui nous détourne de l'écoute du Christ et de sa parole de salut.
4 mars 2007 - Angelus
En ce 2e dimanche de Carême, l'évangéliste Luc souligne que Jésus est monté sur la montagne « pour prier » (9,28) avec les apôtres Pierre, Jacques et Jean, et que « pendant qu'il priait » (9,29), survint le mystère lumineux de sa transfiguration. Pour les trois apôtres, monter sur la montagne a ainsi signifié être enveloppés par la prière de Jésus, qui se retirait souvent pour prier, spécialement à l'aube et après le crépuscule, et parfois toute la nuit. Mais c'est seulement cette fois-là, sur la montagne, qu'il a voulu manifester à ses amis la lumière intérieure qui l'emplissait lorsqu'il priait : son visage - lit-on dans l'Evangile - s'éclaira et ses vêtements laissèrent transparaître la splendeur de la Personne divine du Verbe incarné (cf. Lc 9,29).
Il y a un autre détail, précisément dans le récit de Luc, qui mérite d'être souligné : l'indication de l'objet de la conversation de Jésus avec Moïse et Elie, apparus à côté de Lui transfiguré. Ceux-ci, raconte l'Evangéliste, « parlaient de son départ (en grec, éxodos) qui allait se réaliser à Jérusalem » (9,31). Jésus écoute donc la Loi et les Prophètes qui lui parlent de sa mort et de sa résurrection. Dans son dialogue intime avec le Père, Il ne sort pas de l'histoire, il ne fuit pas sa mission pour laquelle il est venu au monde, même s'il sait que pour arriver à la gloire il devra passer par la Croix. Au contraire, le Christ entre plus profondément dans cette mission, en adhérant de tout son être à la volonté du Père, et il nous montre que la vraie prière consiste précisément dans l'union de notre volonté avec celle de Dieu. Par conséquent, pour un chrétien, prier ne signifie pas s'évader de la réalité et des responsabilités qu'elle comporte, mais les assumer à fond, en faisant confiance à l'amour fidèle et inépuisable du Seigneur. C'est pourquoi l'événement de la Transfiguration est, paradoxalement, l'agonie à Gethsémani (cf. Lc 22,39-46). Devant l'imminence de la passion, Jésus fera l'expérience de l'angoisse mortelle et il s'abandonnera à la volonté divine : à ce moment-là, sa prière sera un gage de salut pour nous tous. Le Christ en effet suppliera le Père céleste de « le libérer de la mort », et, comme l'écrit l'auteur de la lettre aux Hébreux, « il a été exaucé en raison de sa piété » (5,7). La résurrection est la preuve de cet exaucement.
La prière n'est pas un accessoire, une « option », mais une question de vie ou de mort. Seul en effet celui qui prie, c'est-à-dire celui qui s'abandonne à Dieu avec un amour filial peut entrer dans la vie éternelle, qui est Dieu lui-même. Pendant ce temps de carême, demandons à Marie, Mère du Verbe incarné et maîtresse de vie spirituelle, de nous enseigner à prier, comme le faisait son Fils, afin que notre existence soit transformée par la lumière de sa présence.
4 mars 2007 – Après l’Angelus
Je vous encourage tous, en ce temps de Carême, à rechercher le silence et le recueillement, pour laisser davantage d'espace à la prière et à la méditation de la Parole de Dieu.
4 mars 2007 – Aux francophones, après l’Angelus
Que ce temps du Carême soit pour chacun de vous un moment favorable pour découvrir la présence du Christ dans vos vies et pour vous mettre à l'écoute de sa parole. C'est lui la lumière qui éclaire nos chemins, laissons-nous guider par lui pour être à notre tour transfigurés par la gloire du Père.
11 mars 2007 - Angelus
L'Evangile de Luc, rapporte le commentaire de Jésus concernant deux faits divers. Le premier : la révolte de quelques Galiléens réprimée dans le sang par Pilate ; le deuxième : l'écroulement d'une tour à Jérusalem, qui avait fait dix-huit victimes. Deux événements tragiques bien différents : l'un provoqué par l'homme, l'autre accidentel. Selon la mentalité de l'époque, les personnes avaient tendance à penser que le malheur s'était abattu sur les victimes en raison d'une faute grave de leur part. Jésus dit en revanche : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens... Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu'elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? » (Lc 13, 2.4). Et dans les deux cas, il conclut : « Eh bien non, je vous le dis ; et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière » (13, 3.5)
Voilà donc où Jésus veut conduire ses auditeurs : à la nécessité de la conversion. Il ne la pose pas en termes moralisateurs mais plutôt réalistes comme l'unique réponse adaptée à des événements qui mettent en crise les certitudes humaines. Face à certains malheurs - observe-t-il - rien ne sert de faire retomber la culpabilité sur les victimes. La véritable sagesse est plutôt de se laisser interpeller par la précarité de la vie et assumer une attitude de responsabilité : faire pénitence et améliorer sa propre vie. C'est de la sagesse, c'est la réponse la plus efficace au mal, à tous les niveaux, interpersonnel, social et international. Le Christ invite à répondre au mal avant tout par un sérieux examen de conscience et l'engagement à purifier sa propre vie. Autrement - dit-il - nous périrons, nous périrons tous de la même manière. En effet, les personnes et les sociétés qui vivent sans jamais se remettre en question ont comme seul destin final, la ruine. La conversion en revanche, même si elle ne préserve pas des problèmes et des mésaventures, permet de les affronter de « manière » différente. Elle aide avant tout à prévenir le mal, désamorçant certaines de ses menaces. Et, en tout cas, elle permet de vaincre le mal par le bien, pas toujours sur le plan des faits - qui sont parfois indépendants de notre volonté - mais certainement sur le plan spirituel. En résumé : la conversion vainc le mal au niveau de sa racine qui est le péché, même si elle ne peut pas toujours en éviter les conséquences.
Prions la Très Sainte Vierge Marie, qui nous accompagne et nous soutient sur notre itinéraire, afin qu'Elle aide tout chrétien à redécouvrir la grandeur, je dirais la beauté, de la conversion. Qu'Elle nous aide à comprendre que faire pénitence et corriger notre comportement n'est pas du simple moralisme mais le chemin le plus efficace pour nous changer nous-mêmes en bien ainsi que la société. Il existe un heureux proverbe qui exprime très bien cela : il vaut mieux allumer une allumette que maudire l'obscurité.
11 mars 2007 – Après l’Angelus, aux francophones
Le temps du Carême nous révèle l'amour patient et miséricordieux que le Seigneur a pour nous, et il nous appelle aussi à nous réveiller, à nous convertir, pour porter du fruit et pour répondre avec générosité aux attentes de Dieu.
18 mars 2007 – Après l’Angelus, aux francophones
Puissiez-vous profiter du temps de Carême pour faire, de manière plus forte, l'expérience de l'amour de Dieu dans le sacrement du pardon.
25 mars 2007 - Angelus
En ce temps de carême nous contemplons plus fréquemment la Vierge Marie qui scelle sur le Calvaire son « oui » prononcé à Nazareth. Unie à Jésus, le Témoin de l'amour du Père, Marie a vécu le martyre de l'âme.
Message pour le Carême 2008 – Benoit XVI
1. Chaque année, le Carême nous offre une occasion providentielle pour approfondir le sens et la valeur de notre identité chrétienne, et nous stimule à redécouvrir la miséricorde de Dieu pour devenir, à notre tour, plus miséricordieux envers nos frères. Pendant le temps du Carême, l’Église propose certains engagements spécifiques pour accompagner concrètement les fidèles dans ce processus de renouvellement intérieur : ce sont la prière, le jeûne et l’aumône. Cette année, en ce traditionnel Message pour le Carême, je voudrais m’arrêter pour réfléchir sur la pratique de l’aumône : elle est une manière concrète de venir en aide à ceux qui sont dans le besoin, et, en même temps, un exercice ascétique pour se libérer de l’attachement aux biens terrestres. Combien forte est l’attirance des richesses matérielles, et combien doit être ferme notre décision de ne pas l’idolâtrer ! Aussi Jésus affirme-t-il d’une manière péremptoire : « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent » (Lc 16,13).
L’aumône nous aide à vaincre cette tentation permanente : elle nous apprend à aller à la rencontre des besoins de notre prochain et à partager avec les autres ce que, par grâce divine, nous possédons. C’est à cela que visent les collectes spéciales en faveur des pauvres, qui sont organisées pendant le Carême en de nombreuses régions du monde. Ainsi, à la purification intérieure s’ajoute un geste de communion ecclésiale, comme cela se passait déjà dans l’Église primitive. Saint Paul en parle dans ses Lettres à propos de la collecte en faveur de la communauté de Jérusalem (cf. 2 Cor 8-9 ; Rm 15, 25-27).
2. Selon l’enseignement de l’Évangile, nous ne sommes pas propriétaires mais administrateurs des biens que nous possédons : ceux-ci ne doivent donc pas être considérés comme notre propriété exclusive, mais comme des moyens à travers lesquels le Seigneur appelle chacun d’entre nous à devenir un instrument de sa providence envers le prochain. Comme le rappelle le Catéchisme de l’Église Catholique, les biens matériels ont une valeur sociale, selon le principe de leur destination universelle (cf. n° 2404).
Dans l’Évangile, l’avertissement de Jésus est clair envers ceux qui possèdent des richesses terrestres et ne les utilisent que pour eux-mêmes. Face aux multitudes qui, dépourvues de tout, éprouvent la faim, les paroles de saint Jean prennent des accents de vive remontrance : « Si quelqu'un possède les biens du monde, et que, voyant son frère dans le besoin, il lui ferme ses entrailles, comment l'amour de Dieu demeure-t-il en lui ? » (1 Jn 3, 17). Cet appel au partage résonne avec plus de force dans les pays dont la population est formée d’une majorité de chrétiens, car plus grave encore est leur responsabilité face aux multitudes qui souffrent de l’indigence et de l’abandon. Leur porter secours est un devoir de justice avant même d’être un acte de charité.
3. L’Évangile met en lumière un aspect caractéristique de l’aumône chrétienne : elle doit demeurer cachée. « Que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite », dit Jésus, « afin que ton aumône se fasse en secret » (Mt 6, 3-4). Et juste avant, il avait dit qu’il ne faut pas se vanter de ses bonnes actions, pour ne pas risquer d’être privé de la récompense céleste (cf. Mt 6, 1-2). La préoccupation du disciple est de tout faire pour la plus grande gloire de Dieu. Jésus avertit : « Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes ½uvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux » (Mt 5, 16). Ainsi, tout doit être accompli pour la gloire de Dieu et non pour la nôtre. Ayez-en conscience, chers frères et s½urs, en accomplissant chaque geste d’assistance au prochain, tout en évitant de le transformer en un moyen de se mettre en évidence. Si, en faisant une bonne action, nous ne recherchons pas la gloire de Dieu et le vrai bien de nos frères, mais nous attendons plutôt en retour un avantage personnel ou simplement des louanges, nous nous situons dès lors en dehors de l’esprit évangélique. Dans la société moderne de l’image, il importe de rester attentif, car cette tentation est récurrente. L’aumône évangélique n’est pas simple philanthropie : elle est plutôt une expression concrète de la charité, vertu théologale qui exige la conversion intérieure à l’amour de Dieu et des frères, à l’imitation de Jésus Christ, qui, en mourant sur la Croix, se donna tout entier pour nous. Comment ne pas rendre grâce à Dieu pour les innombrables personnes qui, dans le silence, loin des projecteurs de la société médiatique, accomplissent dans cet esprit des actions généreuses de soutien aux personnes en difficulté ? Il ne sert pas à grand chose que de donner ses biens aux autres si, à cause de cela, le c½ur se gonfle de vaine gloire : voilà pourquoi celui qui sait que Dieu « voit dans le secret » et dans le secret le récompensera, ne cherche pas de reconnaissance humaine pour les ½uvres de miséricorde qu’il accomplit.
4. En nous invitant à considérer l’aumône avec un regard plus profond, qui transcende la dimension purement matérielle, les Saintes Écritures nous enseignent qu’il y a plus de joie à donner qu’à recevoir (cf. Act 20, 35). Quand nous agissons avec amour, nous exprimons la vérité de notre être : nous avons en effet été créés non pour nous-mêmes, mais pour Dieu et pour nos frères (cf. 2 Cor 5, 15). Chaque fois que, par amour pour Dieu, nous partageons nos biens avec notre prochain qui est dans le besoin, nous expérimentons que la plénitude de la vie vient de l’amour et que tout se transforme pour nous en bénédiction sous forme de paix, de satisfaction intérieure et de joie. En récompense de nos aumônes, le Père céleste nous donne sa joie. Mais il y a plus encore : saint Pierre cite parmi les fruits spirituels de l’aumône, le pardon des péchés. « La charité – écrit-il – couvre une multitude de péchés » (1 P 4, 8). La liturgie du Carême le répète souvent, Dieu nous offre, à nous pécheurs, la possibilité d’être pardonnés. Le fait de partager ce que nous possédons avec les pauvres, nous dispose à recevoir un tel don. Je pense en ce moment au grand nombre de ceux qui ressentent le poids du mal accompli et qui, précisément pour cela, se sentent loin de Dieu, apeurés et pratiquement incapables de recourir à Lui. L’aumône, en nous rapprochant des autres, nous rapproche de Dieu, et elle peut devenir l’instrument d’une authentique conversion et d’une réconciliation avec Lui et avec nos frères.
5. L’aumône éduque à la générosité de l’amour. Saint Joseph-Benoît Cottolengo avait l’habitude de recommander : « Ne comptez jamais les pièces que vous donnez, parce que, je le dis toujours : si en faisant l’aumône la main gauche ne doit pas savoir ce que fait la droite, de même la droite ne doit pas savoir ce qu’elle fait elle-même » (Detti e pensieri, Edilibri, n. 201). À ce propos, combien significatif est l’épisode évangélique de la veuve qui, dans sa misère, jette dans le trésor du Temple « tout ce qu’elle avait pour vivre » (Mc 12, 44). Sa petite monnaie, insignifiante, devint un symbole éloquent : cette veuve donna à Dieu non de son superflu, et non pas tant ce qu’elle a, mais ce qu’elle est. Elle, tout entière.
Cet épisode émouvant s’insère dans la description des jours qui précèdent immédiatement la passion et la mort de Jésus, Lui qui, comme le note saint Paul, s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté (cf. 2 Cor 8, 9) ; Il s’est donné tout entier pour nous. Le Carême nous pousse à suivre son exemple, y compris à travers la pratique de l’aumône. À son école, nous pouvons apprendre à faire de notre vie un don total ; en l’imitant, nous réussissons à devenir disposés, non pas tant à donner quelque chose de ce que nous possédons, qu’à nous donner nous-mêmes. L’Évangile tout entier ne se résume-t-il pas dans l’unique commandement de la charité ? La pratique quadragésimale de l’aumône devient donc un moyen pour approfondir notre vocation chrétienne. Quand il s’offre gratuitement lui-même, le chrétien témoigne que c’est l’amour et non la richesse matérielle qui dicte les lois de l’existence. C’es donc l’amour qui donne sa valeur à l’aumône, lui qui inspire les diverses formes de don, selon les possibilités et les conditions de chacun.
6. Chers frères et s½urs, le Carême nous invite à nous « entraîner » spirituellement, notamment à travers la pratique de l’aumône, pour croître dans la charité et reconnaître Jésus lui-même dans les pauvres. Les Actes des Apôtres racontent que l’apôtre Pierre s’adressa ainsi au boiteux de naissance qui demandait l’aumône à la porte du Temple : « Je n'ai ni argent, ni or ; mais ce que j'ai, je te le donne : au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche » (Act 3, 6). Par l’aumône, nous offrons quelque chose de matériel en signe de ce don plus grand que nous pouvons offrir aux autres, l’annonce et le témoignage du Christ : en son Nom est la vraie vie. Que ce temps soit donc caractérisé par un effort personnel et communautaire d’adhésion au Christ pour que nous soyons des témoins de son amour. Que Marie, Mère et Servante fidèle du Seigneur, aide les croyants à livrer le « combat spirituel » du Carême avec les armes de la prière, du jeûne et de la pratique de l’aumône, afin de parvenir aux célébrations des fêtes pascales en étant entièrement renouvelés en esprit. En formulant ces v½ux, j’accorde volontiers à tous la Bénédiction apostolique.
Du Vatican, le 30 octobre 2007
6 février 2008 – Homélie de la Messe des Cendres
Si l'Avent est, par excellence, le temps qui nous invite à espérer dans le Dieu-qui-vient, le Carême nous renouvelle dans l'espérance en Celui-qui-nous-a-fait-passer-de-la-mort-à-la-vie. Il s'agit de deux temps de purification - leur couleur liturgique commune nous le dit également - mais le Carême, entièrement orienté vers le mystère de la Rédemption, est de manière particulière défini comme le "chemin de conversion véritable" (Prière de la collecte). Au début de cet itinéraire pénitentiel, je voudrais m'arrêter brièvement pour réfléchir sur la prière et sur la souffrance comme aspects caractéristiques du temps liturgique quadragésimal, alors que j'ai consacré à la pratique de l'aumône le Message pour le Carême, publié la semaine dernière. Dans l'Encyclique Spe salvi, j'ai indiqué la prière et la souffrance, ainsi que l'action et le jugement, comme des "lieux d'apprentissage et d'exercice de l'espérance". Nous pourrions donc affirmer que le temps du Carême, précisément parce qu'il invite à la prière, à la pénitence et au jeûne, constitue une occasion providentielle pour rendre notre espérance plus vivante et solide.
La prière nourrit l'espérance, car rien n'exprime davantage la réalité de Dieu dans notre vie que de prier avec foi. Même dans la solitude de l'épreuve la plus dure, rien ni personne ne peut m'empêcher de m'adresser au Père, "dans le secret" de mon c½ur, où Lui seul "voit", comme le dit Jésus dans l'Evangile (cf. Mt 6, 4.6.18). Deux moments de l'existence terrestre de Jésus viennent à l'esprit; l'un se plaçant au début et l'autre presque à la fin de sa vie publique: les quarante jours dans le désert, dont s'inspire le temps du Carême, et l'agonie au Gethsémani - tous deux sont essentiellement des moments de prière. Une prière solitaire avec le Père, en tête à tête, dans le désert, une prière pleine d'"angoisse mortelle" dans le Jardin des Oliviers. Mais que ce soit dans l'une ou l'autre circonstance, c'est en priant que le Christ démasque les tromperies du tentateur et l'emporte sur lui. La prière démontre être ainsi la première et principale "arme" pour "affronter de manière victorieuse le combat contre l'esprit du mal" (Prière de la collecte).
La prière du Christ atteint son sommet sur la croix, en s'exprimant à travers les dernières paroles que les évangélistes ont recueillies. Là où il semble lancer un cri de désespoir: "Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m'as-tu abandonné?" (Mt 27, 46; Mc 15, 34; cf. Ps 21, 1), le Christ reprend en réalité l'invocation de celui qui, assiégé sans issue par ses ennemis, n'a plus que Dieu vers qui se tourner et, au-delà de toute attente humaine, fait l'expérience de sa grâce et de son salut. Avec ces paroles du psaume, d'abord d'un homme qui souffre puis du peuple de Dieu qui souffre pour l'absence apparente de Dieu, Jésus a fait sien ce cri de l'humanité qui souffre de l'apparente absence de Dieu et porte ce cri au c½ur du Père. En priant ainsi dans cette ultime solitude avec toute l'humanité, Il nous ouvre le c½ur de Dieu. Il n'y a donc pas de contradiction entre ces paroles du Psaume 21 et les paroles pleines de confiance filiale: "Père, entre tes mains je remets mon esprit" (Lc 23, 46; cf. Ps 30, 6). Elles sont également tirées d'un psaume, le trentième, imploration dramatique d'une personne qui, abandonnée de tous, se remet avec confiance à Dieu. La prière de supplication pleine d'espérance est donc le leitmotiv du Carême, et elle nous permet de reconnaître Dieu comme l'unique ancre de salut. Même quand elle est collective, la prière du peuple de Dieu est la voix d'un seul c½ur et d'une seule âme, un dialogue "en tête à tête", comme l'émouvante imploration de la Reine Esther lorsque son peuple va être exterminé: "O mon Seigneur, notre Roi, tu es l'Unique! Viens à mon secours, car je suis seule et n'ai d'autre recours que toi, et je vais jouer ma vie" (Est 4, 17l). Face à un "grand danger" une plus grande espérance est nécessaire, et celle-ci n'est que l'espérance qui peut compter sur Dieu.
La prière est un creuset dans lequel nos attentes et nos aspirations sont exposées à la lumière de la Parole de Dieu, sont plongées dans le dialogue avec Celui qui est la vérité, et ressortent libérées des mensonges cachés et des compromis avec diverses formes d'égoïsme (cf. Spe salvi, n. 33). Sans la dimension de la prière, le "moi" humain finit par se fermer sur lui-même, et la conscience, qui devrait être l'écho de cette voix de Dieu, risque de se réduire au reflet du moi, si bien que le dialogue intérieur devient un monologue en donnant lieu à mille auto-justifications. La prière est donc la garantie d'ouverture aux autres: celui qui se fait libre pour Dieu et ses exigences, s'ouvre en même temps à l'autre, à son frère qui frappe à la porte de son c½ur et demande l'écoute, l'attention, le pardon, parfois la correction mais toujours dans la charité fraternelle. La véritable prière n'est jamais égocentrique, mais toujours centrée sur l'autre. Comme telle, elle exerce l'orant à l'"extase" de la charité, à la capacité de sortir de lui-même pour devenir le prochain de l'autre dans un service humble et désintéressé. La véritable prière est le moteur du monde, car elle le garde ouvert à Dieu. C'est pourquoi sans prière il n'y a pas d'espérance, mais seulement l'illusion. Ce n'est pas en effet la présence de Dieu qui aliène l'homme, mais son absence: sans le Dieu véritable, Père du Seigneur Jésus Christ, les espérances deviennent des illusions qui poussent à fuir la réalité. Parler avec Dieu, demeurer en sa présence, se laisser éclairer et purifier par sa Parole, nous introduit en revanche au c½ur de la réalité, dans le Moteur profond du devenir cosmique, nous introduit pour ainsi dire dans le c½ur battant de l'univers.
En liaison harmonieuse avec la prière, le jeûne et l'aumône peuvent aussi être considérés comme des lieux d'apprentissage et d'exercice de l'espérance chrétienne. Les Pères et les écrivains antiques aiment souligner que ces trois dimensions de la vie évangélique sont inséparables, se fécondent réciproquement et portent d'autant plus de fruits qu'elles se corroborent mutuellement. Grâce à l'action conjointe de la prière, du jeûne et de l'aumône, le Carême dans son ensemble forme les chrétiens à être des hommes et des femmes d'espérance sur l'exemple des saints.
Je voudrais à présent brièvement m'arrêter également sur la souffrance car, comme je l'ai écrit dans l'Encyclique Spe salvi: "la mesure de l'humanité se détermine essentiellement dans son rapport à la souffrance et à celui qui souffre. Cela vaut pour chacun comme pour la société" (Spe salvi, n. 38). La Pâque, vers laquelle le Carême est tendu, est le mystère qui donne un sens à la souffrance humaine, à partir de la surabondance de la compassion de Dieu, réalisée en Jésus Christ. Le chemin quadragésimal, étant entièrement irradié par la lumière pascale, nous fait donc revivre ce qui eut lieu dans le coeur divin-humain du Christ alors qu'il montait à Jérusalem pour la dernière fois, pour s'offrir lui-même en expiation (cf. Is 53, 10). La souffrance et la mort sont tombées comme les ténèbres à mesure qu'Il s'approchait de la croix, mais la flamme de l'amour est aussi devenue vivante. La souffrance du Christ est, en effet, entièrement imprégnée par la lumière de l'amour (cf. Spe salvi, n. 38): l'amour du Père qui permet au Fils d'aller avec confiance vers son dernier "baptême", comme Lui-même définit le sommet de sa mission (cf. Lc 12, 50). Ce baptême de douleur et d'amour, Jésus l'a reçu pour nous, pour toute l'humanité. Il a souffert pour la vérité et la justice, apportant dans l'histoire des hommes l'Evangile de la souffrance, qui est l'autre face de l'Evangile de l'amour. Dieu ne peut pas pâtir, mais il peut et il veut compatir. A partir de la passion du Christ, la consolatio peut entrer dans chaque souffrance humaine, "la consolation de l'amour participe de Dieu et ainsi surgit l'étoile de l'espérance" (Spe salvi, n. 39).
Comme pour la prière, pour la souffrance aussi l'histoire de l'Eglise est très riche de témoins qui se sont prodigués pour les autres sans s'épargner, au prix de dures souffrances. Plus l'espérance qui nous anime est grande, plus grande est aussi en nous la capacité de souffrir par amour de la vérité et du bien, en offrant avec joie les petites et les grandes peines de chaque jour et en les insérant dans le grand compatir du Christ (cf. ibid., n. 40). Que Marie nous aide sur ce chemin de perfection évangélique, Elle qui, avec celui de son Fils, eut son C½ur immaculé transpercé par l'épée de la douleur. Précisément au cours de ces journées, en rappelant le 150 anniversaire des apparitions de la Vierge à Lourdes, nous sommes conduits à méditer sur le mystère du partage de Marie des douleurs de l'humanité; dans le même temps, nous sommes encouragés à puiser le réconfort au "trésor de compassion" (ibid.) de l'Eglise, auquel Elle a contribué plus que toute autre créature. Nous commençons donc le Carême en union spirituelle avec Marie, qui "a avancé sur le chemin de la foi" derrière son Fils (cf. Lumen gentium, n. 58) et qui précède toujours les disciples dans l'itinéraire vers la lumière pascale. Amen!
10 février 2008 – Angelus
Mercredi dernier, avec le jeûne et le rite des Cendres, nous sommes entrés en Carême. Mais que signifie "entrer en Carême" ? Cela signifie commencer un temps d'engagement particulier dans le combat spirituel qui nous oppose au mal présent dans le monde, en chacun de nous et autour de nous. Cela signifie regarder le mal en face et se disposer à lutter contre ses effets, en particulier contre ses causes, jusqu'à la cause ultime, qui est satan. Cela signifie ne pas décharger le problème du mal sur les autres, sur la société ou sur Dieu, mais reconnaître ses propres responsabilités et les prendre consciemment en charge. À ce propos, retentit de manière plus que jamais urgente, pour nous chrétiens, l'invitation de Jésus à prendre chacun sa propre "croix" et à le suivre avec humilité et confiance (cf. Mt 16, 24). La "croix", pour autant qu'elle puisse être lourde, n'est pas un synonyme de malchance, de malheur à éviter le plus possible, mais une opportunité pour se mettre à la suite du Christ et prendre ainsi force dans la lutte contre le péché et le mal. Entrer en Carême signifie donc renouveler la décision personnelle et communautaire d'affronter le mal avec le Christ. La voie de la Croix et en effet l'unique qui conduit à la victoire de l'amour sur la haine, du partage sur l'égoïsme, de la paix sur la violence. Vu ainsi, le Carême est vraiment l'occasion d'un profond engagement ascétique et spirituel fondé sur la grâce du Christ.
Cette année le début du Carême coïncide de manière providentielle avec le 150e anniversaire des apparitions de Lourdes. Quatre ans après la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception par le bienheureux Pie IX, Marie se montra pour la première fois le 11 février 1858 à Bernadette Soubirous, dans la grotte de Massabielle. D'autres apparitions successives suivirent, accompagnées par des événements extraordinaires, et à la fin la Sainte Vierge se congédia en révélant à la jeune voyante, dans le dialecte local : "Je suis l'Immaculée Conception". Le message que la Vierge continue à diffuser à Lourdes rappelle les paroles que Jésus prononça précisément au début de sa mission publique et que nous entendons plusieurs fois en ces jours de Carême : "Convertissez-vous et croyez à l'Évangile", priez et faites pénitence. Accueillons l'invitation de Marie qui fait écho à celle du Christ et demandons-Lui de nous obtenir d'"entrer" avec foi dans le Carême, pour vivre ce temps de grâce avec joie intérieure et un généreux engagement.
17 février 2008 – Angelus
Les Exercices spirituels qui, comme chaque année, ont vu le Pape et ses collaborateurs de la Curie romaine réunis dans la prière et la méditation, se sont terminés hier, ici, au Palais apostolique. Je remercie ceux qui ont été proches de nous dans la prière. Que le Seigneur daigne les récompenser pour leur générosité. Aujourd'hui, deuxième dimanche de Carême, poursuivant le chemin pénitentiel, la liturgie nous invite à réfléchir sur l'événement extraordinaire de la Transfiguration sur la montagne, après nous avoir présenté, dimanche dernier, l'Évangile des tentations de Jésus dans le désert. Considérés ensemble, ces deux épisodes anticipent le mystère pascal : la lutte de Jésus contre le tentateur annonce le grand duel final de la passion, tandis que la lumière de son Corps transfiguré anticipe la gloire de la Résurrection. D'une part nous voyons Jésus pleinement homme, qui partage avec nous jusqu'à la tentation ; de l'autre nous le contemplons Fils de Dieu, qui divinise notre humanité. Ainsi, nous pourrions dire que ces deux dimanches servent de piliers sur lesquels repose tout l'édifice du Carême jusqu'à Pâques, et même toute la structure de la vie chrétienne, qui consiste essentiellement dans le dynamisme pascal: de la mort à la vie.
La montagne - le Thabor comme le Sinaï - est le lieu de la proximité avec Dieu. C'est le lieu élevé, par rapport à la vie de tous les jours, où l'on peut respirer l'air pur de la création. C'est le lieu de la prière, où l'on peut être en présence du Seigneur, comme Moïse et comme Élie qui apparaissent aux côtés de Jésus transfiguré et parlent avec Lui de l' "exode" qui l'attend à Jérusalem, c'est-à-dire de sa Pâque. La Transfiguration est un événement de prière. En priant, Jésus se plonge en Dieu, s'unit intimement à Lui, adhère avec sa volonté humaine à la volonté d'amour du Père, et ainsi la lumière l'envahit et la vérité de son être devient visible. Il est Dieu, Lumière née de la Lumière. Les vêtements de Jésus aussi deviennent blancs et éclatants. Cela fait penser au Baptême, à la robe blanche que revêtent les néophytes. Celui qui renaît dans le Baptême est revêtu de lumière, anticipant la vie au ciel, que l'Apocalypse représente par le symbole des robes blanches (cf. Ap 7, 9.13). Ici se trouve le point crucial : la transfiguration est une anticipation de la résurrection, mais celle-ci suppose la mort. Jésus manifeste sa gloire aux Apôtres, afin qu'ils aient la force de faire face au scandale de la croix, et comprennent qu'il faut passer à travers de nombreuses tribulations pour atteindre le Royaume de Dieu. La voix du Père, qui retentit du ciel, proclame Jésus comme son Fils bien-aimé, comme lors de son baptême dans le Jourdain, en ajoutant : "Écoutez-le" (Mt 17, 5). Pour entrer dans la vie éternelle il faut écouter Jésus, le suivre sur le chemin de la croix, en portant dans son c½ur, comme Lui, l'espérance de la résurrection. "Spe salvi", sauvés dans l'espérance. Aujourd'hui nous pouvons dire : "Transfigurés dans l'espérance ".
Nous tournant à présent vers Marie dans la prière, nous reconnaissons en Elle la créature humaine transfigurée intérieurement par la grâce du Christ, et nous nous laissons conduire par elle pour parcourir avec foi et générosité l'itinéraire du Carême.
24 février 2008 – Angelus
En ce troisième dimanche de Carême, la liturgie propose à nouveau cette année l'un des textes les plus beaux et les plus profonds de la Bible: le dialogue entre Jésus et la Samaritaine (cf. Jn 4, 5-42). Saint Augustin, dont je parle amplement dans les catéchèses du mercredi, était à juste titre fasciné par ce récit, et il en a fait un commentaire mémorable. Il est impossible de rendre, dans une brève explication, la richesse de cette page évangélique : il faut la lire et la méditer personnellement, en s'identifiant à cette femme qui, un jour comme tant d'autres, alla puiser de l'eau au puits et y trouva Jésus, assis à côté, "fatigué par le voyage", dans la chaleur de midi. "Donne-moi à boire", lui dit-il, ce qui l'étonna beaucoup : il était en effet tout à fait inhabituel qu'un juif adresse la parole à une femme samaritaine, qui plus est inconnue. Mais l'étonnement de la femme était destiné à grandir : Jésus lui parla d'une "eau vive" capable d'étancher la soif et de devenir en elle "source jaillissante pour la vie éternelle" ; il montra en outre qu'il connaissait sa vie personnelle ; il révéla que l'heure était venue d'adorer le Dieu unique en esprit et en vérité; et enfin il lui confia - chose rarissime - qu'il était le Messie.
Tout cela à partir de l'expérience réelle et sensible de la soif. Le thème de la soif traverse tout l'Évangile de Jean : de la rencontre avec la Samaritaine, à la grande prophétie au cours de la fête des Tentes (Jn 7, 37-38), jusqu'à la Croix, lorsque Jésus, avant de mourir, dit pour accomplir l'Écriture : "J'ai soif" (Jn 19, 28). La soif du Christ est une porte d'accès au mystère de Dieu, qui a choisi de connaître la soif pour nous désaltérer, comme il s'est fait pauvre pour nous enrichir (cf. 2 Co 8, 9). Oui, Dieu a soif de notre foi et de notre amour. Comme un Père bon et miséricordieux désire pour nous tout le bien possible, ce bien étant Lui-même. La femme de Samarie représente en revanche l'insatisfaction existentielle de celui qui n'a pas trouvé ce qu'il cherche : elle a eu "cinq maris" et maintenant elle vit avec un autre homme ; ses allées et venues au puits pour aller puiser de l'eau exprime un vie répétitive et résignée. Mais tout changea cependant pour elle ce jour-là, grâce à sa conversation avec le Seigneur Jésus, qui la bouleversa au point de la conduire à laisser sa cruche d'eau et à courir pour dire aux gens du village : "Venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait. Ne serait-il pas le Messie ?" (Jn 4, 28-29).
Chers frères et s½urs, nous aussi nous ouvrons nos c½urs à l'écoute confiante de la parole de Dieu pour rencontrer, comme la Samaritaine, Jésus qui nous révèle son amour et nous dit: le Messie, ton sauveur, "moi qui te parle, je le suis" (Jn 4, 26). Que Marie nous obtienne ce don, elle qui est la première et parfaite disciple du Verbe fait chair.
27 février 2008 – A l’issue de l’Audience Générale
Chers frères et s½urs, en continuant notre itinéraire de carême, l'Eglise nous invite à suivre les pas du Christ qui se dirige vers Jérusalem où il accomplira sa mission rédemptrice. Laissez-vous éclairer par sa parole afin que dans l'étude, la maladie, la vie familiale, vous puissiez faire l'expérience de sa présence et parcourir un chemin de conversion authentique, dans ce saint temps de pénitence
2 mars 2008 – Angelus
En ces dimanches de Carême, la liturgie nous fait parcourir, à travers les textes de l'Evangile de Jean, un véritable itinéraire baptismal: dimanche dernier, Jésus a promis le don de "l'eau vive" à la Samaritaine, aujourd'hui, en guérissant l'aveugle de naissance, il se révèle comme "la lumière du monde" ; dimanche prochain, en ressuscitant son ami Lazare, il se présentera comme "la résurrection et la vie". L'eau, la lumière, la vie, sont des symboles du baptême, sacrement qui "immerge" les croyants dans le mystère de la mort et de la résurrection du Christ, les libérant de l'esclavage du péché et leur donnant la vie éternelle.
Arrêtons-nous brièvement sur le récit de l'aveugle de naissance (Jn 9, 1-41). Selon la mentalité commune de l'époque, les disciples partent du principe que sa cécité est la conséquence d'un péché commis par lui ou par ses parents. Jésus écarte en revanche ce préjugé et affirme : "Ni lui, ni ses parents. Mais l'action de Dieu devait se manifester en lui" (Jn 9, 3). Quel réconfort nous offrent ces paroles ! Elles nous font entendre la voix vivante de Dieu, qui est Amour prévoyant et sage ! Face à l'homme limité et marqué par la souffrance, Jésus ne pense pas à d'éventuelles fautes, mais à la volonté de Dieu qui a créé l'homme pour la vie. Et pour cette raison, il déclare de manière solennelle : "Il nous faut réaliser l'action de celui qui m'a envoyé... Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde" (Jn 9, 4-5). Et il passe immédiatement à l'action : avec un peu de terre et de salive il fait de la boue et l'étale sur les yeux de l'aveugle. Ce geste est une allusion à la création de l'homme, que la Bible raconte avec le symbole de la terre façonnée et animée par le souffle de Dieu (cf. Jn 2, 7). "Adam" en effet, signifie "sol", et le corps humain est effectivement composé d'éléments de la terre. En guérissant l'homme, Jésus réalise une nouvelle création. Mais cette guérison suscite une discussion animée parce que Jésus la réalise un samedi, transgressant, selon les pharisiens : le précepte festif. Ainsi, à la fin du récit, Jésus et l'aveugle se retrouvent tous deux "expulsés" par les pharisiens ; l'un parce qu'il a transgressé la loi et l'autre parce que, malgré sa guérison, il reste marqué comme pécheur depuis sa naissance.
Jésus révèle à l'aveugle guéri qu'il est venu dans le monde pour accomplir un jugement, pour séparer les aveugles que l'on peut guérir de ceux qui ne se laissent pas guérir, car ils sont persuadés d'être sains. L'homme possède effectivement la forte tentation de se construire un système de sécurité idéologique : la religion elle-même peut devenir un élément de ce système, tout comme l'athéisme ou le laïcisme, mais de cette manière on reste aveuglé par son égoïsme. Chers frères, laissons-nous guérir par Jésus, qui peut et veut nous donner la lumière de Dieu ! Confessons nos cécités, nos myopies, et surtout, ce que la Bible appelle le "grand péché" (cf. Ps 18, 14) : l'orgueil. Que la Très Sainte Vierge Marie nous vienne en aide, Elle qui, en engendrant le Christ dans la chair, a donné au monde la vraie lumière.
9 mars 2008 – Angelus
Dans notre itinéraire de Carême, nous sommes arrivés au cinquième dimanche, caractérisé par l'Évangile de la résurrection de Lazare (Jn 11, 1-45). Il s'agit du dernier grand "signe" accompli par Jésus, après lequel les grands prêtres réunirent le sanhédrin et décidèrent de le tuer ; et ils décidèrent de tuer aussi Lazare, qui était la preuve vivante de la divinité du Christ, Seigneur de la vie et de la mort. En réalité, cette page évangélique montre Jésus en tant que vrai homme et vrai Dieu. L'évangéliste insiste avant tout sur son amitié pour Lazare et ses s½urs Marthe et Marie. Il souligne que "Jésus aimait Marthe et sa s½ur, ainsi que Lazare" (Jn 11, 5), et pour cette raison il voulut accomplir le grand prodige. "Lazare, notre ami, s'est endormi ; mais je m'en vais le tirer de ce sommeil" (Jn 11, 11) - a-t-il dit à ses disciples, en exprimant par la métaphore du sommeil le point de vue de Dieu sur la mort physique : Dieu la voit justement comme un sommeil, dont on peut se réveiller. Jésus a démontré un pouvoir absolu sur cette mort : on le voit lorsqu'il redonne la vie au jeune fils de la veuve de Naïm (cf. Lc 7, 11-17) et à la jeune fille de douze ans (cf. Mc 5, 35-43). Il a justement dit d'elle : "L'enfant n'est pas morte, mais elle dort" (Mc 5, 39), s'attirant la dérision des personnes présentes. Mais en vérité, il en est précisément ainsi : la mort du corps est un sommeil dont Dieu peut nous tirer à n'importe quel moment.
Cette seigneurie sur la mort n'a pas empêché Jésus d'éprouver une compassion sincère face à la douleur du détachement. En voyant Marthe et Marie pleurer, ainsi que ceux qui étaient venus les consoler, Jésus aussi "fut bouleversé d'une émotion profonde" et finalement, "pleura" (Jn 11, 33.35). Le c½ur du Christ est divin et humain : en Lui, Dieu et Homme, se sont parfaitement rencontrés, sans séparation ni confusion. Il est l'image, et même l'incarnation du Dieu qui est amour, miséricorde, tendresse paternelle et maternelle, du Dieu qui est Vie. C'est pour cela qu'il a déclaré solennellement à Marthe : "Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s'il meurt, vivra et tout homme qui vit et qui croit en moi ne mourra jamais". Et il a ajouté : "Crois-tu cela ?" (Jn 11, 25-26). Une question que Jésus adresse à chacun de nous ; une question qui nous dépasse certainement, qui dépasse notre capacité de comprendre, et il nous demande d'avoir confiance en lui, comme il a eu confiance dans le Père. La réponse de Marthe est exemplaire : "Oui, Seigneur, tu es le Messie, je le crois ; tu es le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde" (Jn 11, 27). Oui, ô Seigneur ! Nous aussi, nous croyons, en dépit de nos doutes et de nos zones d'ombre ; nous croyons en Toi, parce que Tu as les paroles de la vie éternelle ; nous voulons croire en Toi, qui nous donnes une espérance fiable de vie au-delà de la vie, d'une vie authentique et pleine, dans ton Royaume de lumière et de paix.
Confions cette prière à la Très Sainte Vierge Marie. Puisse son intercession renforcer notre foi, et notre espérance en Jésus, en particulier dans les moments de grande épreuve et de difficulté.
Message pour le Carême 2009 – Benoit XVI
Au commencement du Carême, qui constitue un chemin d’entraînement spirituel intense, la Liturgie nous propose à nouveau trois pratiques pénitentielles très chères à la tradition biblique et chrétienne – la prière, l’aumône et le jeûne – pour nous préparer à mieux célébrer la Pâque et faire ainsi l’expérience de la puissance de Dieu qui, comme nous l’entendrons au cours de la Veillée Pascale, « triomphe du mal, lave nos fautes, redonne l’innocence aux pécheurs, la joie aux affligés, dissipe la haine, nous apporte la paix et humilie l’orgueil du monde » (Annonce de la Pâque). En ce traditionnel Message du Carême, je souhaite cette année me pencher plus particulièrement sur la valeur et le sens du c. Le Carême en effet nous rappelle les quarante jours de jeûne vécus par le Seigneur dans le désert, avant le commencement de sa mission publique. Nous lisons dans l’Evangile : « Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le démon. Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim » (Mt 4,1-2). Comme Moïse avant de recevoir les Tables de la Loi, (cf. Ex 34,28), comme Élie avant de rencontrer le Seigneur sur le mont Horeb (cf. 1 R 19,8), de même Jésus, en priant et en jeûnant, se prépare à sa mission, dont le début fut marqué par une dure confrontation avec le tentateur.
Nous pouvons nous demander quelle valeur et quel sens peuvent avoir pour nous, chrétiens, le fait de se priver de quelque chose qui serait bon en soi et utile pour notre subsistance. Les Saintes Écritures et toute la tradition chrétienne enseignent que le jeûne est d’un grand secours pour éviter le péché et tout ce qui conduit à lui. C’est pourquoi, dans l’histoire du salut, l’invitation à jeûner revient régulièrement. Déjà dans les premières pages de la Sainte Écriture, le Seigneur commande à l’homme de s’abstenir de manger du fruit défendu : « Tu pourras manger de tous les arbres du jardin, mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangera pas, car le jour où tu en mangeras, certainement tu mourras. » (Gn 2,16-17). En commentant l’injonction divine, saint Basile observe que « le jeûne a été prescrit dans le paradis terrestre », et « ce premier précepte été donné à Adam ». Il conclut ainsi : « Cette défense – 'tu ne mangeras pas' – est une loi de jeûne et d’abstinence » (cf. Homélie sur le jeûne : PG 31, 163, 98). Parce que tous nous sommes appesantis par le péché et ses conséquences, le jeûne nous est offert comme un moyen pour renouer notre amitié avec le Seigneur. C’est ce que fit Esdras avant le voyage du retour de l’exil en Terre promise, quand il invita le peuple réuni à jeûner « pour s’humilier – dit-il – devant notre Dieu » (8,21). Le Tout Puissant écouta leur prière et les assura de sa faveur et de sa protection. Les habitants de Ninive en firent autant quand, sensibles à l’appel de Jonas à la repentance, ils proclamèrent, comme témoignage de leur sincérité, un jeûne en disant: « Qui sait si Dieu ne se ravisera pas et ne se repentira pas, s’il ne reviendra pas de l’ardeur de sa colère, en sorte que nous ne périssions point ? » (3,9). Là encore, Dieu vit leurs ½uvres et les épargna.
Dans le Nouveau Testament, Jésus met en lumière la raison profonde du jeûne en stigmatisant l’attitude des pharisiens qui observaient avec scrupule les prescriptions imposées par la loi, alors que leurs c½urs étaient loin de Dieu. Le vrai jeûne, redit encore en d’autre lieux le divin Maître, consiste plutôt à faire la volonté du Père céleste, lequel « voit dans le secret et te récompensera » (Mt 6,18). Lui-même en donne l’exemple en répondant à Satan, au terme des quarante jours passés dans le désert : « Ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4,4). Le vrai jeûne a donc pour but de manger « la vraie nourriture », qui consiste à faire la volonté du Père (cf. Jn 4,34). Si donc Adam désobéit à l’ordre du Seigneur « de ne pas manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal », le croyant entend par le jeûne se soumettre à Dieu avec humilité, en se confiant à sa bonté et à sa miséricorde. La pratique du jeûne est très présente dans la première communauté chrétienne (cf. Act 13,3; 14,22; 27,21; 2 Cor 6,5). Les Pères de l’Église aussi parlent de la force du jeûne, capable de mettre un frein au péché, de réprimer les désirs du « vieil homme », et d’ouvrir dans le c½ur du croyant le chemin vers Dieu. Le jeûne est en outre une pratique récurrente des saints, qui le recommandent. Saint Pierre Chrysologue écrit : « Le jeûne est l’âme de la prière, la miséricorde est la vie du jeûne. Donc, celui qui prie doit jeûner ; celui qui jeûne doit avoir pitié ; qu’il écoute l’homme qui demande, et qui en demandant souhaite être écouté ; il se fait entendre de Dieu, celui qui ne refuse pas d’entendre lorsqu’on le supplie » (Sermo 43: PL 52, 320. 332).
De nos jours, la pratique du jeûne semble avoir perdu un peu de sa valeur spirituelle et, dans une culture marquée par la recherche du bien-être matériel, elle a plutôt pris la valeur d’une pratique thérapeutique pour le soin du corps. Le jeûne est sans nul doute utile au bien-être physique, mais pour les croyants, il est en premier lieu une « thérapie » pour soigner tout ce qui les empêche de se conformer à la volonté de Dieu. Dans la Constitution apostolique Pænitemini de 1966, le Serviteur de Dieu Paul VI reconnaissait la nécessité de remettre le jeûne dans le contexte de l’appel de tout chrétien à « ne plus vivre pour soi-même, mais pour Celui qui l’a aimé et s’est donné pour lui, et… aussi à vivre pour ses frères » (cf. Ch. I). Ce Carême pourrait être l’occasion de reprendre les normes contenues dans cette Constitution apostolique, et de remettre en valeur la signification authentique et permanente de l’antique pratique pénitentielle, capable de nous aider à mortifier notre égoïsme et à ouvrir nos c½urs à l’amour de Dieu et du prochain, premier et suprême commandement de la Loi nouvelle et résumé de tout l’Évangile (cf. Mt 22,34-40).
La pratique fidèle du jeûne contribue en outre à l’unification de la personne humaine, corps et âme, en l’aidant à éviter le péché et à croître dans l’intimité du Seigneur. Saint Augustin qui connaissait bien ses inclinations négatives et les définissait comme « des n½uds tortueux et emmêlés » (Confessions, II, 10.18), écrivait dans son traité sur L’utilité du jeûne : « Je m’afflige certes un supplice, mais pour qu’Il me pardonne ; je me châtie de moi-même pour qu’Il m’aide, pour plaire à ses yeux, pour arriver à la délectation de sa douceur » (Sermon 400, 3, 3: PL 40, 708). Se priver de nourriture matérielle qui alimente le corps facilite la disposition intérieur à l’écoute du Christ et à se nourrir de sa parole de salut. Avec le jeûne et la prière, nous Lui permettons de venir rassasier une faim plus profonde que nous expérimentons au plus intime de nous : la faim et la soif de Dieu.
En même temps, le jeûne nous aide à prendre conscience de la situation dans laquelle vivent tant de nos frères. Dans sa Première Lettre, saint Jean met en garde : « Si quelqu’un possède des richesses de ce monde et, voyant son frère dans la nécessité, lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui ? » (3,17). Jeûner volontairement nous aide à suivre l’exemple du Bon Samaritain, qui se penche et va au secours du frère qui souffre (cf. Deus caritas est, 15). En choisissant librement de se priver de quelque chose pour aider les autres, nous montrons de manière concrète que le prochain en difficulté ne nous est pas étranger. C’est précisément pour maintenir vivante cette attitude d’accueil et d’attention à l’égard de nos frères que j’encourage les paroisses et toutes les communautés à intensifier pendant le Carême la pratique du jeûne personnel et communautaire, en cultivant aussi l’écoute de la Parole de Dieu, la prière et l’aumône. Ceci a été, dès le début, une caractéristique de la vie des communautés chrétiennes où se faisaient des collectes spéciales (cf. 2 Cor 8-9; Rm 15, 25-27), tandis que les fidèles étaient invités à donner aux pauvres ce qui, grâce au jeûne, avait été mis à part (cf. Didascalie Ap., V, 20,18). Même aujourd’hui, une telle pratique doit être redécouverte et encouragée, surtout pendant le temps liturgique du Carême.
Il ressort clairement de tout ce que je viens de dire, que le jeûne représente une pratique ascétique importante, une arme spirituelle pour lutter contre tous les attachements désordonnés. Se priver volontairement du plaisir de la nourriture et d’autres biens matériels, aide le disciple du Christ à contrôler les appétits de sa nature affaiblie par la faute originelle, et dont les effets négatifs investissent entièrement la personne humaine. Une hymne antique de la liturgie du Carême exhorte avec pertinence : « Utamur ergo parcius, / verbis, cibis et potibus, / somno, iocis et arctius / perstemus in custodia – Nous utilisons plus sobrement les paroles, les nourritures, les boissons, le sommeil et les jeux, et avec plus d’attention, nous demeurons vigilants ».
Chers frères et s½urs, à bien regarder, le jeûne a comme ultime finalité d’aider chacun d’entre nous, comme l’écrivait le Serviteur de Dieu Jean-Paul II, à faire un don total de soi à Dieu (cf. Veritatis splendor, 21). Que le Carême soit donc mis en valeur dans toutes les familles et dans toutes les communautés chrétiennes, pour éloigner de tout ce qui distrait l’esprit et intensifier ce qui nourrit l’âme en l’ouvrant à l’amour de Dieu et du prochain. Je pense en particulier à un plus grand engagement dans la prière, la lectio divina, le recours au Sacrement de la Réconciliation et dans la participation active à l’Eucharistie, par dessus tout à la Messe dominicale. Avec cette disposition intérieure, nous entrons dans le climat de pénitence propre au Carême. Que la Bienheureuse Vierge Marie, Causa nostrae laetitiae, nous accompagne et nous soutienne dans nos efforts pour libérer notre c½ur de l’esclavage du péché et pour en faire toujours plus un « tabernacle vivant de Dieu ». En formulant ce souhait et en assurant de ma prière tous les croyants et chaque communauté ecclésiale afin que tous suivent avec profit l’itinéraire du Carême, j’accorde à tous et de tout c½ur la Bénédiction Apostolique.
Du Vatican, le 11 décembre 2008
25 février 2009 – Homélie de la Messe des Cendres
Aujourd'hui, Mercredi des Cendres - porte liturgique qui introduit au Carême -, les textes préparés pour la célébration dessinent, même de façon sommaire, toute la physionomie du temps du Carême. L'Eglise se préoccupe de nous montrer quelle doit être l'orientation de notre esprit, et nous fournit les aides divines pour parcourir avec décision et courage, déjà illuminés par la splendeur du Mystère pascal, l'itinéraire spirituel singulier que nous commençons.
"Revenez à moi de tout votre c½ur". L'appel à la conversion apparaît comme le thème dominant dans toutes les composantes de la liturgie d'aujourd'hui. Dès l'antienne d'ouverture, on dit que le Seigneur oublie et pardonne les péchés de ceux qui se convertissent; dans la collecte, on invite le peuple chrétien à prier afin que chacun entreprenne "un chemin de véritable conversion". Dans la première lecture, le prophète Joël exhorte à revenir vers le Père "de tout votre c½ur dans le jeûne, les pleurs et les cris de deuil... car il est tendresse et pitié, lent à la colère, riche en grâce, et il a regret du mal" (2, 12-13). La promesse de Dieu est claire: si le peuple écoute l'invitation à se convertir, Dieu fera triompher sa miséricorde et ses amis seront comblés d'innombrables faveurs. Avec le Psaume responsorial, l'assemblée liturgique fait siennes les invocations du Psaume 50, en demandant au Seigneur de créer en nous "un c½ur pur", de renouveler en nous "un esprit ferme". Il y a ensuite la page évangélique, dans laquelle Jésus, en nous mettant en garde contre la vanité qui ronge et qui conduit à l'ostentation et à l'hypocrisie, à la superficialité et à l'autosatisfaction, répète la nécessité d'alimenter la rectitude du c½ur. Il montre dans le même temps le moyen de croître dans cette pureté d'intention: cultiver l'intimité avec le Père céleste.
Au cours de cette année jubilaire, qui commémore le bimillénaire de la naissance de saint Paul, c'est avec une reconnaissance particulière que nous parvient la parole de la deuxième Lettre aux Corinthiens: "Nous vous en supplions au nom du Christ: laissez-vous réconcilier avec Dieu" (5, 20). Cette invitation de l'apôtre retentit comme un encouragement supplémentaire à prendre au sérieux l'appel du Carême à la conversion. Paul a fait l'expérience de façon extraordinaire de la puissance de la grâce de Dieu, la grâce du Mystère pascal, dont le Carême lui-même vit. Il se présente à nous comme "ambassadeur" du Seigneur. Qui mieux que lui peut nous aider à parcourir de façon fructueuse cet itinéraire de conversion intérieure? Dans la première Lettre à Timothée, il écrit: "Le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs dont je suis, moi, le premier", et il ajoute: "Mais s'il m'a été fait miséricorde, c'est pour qu'en moi, le premier, Jésus Christ manifestât toute sa patience, faisant de moi un exemple pour ceux qui doivent croire en lui en vue de la vie éternelle" (1, 15-16). L'apôtre est donc conscient d'avoir été choisi comme exemple, et son exemplarité concerne précisément la conversion, la transformation de sa vie survenue grâce à l'amour miséricordieux de Dieu. "Moi naguère un blasphémateur, un persécuteur, un insulteur - reconnaît-il. Mais il m'a été fait miséricorde (...) et ainsi la grâce de notre Seigneur a surabondé" (ibid., 1, 13-14). Toute sa prédication, et avant même, toute son existence missionnaire furent soutenues par une poussée intérieure pouvant être ramenée à l'expérience fondamentale de la "grâce". "C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis - écrit-il aux Corinthiens - (...) j'ai travaillé plus qu'eux tous [les apôtres]: oh! non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi" (1 Co 15, 10). Il s'agit d'une conscience qui apparaît dans chacun de ses écrits et qui a fonctionné comme un "levier" intérieur sur lequel Dieu a pu agir pour le pousser de l'avant, vers des limites toujours plus reculées, non seulement géographiques, mais également spirituelles.
Saint Paul reconnaît que tout en lui est ½uvre de la grâce divine, mais il n'oublie pas qu'il faut adhérer librement au don de la vie nouvelle reçue dans le Baptême. Dans le chapitre 6 de la Lettre aux Romains, qui sera proclamée au cours de la veillée pascale, il écrit: "Que le péché ne règne donc plus dans votre corps mortel de manière à vous plier à ses convoitises. Ne faites plus de vos membres des armes d'injustice au service du péché; mais offrez-vous à Dieu comme des vivants revenus de la mort et faites de vos membres des armes de justice au service de Dieu" (6, 12-13). Dans ces paroles est contenu tout le programme du Carême selon sa perspective baptismale intrinsèque. D'une part, on affirme la victoire du Christ sur le péché, survenue une fois pour toutes par sa mort et sa résurrection; de l'autre, nous sommes exhortés à ne pas offrir nos membres au péché, c'est-à-dire à ne pas laisser, pour ainsi dire, de possibilité de revanche au péché. La victoire du Christ attend que le disciple la fasse sienne, et cela a lieu avant tout avec le Baptême, à travers lequel, unis à Jésus, nous sommes devenus "vivants, revenus d'entre les morts". Toutefois, afin que le Christ puisse régner pleinement en lui, le baptisé doit en suivre fidèlement les enseignements; il ne doit jamais abaisser la garde, pour ne pas permettre à l'adversaire de regagner du terrain d'une manière ou d'une autre.
Mais comment accomplir la vocation baptismale, comment être victorieux dans la lutte entre la chair et l'esprit, entre le bien et le mal, une lutte qui marque notre existence? Dans le passage évangélique, le Seigneur nous indique aujourd'hui trois moyens utiles: la prière, l'aumône et le jeûne. Dans l'expérience et dans les écrits de saint Paul, nous trouvons également à cet égard des références utiles. En ce qui concerne la prière, il exhorte à "persévérer" et à "être vigilants, dans l'action de grâces" (Rm 12, 12; Col 4, 2), à "prier sans cesse" (1 Th 5, 17). Jésus est au fond de notre c½ur. La relation avec Lui est présente et demeure présente même si nous parlons, nous agissons selon nos devoirs professionnels. C'est pourquoi, dans la prière, on trouve la présence intérieure dans notre c½ur de la relation avec Dieu, qui devient à chaque fois également une prière explicite. En ce qui concerne l'aumône, les pages consacrées à la grande collecte en faveur des frères pauvres sont certainement importantes (cf. 2 Co 8-9), mais il faut souligner que pour lui, c'est la charité qui est le sommet de la vie du croyant, "le lien de la perfection": "Et puis par-dessus tout - écrit-il aux Colossiens -, la charité, en laquelle se noue la perfection" (Col 3, 14). Il ne parle pas expressément du jeûne, mais il exhorte souvent à la sobriété, comme caractéristique de celui qui est appelé à vivre dans une attente vigilante du Seigneur (cf. 1 Ts 5, 6-8; Tt 2, 12). Son évocation de l'"esprit de compétition" spirituel, qui exige modération, est également intéressante: "Tout athlète - écrit-il aux Corinthiens - se prive de tout: mais eux c'est pour obtenir une couronne périssable, nous une impérissable" (1 Co 9, 25). Le chrétien doit se priver pour trouver la voie et parvenir réellement au Seigneur.
Telle est donc la vocation des chrétiens: ressuscités avec le Christ, ils sont passés à travers la mort et leur vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu (cf. Col 3, 1-2). Pour vivre cette "nouvelle" existence en Dieu, il est indispensable de se nourrir de la Parole de Dieu. Ce n'est qu'ainsi que nous pouvons réellement être unis à Dieu, vivre en sa présence, si nous sommes en dialogue avec Lui. Jésus le dit clairement, lorsqu'il répond à la première des trois tentations dans le désert, en citant le Deutéronome: "Ce n'est pas de pain seul que vivra l'homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu" (Mt 4, 4; cf. Dt 8, 3). Saint Paul recommande: "Que la Parole du Christ réside chez vous en abondance: instruisez-vous en toute sagesse par des admonitions réciproques. Chantez à Dieu de tout votre c½ur avec reconnaissance, par des psaumes, des hymnes et des cantiques" (Col 3, 16). En cela également, l'apôtre est avant tout témoin: ses Lettres sont la preuve éloquente du fait qu'il vivait en dialogue permanent avec la Parole de Dieu: pensée, action, prière, théologie, prédication, exhortation, tout en lui était fruit de la Parole, reçue dès sa jeunesse dans la foi juive, pleinement révélée à ses yeux par la rencontre avec le Christ mort et ressuscité, prêchée pour le reste de sa vie tout au long de sa "course" missionnaire. Il lui fut révélé que Dieu a prononcé en Jésus Christ la Parole définitive, lui-même, la Parole de salut qui coïncide avec le mystère pascal, le don de soi dans la croix qui devient ensuite résurrection, car l'amour est plus fort que la mort. Saint Paul pouvait ainsi conclure: "Pour moi, que jamais je ne me glorifie sinon dans la Croix de notre Seigneur Jésus Christ, qui a fait du monde un crucifié pour moi et de moi un crucifié pour le monde" (Ga 6, 14). Chez Paul, la Parole s'est faite vie, et sa seule gloire est le Christ crucifié et ressuscité.
Chers frères et s½urs, tandis que nous nous préparons à recevoir les cendres sur le front en signe de conversion et de pénitence, nous ouvrons notre c½ur à l'action vivifiante de la Parole de Dieu. Que le Carême, marqué par une écoute plus fréquente de cette Parole, par une prière plus intense, par un style de vie austère et pénitentiel, soit un encouragement à la conversion et à l'amour sincère envers nos frères, en particulier les plus pauvres et ceux qui sont le plus dans le besoin. Que nous accompagne l'apôtre Paul, que nous guide Marie, Vierge attentive de l'écoute et humble Servante du Seigneur. Nous pourrons ainsi arriver, renouvelés dans l'esprit, à célébrer avec joie la Pâque. Amen!
1er mars 2009 – Angelus
En ce premier dimanche de Carême, l'Évangile, dans le style sobre et concis de saint Marc, nous introduit dans l'atmosphère de ce temps liturgique : "L'Esprit pousse Jésus au désert. Et dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan" (Mc 1, 12). En Terre Sainte, à l'ouest du fleuve du Jourdain et de l'oasis de Jéricho, se trouve le désert de Judée dont les vallées pierreuses, sur un dénivelé d'environ mille mètres, s'élèvent jusqu'à Jérusalem. Après avoir reçu le baptême de Jean, Jésus s'enfonça dans cette solitude, conduit par ce même Esprit Saint qui s'était posé sur Lui en le consacrant et en le révélant comme le Fils de Dieu. Dans le désert, lieu de l'épreuve, comme le montre l'expérience du peuple d'Israël, la réalité de la kenosi, du Christ qui s'est laissé vider, qui s'est dépouillé de la condition de Dieu (cf. Ph 2, 6-7), apparaît de manière dramatique. Lui, qui n'a pas péché et ne peut pécher, se soumet à l'épreuve et peut donc compatir à notre infirmité (cf. He 4, 15). Il se laisse tenter par Satan, l'adversaire, qui dès le départ s'est opposé au dessein salvifique de Dieu en faveur des hommes.
Face à cette figure obscure et ténébreuse qui ose tenter le Seigneur, apparaissent, à peine entrevus, dans la brièveté du récit, les anges, figures lumineuses et mystérieuses. Les anges, dit l'Évangile, "servaient" Jésus (Mc 1, 13) ; ils sont le contrepoint de Satan. "Ange" veut dire "envoyé". Nous trouvons ces figures, qui aident et guident les hommes au nom de Dieu, dans tout l'Ancien Testament. Il suffit de se souvenir du Livre de Tobie, dans lequel apparaît la figure de l'ange Raphaël, qui assiste le protagoniste dans tant de vicissitudes. La présence rassurante de l'ange du Seigneur accompagne le peuple d'Israël dans tous les événements bons et mauvais. Au seuil du Nouveau Testament, Gabriel est envoyé pour annoncer à Zacharie et à Marie les heureux événements qui sont le début de notre salut ; et un ange, dont on ne dit pas le nom, avertit Joseph, l'orientant dans ce moment d'incertitude. Un ch½ur d'anges annoncent aux pasteurs la bonne nouvelle de la naissance du Sauveur; ce sont aussi des anges qui annonceront aux femmes la joyeuse nouvelle de la résurrection. À la fin des temps, les anges accompagneront la venue de Jésus dans la gloire (cf. Mt 25, 31). Les anges servent Jésus, qui est assurément supérieur à eux, et sa dignité est ici, dans l'Évangile, proclamée de manière claire, bien que discrète. En effet, même dans une situation d'extrême pauvreté et d'humilité, quand il est tenté par Satan, Il reste le Fils de Dieu, le Messie, le Seigneur.
Chers frères et s½urs, nous ôterions une partie importante de l'Évangile si nous laissions de côté ces êtres envoyés par Dieu, qui annoncent sa présence parmi nous et en sont un signe. Invoquons-les souvent, pour qu'ils nous soutiennent dans l'engagement de suivre Jésus, jusqu'à nous identifier à Lui. Demandons-leur, particulièrement aujourd'hui, de veiller sur moi et sur mes collaborateurs de la Curie romaine qui cet après-midi, comme chaque année, commencerons la semaine des Exercices spirituels. Marie, Reine des Anges, prie pour nous !
8 mars 2009 – Angelus
Ces derniers jours, comme vous le savez, j'ai suivi les Exercices spirituels, avec mes collaborateurs de la Curie romaine. Cela a été une semaine de silence et de prière : l'esprit et le c½ur ont pu se consacrer entièrement à Dieu, dans l'écoute de sa Parole, à la méditation des mystères du Christ. Toutes proportions gardées, c'est un peu ce qui est arrivé aux apôtres Pierre, Jacques et Jean lorsque Jésus les a emmenés sur une haute montagne, à part, eux seuls, et pendant qu'il priait, a été transfiguré : son visage et sa personne apparurent lumineux, resplendissants. La liturgie repropose ce célèbre épisode justement aujourd'hui, deuxième dimanche de Carême (cf. Mc 9, 2-10). Jésus voulait que ses disciples, en particulier ceux qui auraient eu la responsabilité de conduire l'Église naissante, fassent une expérience directe de sa gloire divine pour affronter le scandale de la Croix. En effet, lorsque viendra l'heure de la trahison, et que Jésus se retirera pour prier à Gethsémani, il prendra auprès de lui Pierre, Jacques et Jean, leur demandant de veiller et de prier avec lui (cf. Mt 26, 38). Ils n'y arriveront pas, mais la grâce du Christ les soutiendra et les aidera à croire dans la résurrection.
Je tiens à souligner que la Transfiguration de Jésus a été en substance une expérience de prière (cf. Lc 9, 28-29). En effet, la prière atteint son sommet, et c'est pour cela qu'elle devient source de lumière intérieure, lorsque l'esprit de l'homme adhère à celui de Dieu et que leurs volontés se fondent pour former en quelque sorte un tout. Lorsque Jésus a gravi la montagne, il s'est plongé dans la contemplation du dessein d'amour du Père, qui l'avait envoyé dans le monde pour sauver l'humanité. À côté de Jésus sont apparus Élie et Moïse, ce qui signifie que les Saintes Écritures s'accordaient à annoncer le mystère de sa Pâque, c'est-à-dire que le Christ devait souffrir et mourir pour entrer dans sa gloire (cf. Lc 24, 26.46). À ce moment-là, Jésus a vu se profiler devant lui la Croix, le sacrifice extrême, nécessaire pour nous libérer de la domination du péché et de la mort. Et dans son c½ur, il a répété une nouvelle fois son "Amen". Il a dit : "Oui, me voici, que soit faite, ô Père, la volonté de ton amour". Et, comme cela s'était produit après le baptême au Jourdain, vinrent du Ciel des signes de la complaisance de Dieu le Père : la lumière, qui a transfiguré Jésus, et la voix qui l'a proclamé le "Fils bien-aimé" (Mc 9, 7).
Avec le jeûne et les ½uvres de miséricorde, la prière forme la structure portante de notre vie spirituelle. Chers frères et s½urs, je vous exhorte à trouver en ce temps de Carême des moments de silence prolongés, si possible de retraite, pour revoir votre vie à la lumière du dessein d'amour du Père céleste. Dans cette écoute plus intense de Dieu, laissez-vous guider par la Vierge Marie, maîtresse et modèle de prière. Même dans les ténèbres les plus épaisses de la Passion du Christ, elle n'a pas perdu, mais a gardé dans son âme la lumière de son Fils divin. C'est pourquoi nous l'invoquons comme Mère de la confiance et de l'espérance !
15 mars 2009 – Angelus
Les paroles de l'apôtre Paul que la liturgie propose à notre méditation en ce troisième dimanche de Carême résonnent dans nos c½urs : "Nous proclamons un Messie crucifié - écrit l'Apôtre aux chrétiens de Corinthe - : scandale pour les Juifs, folie pour les peuples païens ; mais pour ceux que Dieu appelle, qu'ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie est puissance de Dieu et sagesse de Dieu" (1 Co 1, 23-24). Oui, chers frères et s½urs ! Je pars pour l'Afrique, conscient de n'avoir rien d'autre à proposer et à donner à tous ceux que je rencontrerai, que le Christ et la Bonne Nouvelle de sa Croix, mystère d'amour suprême, d'amour divin qui l'emporte sur toute résistance humaine et rend même possible le pardon et l'amour pour les ennemis. Telle est la grâce de l'Évangile capable de transformer le monde; telle est la grâce qui peut aussi renouveler l'Afrique, pour qu'elle produise une irrésistible force de paix et de réconciliation profonde et radicale. L'Église ne poursuit donc pas des objectifs économiques, sociaux et politiques ; l'Église annonce le Christ, certaine que l'Évangile peut toucher les c½urs de tous et les transformer, renouvelant ainsi de l'intérieur les personnes et les sociétés.
29 mars 2009 – Angelus
Nous comprenons combien sont actuelles les paroles de l'Evangile de ce cinquième dimanche de Carême. À l'approche de sa passion, Jésus déclare : "Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul; mais s'il meurt, il donne beaucoup de fruit" (Jn 12, 24). Désormais, ce n'est plus l'heure des paroles et des discours; l'heure décisive a sonné, pour laquelle le Fils de Dieu est venu dans le monde, et même si son âme est troublée, il donne sa disponibilité pour accomplir la volonté du Père jusqu'au bout. Et voici la volonté de Dieu : nous donner la vie éternelle, à nous qui l'avons perdue. Mais pour que cela se réalise, il faut que Jésus meure, comme un grain de blé que Dieu le Père a semé dans le monde. Ce n'est qu'ainsi qu'une nouvelle humanité pourra germer et grandir, libérée de la domination du péché et capable de vivre dans la fraternité, comme fils et filles de l'unique Père qui est aux cieux.
Message pour le Carême 2010 - Benoit XVI
Chaque année, à l’occasion du carême, l’Église nous invite à une révision de vie sincère à la lumière des enseignements évangéliques. Cette année j’aimerais vous proposer quelques réflexions sur un vaste sujet, celui de la justice, à partir de l’affirmation de saint Paul : «La justice de Dieu s’est manifestée moyennant la foi au Christ. » (Rm 3, 21-22)
Justice : « dare cuique suum »
En un premier temps, je souhaite m’arrêter sur le sens du mot « justice » qui dans le langage commun revient à « donner à chacun ce qui lui est dû - dare cuique suum » selon la célèbre expression d’Ulpianus, juriste romain du III siècle. Toutefois cette définition courante ne précise pas en quoi consiste ce « suum » qu’il faut assurer à chacun. Or ce qui est essentiel pour l’homme ne peut être garanti par la loi. Pour qu’il puisse jouir d’une vie en plénitude il lui faut quelque chose de plus intime, de plus personnel et qui ne peut être accordé que gratuitement : nous pourrions dire qu’il s’agit pour l’homme de vivre de cet amour que Dieu seul peut lui communiquer, l’ayant créé à son image et à sa ressemblance. Certes les biens matériels sont utiles et nécessaires. D’ailleurs, Jésus lui-même a pris soin des malades, il a nourri les foules qui le suivaient et, sans aucun doute, il réprouve cette indifférence qui, aujourd’hui encore, condamne à mort des centaines de millions d’êtres humains faute de nourriture suffisante, d’eau et de soins. Cependant, la justice distributive ne rend pas à l’être humain tout ce qui lui est dû. L’homme a, en fait, essentiellement besoin de vivre de Dieu parce que ce qui lui est dû dépasse infiniment le pain. Saint Augustin observe à ce propos que « si la justice est la vertu qui rend à chacun ce qu’il lui est dû... alors il n’y a pas de justice humaine qui ôte l’homme au vrai Dieu» (De Civitate Dei XIX, 21)
D’où vient l’injustice?
L’évangéliste Marc nous transmet ces paroles de Jésus prononcées à son époque lors d’un débat sur ce qui est pur et ce qui est impur : « Il n’est rien d’extérieur à l’homme qui, pénétrant en lui, puisse le souiller... ce qui sort de l’homme voilà ce qui souille l’homme. Car c’est du dedans, du c½ur des hommes que sortent les desseins pervers. » (Mc 7, 14-15 ; 20-21) Au-delà du problème immédiat de la nourriture, nous pouvons déceler dans la réaction des pharisiens une tentation permanente chez l’homme : celle de pointer l’origine du mal dans une cause extérieure. En y regardant de plus près, on constate que de nombreuses idéologies modernes véhiculent ce présupposé : puisque l’injustice vient du dehors, il suffit d’éliminer les causes extérieures qui empêchent l’accomplissement de la justice. Cette façon de penser, nous avertit Jésus, est naïve et aveugle. L’injustice, conséquence du mal, ne vient pas exclusivement de causes extérieures ; elle trouve son origine dans le c½ur humain où l’on y découvre les fondements d’une mystérieuse complicité avec le mal. Le psalmiste le reconnaît douloureusement : « Vois dans la faute je suis né, dans le péché ma mère m’a conçu. » (Ps 51,7). Oui, l’homme est fragilisé par une blessure profonde qui diminue sa capacité à entrer en communion avec l’autre. Naturellement ouvert à la réciprocité libre de la communion, il découvre en lui une force de gravité étonnante qui l’amène à se replier sur lui-même, à s’affirmer au-dessus et en opposition aux autres : il s’agit de l’égoïsme, conséquence du péché originel. Adam et Eve ont été séduits par le mensonge du Satan. En s’emparant du fruit mystérieux, ils ont désobéi au commandement divin. Ils ont substitué une logique du soupçon et de la compétition à celle de la confiance en l’Amour, celle de l’accaparement anxieux et de l’autosuffisance à celle du recevoir et de l’attente confiante vis-à-vis de l’autre (cf. Gn 3, 1-6) de sorte qu’il en est résulté un sentiment d’inquiétude et d’insécurité. Comment l’homme peut-il se libérer de cette tendance égoïste et s’ouvrir à l’amour ?
Justice et Sedaqah
Au sein de la sagesse d’Israël, nous découvrons un lien profond entre la foi en ce Dieu qui « de la poussière relève le faible » (Ps 113,7) et la justice envers le prochain. Le mot sedaqah, qui désigne en hébreux la vertu de justice, exprime admirablement cette relation. Sedaqah signifie en effet l’acceptation totale de la volonté du Dieu d’Israël et la justice envers le prochain (cf. Ex 20,12-17), plus spécialement envers le pauvre, l’étranger, l’orphelin et la veuve (cf. Dt 10, 18-19). Ces deux propositions sont liées entre elles car, pour l’Israélite, donner au pauvre n’est que la réciprocité de ce que Dieu a fait pour lui : il s’est ému de la misère de son peuple. Ce n’est pas un hasard si le don de la Loi à Moïse, au Sinaï, a eu lieu après le passage de la Mer Rouge. En effet, l’écoute de la Loi suppose la foi en Dieu qui, le premier, a écouté les cris de son peuple et est descendu pour le libérer du pouvoir de l’Egypte ( cf. Ex 3,8). Dieu est attentif au cri de celui qui est dans la misère mais en retour demande à être écouté : il demande justice pour le pauvre (cf. Sir 4,4-5. 8-9), l’étranger (cf. Ex 22,20), l’esclave (cf. Dt 15, 12-18). Pour vivre de la justice, il est nécessaire de sortir de ce rêve qu’est l’autosuffisance, de ce profond repliement sur-soi qui génère l’injustice. En d’autres termes, il faut accepter un exode plus profond que celui que Dieu a réalisé avec Moïse, il faut une libération du c½ur que la lettre de la Loi est impuissante à accomplir. Y a-t-il donc pour l’homme une espérance de justice ?
Le Christ, Justice de Dieu
L’annonce de la bonne nouvelle répond pleinement à la soif de justice de l’homme. L’apôtre saint Paul le souligne dans son Épître aux Romains : « Mais maintenant sans la Loi, la justice de Dieu s’est manifestée...par la foi en Jésus Christ à l’adresse de tous ceux qui croient. Car il n’y a pas de différence : tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu et ils sont justifiés par la faveur de sa grâce en vertu de la rédemption accomplie par le Christ Jésus. Dieu l’a exposé instrument de propitiation par son propre sang moyennant la foi. » (3, 21-25)
Quelle est donc la justice du Christ ? C’est avant tout une justice née de la grâce où l’homme n’est pas sauveur et ne guérit ni lui-même ni les autres. Le fait que l’expiation s’accomplisse dans « le sang » du Christ signifie que l’homme n’est pas délivré du poids de ses fautes par ses sacrifices, mais par le geste d’amour de Dieu qui a une dimension infinie, jusqu’à faire passer en lui la malédiction qui était réservée à l’homme pour lui rendre la bénédiction réservée à Dieu (cf. Gal 3, 13-14). Mais immédiatement pourrait-on objecter : de quel type de justice s’agit-il si le juste meurt pour le coupable et le coupable reçoit en retour la bénédiction qui revient au juste ? Est-ce que chacun ne reçoit-il pas le contraire de ce qu’il lui est dû ? En réalité, ici, la justice divine se montre profondément différente de la justice humaine. Dieu a payé pour nous, en son Fils, le prix du rachat, un prix vraiment exorbitant. Face à la justice de la Croix, l’homme peut se révolter car elle manifeste la dépendance de l’homme, sa dépendance vis-à-vis d’un autre pour être pleinement lui-même. Se convertir au Christ, croire à l’Évangile, implique d’abandonner vraiment l’illusion d’être autosuffisant, de découvrir et accepter sa propre indigence ainsi que celle des autres et de Dieu, enfin de découvrir la nécessité de son pardon et de son amitié.
On comprend alors que la foi ne soit pas du tout quelque chose de naturel, de facile et d’évident : il faut être humble pour accepter que quelqu’un d’autre me libère de mon moi et me donne gratuitement en échange son soi. Cela s’accomplit spécifiquement dans les sacrement de la réconciliation et de l’eucharistie. Grâce à l’action du Christ, nous pouvons entrer dans une justice « plus grande », celle de l’amour (cf. Rm 13, 8-10), la justice de celui qui, dans quelque situation que ce soit, s’estime davantage débiteur que créancier parce qu’il a reçu plus que ce qu’il ne pouvait espérer.
Fort de cette expérience, le chrétien est invité à s’engager dans la construction de sociétés justes où tous reçoivent le nécessaire pour vivre selon leur dignité humaine et où la justice est vivifiée par l’amour.
Chers frères et s½urs, le temps du carême culmine dans le triduum pascal, au cours duquel cette année encore, nous célébrerons la justice divine, qui est plénitude de charité, de don et de salut. Que ce temps de pénitence soit pour chaque chrétien un temps de vraie conversion et d’intime connaissance du mystère du Christ venu accomplir toute justice. Formulant ces v½ux, j’accorde à tous et de tout c½ur ma bénédiction apostolique.
Cité du Vatican, le 30 octobre 2009
13 février 2010 – Homélie de la Messe des cendres
« Tu aimes toutes tes créatures, Seigneur,
et tu ne méprises rien de ce que tu as créé;
tu oublies les péchés de ceux qui se convertissent et tu leur pardonnes,
parce que tu es le Seigneur notre Dieu »
(Antienne d'ouverture)
Vénérés frères dans l'épiscopat,
Chers frères et s½urs!
C'est par cette invocation émouvante, tirée du Livre de la Sagesse (cf. 11, 23-26), que la liturgie introduit la célébration eucharistique du mercredi des cendres. Ce sont des paroles qui, d'une certaine manière, ouvrent tout l'itinéraire du carême, en plaçant à sa base la toute puissance d'amour de Dieu, sa souveraineté absolue sur toute créature, qui se traduit par une indulgence infinie, animée d'une volonté de vie constante et universelle. De fait, pardonner à quelqu'un, revient à lui dire: je ne veux pas que tu meures, mais que tu vives; je veux toujours et uniquement ton bien.
Cette certitude absolue a soutenu Jésus durant ses quarante jours passés dans le désert de Judée, après le baptême reçu de Jean au Jourdain. Ce long temps de silence et de jeûne a été pour lui un abandon complet au Père et à son dessein d'amour; ce fut un « baptême », c'est-à-dire une « immersion » dans sa volonté, et dans ce sens, une anticipation de la Passion et de la Croix. Avancer dans le désert et y demeurer longtemps, seul, signifiait s'exposer volontairement aux assauts de l'ennemi, le tentateur, qui a fait tomber Adam et par l'envie duquel la mort est entrée dans le monde (cf. Sg 2, 24); cela signifiait engager la bataille avec lui en terrain découvert, le défier sans autres armes que la confiance sans limite dans l'amour tout-puissant du Père. Ton amour me suffit, je me nourris de ta volonté (cf. Jn 4, 34): cette conviction habitait l'esprit et le c½ur de Jésus durant son « carême ». Ce ne fut pas un acte d'orgueil, une entreprise titanesque, mais un choix d'humilité, cohérent avec l'Incarnation et avec le baptême au Jourdain, dans la même ligne de l'obéissance à l'amour miséricordieux du Père qui a « tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique » (Jn 3, 16).
Tout cela, le Seigneur Jésus l'a fait pour nous. Il l'a fait pour nous sauver, et en même temps, pour nous montrer le chemin pour le suivre. Le salut est en effet don, il est grâce de Dieu, mais pour qu'il ait des effets dans mon existence, il requiert mon consentement, un accueil démontré dans les faits, c'est-à-dire dans la volonté de vivre comme Jésus, de marcher derrière lui. Suivre Jésus dans le désert du carême est donc la condition nécessaire pour participer à sa Pâque, à son « exode ». Adam a été chassé du paradis terrestre, symbole de la communion avec Dieu; pour revenir à cette communion, et donc à la vraie vie, la vie éternelle, il faut maintenant traverser le désert, l'épreuve de la foi. Non pas seuls, mais avec Jésus! Lui, comme toujours, nous a précédés et il a vaincu le combat contre l'esprit du mal. Voilà le sens du carême, un temps liturgique qui nous invite chaque année à renouveler le choix de suivre le Christ sur le chemin de l'humilité pour participer à sa victoire sur le péché et sur la mort.
Dans cette perspective, on comprend aussi le signe pénitentiel des cendres qui sont imposées sur la tête de ceux qui commencent l'itinéraire du carême avec bonne volonté. C'est essentiellement un geste d'humilité qui signifie: je me reconnais pour ce que je suis, une créature fragile, faite de terre et destinée à la terre, mais également faite à l'image de Dieu et destinée à Lui. Poussière, oui, mais aimée, façonnée par son amour, animée par son souffle vital, capable de reconnaître sa voix, et de lui répondre; libre, et, pour cela, capable aussi de lui désobéir, en cédant à la tentation de l'orgueil et de l'auto-suffisance. Voilà le péché, maladie mortelle entrée très tôt pour polluer la terre bénie qu'est l'être humain. Créé à l'image du Saint et du Juste, l'homme a perdu son innocence et maintenant, il ne peut redevenir juste que grâce à la justice de Dieu, la justice de l'amour qui – comme l'écrit saint Paul –, « s'est manifestée par la foi dans le Christ » (Rm 3, 22). De ces paroles de l'Apôtre, j'ai tiré le suc de mon Message, adressé à tous les fidèles à l'occasion de ce carême: une réflexion sur le thème de la justice à la lumière des Saintes Ecritures et de leur accomplissement dans le Christ.
Dans les lectures bibliques du mercredi des cendres aussi, le thème de la justice est bien présent. Avant tout, la page du prophète Joël, et le psaume responsorial – le Miserere – forment un diptyque pénitentiel qui met en relief le fait qu'à l'origine de toute injustice matérielle et sociale, il y a ce que la Bible appelle « l'iniquité », c'est-à-dire le péché qui consiste fondamentalement dans une désobéissance à Dieu, ce qui revient à dire un manque d'amour. « Oui, confesse le psalmiste, je connais mon iniquité, / mon péché est toujours devant moi. / Contre toi, et toi seul, j'ai péché, / ce qui est mal à tes yeux, je l'ai fait » (Ps 50/51, 5-6). Le premier acte de justice est donc de reconnaître son iniquité, et de reconnaître qu'elle est enracinée dans le « c½ur », au centre même de la personne humaine. Les « jeûnes », les « pleurs », les « lamentations » (cf. Jl 2, 12) et toute expression pénitentielle n'ont de valeur aux yeux de Dieu que s'ils sont le signe de c½urs sincèrement repentis. L'Evangile aussi, tiré du « discours de la montagne », insiste sur l'exigence de pratiquer sa « justice » – aumône, prière, jeûne – non pas devant les hommes, mais seulement aux yeux de Dieu, qui « voit dans le secret » (cf. Mt 6, 1-6.16-18). La vraie « récompense » n'est pas l'admiration des autres, mais l'amitié avec Dieu et la grâce qui en dérive, une grâce qui donne la paix et la force pour accomplir le bien, aimer aussi qui ne le mérite pas, pardonner à qui nous a offensés.
La seconde lecture, l'appel de Paul à se laisser réconcilier avec Dieu (cf. 2 Co 5, 20), contient l'un des célèbres paradoxes pauliniens, qui renvoie toute la réflexion sur la justice au mystère du Christ. Saint Paul écrit: « Celui qui n'avait pas connu le péché – c'est-à-dire le Fils fait homme –, Dieu l'a fait péché pour nous, afin qu'en lui, nous puissions devenir justice de Dieu » (2 Co 5, 21). Dans le c½ur du Christ, c'est-à-dire au centre de sa Personne divine et humaine, s'est joué, en termes décisifs et définitifs, tout le drame de la liberté. Dieu a porté son dessein de salut jusqu'en ses conséquences extrêmes, en demeurant fidèle à son amour même au prix de livrer son Fils unique à la mort, et à la mort sur la croix. Comme je l'ai écrit dans le Message de carême, « ici, la justice divine se montre profondément différente de la justice humaine (...). Grâce à l'action du Christ, nous pouvons entrer dans une justice "plus grande", celle de l'amour (cf. Rm 13, 8-10) ».
Chers frères et s½urs, le carême élargit notre horizon, il nous oriente vers la vie éternelle. Sur cette terre, nous sommes en pèlerinage, « car la cité que nous avons ici-bas n'est pas définitive: nous attendons la cité future » dit la Lettre aux Hébreux (He 13, 14). Le carême fait comprendre le caractère relatif des biens de cette terre et nous rend ainsi capables des sacrifices nécessaires, nous libérant pour accomplir le bien. Ouvrons la terre à la lumière du Ciel, à la présence de Dieu parmi nous. Amen.
14 février 2010 – Angelus
L'année liturgique est un grand chemin de foi, que l'Eglise accomplit toujours précédée de la Vierge Mère, Marie. Au cours des dimanches du temps ordinaire, cet itinéraire est scandé cette année par la lecture de l'Évangile de Luc, qui nous accompagne aujourd'hui "en un lieu de plaine" (Lc 6, 17) où Jésus s'arrête avec les Douze et où se rassemble une foule d'autres disciples et de personnes venues de toutes les régions pour l'écouter. C'est dans ce décor que se situe l'annonce des "béatitudes" (Lc 6, 20-26 ; cf. Mt 5, 1-12). Jésus, levant les yeux vers ses disciples, dit : "Heureux vous, les pauvres..., heureux vous, qui avez faim maintenant..., heureux vous qui pleurez maintenant..., heureux êtes-vous quand les hommes... rejettent votre nom comme méprisable" à cause de moi. Pourquoi les proclame-t-il bienheureux ? Parce que la justice de Dieu fera qu'ils seront rassasiés, qu'ils se réjouiront, qu'ils seront rachetés de toute fausse accusation, en un mot, parce qu'il les accueille dès maintenant dans son royaume. Les béatitudes sont fondées sur le fait qu'il existe une justice divine qui relève celui qui a été humilié à tort, et abaisse qui s'est élevé (cf. Lc 14, 11). En effet, après quatre "heureux êtes-vous", l'évangéliste Luc ajoute quatre avertissements : "malheureux, vous les riches..., malheureux vous qui êtes repus..., malheureux, vous qui riez...", et "malheureux êtes-vous quand tous les hommes disent du bien de vous", parce que, comme l'affirme Jésus, les choses se renverseront, les derniers seront les premiers et les premiers, les derniers (cf. Lc 13, 30).
Cette justice et cette béatitude se réalisent dans le "Royaume des cieux", ou "Royaume de Dieu", qui s'accomplira à la fin des temps mais qui est déjà présent dans l'histoire. Là où les pauvres sont consolés et admis au banquet de la vie, là se manifeste déjà maintenant la justice de Dieu. Telle est la tâche que les disciples du Seigneur sont appelés à accomplir dans la société actuelle également. Je pense au foyer de la Caritas de Rome, à la gare de Termini, que j'ai visité ce matin : j'encourage de tout c½ur ceux qui travaillent dans cette institution pleine de mérite et ceux qui, dans le monde entier, s'engagent gratuitement dans des ½uvres de justice et d'amour similaires.
C'est à ce thème de la justice que j'ai dédié cette année le Message du carême qui commencera mercredi prochain, appelé Mercredi des Cendres. Je désire par conséquent aujourd'hui le remettre symboliquement à vous tous, en vous invitant à le lire et à le méditer. L'Evangile du Christ répond positivement à la soif de justice de l'homme, mais de façon inattendue et surprenante. Il ne propose pas une révolution de type social et politique, mais celle de l'amour, qu'il a déjà réalisée par sa Croix et sa Résurrection. C'est sur elle que se fondent les béatitudes, qui proposent ce nouvel horizon de justice inauguré par Pâques, grâce auquel nous pouvons devenir justes et construire un monde meilleur.
Chers amis, adressons-nous maintenant à la Vierge Marie. Toutes les générations la proclament "bienheureuse", parce qu'elle a cru dans la bonne nouvelle que le Seigneur lui a annoncée (cf. Lc 1, 45.48). Laissons-nous guider par elle sur le chemin du carême, pour être libérés de l'illusion de l'autosuffisance, pour reconnaître que nous avons besoin de Dieu, de sa miséricorde, et pour entrer ainsi dans son Royaume de justice, d'amour et de paix.
21 février 2010 – Angelus
Mercredi dernier, avec le rite pénitentiel des cendres, nous avons entamé le carême, temps de renouveau spirituel qui prépare à la célébration annuelle de Pâques. Mais que signifie entrer dans l'itinéraire du carême ? L'Évangile de ce premier dimanche, avec le récit des tentations de Jésus dans le désert, en est une illustration. L'Évangéliste saint Luc raconte que Jésus, après avoir reçu le baptême de Jean, « rempli de l'Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; il fut conduit par l'Esprit à travers le désert où, pendant quarante jours, il fut mis à l'épreuve par le démon » (Lc 4, 1-2). Il y a une insistance évidente sur le fait que les tentations ne furent pas un incident de parcours, mais la conséquence du choix de Jésus de suivre la mission que lui avait confiée le Père, de vivre jusqu'au bout sa réalité de Fils bien-aimé, qui Lui fait totalement confiance. Le Christ est venu dans le monde pour nous libérer du péché et de la fascination ambiguë de projeter notre vie en faisant abstraction de Dieu. Il l'a fait, non pas à travers des proclamations retentissantes, mais en luttant personnellement contre le Tentateur, jusqu'à la Croix. Cet exemple vaut pour tous : c'est en commençant par nous-mêmes que nous améliorons le monde, en changeant ce qui ne va pas dans notre vie, avec la grâce de Dieu.
La première des trois tentations auxquelles Satan soumet Jésus a son origine dans la faim, c'est-à-dire le besoin matériel : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain ». Mais Jésus répond avec les Saintes Écritures : « Ce n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre » (Lc 4, 3-4 ; cf. Dt 8, 3). Puis le diable montre à Jésus tous les royaumes de la terre et dit : tout t'appartiendra si tu m'adores, en te prosternant. C'est la tromperie du pouvoir, et Jésus démasque cette tentative et la repousse : « Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c'est lui seul que tu adoreras » (cf. Lc 4, 5-8 ; Dt 6, 13). Non pas l'adoration du pouvoir, mais uniquement de Dieu, de la vérité et de l'amour. Enfin, le Tentateur propose à Jésus d'accomplir un miracle spectaculaire: se jeter des hauts murs du Temple et être sauvé par les anges, afin que tous croient en Lui. Mais Jésus répond qu'on ne met jamais Dieu à l'épreuve (cf. Dt 6, 16). Nous ne pouvons pas « faire une expérience » dans laquelle Dieu doit répondre et prouver qu'il est Dieu : nous devons croire en Lui ! Nous ne devons pas faire de Dieu le « matériel » de « notre expérience » ! En faisant toujours référence aux Saintes Écritures, Jésus oppose aux critères humains le seul critère authentique: l'obéissance, la conformité à la volonté de Dieu, qui est le fondement de notre être. Ceci est également un enseignement fondamental pour nous : si nous conservons la Parole de Dieu dans notre intelligence et dans notre c½ur, si elle entre dans notre vie, si nous avons confiance en Dieu, nous pouvons repousser toute sorte de tromperie du Tentateur. Par ailleurs, dans tout le récit apparaît clairement l'image du Christ nouvel Adam, Fils de Dieu, humble et obéissant au Père, contrairement à Adam et Ève qui, dans le jardin de l'Éden, avaient succombé aux séductions de l'esprit du mal d'être immortels, sans Dieu.
Le carême est comme une longue « retraite » pour rentrer en soi et écouter la voix de Dieu, pour vaincre les tentations du malin et trouver la vérité de notre être. Un temps – pourrait-on dire – de « compétition » spirituelle à vivre avec Jésus, non pas avec orgueil et présomption, mais en utilisant les armes de la foi, c'est-à-dire la prière, l'écoute de la Parole de Dieu et la pénitence. Nous pourrons ainsi célébrer Pâques en vérité, prêts à renouveler les promesses de notre Baptême. Que la Vierge Marie nous aide, afin que, guidés par l'Esprit Saint, nous vivions dans la joie et de manière fructueuse ce temps de grâce. Qu'elle intercède en particulier pour mes collaborateurs de la Curie romaine et moi-même, qui commencerons ce soir les Exercices spirituels.
28 février 2010 – Angelus
Les Exercices spirituels, qui ont lieu, comme c'est l'habitude, au Vatican, au début du carême, se sont conclus hier. Nous avons vécu, mes collaborateurs de la Curie romaine et moi-même, des jours de recueillement et de prière intense, en réfléchissant à la vocation sacerdotale, en harmonie avec l'Année que l'Eglise est en train de célébrer. Je remercie ceux qui ont été proches de nous spirituellement.
En ce deuxième dimanche de carême, la liturgie est dominée par l'épisode de la Transfiguration, qui, dans l'Évangile de Luc, suit immédiatement l'invitation du Maître : "Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix chaque jour, et qu'il me suive" (Lc 9, 23). Cet événement extraordinaire est un encouragement à suivre Jésus.
Luc ne parle pas de Transfiguration, mais il décrit ce qui s'est passé grâce à deux éléments : le visage de Jésus qui change et ses vêtements qui deviennent blancs et resplendissants, en présence de Moïse et d'Élie, symboles de la Loi et des Prophètes. Les trois disciples qui assistent à la scène tombent de sommeil : c'est l'attitude de qui, tout en étant spectateur des prodiges divins, ne les comprend pas. Seule la lutte contre la torpeur qui les assaille permet à Pierre, Jacques et Jean de "voir" la gloire de Jésus. Alors, le rythme s'accélère : tandis que Moïse et Elie quittent le Maître, Pierre parle et, pendant qu'il parle, une nuée les couvre de son ombre, lui et les autres disciples; c'est une nuée qui, tout en couvrant, révèle la gloire de Dieu, comme cela s'est passé pour le peuple en pèlerinage au désert. Les yeux ne peuvent plus voir, mais les oreilles peuvent entendre la voix qui sort de la nuée : "Celui-ci est mon Fils, celui que j'ai choisi, écoutez-le" (v. 35).
Les disciples ne sont plus devant un visage transfiguré, ni des vêtements blancs, ni une nuée qui révèle la présence divine. Devant leurs yeux, il n'y a que "Jésus, seul" (v. 36). Jésus est seul devant son Père, tandis qu'il prie, mais, en même temps, "Jésus seul", c'est tout ce qui est donné aux disciples et à l'Église de tous les temps : c'est ce qui doit suffire pour le chemin. C'est lui la seule voix à écouter, le seul à suivre, lui qui, en montant à Jérusalem, donnera sa vie et un jour, "transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire" (Ph 3, 21).
"Maître, il est heureux que nous soyons ici" (Lc 9, 33) : telle est l'expression extatique de Pierre, qui ressemble souvent à notre désir face aux consolations du Seigneur. Mais la Transfiguration nous rappelle que les joies semées par Dieu dans la vie ne sont pas des points d'arrivée, mais des lumières qu'Il nous donne dans notre pèlerinage terrestre, afin que "Jésus seul" soit notre Loi et que sa Parole soit le critère qui guide notre existence.
En cette période de carême, je vous invite tous à méditer l'Évangile assidûment. Je souhaite, en outre, qu'en cette Année sacerdotale, les pasteurs "soient vraiment imprégnés de la Parole de Dieu, la connaissent vraiment, l'aiment au point qu'elle leur donne réellement la vie et informe leur pensée" (cf. Homélie lors de la Messe chrismale, 9 avril 2009).
Que la Vierge Marie nous aide à vivre intensément nos moments de rencontre avec le Seigneur, afin que nous puissions le suivre chaque jour avec joie. Nous tournons vers elle notre regard et nous l'invoquons à travers la prière de l'Angélus.
7 mars 2010 – Angelus
La liturgie de ce troisième dimanche de carême nous présente le thème de la conversion. Dans la première lecture, tirée du Livre de l'Exode, Moïse, tout en faisant paître son troupeau, voit un buisson en flammes qui ne se consume pas. Il s'approche pour observer ce prodige, quand une voix l'appelle par son nom et, l'invitant à prendre conscience de son indignité, lui commande de retirer ses sandales parce que le lieu est saint. « Je suis le Dieu de tes pères – lui dit la voix – le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob » ; et il ajoute « Je suis celui qui est » (Ex 3, 6a.14). Dieu se manifeste aussi de manières différentes dans la vie de chacun d'entre nous. Mais pour pouvoir reconnaître sa présence, il est cependant nécessaire que nous nous approchions de lui, conscients de notre pauvreté et avec un profond respect. Sinon, nous nous trouvons dans l'incapacité de le rencontrer et d'entrer en communion avec Lui. Comme l'écrit l'apôtre Paul, cet événement est également un avertissement pour nous : il nous rappelle que Dieu se révèle non pas à ceux qui sont empreints de suffisance et de légèreté, mais à ceux qui sont pauvres et humbles devant Lui.
Dans le passage de l'Évangile d'aujourd'hui, Jésus est interpellé sur certains faits funestes : le meurtre, dans le temple, de certains Galiléens sur l'ordre de Ponce Pilate, et l'effondrement d'une tour sur des passants (cf. Lc 13, 1-5). Face à la conclusion facile de ceux qui considèrent le mal comme une punition divine, Jésus redonne l'image véritable de Dieu qui est bon et ne peut vouloir le mal. Mettant en garde contre l'idée que le malheur est la conséquence immédiate des fautes personnelles de celui qui le subit, il affirme : « Pensez-vous que, pour avoir subi pareil sort, ces Galiléens fussent de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens ? Non, je vous le dis, mais si vous ne vous repentez pas, vous périrez tous pareillement » (Lc 13, 2-3). Jésus invite à faire une lecture différente de ces événements, en les plaçant dans la perspective de la conversion : les malheurs, les événements funestes, ne doivent pas susciter en nous une curiosité ou une recherche de fautes présumées, mais ils doivent représenter des occasions pour réfléchir, pour vaincre l'illusion de pouvoir vivre sans Dieu, et pour renforcer, avec l'aide du Seigneur, notre propre engagement à changer de vie. Face au péché, Dieu se révèle plein de miséricorde et ne manque pas d'appeler les pécheurs à éviter le mal, à grandir dans son amour et à aider concrètement leur prochain dans le besoin, pour vivre la joie de la grâce et ne pas aller vers la mort éternelle. Mais la possibilité de conversion exige que nous apprenions à lire les événements de la vie dans une perspective de foi, c'est-à-dire animés d'une sainte crainte de Dieu. En présence de la souffrance et du deuil, la sagesse véritable est de se laisser interpeller par la précarité de l'existence et de lire l'histoire humaine avec les yeux de Dieu qui, ne voulant toujours que le bien de ses enfants, selon un dessein insondable de son amour, permet parfois qu'ils éprouvent de la souffrance pour les conduire à un plus grand bien.
Chers amis, prions la Très Sainte Vierge Marie, qui nous accompagne sur le chemin du carême, d'aider chaque chrétien à revenir au Seigneur de tout son c½ur. Qu'elle soutienne notre ferme décision de renoncer au mal et d'accepter avec foi la volonté de Dieu dans notre vie.
14 mars 2010 – Angelus
En ce quatrième dimanche de carême, on proclame l'Evangile du père et des deux fils, plus connu comme parabole du "Fils prodigue" (Lc 15, 11-32). Cette page de saint Luc constitue un sommet de la spiritualité et de la littérature de tous les temps. En effet, que serait notre culture, l'art, et plus généralement notre civilisation sans cette révélation d'un Dieu Père plein de miséricorde ? Elle ne cesse pas de nous bouleverser et, à chaque fois que nous l'écoutons, ou que nous la lisons, elle est en mesure de nous suggérer toujours de nouvelles significations. Ce texte évangélique a surtout le pouvoir de nous parler de Dieu, de nous faire connaître son visage, mieux encore, son c½ur. Après que Jésus nous a parlé du Père miséricordieux, les choses ne sont plus comme auparavant, à présent nous connaissons Dieu: Il est notre Père qui, par amour, nous a créés libres et nous a dotés de conscience, qui souffre si nous nous perdons et qui fête notre retour. C'est pourquoi, la relation avec Lui se construit à travers une histoire, de façon analogue à ce qui arrive à tout enfant avec ses parents : au début, il dépend d'eux; puis, il revendique son autonomie ; et finalement - si le développement est positif -, il arrive à un rapport mûr, fondé sur la reconnaissance et sur l'amour authentique.
Dans ces étapes, nous pouvons également lire les moments du chemin de l'homme dans son rapport avec Dieu. Il peut y avoir une phase qui est comme l'enfance: une religion animée par le besoin, la dépendance. Peu à peu, l'homme grandit et s'émancipe, veut s'affranchir de cette soumission et devenir libre, adulte, capable d'agir tout seul et de faire ses choix de façon autonome, en pensant aussi pouvoir se passer de Dieu. Cette phase, précisément, est délicate, elle peut conduire à l'athéisme, mais cela cache aussi souvent l'exigence de découvrir le vrai visage de Dieu. Heureusement pour nous, Dieu ne manque jamais d'être fidèle, et, même si nous nous éloignons et que nous nous perdons, il continue à nous suivre avec son amour, en pardonnant nos erreurs et en parlant intérieurement à notre conscience pour nous rappeler à lui. Dans la parabole, les deux fils se comportent de façon opposée : le cadet s'en va et tombe de plus en plus bas, alors que l'aîné reste à la maison, mais lui aussi a une relation immature avec le Père ; en effet, lorsque son frère revient, l'aîné n'est pas heureux, comme l'est en revanche le Père, au contraire, il se fâche et ne veut pas rentrer chez lui. Les deux fils représentent deux manières immatures d'être en relation avec Dieu : la révolte et une obéissance infantile. Ces deux formes se surmontent grâce à l'expérience de la miséricorde. Ce n'est qu'en faisant l'expérience du pardon, en nous reconnaissant aimés d'un amour gratuit, plus grand que notre misère, mais aussi que notre justice, que nous entrons finalement dans une relation vraiment filiale et libre avec Dieu.
Chers amis, méditons cette parabole. Regardons-nous dans les deux fils et, surtout, contemplons le c½ur du Père. Jetons-nous dans ses bras, et laissons-nous régénérer par son amour miséricordieux. Que la Vierge Marie, Mater misericordiae, nous y aide.
21 mars 2010 – Angelus
Nous voilà arrivés au cinquième dimanche de carême, dont la liturgie nous propose, cette année, l'épisode de l'Évangile de Jésus qui sauve une femme adultère de la condamnation et de la mort (Jn 8, 1-11). Alors qu'il enseigne dans le Temple, les scribes et les pharisiens conduisent à Jésus une femme surprise en train de commettre un adultère, pour laquelle la loi de Moïse prévoyait la lapidation. Ces hommes demandent à Jésus de juger la pécheresse dans le but de le "mettre à l'épreuve" et de le pousser à faire un faux-pas. La scène est dramatique : des paroles de Jésus dépend la vie de cette personne, mais aussi la vie de Jésus lui-même. Les accusateurs hypocrites, en effet, feignent de lui confier le jugement alors que c'est Lui qu'ils veulent accuser et juger. Jésus, au contraire, est "plein de grâce et de vérité" (Jn 1, 14) : Il sait ce qu'il y a dans le c½ur de tout homme, il veut condamner le péché mais sauver le pécheur, et démasquer l'hypocrisie. L'évangéliste saint Jean met en relief un détail : alors que les accusateurs l'interrogent avec insistance, Jésus se baisse et se met à écrire avec son doigt sur le sol. Saint Augustin observe que ce geste présente le Christ comme un législateur divin: en effet, Dieu écrit la loi avec son doigt sur les tables de pierre (cf. Comm. à l'Evangile de Jean, 33, 5). Jésus est donc le Législateur, il est la Justice en personne. Et quelle est sa réponse ? "Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre". Ces paroles sont pleines de la force désarmante de la vérité, qui abat les murs de l'hypocrisie et ouvre les consciences à une justice plus grande, celle de l'amour, dans lequel consiste le plein accomplissement de tout précepte (cf. Rm 13, 8-10). C'est la justice qui a sauvé Saül de Tarse, le transformant en saint Paul (cf. Ph 3, 8-14).
Quand les accusateurs "s'en allèrent un à un, à commencer par les plus vieux", Jésus, en donnant l'absolution à la femme pour son péché, l'introduit dans une vie nouvelle, orientée vers le bien : "Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus". C'est la même grâce qui fera dire à l'apôtre : "Je dis seulement ceci: oubliant le chemin parcouru, je vais droit de l'avant, tendu de tout mon être, et je cours vers le but, en vue du prix que Dieu nous appelle à recevoir là-haut, dans le Christ Jésus" (Ph 3, 14). Dieu ne désire pour nous que le bien et la vie ; Il pourvoit à la santé de notre âme par l'intermédiaire de ses ministres, nous libérant du mal par le sacrement de la réconciliation, afin qu'aucun ne soit perdu, mais que tous aient le moyen de se convertir. En cette Année sacerdotale, je désire exhorter les pasteurs à imiter le saint Curé d'Ars dans le ministère du pardon sacramentel afin que les fidèles en redécouvrent la signification et la beauté, et qu'ils soient guéris par l'amour miséricordieux de Dieu qui "va jusqu'à oublier volontairement le péché pour nous pardonner" (Lettre d'indiction de l'Année sacerdotale).
Chers amis, apprenons du Seigneur Jésus à ne pas juger et à ne pas condamner notre prochain. Apprenons à être intransigeants avec le péché - à commencer par le nôtre ! - et indulgents avec les personnes. Que la sainte Mère de Dieu nous aide, elle qui, exempte de toute faute, est médiatrice de grâce pour tout pécheur qui se repent.
Message pour le Carême 2011 – Benoit XVI
Le Carême, qui nous conduit à la célébration de la Pâques très Sainte, constitue pour l’Eglise un temps liturgique vraiment précieux et important. Aussi est-ce avec plaisir que je vous adresse ce message, afin que ce Carême puisse être vécu avec toute l’ardeur nécessaire. Dans l’attente de la rencontre définitive avec son Epoux lors de la Pâque éternelle, la Communauté ecclésiale intensifie son chemin de purification dans l’esprit, par une prière assidue et une charité active, afin de puiser avec plus d’abondance, dans le Mystère de la Rédemption, la vie nouvelle qui est dans le Christ Seigneur (cf. Préface I de Carême).
1. Cette vie nous a déjà été transmise le jour de notre Baptême lorsque, «devenus participants de la mort et de la résurrection du Christ», nous avons commencé «l'aventure joyeuse et exaltante du disciple» (Homélie en la Fête du Baptême du Seigneur, 10 janvier 2010). Dans ses épîtres, Saint Paul insiste à plusieurs reprises sur la communion toute particulière avec le Fils de Dieu, qui se réalise au moment de l’immersion dans les eaux baptismales. Le fait que le Baptême soit reçu le plus souvent en bas-âge, nous indique clairement qu’il est un don de Dieu: Nul ne mérite la vie éternelle par ses propres forces. La miséricorde de Dieu, qui efface le péché et nous donne de vivre notre existence avec «les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus» (Ph 2,5), est communiquée à l’homme gratuitement.
Dans sa lettre aux Philippiens, l’Apôtre des Gentils nous éclaire sur le sens de la transformation qui s’effectue par la participation à la mort et à la résurrection du Christ, en nous indiquant le but poursuivi: «le connaître lui, avec la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, lui devenir conforme dans sa mort, afin de parvenir si possible à ressusciter d’entre les morts» (Ph 3, 10-11). Le Baptême n’est donc pas un rite du passé, il est la rencontre avec le Christ qui donne forme à l’existence toute entière du baptisé, lui transmet la vie divine et l’appelle à une conversion sincère, mue et soutenue par la Grâce, lui permettant ainsi de parvenir à la stature adulte du Christ.
Un lien spécifique unit le Baptême au Carême en tant que période favorable pour expérimenter la grâce qui sauve. Les Pères du Concile Vatican II ont lancé un appel à tous les Pasteurs de l’Eglise pour que soient «employés plus abondamment les éléments baptismaux de la liturgie quadragésimale» (Const. Sacrosanctum Concilium, 109). En effet, dès ses origines, l’Eglise a uni la Veillée Pascale et la célébration du Baptême: dans ce sacrement s’accomplit le grand Mystère où l’homme meurt au péché, devient participant de la vie nouvelle dans le Christ ressuscité, et reçoit ce même Esprit de Dieu qui a ressuscité Jésus d’entre les morts (cf. Rm 8,11). Ce don gratuit doit être constamment ravivé en chacun de nous, et le Carême nous offre un parcours analogue à celui du catéchuménat qui, pour les chrétiens de l’Eglise primitive comme pour ceux d’aujourd’hui, est un lieu d’apprentissage indispensable de foi et de vie chrétienne: ils vivent vraiment leur Baptême comme un acte décisif pour toute leur existence.
2. Pour emprunter sérieusement le chemin vers Pâques et nous préparer à célébrer la Résurrection du Seigneur – qui est la fête la plus joyeuse et solennelle de l’année liturgique –, qu’est-ce qui pourrait être le plus adapté si ce n’est de nous laisser guider par la Parole de Dieu? C’est pourquoi l’Eglise, à travers les textes évangéliques proclamés lors des dimanches de Carême, nous conduit-elle à une rencontre particulièrement profonde avec le Seigneur, nous faisant parcourir à nouveau les étapes de l’initiation chrétienne: pour les catéchumènes en vue de recevoir le sacrement de la nouvelle naissance; pour ceux qui sont déjà baptisés, en vue d’opérer de nouveaux pas décisifs à la suite du Christ, dans un don plus plénier.
Le premier dimanche de l’itinéraire quadragésimal éclaire notre condition terrestre. Le combat victorieux de Jésus sur les tentations qui inaugure le temps de sa mission, est un appel à prendre conscience de notre fragilité pour accueillir la Grâce qui nous libère du péché et nous fortifie d’une façon nouvelle dans le Christ, chemin, vérité et vie (cf. Ordo Initiationis Christianae Adultorum, n. 25). C’est une invitation pressante à nous rappeler, à l’exemple du Christ et en union avec lui, que la foi chrétienne implique une lutte contre les «Puissances de ce monde de ténèbres» (Ep 6,12) où le démon est à l’½uvre et ne cesse, même de nos jours, de tenter tout homme qui veut s’approcher du Seigneur: le Christ sort vainqueur de cette lutte, également pour ouvrir notre c½ur à l’espérance et nous conduire à la victoire sur les séductions du mal.
L’évangile de la Transfiguration du Seigneur nous fait contempler la gloire du Christ qui anticipe la résurrection et annonce la divinisation de l’homme. La communauté chrétienne découvre qu’à la suite des apôtres Pierre, Jacques et Jean, elle est conduite «dans un lieu à part, sur une haute montagne» (Mt 17,1) afin d’accueillir d’une façon nouvelle, dans le Christ, en tant que fils dans le Fils, le don de la Grâce de Dieu: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur, écoutez-le» (v.5). Ces paroles nous invitent à quitter la rumeur du quotidien pour nous plonger dans la présence de Dieu: Il veut nous transmettre chaque jour une Parole qui nous pénètre au plus profond de l’esprit, là où elle discerne le bien et le mal (cf. He 4,12) et affermit notre volonté de suivre le Seigneur.
«Donne-moi à boire» (Jn 4,7). Cette demande de Jésus à la Samaritaine, qui nous est rapportée dans la liturgie du troisième dimanche, exprime la passion de Dieu pour tout homme et veut susciter en notre c½ur le désir du don de «l’eau jaillissant en vie éternelle» (v.14): C’est le don de l’Esprit Saint qui fait des chrétiens de «vrais adorateurs», capables de prier le Père «en esprit et en vérité» (v.23). Seule cette eau peut assouvir notre soif de bien, de vérité et de beauté! Seule cette eau, qui nous est donnée par le Fils, peut irriguer les déserts de l’âme inquiète et insatisfaite «tant qu’elle ne repose en Dieu», selon la célèbre expression de saint Augustin.
Le dimanche de l’aveugle-né nous présente le Christ comme la lumière du monde. L’Evangile interpelle chacun de nous: «Crois-tu au Fils de l’homme?» «Oui, je crois Seigneur!» (Jn 9, 35-38), répond joyeusement l’aveugle-né qui parle au nom de tout croyant. Le miracle de cette guérison est le signe que le Christ, en rendant la vue, veut ouvrir également notre regard intérieur afin que notre foi soit de plus en plus profonde et que nous puissions reconnaître en lui notre unique Sauveur. Le Christ illumine toutes les ténèbres de la vie et donne à l’homme de vivre en «enfant de lumière».
Lorsque l’évangile du cinquième dimanche proclame la résurrection de Lazare, nous nous trouvons face au mystère ultime de notre existence: «Je suis la résurrection et la vie... le crois-tu? » (Jn 11, 25-26). A la suite de Marthe, le temps est venu pour la communauté chrétienne de placer, à nouveau et en conscience, toute son espérance en Jésus de Nazareth: «Oui Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui vient dans le monde» (v.27). La communion avec le Christ, en cette vie, nous prépare à franchir l’obstacle de la mort pour vivre éternellement en Lui. La foi en la résurrection des morts et l’espérance en la vie éternelle ouvrent notre intelligence au sens ultime de notre existence: Dieu a créé l’homme pour la résurrection et la vie; cette vérité confère une dimension authentique et définitive à l’histoire humaine, à l’existence personnelle, à la vie sociale, à la culture, à la politique, à l’économie. Privé de la lumière de la foi, l’univers entier périt, prisonnier d’un sépulcre sans avenir ni espérance.
Le parcours du Carême trouve son achèvement dans le Triduum Pascal, plus particulièrement dans la Grande Vigile de la Nuit Sainte: en renouvelant les promesses du Baptême, nous proclamons à nouveau que le Christ est le Seigneur de notre vie, de cette vie que Dieu nous a donnée lorsque nous sommes renés «de l’eau et de l’Esprit Saint», et nous réaffirmons notre ferme propos de correspondre à l’action de la Grâce pour être ses disciples.
3. Notre immersion dans la mort et la résurrection du Christ, par le sacrement du Baptême, nous pousse chaque jour à libérer notre c½ur du poids des choses matérielles, du lien égoïste avec la «terre», qui nous appauvrit et nous empêche d’être disponibles et accueillants à Dieu et au prochain. Dans le Christ, Dieu s’est révélé Amour (cf. 1 Jn 4,7-10). La Croix du Christ, le «langage de la Croix» manifeste la puissance salvifique de Dieu (cf. 1 Cor 1,18) qui se donne pour relever l’homme et le conduire au salut: il s’agit de la forme la plus radicale de l’amour (cf. Enc. Deus caritas est, 12). Par la pratique traditionnelle du jeûne, de l’aumône et de la prière, signes de notre volonté de conversion, le Carême nous apprend à vivre de façon toujours plus radicale l’amour du Christ. Le jeûne, qui peut avoir des motivations diverses, a pour le chrétien une signification profondément religieuse: en appauvrissant notre table, nous apprenons à vaincre notre égoïsme pour vivre la logique du don et de l’amour; en acceptant la privation de quelque chose – qui ne soit pas seulement du superflu –, nous apprenons à détourner notre regard de notre «moi» pour découvrir Quelqu’un à côté de nous et reconnaître Dieu sur le visage de tant de nos frères. Pour le chrétien, la pratique du jeûne n’a rien d’intimiste, mais ouvre tellement à Dieu et à la détresse des hommes; elle fait en sorte que l’amour pour Dieu devienne aussi amour pour le prochain (cf. Mc 12,31).
Sur notre chemin, nous nous heurtons également à la tentation de la possession, de l’amour de l’argent, qui s’oppose à la primauté de Dieu dans notre vie. L’avidité de la possession engendre la violence, la prévarication et la mort; c’est pour cela que l’Eglise, spécialement en temps de Carême, appelle à la pratique de l’aumône, c’est à dire au partage. L’idolâtrie des biens, au contraire, non seulement nous sépare des autres mais vide la personne humaine en la laissant malheureuse, en lui mentant et en la trompant sans réaliser ce qu’elle lui promet, puisqu’elle substitue les biens matériels à Dieu, l’unique source de vie. Comment pourrions-nous donc comprendre la bonté paternelle de Dieu si notre c½ur est plein de lui-même et de nos projets qui donnent l’illusion de pouvoir assurer notre avenir? La tentation consiste à penser comme le riche de la parabole: «Mon âme, tu as quantité de biens en réserve pour de nombreuses années...». Nous savons ce que répond le Seigneur: «Insensé, cette nuit même, on va te redemander ton âme...» (Lc 19,19-20). La pratique de l’aumône nous ramène à la primauté de Dieu et à l’attention envers l’autre, elle nous fait découvrir à nouveau la bonté du Père et recevoir sa miséricorde.
Pendant toute la période du Carême, l’Eglise nous offre avec grande abondance la Parole de Dieu. En la méditant et en l’intériorisant pour l’incarner au quotidien, nous découvrons une forme de prière qui est précieuse et irremplaçable. En effet l’écoute attentive de Dieu qui parle sans cesse à notre c½ur, nourrit le chemin de foi que nous avons commencé le jour de notre Baptême. La prière nous permet également d’entrer dans une nouvelle perception du temps: Sans la perspective de l’éternité et de la transcendance, en effet, le temps n’est qu’une cadence qui rythme nos pas vers un horizon sans avenir. En priant, au contraire, nous prenons du temps pour Dieu, pour découvrir que ses «paroles ne passeront pas» (Mc 13,31), pour entrer en cette communion intime avec Lui «que personne ne pourra nous enlever» (cf. Jn 16,22), qui nous ouvre à l’espérance qui ne déçoit pas, à la vie éternelle.
En résumé, le parcours du Carême, où nous sommes invités à contempler le mystère de la Croix, consiste à nous rendre «conformes au Christ dans sa mort» (Ph 3,10), pour opérer une profonde conversion de notre vie: nous laisser transformer par l’action de l’Esprit Saint, comme saint Paul sur le chemin de Damas; mener fermement notre existence selon la volonté de Dieu; nous libérer de notre égoïsme en dépassant l’instinct de domination des autres et en nous ouvrant à la charité du Christ. La période du Carême est un temps favorable pour reconnaître notre fragilité, pour accueillir, à travers une sincère révision de vie, la Grâce rénovatrice du Sacrement de Pénitence et marcher résolument vers le Christ.
Chers Frères et S½urs, par la rencontre personnelle avec notre Rédempteur et par la pratique du jeûne, de l’aumône et de la prière, le chemin de conversion vers Pâques nous conduit à découvrir d’une façon nouvelle notre Baptême. Accueillons à nouveau, en ce temps de Carême, la Grâce que Dieu nous a donnée au moment de notre Baptême, afin qu’elle illumine et guide toutes nos actions. Ce que ce Sacrement signifie et réalise, nous sommes appelés à le vivre jour après jour, en suivant le Christ avec toujours plus de générosité et d’authenticité. En ce cheminement, nous nous confions à la Vierge Marie qui a enfanté le Verbe de Dieu dans sa foi et dans sa chair, pour nous plonger comme Elle dans la mort et la résurrection de son Fils Jésus et avoir la vie éternelle.
Du Vatican, le 4 novembre 2010
9 mars 2011 – Homélie de la Messe des Cendres
Nous entamons aujourd’hui le temps liturgique du carême avec le rite suggestif de l’imposition des cendres, à travers lequel nous voulons prendre l’engagement de convertir notre c½ur vers les horizons de la Grâce. En général, dans l’opinion commune, ce temps a parfois une connotation de tristesse, de grisaille de la vie. En revanche, il est un don précieux de Dieu, c’est un temps fort et dense de significations sur le chemin de l’Eglise, c’est l’itinéraire vers la Pâque du Seigneur. Les lectures bibliques de la célébration de ce jour nous offrent des indications pour vivre en plénitude cette expérience spirituelle.
«Revenez à moi de tout votre c½ur» (Jl 2,12). Dans la première lecture, tirée du livre du prophète Joël, nous avons entendu ces paroles par lesquelles Dieu invite le peuple juif à une repentance sincère et non de pure forme. Il ne s’agit pas d’une conversion superficielle et passagère, mais bien d’un itinéraire spirituel qui concerne en profondeur les attitudes de la conscience et suppose une intention sincère de repentir. Le prophète s’inspire de la plaie de l’invasion des sauterelles qui s’était abattue sur le peuple en détruisant les récoltes, pour inviter à une pénitence intérieure, à se lacérer le c½ur et non les vêtements (cf. 2, 13). Il s’agit donc de mettre en ½uvre une attitude de conversion authentique à Dieu — revenir à Lui —, en reconnaissant sa sainteté, sa puissance, sa majesté. Et cette conversion est possible parce que Dieu est riche en miséricorde et grand dans l’amour. Sa miséricorde est régénératrice, elle crée en nous un c½ur pur, renouvelle intimement un esprit ferme, en nous restituant la joie du salut (cf. Ps 50, 14). Dieu, en effet, — comme dit le prophète — ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et vive (cf. Ez 33, 11). Le prophète Joël ordonne, au nom du Seigneur, que se crée une atmosphère pénitentielle propice: il faut sonner du cor, convoquer l’assemblée, réveiller les consciences. Le temps quadragésimal nous propose ce contexte liturgique et pénitentiel, un chemin de quarante jours au cours desquels faire l’expérience de manière concrète de l’amour miséricordieux de Dieu. Aujourd’hui retentit pour nous l’appel «Revenez à moi de tout votre c½ur»; aujourd’hui, c’est nous qui sommes appelés à convertir notre c½ur à Dieu, toujours conscients de ne pas pouvoir réaliser notre conversion seuls, avec nos forces, parce que c’est Dieu qui nous convertit. Il nous offre encore son pardon, en nous invitant à revenir à Lui pour nous donner un c½ur nouveau, purifié du mal qui l’opprime, pour nous faire prendre part à sa joie. Notre monde a besoin d’être converti par Dieu, il a besoin de son pardon, de son amour, il a besoin d’un c½ur nouveau.
«Laissez-vous réconcilier avec Dieu» (2 Co 5, 20). Dans la deuxième lecture, saint Paul nous offre un autre élément sur le chemin de la conversion. L’apôtre nous invite à détourner notre regard de lui et à tourner en revanche notre attention sur celui qui l’a envoyé et sur le contenu du message qu’il apporte: «Nous sommes donc les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui-même qui, en fait, vous adresse un appel. Au nom du Christ, nous vous le demandons, laissez-vous réconcilier avec Dieu» (ibid.). Un ambassadeur répète ce qu’il a entendu prononcer par son Seigneur et parle avec l’autorité qu’il a reçue et dans ses limites. Celui qui exerce la fonction d’ambassadeur ne doit pas attirer l’intérêt sur lui-même, mais il doit se mettre au service du message à transmettre et de celui qui l’a envoyé. C’est ainsi qu’agit saint Paul en exerçant son ministère de prédicateur de la Parole de Dieu et d’apôtre de Jésus Christ. Il ne recule pas devant la tâche reçue, mais il l’accomplit avec un dévouement total, en invitant à s’ouvrir à la grâce, à laisser Dieu nous convertir: «Et puisque nous travaillons avec lui — écrit-il — nous vous invitons à ne pas laisser sans effets la grâce reçue de Dieu» (2 Co 6, 1). «Or l’appel du Christ à la conversion — nous dit le Catéchisme de l’Eglise catholique — continue à retentir dans la vie des chrétiens. [...] C’est une tâche ininterrompue pour toute l’Eglise qui “enferme des pécheurs dans son propre sein” et qui “est donc à la fois sainte et appelée à se purifier, et qui poursuit constamment son effort de pénitence et de renouvellement”. Cet effort de conversion n’est pas seulement une ½uvre humaine. Il est le mouvement du “c½ur contrit” (Ps 51, 19) attiré et mû par la grâce à répondre à l’amour miséricordieux de Dieu qui nous aimés le premier» (n. 1428). Saint Paul s’adresse aux chrétiens de Corinthe mais, à travers eux, il entend s’adresser à tous les hommes. Tous ont en effet besoin de la grâce de Dieu, qui illumine l’esprit et le c½ur. Et l’apôtre presse: «Or, c’est maintenant le moment favorable, c’est maintenant le jour du salut» (2 Co 6, 2). Tous peuvent s’ouvrir à l’action de Dieu, à son amour; à travers notre témoignage évangélique, nous, chrétiens, devons être un message vivant; dans de nombreux cas, nous sommes même l’unique Evangile que les hommes d’aujourd’hui lisent encore. Voilà notre responsabilité sur les traces de saint Paul, voilà un motif de plus pour bien vivre le carême: offrir le témoignage de la foi vécue à un monde en difficulté qui a besoin de revenir à Dieu, qui a besoin de conversion.
«Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes, pour vous faire remarquer d'eux» (Mt 6, 1). Dans l’Evangile d’aujourd’hui, Jésus relit les trois ½uvres fondamentales de piété prévues par la loi de Moïse. L’aumône, la prière et le jeûne caractérisent le juif qui observe la loi. Au fil du temps, ces prescriptions avaient été érodées par la rouille du formalisme extérieur, ou encore, elles s’étaient transformées en un signe de supériorité. Jésus met en évidence dans ces trois ½uvres de piété une tentation commune. Lorsque l’on accomplit quelque chose de bon, presque instinctivement naît le désir d’être estimé et admiré pour la bonne action, c’est-à-dire d’avoir une satisfaction. Et cela, d’une part, conduit au repli sur soi, et, de l’autre, à aller au dehors de soi, car l’on vit projeté vers ce que les autres pensent de nous et admirent en nous. En reproposant ces prescriptions, le Seigneur Jésus ne demande pas le respect formel d’une loi étrangère à l’homme, imposée par un législateur sévère comme un lourd fardeau, mais invite à redécouvrir ces trois ½uvres de piété en les vivant de façon plus profonde, non pas par amour propre, mais par amour de Dieu, comme moyens sur le chemin de conversion à Lui. Aumône, prière et jeûne: tel est l’itinéraire de la pédagogie divine qui nous accompagne, non seulement au cours du carême, vers la rencontre avec le Seigneur Ressuscité; un itinéraire qu’il faut parcourir sans ostentation, dans la certitude que le Père céleste sait lire et voir également dans le secret de notre c½ur.
Chers frères et s½urs, commençons confiants et joyeux l’itinéraire du carême. Quarante jours nous séparent de Pâques; ce temps «fort» de l’année liturgique est un temps propice qui nous est donné pour parvenir, avec un engagé accru, à notre conversion, pour intensifier l’écoute de la Parole de Dieu, la prière et la pénitence, en ouvrant le c½ur à l’accueil docile de la volonté divine, en vue d’une pratique plus généreuse du sacrifice qui permet de porter toujours plus son aide au prochain dans le besoin: un itinéraire spirituel qui nous prépare à revivre le Mystère pascal.
Que Marie, notre guide sur le chemin quadragésimal, nous conduise à une connaissance toujours plus profonde du Christ, mort et ressuscité, qu’elle nous aide dans le combat spirituel contre le péché, qu’elle nous soutienne pour invoquer avec force: «Converte nos, Deus salutaris noster», — Convertis-nous à Toi, ô Dieu, notre salut». Amen!
13 mars 2011 – Angelus
Nous voici au premier dimanche de carême, ce Temps liturgique de quarante jours qui constitue dans l'Église un itinéraire spirituel de préparation à Pâques. Il s'agit en substance de suivre Jésus qui se dirige résolument vers la Croix, sommet de sa mission de salut. Si nous nous demandons : pourquoi le Carême ? pourquoi la Croix ?, la réponse, en termes radicaux, est celle-ci : parce que le mal existe, ou plutôt le péché qui, selon les Écritures, est la cause profonde de tout mal. Mais cette affirmation n'est pas tout à fait acquise, et ce mot même de « péché » n'est pas accepté par beaucoup, parce qu'il présuppose une vision religieuse du monde et de l'homme. En effet, c'est vrai : si on élimine Dieu de l'horizon du monde, on ne peut pas parler de péché. Comme quand le soleil se cache, les ombres disparaissent ; l'ombre n'apparaît que s'il y a le soleil ; ainsi l'éclipse de Dieu comporte nécessairement l'éclipse du péché. C'est pourquoi le sens du péché — qui est très différent du « sentiment de culpabilité » comme l'entend la psychologie — s'acquiert en retrouvant le sens de Dieu. C'est ce qu'exprime le psaume Miserere, attribué au roi David à l'occasion de son double péché d'adultère et d'homicide : « Contre toi — dit David en s'adressant à Dieu — toi seul, j'ai péché » (Ps 51, 6).
Face au mal moral, l'attitude de Dieu est celle de s'opposer au péché et de sauver le pécheur. Dieu ne tolère pas le mal parce qu'il est Amour, Justice, Fidélité ; c'est justement pour cela qu'il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive. Pour sauver l'humanité, Dieu intervient : nous le voyons dans toute l'histoire du peuple juif, à partir de la libération d'Egypte. Dieu est déterminé à libérer ses fils de l'esclavage pour les conduire à la liberté. Et l'esclavage le plus grave et le plus profond est justement celui du péché. C'est pourquoi Dieu a envoyé son Fils dans le monde: pour libérer les hommes de la domination de Satan, « origine et cause de tout péché ». Il l'a envoyé dans notre chair mortelle pour qu'il devienne victime d'expiation, en mourant pour nous sur la croix. Le diable s'est opposé de toutes ses forces à ce plan de salut définitif et universel, comme le démontre en particulier l'Évangile des tentations de Jésus dans le désert, qui est proclamé chaque année le premier dimanche de Carême. En effet, entrer dans ce temps liturgique signifie chaque fois se mettre du côté du Christ contre le péché, affronter — comme personne ou comme Église — le combat spirituel contre l'esprit du Mal (Mercredi des Cendres, Oraison Collecte).
Invoquons donc l'aide maternelle de la Très Sainte Vierge Marie pour ce chemin de carême commencé depuis peu, pour qu'il soit riche de fruits de conversion. Je demande pour moi et mes collaborateurs de la Curie romaine, alors que nous commencerons ce soir la semaine des Exercices spirituels, un souvenir spécial dans la prière.
20 mars 2011 – Angelus
Je rends grâce au Seigneur qui m'a donné de vivre ces derniers jours les Exercices spirituels, et je suis également reconnaissant à ceux qui ont été proches de moi par la prière. Ce deuxième dimanche de carême est appelé dimanche de la Transfiguration, parce que l'Évangile raconte ce mystère de la vie du Christ. Après avoir annoncé sa passion à ses disciples, Jésus « prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène à l'écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière » (Mt 17, 1-2). Pour les sens, la lumière du soleil est la plus intense que l'on connaisse dans la nature, mais pour l'esprit, les disciples virent, pendant un bref moment, une splendeur encore plus intense, celle de la gloire divine de Jésus, qui éclaire toute l'histoire du salut. Saint Maxime le Confesseur affirme que « les vêtements devenus blancs portaient le symbole des paroles de l'Écriture Sainte, qui devenaient claires et transparentes et lumineuses » (Ambiguum 10 : PG 91, 1128 B).
L'Évangile dit qu'aux côtés de Jésus transfiguré, « apparurent Moïse et Élie, qui s'entretenaient avec lui » (Mt 17, 3) ; Moïse et Élie, figures de la Loi et des prophètes. Ce fut alors que Pierre, en extase, s'exclama : « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie » (Mt 17, 4). Mais saint Augustin commente en disant que nous avons une seule demeure: le Christ ; lui, « est la Parole de Dieu, Parole de Dieu dans la Loi, Parole de Dieu dans les Prophètes » (Sermo De Verbis Ev. 78, 3 : PL 38, 491). En effet, le Père lui-même proclame : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis tout mon amour ; écoutez-le ! » (Mt 17, 5). La Transfiguration n'est pas un changement de Jésus, mais elle est la révélation de sa divinité, « l'intime compénétration de son être de Dieu, qui devient pure lumière. Dans son être un avec le Père, Jésus lui-même est Lumière née de la Lumière » (Jésus de Nazareth, 2007). En contemplant la divinité du Seigneur, Pierre, Jacques et Jean sont préparés à affronter le scandale de la Croix, comme on le chante dans un hymne ancien : « Tu t'es transfiguré sur la montagne, et, autant qu'ils en étaient capables, tes disciples ont contemplé ta Gloire, Christ Dieu afin que lorsqu'ils Te verraient crucifié, ils comprennent que ta passion était volontaire et qu'ils annoncent au monde que Tu es vraiment le rayonnement du Père » (Liturgie byzantine, Kontakion de la fête de la Transfiguration).
Chers amis, nous participons nous aussi à cette vision, et à ce don surnaturel, en faisant place à la prière et à l'écoute de la Parole de Dieu. En outre, spécialement en ce temps de carême, je vous exhorte, comme l'écrit le serviteur de Dieu Paul VI, à « répondre au précepte divin de la pénitence par quelque acte volontaire en dehors des renoncements imposés par le poids de la vie quotidienne » (Constitution apostolique Pænitemini, 17 février 1966, III, c : AAS 58 [1966]). Invoquons la Vierge Marie, afin qu'elle nous aide à écouter et à suivre toujours le Seigneur Jésus, jusqu'à la passion et la croix, pour participer aussi à sa gloire.
27 mars 2011 – Angelus
Ce 3ème dimanche de carême est caractérisé par le célèbre dialogue de Jésus avec la Samaritaine, raconté par l'évangéliste Jean. Cette femme se rendait chaque jour à un ancien puits remontant au patriarche Jacob pour y puiser de l'eau, et ce jour-là, elle y trouva Jésus, assis, « fatigué par la marche » (Jn 4, 6). Saint Augustin commente : « Ce n'est pas pour rien que Jésus se fatigue... La force du Christ t'a créé, la faiblesse du Christ t'a recréé... Par sa force il nous a créé, par sa faiblesse il est venu nous chercher... » (In Ioh. Ev., 15, 2). La fatigue de Jésus, signe de son humanité véritable, peut être vue comme un prélude de la passion, par laquelle il a mené à son accomplissement l'½uvre de notre rédemption. En particulier, dans la rencontre avec la Samaritaine au puits, apparaît le thème de la « soif » du Christ, qui culmine dans le cri sur la croix : « J'ai soif » (Jn 19, 28). Cette soif, comme la fatigue, a certainement une base physique. Mais Jésus, comme le dit encore Augustin, « avait soif de la foi de cette femme » (In Ioh. Ev. 15, 11), comme de la foi de nous tous. Dieu le Père l'a envoyé pour assouvir notre soif de vie éternelle, en nous donnant son amour, mais pour nous faire ce don, Jésus demande notre foi. La toute puissance de l'Amour respecte toujours la liberté de l'homme ; elle frappe à son c½ur et attend patiemment sa réponse.
Dans la rencontre avec la Samaritaine, on distingue le symbole de l'eau au premier plan, qui fait clairement allusion au sacrement du baptême, source d'une vie nouvelle pour la foi dans la Grâce de Dieu. Cet Évangile, en effet, — comme je l'ai rappelé dans la catéchèse du mercredi des Cendres —, fait partie de l'ancien itinéraire de préparation des catéchumènes à l'initiation chrétienne qui se déroulait pendant la grande veillée de la nuit de Pâques. « Qui boira de l'eau que je lui donnerai - dit Jésus — n'aura plus jamais soif. L'eau que je lui donnerai deviendra en lui source d'eau jaillissant en vie éternelle » (Jn 4, 14). Cette eau représente l'Esprit Saint, le « don » par excellence que Jésus est venu apporter de la part de Dieu le Père. Qui renaît de l'eau et de l'Esprit Saint, c'est-à-dire dans le Baptême, entre dans une relation réelle avec Dieu, une relation filiale, et peut l'adorer « en esprit et en vérité » (Jn 4, 23.24), comme le révèle encore Jésus à la Samaritaine. Grâce à la rencontre avec Jésus Christ et au don de l'Esprit Saint, la foi de l'homme atteint son accomplissement, comme réponse à la plénitude de la révélation de Dieu.
Chacun de nous peut s'identifier à la Samaritaine : Jésus nous attend, spécialement en ce temps de carême, pour parler à notre, à mon c½ur. Arrêtons-nous un moment en silence, dans notre chambre, ou dans une église, ou dans un lieu isolé. Écoutons sa voix qui nous dit : « Si tu savais le don de Dieu... ». Que la Vierge Marie nous aide à ne pas manquer ce rendez-vous dont dépend notre bonheur véritable.
3 avril 2011 – Angelus
L'itinéraire de carême que nous sommes en train de vivre est un temps de grâce particulier au cours duquel nous pouvons faire l'expérience du don de la bienveillance du Seigneur à notre égard. La liturgie de ce dimanche, appelé Laetare, nous invite à nous réjouir, à être joyeux, comme le proclame l'antienne d'entrée de la célébration eucharistique : « Réjouis-toi, Jérusalem, et vous tous qui m'aimez, rassemblez-vous. Exultez et réjouissez-vous, vous qui étiez dans la tristesse : rassasiez-vous de l'abondance de votre consolation » (cf. Is 66, 10-11). Quelle est la raison profonde de cette joie ? L'Évangile d'aujourd'hui dans lequel Jésus guérit un homme aveugle de naissance nous le dit. La question que le Seigneur Jésus adresse à celui qui a été aveugle constitue le sommet du récit : « Crois-tu au Fils de l'homme ? » (Jn 9, 35). Cet homme reconnaît le signe accompli par Jésus et passe de la lumière des yeux à la lumière de la foi : « Je crois, Seigneur ! » (Jn 9, 38). Il faut souligner comment une personne simple et sincère, accomplit, de façon progressive, un chemin de foi : dans un premier moment, il rencontre Jésus comme un « homme » parmi d'autres, puis il le considère comme un « prophète », et enfin, ses yeux s'ouvrent et il le proclame « Seigneur ». En opposition avec la foi de l'aveugle guéri, il y a l'endurcissement du c½ur des Pharisiens qui ne veulent pas accepter le miracle, parce qu'ils refusent d'accueillir Jésus comme le Messie. La foule, au contraire, s'arrête pour discuter sur l'événement et reste à distance et indifférente. Les parents de l'aveugle eux-mêmes sont vaincus par la peur du jugement des autres.
Et nous, quelle attitude assumons-nous devant Jésus ? Nous aussi, à cause du péché d'Adam, nous sommes nés « aveugles », mais dans la source baptismale, nous avons été illuminés par la grâce du Christ. Le péché avait blessé l'humanité en la destinant à l'obscurité de la mort, mais dans le Christ, resplendit la nouveauté de la vie, et l’objectif auquel nous sommes appelés. En Lui, revigorés par l'Esprit Saint, nous recevons la force pour vaincre le mal et pour faire le bien. En effet, la vie chrétienne est une conformation continuelle au Christ, image de l'homme nouveau, pour arriver à la pleine communion avec Dieu. Le Seigneur Jésus est « la lumière du monde » (Jn 8, 12), parce qu'en Lui « resplendit la connaissance de la gloire de Dieu » (2 Co 4, 6) qui continue à révéler dans la trame complexe de l'histoire quel est le sens de l'existence humaine. Dans le rite du baptême, la remise du cierge, allumé au grand cierge pascal, symbole du Christ ressuscité, est un signe qui aide à accueillir ce qui se produit dans le sacrement. Quand notre vie se laisse illuminer par le mystère du Christ, elle fait l'expérience de la joie d'être libérée de tout ce qui en menace la pleine réalisation. En ces jours, où nous nous préparons à Pâques, ravivons en nous le don reçu au baptême, cette flamme qui risque parfois d'être étouffée. Nourrissons-la de la prière et de la charité pour le prochain.
À la Vierge Marie, Mère de l'Église, confions ce chemin de carême, afin que nous puissions tous rencontrer le Christ, Sauveur du monde.
10 avril 2011 – Angelus
Deux semaines seulement nous séparent de Pâques et les lectures bibliques de ce dimanche parlent toutes de la Résurrection. Pas encore de celle de Jésus, qui fera irruption comme une nouveauté absolue, mais de notre résurrection, celle à laquelle nous aspirons, et que justement le Christ nous a donnée, en ressuscitant des morts. En effet, la mort représente pour nous comme un mur qui nous empêche de voir au-delà; et pourtant notre c½ur se tend au-delà de ce mur, et même si nous ne pouvons pas connaître ce qu'il cache, pourtant nous y pensons, nous l'imaginons, en exprimant notre désir d'éternité par des symboles.
Au peuple juif, en exil loin de la Terre d'Israël, le prophète Ezéchiel annonce que Dieu ouvrira les tombeaux des déportés et les fera revenir sur leur terre, pour qu'ils y reposent en paix (cf. Ez 37, 12-14). Cette aspiration ancestrale de l'homme à être enterré avec ses ancêtres est une aspiration à une « patrie » qui l'accueille au terme des fatigues terrestres. Cette conception ne comporte pas encore l'idée d'une résurrection personnelle de la mort, qui apparaît seulement vers la fin de l'Ancien Testament, et qui n'était encore pas accueillie par tous les juifs au temps de Jésus. Du reste chez les chrétiens aussi, il n'est pas rare que la foi dans la résurrection et dans la vie éternelle s'accompagne de nombreux doutes, de beaucoup de confusion, parce qu'il s'agit toujours d'une réalité qui dépasse les limites de notre raison, et requiert un acte de foi. Dans l'Évangile d'aujourd'hui — la résurrection de Lazare — nous écoutons la voix de la foi dans la bouche de Marthe, s½ur de Lazare. À Jésus qui lui dit : « Ton frère ressuscitera », elle répond : « Je sais qu'il ressuscitera au dernier jour, à la résurrection » (Jn 11, 23-24). Mais Jésus répond : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s'il meurt, vivra » (Jn 11, 25-26). Voilà la véritable nouveauté, qui surgit et franchit toutes les barrières ! Le Christ abat le mur de la mort, en Lui habite toute la plénitude de Dieu, qui est la vie, la vie éternelle. C'est pourquoi la mort n'a pas eu de pouvoir sur lui : et la résurrection de Lazare est le signe de sa domination totale sur la mort physique, qui devant Dieu est comme un sommeil (cf. Jn 11, 11).
Mais il est une autre mort, qui a coûté au Christ la lutte la plus dure, et même le prix de la croix: c'est la mort spirituelle, le péché, qui menace de ruiner l'existence de chaque homme. Le Christ est mort pour vaincre cette mort, et sa résurrection n'est pas un retour à la vie précédente, mais l'ouverture d'une réalité nouvelle, une « terre nouvelle », finalement unie à nouveau au Ciel de Dieu. C'est pourquoi saint Paul écrit : « Si l'Esprit de Dieu, qui a ressuscité Jésus d'entre les morts, habite en vous, celui qui a ressuscité le Christ d'entre les morts, donnera la vie aussi à vos corps mortels, par son Esprit qui habite en vous » (Rm 8, 11). Chers frères, adressons-nous à la Vierge Marie, qui participe déjà à cette résurrection, afin qu'elle nous aide à dire avec foi : « Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu » (Jn 11, 27), à découvrir vraiment qu’Il est notre salut.
Message pour le Carême 2012 – Benoit XVI
Le Carême nous offre encore une fois l’opportunité de réfléchir sur ce qui est au c½ur de la vie chrétienne : la charité. En effet, c’est un temps favorable pour renouveler, à l’aide de la Parole de Dieu et des Sacrements, notre itinéraire de foi, aussi bien personnel que communautaire. C’est un cheminement marqué par la prière et le partage, par le silence et le jeûne, dans l’attente de vivre la joie pascale.
Cette année, je désire proposer quelques réflexions à la lumière d’un bref texte biblique tiré de la Lettre aux Hébreux : « Faisons attention les uns aux autres pour nous stimuler dans la charité et les ½uvres bonnes » (10, 24). Cette phrase fait partie d’une péricope dans laquelle l’écrivain sacré exhorte à faire confiance à Jésus Christ comme Grand prêtre qui nous a obtenu le pardon et l’accès à Dieu. Le fruit de notre accueil du Christ est une vie selon les trois vertus théologales : il s’agit de nous approcher du Seigneur « avec un c½ur sincère et dans la plénitude de la foi » (v. 22), de garder indéfectible « la confession de l’espérance » (v. 23) en faisant constamment attention à exercer avec nos frères « la charité et les ½uvres bonnes » (v. 24). Pour étayer cette conduite évangélique – est-il également affirmé -, il est important de participer aux rencontres liturgiques et de prière de la communauté, en tenant compte du but eschatologique : la pleine communion en Dieu (v. 25). Je m’arrête sur le verset 24 qui, en quelques mots, offre un enseignement précieux et toujours actuel sur trois aspects de la vie chrétienne: l’attention à l’autre, la réciprocité et la sainteté personnelle.
1. « Faisons attention » : la responsabilité envers le frère.
Le premier élément est l’invitation à « faire attention » : le verbe grec utilisé est katanoein, qui signifie bien observer, être attentifs, regarder en étant conscient, se rendre compte d’une réalité. Nous le trouvons dans l’Évangile, lorsque Jésus invite les disciples à « observer » les oiseaux du ciel qui, bien qu’ils ne s’inquiètent pas, sont l’objet de l’empressement et de l’attention de la Providence divine (cf. Lc 12, 24), et à « se rendre compte » de la poutre qui se trouve dans leur ½il avant de regarder la paille dans l’½il de leur frère (cf. Lc 6, 41). Nous trouvons aussi cet élément dans un autre passage de la même Lettre aux Hébreux, comme invitation à « prêter attention à Jésus » (3, 1), l’apôtre et le grand prêtre de notre foi. Ensuite, le verbe qui ouvre notre exhortation invite à fixer le regard sur l’autre, tout d’abord sur Jésus, et à être attentifs les uns envers les autres, à ne pas se montrer étrangers, indifférents au destin des frères. Souvent, au contraire, l’attitude inverse prédomine : l’indifférence, le désintérêt qui naissent de l’égoïsme dissimulé derrière une apparence de respect pour la « sphère privée ». Aujourd’hui aussi, la voix du Seigneur résonne avec force, appelant chacun de nous à prendre soin de l’autre. Aujourd’hui aussi, Dieu nous demande d’être les « gardiens » de nos frères (cf. Gn 4, 9), d’instaurer des relations caractérisées par un empressement réciproque, par une attention au bien de l’autre et à tout son bien. Le grand commandement de l’amour du prochain exige et sollicite d’être conscients d’avoir une responsabilité envers celui qui, comme moi, est une créature et un enfant de Dieu : le fait d’être frères en humanité et, dans bien des cas, aussi dans la foi, doit nous amener à voir dans l’autre un véritable alter ego, aimé infiniment par le Seigneur. Si nous cultivons ce regard de fraternité, la solidarité, la justice ainsi que la miséricorde et la compassion jailliront naturellement de notre c½ur. Le Serviteur de Dieu Paul VI affirmait qu’aujourd’hui le monde souffre surtout d’un manque de fraternité : « Le monde est malade. Son mal réside moins dans la stérilisation des ressources ou dans leur accaparement par quelques-uns, que dans le manque de fraternité entre les hommes et entre les peuples » (Lett. enc. Populorum progressio [26 mars 1967], n. 66).
L’attention à l’autre comporte que l’on désire pour lui ou pour elle le bien, sous tous ses aspects : physique, moral et spirituel. La culture contemporaine semble avoir perdu le sens du bien et du mal, tandis qu’il est nécessaire de répéter avec force que le bien existe et triomphe, parce que Dieu est « le bon, le bienfaisant » (Ps 119, 68). Le bien est ce qui suscite, protège et promeut la vie, la fraternité et la communion. La responsabilité envers le prochain signifie alors vouloir et faire le bien de l’autre, désirant qu’il s’ouvre lui aussi à la logique du bien ; s’intéresser au frère veut dire ouvrir les yeux sur ses nécessités. L’Écriture Sainte met en garde contre le danger d’avoir le c½ur endurci par une sorte d’« anesthésie spirituelle » qui rend aveugles aux souffrances des autres. L’évangéliste Luc rapporte deux paraboles de Jésus dans lesquelles sont indiqués deux exemples de cette situation qui peut se créer dans le c½ur de l’homme. Dans celle du bon Samaritain, le prêtre et le lévite « passent outre », avec indifférence, devant l’homme dépouillé et roué de coups par les brigands (cf. Lc 10, 30-32), et dans la parabole du mauvais riche, cet homme repu de biens ne s’aperçoit pas de la condition du pauvre Lazare qui meurt de faim devant sa porte (cf. Lc 16, 19). Dans les deux cas, nous avons à faire au contraire du « prêter attention », du regarder avec amour et compassion. Qu’est-ce qui empêche ce regard humain et affectueux envers le frère ? Ce sont souvent la richesse matérielle et la satiété, mais c’est aussi le fait de faire passer avant tout nos intérêts et nos préoccupations personnels. Jamais, nous ne devons nous montrer incapables de « faire preuve de miséricorde » à l’égard de celui qui souffre ; jamais notre c½ur ne doit être pris par nos propres intérêts et par nos problèmes au point d’être sourds au cri du pauvre. À l’inverse, c’est l’humilité de c½ur et l’expérience personnelle de la souffrance qui peuvent se révéler source d’un éveil intérieur à la compassion et à l’empathie : « Le juste connaît la cause des faibles, le méchant n’a pas l’intelligence de la connaître » (Pr 29, 7). Nous comprenons ainsi la béatitude de « ceux qui sont affligés » (Mt 5, 4), c’est-à-dire de ceux qui sont en mesure de sortir d’eux-mêmes pour se laisser apitoyer par la souffrance des autres. Rencontrer l’autre et ouvrir son c½ur à ce dont il a besoin sont une occasion de salut et de béatitude.
« Prêter attention » au frère comporte aussi la sollicitude pour son bien spirituel. Je désire rappeler ici un aspect de la vie chrétienne qui me semble être tombé en désuétude : la correction fraternelle en vue du salut éternel. En général, aujourd’hui, on est très sensible au thème des soins et de la charité à prodiguer pour le bien physique et matériel des autres, mais on ne parle pour ainsi dire pas de notre responsabilité spirituelle envers les frères. Il n’en est pas ainsi dans l’Église des premiers temps, ni dans les communautés vraiment mûres dans leur foi, où on se soucie non seulement de la santé corporelle du frère, mais aussi de celle de son âme en vue de son destin ultime. Dans l’Écriture Sainte, nous lisons : « Reprends le sage, il t'aimera. Donne au sage : il deviendra plus sage encore ; instruis le juste, il accroîtra son acquis » (Pr 9, 8s). Le Christ lui-même nous commande de reprendre le frère qui commet un péché (cf. Mt 18, 15). Le verbe utilisé pour définir la correction fraternelle – elenchein – est le même que celui qui indique la mission prophétique de la dénonciation propre aux chrétiens envers une génération qui s’adonne au mal (cf. Ep 5, 11). La tradition de l’Église a compté parmi les ½uvres de miséricorde spirituelle celle d’« admonester les pécheurs ». Il est important de récupérer cette dimension de la charité chrétienne. Il ne faut pas se taire face au mal. Je pense ici à l’attitude de ces chrétiens qui, par respect humain ou par simple commodité, s’adaptent à la mentalité commune au lieu de mettre en garde leurs frères contre des manières de penser et d’agir qui sont contraires à la vérité, et ne suivent pas le chemin du bien. Toutefois le reproche chrétien n’est jamais fait dans un esprit de condamnation ou de récrimination. Il est toujours animée par l’amour et par la miséricorde et il naît de la véritable sollicitude pour le bien du frère. L’apôtre Paul affirme : « Dans le cas où quelqu’un serait pris en faute, vous les spirituels, rétablissez-le en esprit de douceur, te surveillant toi-même, car tu pourrais bien, toi aussi être tenté » (Ga 6, 1). Dans notre monde imprégné d’individualisme, il est nécessaire de redécouvrir l’importance de la correction fraternelle, pour marcher ensemble vers la sainteté. Même « le juste tombe sept fois » (Pr 24, 16) dit l’Écriture, et nous sommes tous faibles et imparfaits (cf.1 Jn 1, 8). Il est donc très utile d’aider et de se laisser aider à jeter un regard vrai sur soi-même pour améliorer sa propre vie et marcher avec plus de rectitude sur la voie du Seigneur. Nous avons toujours besoin d’un regard qui aime et corrige, qui connaît et reconnaît, qui discerne et pardonne (cf. Lc 22, 61), comme Dieu l’a fait et le fait avec chacun de nous.
2. « Les uns aux autres » : le don de la réciprocité.
Cette « garde » des autres contraste avec une mentalité qui, réduisant la vie à sa seule dimension terrestre, ne la considère pas dans une perspective eschatologique et accepte n’importe quel choix moral au nom de la liberté individuelle. Une société comme la société actuelle peut devenir sourde aux souffrances physiques comme aux exigences spirituelles et morales de la vie. Il ne doit pas en être ainsi dans la communauté chrétienne! L’apôtre Paul invite à chercher ce qui « favorise la paix et l'édification mutuelle » (Rm 14, 19), en plaisant « à son prochain pour le bien, en vue d'édifier » (Ibid.15, 2), ne recherchant pas son propre intérêt, « mais celui du plus grand nombre, afin qu'ils soient sauvés » (1 Co 10, 33). Cette correction réciproque et cette exhortation, dans un esprit d’humilité et de charité, doivent faire partie de la vie de la communauté chrétienne.
Les disciples du Seigneur, unis au Christ par l’Eucharistie, vivent dans une communion qui les lie les uns aux autres comme membres d’un seul corps. Cela veut dire que l’autre m’est uni de manière particulière, sa vie, son salut, concernent ma vie et mon salut. Nous abordons ici un élément très profond de la communion : notre existence est liée à celle des autres, dans le bien comme dans le mal ; le péché comme les ½uvres d’amour ont aussi une dimension sociale. Dans l’Église, corps mystique du Christ, cette réciprocité se vérifie : la communauté ne cesse de faire pénitence et d’invoquer le pardon des péchés de ses enfants, mais elle se réjouit aussi constamment et exulte pour les témoignages de vertu et de charité qui adviennent en son sein. « Que les membres se témoignent une mutuelle sollicitude » (cf.1 Co 12, 25), affirme saint Paul, afin qu’ils soient un même corps. La charité envers les frères, dont l’aumône – une pratique caractéristique du carême avec la prière et le jeûne – est une expression, s’enracine dans cette appartenance commune. En se souciant concrètement des plus pauvres, le chrétien peut exprimer sa participation à l’unique corps qu’est l’Église. Faire attention aux autres dans la réciprocité c’est aussi reconnaître le bien que le Seigneur accomplit en eux et le remercier avec eux des prodiges de grâce que le Dieu bon et tout-puissant continue de réaliser dans ses enfants. Quand un chrétien perçoit dans l’autre l’action du Saint Esprit, il ne peut que s’en réjouir et rendre gloire au Père céleste (cf. Mt 5, 16).
3. « pour nous stimuler dans la charité et les ½uvres bonnes » : marcher ensemble dans la sainteté.
Cette expression de la Lettre aux Hébreux (10, 24), nous pousse à considérer l’appel universel à la sainteté, le cheminement constant dans la vie spirituelle à aspirer aux charismes les plus grands et à une charité toujours plus élevée et plus féconde (cf.1 Co 12, 31-13, 13). L’attention réciproque a pour but de nous encourager mutuellement à un amour effectif toujours plus grand, « comme la lumière de l'aube, dont l'éclat grandit jusqu'au plein jour » (Pr 4, 18), dans l’attente de vivre le jour sans fin en Dieu. Le temps qui nous est accordé durant notre vie est précieux pour découvrir et accomplir les ½uvres de bien, dans l’amour de Dieu. De cette manière, l’Église elle-même grandit et se développe pour parvenir à la pleine maturité du Christ (cf. Ep 4, 13). C’est dans cette perspective dynamique de croissance que se situe notre exhortation à nous stimuler réciproquement pour parvenir à la plénitude de l’amour et des ½uvres bonnes.
Malheureusement, la tentation de la tiédeur, de l’asphyxie de l’Esprit, du refus d’« exploiter les talents » qui nous sont donnés pour notre bien et celui des autres (cf. Mt 25, 25s) demeure. Nous avons tous reçu des richesses spirituelles ou matérielles utiles à l’accomplissement du plan divin, pour le bien de l’Église et pour notre salut personnel (cf. Lc 12, 21b ; 1 Tm 6, 18). Les maîtres spirituels rappellent que dans la vie de la foi celui qui n’avance pas recule. Chers frères et s½urs, accueillons l’invitation toujours actuelle à tendre au « haut degré de la vie chrétienne » (Jean-Paul II, Lett. ap. Novo millennio ineunte [6 janvier 2001], n.31). En reconnaissant et en proclamant la béatitude et la sainteté de quelques chrétiens exemplaires, la sagesse de l’Église a aussi pour but de susciter le désir d’en imiter les vertus. Saint Paul exhorte : « rivalisez d’estime réciproque » (Rm 12, 10).
Face à un monde qui exige des chrétiens un témoignage renouvelé d’amour et de fidélité au Seigneur, tous sentent l’urgence de tout faire pour rivaliser dans la charité, dans le service et dans les ½uvres bonnes (cf. He 6, 10). Ce rappel est particulièrement fort durant le saint temps de préparation à Pâques. Vous souhaitant un saint et fécond Carême, je vous confie à l’intercession de la Bienheureuse Vierge Marie et, de grand c½ur, j’accorde à tous la Bénédiction apostolique.
Du Vatican, le 3 novembre 2011.
22 février 2012 – Homélie de la Messe des Cendres
Avec ce jour de pénitence et de jeûne — le mercredi des cendres — nous commençons un nouveau chemin vers la Pâque de la Résurrection: le chemin du carême. Je voudrais m’arrêter brièvement pour réfléchir sur le signe liturgique de la cendre, un signe matériel, un élément de la nature, qui dans la liturgie devient un symbole sacré, très important en cette journée qui marque le début de l’itinéraire quadragésimal. Dans l’antiquité, dans la culture juive, l’usage de déposer de la cendre sur la tête comme signe de pénitence était commun, souvent associé à celui de s’habiller d’un sac ou de haillons. Pour nous chrétiens, en revanche, il n’y a que cet unique moment, qui possède par ailleurs une grande importance rituelle et spirituelle.
Tout d’abord, la cendre est l’un des signes matériels qui introduisent l’univers au sein de la liturgie. Les principaux sont évidemment ceux des sacrements : l’eau, l’huile, le pain et le vin, qui deviennent une véritable matière sacramentelle, un instrument à travers lequel se transmet la grâce du Christ qui parvient jusqu’à nous. Dans le cas de la cendre, il s’agit en revanche d’un signe non sacramentel, mais toutefois toujours lié à la prière et à la sanctification du peuple chrétien : en effet, avant l’imposition individuelle sur la tête, une bénédiction spécifique des cendres est prévue — que nous accomplirons dans quelques instants —, avec deux formules possibles. Dans la première, celles-ci sont définies « austère symbole » ; dans la deuxième, on invoque directement sur elles la bénédiction et on fait référence au texte du Livre de la Genèse, qui peut également accompagner le geste de l’imposition : « Car tu es glaise et tu retourneras à la glaise » (cf. Gn 3, 19).
Arrêtons-nous un instant sur ce passage de la Genèse. Il conclut le jugement prononcé par Dieu après le péché originel: Dieu maudit le serpent, qui a fait tomber l’homme et la femme dans le péché ; ensuite il punit la femme, en lui annonçant les douleurs de l’accouchement et une relation inégale avec son mari; enfin, il punit l’homme, il lui annonce la fatigue du travail et maudit le sol. « Maudit soit le sol à cause de toi ! » (Gn 3, 17), à cause de ton péché. L’homme et la femme ne sont donc pas maudits directement comme l’est en revanche le serpent, mais, à cause du péché d’Adam, le sol, dont il avait été tiré, est maudit. Relisons le magnifique récit de la création de l’homme tiré de la terre : « Alors le Seigneur Dieu modela l'homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l'homme devint un être vivant. Le Seigneur Dieu planta un jardin en Eden, à l'orient, et il y mit l’homme qu'il avait modelé » (Gn 2, 7-8) ; ainsi est-il écrit dans le livre de la Genèse.
Voilà donc que le signe de la cendre nous reconduit à la grande fresque de la création, où il est dit que l’être humain est une unité de matière et de souffle divin particulière, à travers la glaise du sol modelée par Dieu et animée par son haleine insufflée dans les narines de la nouvelle créature. Nous pouvons observer que dans le récit de la Genèse le symbole de la glaise subit une transformation négative à cause du péché. Alors qu’avant la chute, le sol est une potentialité entièrement bonne, irrigué par une source d’eau (Gn 2, 6) et capable, par l’½uvre de Dieu, de faire germer « toute espèce d'arbres séduisants à voir et bons à manger » (Gn 2, 9), après la chute et la malédiction divine conséquente, celui-ci produira des « épines et des chardons » et ce n’est qu’en échange de « peines » et de « la sueur du front » qu’il accordera ses fruits à l’homme (cf. Gn 3, 17-18). La glaise de la terre ne rappelle plus seulement le geste créateur de Dieu, entièrement ouvert à la vie, mais devient le signe d’un inexorable destin de mort : « Car tu es glaise et tu retourneras à la glaise » (Gn 3, 19).
Il est évident dans le texte biblique que la terre participe au destin de l’homme. Saint Jean Chrysostome dit à ce propos, dans l’une de ses homélies : « Tu vois comment après sa désobéissance tout lui est imposé [à l’homme] de manière contraire à son précédent style de vie » (Homélie sur la Genèse 17, 9 : pg 53, 146). Cette malédiction du sol a une fonction curative pour l’homme, qui en raison des «résistances» de la terre devrait être aidé à rester dans ses limites et à reconnaître sa propre nature (cf. ibid.). C’est ainsi que s’exprime un autre commentaire antique, avec une belle synthèse, qui dit : « Adam fut créé pur par Dieu pour son service. Toutes les créatures lui furent données pour le servir. Il était destiné à être le seigneur et roi de toutes les créatures. Mais lorsque le mal parvint à lui et parla avec lui, il le reçut au moyen d’une écoute extérieure. Ensuite, il pénétra dans son c½ur et prit possession de son être tout entier. Lorsqu’il fut ainsi capturé, la création, qui l’avait assisté et servi, fut capturée avec lui » (Pseudo-Macaire, Homélies 11, 5 : pg 34, 547).
Nous disions il y a peu, en citant saint Jean Chrysostome, que la malédiction du sol a une fonction « curative ». Cela signifie que l’intention de Dieu, qui est toujours bénéfique, est plus profonde que la malédiction. En effet, celle-ci est due au péché et non à Dieu, mais Dieu ne peut pas ne pas l’infliger, car elle respecte la liberté de l’homme et ses conséquences, même négatives. A l’intérieur de la punition, et également à l’intérieur de la malédiction du sol, demeure donc une bonne intention qui vient de Dieu. Lorsqu’Il dit à l’homme : « Car tu es glaise et tu retourneras à la glaise », avec la juste punition il entend également annoncer une voie de salut, qui passera précisément à travers la terre, à travers cette « glaise », cette « chair » qui sera assumée par le Verbe. C’est dans cette perspective salvifique que la parole de la Genèse est reprise par la liturgie du Mercredi des Cendres: comme invitation à la pénitence, à l’humilité, à garder à l’esprit sa propre condition mortelle, non pour finir dans le désespoir, mais pour accueillir, précisément dans notre mortalité, la proximité impensable de Dieu, qui, au-delà de la mort, ouvre le passage à la résurrection, au paradis finalement retrouvé. C’est dans ce sens que nous oriente un texte d’Origène qui dit : « Ce qui au début était chair, venant de la terre, un homme de glaise (cf. 1 Co 15, 47), et qui fut dissout à travers la mort et de nouveau rendu glaise et cendre — en effet, il est écrit : car tu es glaise et tu retourneras à la glaise — est fait renaître à nouveau de la terre. Ensuite, selon les mérites de l’âme qui habite le corps, la personne avance vers la gloire d’un corps spirituel » (Traité des principes 3, 6, 5 : Sch, 268, 248).
Les « mérites de l’âme », dont parle Origène, sont nécessaires; mais les mérites du Christ, l’efficacité de son Mystère pascal, sont fondamentaux. Saint Paul nous en a offert une formulation synthétique dans la deuxième Lettre aux Corinthiens, aujourd’hui objet de la deuxième lecture : « Celui qui n'avait pas connu le péché, Il l'a fait péché pour nous, afin qu'en lui nous devenions justice de Dieu » (2 Co 5, 21). La possibilité du pardon divin pour nous dépend essentiellement du fait que Dieu lui-même, en la personne de son Fils, a voulu partager notre condition, mais non la corruption du péché. Et le Père l’a ressuscité avec la puissance de son Esprit Saint et Jésus, le Nouvel Adam, est devenu, comme le dit saint Paul, « esprit vivifiant » (1 Co 15, 45), prémisses de la nouvelle création. Le même Esprit qui a ressuscité Jésus d’entre les morts peut transformer nos c½urs, de c½urs de pierre en c½urs de chair (cf. Ez 36, 26). Nous l’avons invoqué il y a peu avec le Psaume Miserere : « Dieu, crée pour moi un c½ur pur, restaure en ma poitrine un esprit ferme ; ne me repousse pas loin de ta face, ne m'enlève pas ton esprit de sainteté » (Ps 50, 12-13). Ce Dieu qui chassa nos ancêtres de l’Eden, a envoyé son propre Fils sur notre terre dévastée par le péché, il ne l’a pas épargné, afin que nous, fils prodigues, puissions revenir, repentis et rachetés par sa miséricorde, dans notre véritable patrie. Ainsi soit-il pour chacun de nous, pour tous les croyants, pour chaque homme qui, humblement, reconnaît avoir besoin de salut. Amen.
26 février 2012 – Angelus
En ce premier dimanche de carême, nous rencontrons Jésus qui, après avoir reçu le baptême dans le fleuve Jourdain des mains de Jean-Baptiste (cf. Mc 1, 9), subit la tentation dans le désert (cf. Mc 1, 12-13). Le récit de saint Marc est concis, privé des détails que nous lisons dans les deux autres Évangiles de Matthieu et de Luc. Le désert dont on parle possède diverses significations. Il peut indiquer l’état d’abandon et de solitude, le « lieu » de la faiblesse de l’homme, où il n’existe ni soutien, ni sécurité, où la tentation devient plus forte. Mais il peut aussi indiquer un lieu de refuge et un abri, comme il le fut pour le peuple d’Israël qui avait échappé à l’esclavage d’Égypte, où l’on peut faire l’expérience de façon particulière de la présence de Dieu. Jésus « était dans le désert durant quarante jours, tenté par Satan » (Mc 1, 13). Saint Léon le Grand commente que « le Seigneur a voulu subir l’attaque du tentateur pour nous défendre par son aide et pour nous instruire par son exemple » (Tractatus XXXIX, 3 De ieiunio quadragesimae : CCL 138/A, Turnholti 1973, 214-215).
Que peut nous enseigner cet épisode ? Comme nous le lisons dans le livre de L’Imitation du Christ, « l'homme, tant qu'il vit, n'est jamais entièrement à l'abri des tentations (…) mais la patience et la véritable humilité nous rendent plus forts que tous nos ennemis » (Liber i, c. XIII, Cité du Vatican 1982, 37), avec la patience et l’humilité de suivre chaque jour le Seigneur, nous apprenons à construire notre vie non pas en dehors de lui et comme s’il n’existait pas, mais en Lui et avec Lui, parce qu’il est la source de la vraie vie. La tentation de supprimer Dieu, de mettre de l’ordre tout seuls en nous-mêmes et dans le monde, en comptant uniquement sur nos propres capacités, est toujours présente dans l’histoire de l’homme.
Jésus proclame que « le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche » (Mc 1, 15), il annonce qu’en Lui a lieu quelque chose de nouveau : Dieu s’adresse à l’homme de façon inattendue, dans une proximité unique concrète, pleine d’amour ; Dieu s’incarne et entre dans le monde de l’homme pour prendre sur lui le péché, pour vaincre le mal et ramener l’homme dans le monde de Dieu. Mais cette annonce est accompagnée par la demande de correspondre à un don aussi grand. En effet, Jésus ajoute : « Repentez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1, 15) ; c’est une invitation à avoir foi en Dieu et à convertir chaque jour notre vie à sa volonté, en orientant chacune de nos actions et de nos pensées vers le bien. Le temps du carême est le moment propice pour renouveler et rendre plus solide notre relation avec Dieu, grâce à la prière quotidienne, les gestes de pénitence, les ½uvres de charité fraternelle.
Supplions avec ferveur la Très Sainte Vierge Marie afin qu’elle accompagne notre chemin quadragésimal par sa protection et qu’elle nous aide à graver les paroles de Jésus Christ dans notre c½ur et dans notre vie, pour nous convertir à Lui. Je confie, en outre, à votre prière la semaine d’Exercices spirituels que je commencerai ce soir avec mes collaborateurs de la Curie romaine.
4 mars 2012 – Angelus
Ce dimanche, deuxième dimanche de carême, est le dimanche de la Transfiguration du Christ. En effet, dans l’itinéraire quadragésimal, la liturgie, après nous avoir invités à suivre Jésus dans le désert, pour affronter et vaincre avec Lui les tentations, nous propose de gravir avec Lui la « montagne » de la prière, pour contempler sur son visage humain la lumière glorieuse de Dieu. L’épisode de la transfiguration du Christ est attesté de manière concordante par les évangélistes Matthieu, Marc et Luc. On y trouve deux éléments essentiels : tout d’abord, Jésus monte avec les disciples Pierre, Jacques et Jean sur une haute montagne, où « il fut transfiguré devant eux » (Mc 9, 2), son visage et ses vêtements resplendirent d’une lumière fulgurante, tandis qu’à côté de Lui apparurent Moïse et Élie ; deuxièmement, une nuée couvrit le sommet de la montagne et d’elle sortit une voix qui disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; écoutez-le » (Mc 9, 7). Il y a donc la lumière et la voix : la lumière divine qui resplendit sur le visage de Jésus, et la voix du Père céleste qui témoigne pour Lui et ordonne de l’écouter.
On ne saurait détacher le mystère de la Transfiguration de son contexte, qui est le chemin que Jésus est en train de parcourir. Celui-ci est désormais résolu à aller jusqu’au bout de sa mission, pourtant il sait bien que, pour atteindre la résurrection, il devra passer par la passion et la mort sur la croix. C’est de cela qu’il a parlé ouvertement aux disciples, mais ceux-ci n’ont pas compris, et ils ont même refusé cette perspective, car ils ne raisonnent pas selon Dieu mais selon les hommes (cf. Mt 16, 23). Aussi Jésus emmène-t-il avec lui sur la montagne trois d’entre eux et il révèle sa gloire divine, splendeur de Vérité et d’Amour. Jésus veut que cette lumière puisse éclairer leurs c½urs quand ils traverseront l’obscurité profonde de sa passion et de sa mort, quand le scandale de la croix sera, pour eux, insupportable. Dieu est lumière, et Jésus veut offrir à ses amis les plus intimes l’expérience de cette lumière, qui demeure en Lui. Ainsi, après cet événement, Il sera en eux cette lumière intérieure qui saura les protéger de l’assaut des ténèbres. Même dans la nuit la plus sombre, Jésus est une lampe qui ne s’éteint jamais. Saint Augustin résume ce mystère en utilisant cette très belle expression, il dit : « Ce qu’est ce soleil pour les yeux de la chair, Jésus l’est pour les yeux du c½ur » (Sermons 78, 2 : pl 38, 490).
Chers frères et s½urs, nous avons tous besoin de lumière intérieure pour surmonter les épreuves de la vie. Cette lumière vient de Dieu, et c’est le Christ qui nous la donne, Lui en qui habite la plénitude de la divinité (cf. Col 2, 9). Gravissons avec Jésus la montagne de la prière et, en contemplant son visage plein d’amour et de vérité, laissons-nous remplir intérieurement de sa lumière. Demandons à la Vierge Marie, notre guide sur le chemin de la foi, de nous aider à vivre cette expérience en ce temps de Carême, trouvant chaque jour un moment pour prier en silence et pour écouter la Parole de Dieu.
11 mars 2012 - Angelus
L’Évangile de ce troisième dimanche de carême rapporte — dans le récit de saint Jean — le célèbre épisode de Jésus qui chasse du temple de Jérusalem les vendeurs d’animaux et les changeurs (cf. Jn 2, 13-25). L’événement, rapporté par tous les évangélistes, eut lieu à l’approche de la fête de Pâques et suscita une profonde impression tant parmi la foule que parmi les disciples. Comment devons-nous interpréter ce geste de Jésus ? Il faut d’abord souligner qu’il ne provoqua aucune répression de la part des gardiens de l’ordre public, car il fut considéré comme un acte typiquement prophétique : en effet, au nom de Dieu, les prophètes dénonçaient souvent les abus et ils le faisaient parfois à travers des gestes symboliques. Le problème éventuel était leur autorité. Voilà pourquoi les juifs demandèrent à Jésus : « Quel signe nous montres-tu pour agir ainsi ? » (Jn 2, 18), prouve-nous que tu agis vraiment au nom de Dieu.
La scène des vendeurs chassés du temple a été également interprétée dans un sens politique et révolutionnaire, situant Jésus dans la ligne du mouvement des zélotes. Ceux-ci étaient, précisément, « zélés » pour la loi de Dieu et prêts à utiliser la violence pour la faire respecter. À l’époque de Jésus, ils attendaient un Messie qui libère Israël de la domination des Romains. Mais Jésus déçut cette attente, au point que certains disciples l’abandonnèrent et Judas Iscariote ira même jusqu’à le trahir. En réalité, il est impossible de voir Jésus comme une personne violente ; la violence est contraire au Royaume de Dieu, c’est l’instrument de l’antéchrist. La violence ne sert jamais l’humanité ; au contraire, elle la déshumanise.
Écoutons alors les paroles que prononça Jésus en accomplissant ce geste : « Enlevez cela d’ici. Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce ». Et les disciples se rappelèrent alors de ce qui est écrit dans un psaume : « Le zèle de ta maison me dévore » (69, 10). Ce psaume est un appel à l’aide dans une situation de danger extrême à cause de la haine des ennemis : c’est la situation que Jésus vivra au cours de sa passion. Son zèle pour son Père et pour sa maison le conduira à la croix : son zèle est celui de l’amour qui paye de sa personne, et non pas de celui qui voudrait servir Dieu par la violence. En effet, le « signe » que Jésus donnera comme preuve de son autorité sera justement sa mort et sa résurrection. « Détruisez ce sanctuaire — dit-il — et en trois jours je le relèverai ». Et saint Jean observe : « Mais lui parlait du sanctuaire de son corps » (Jn 2, 20-21). Avec la Pâque de Jésus commence un nouveau culte, le culte de l’amour, et un nouveau sanctuaire qui est Lui-même, le Christ ressuscité, à travers lequel chaque croyant peut adorer Dieu le Père « en esprit et en vérité » (Jn 4, 23).
Chers amis, l’Esprit Saint a commencé à construire ce nouveau sanctuaire dans le sein de la Vierge Marie. Par son intercession, prions pour que chaque chrétien devienne une pierre vivante de cet édifice spirituel.
18 mars 2012 – Angelus
Dans notre itinéraire vers Pâques, nous sommes parvenus au quatrième dimanche de carême. C’est un chemin avec Jésus à travers le « désert », c’est-à-dire un temps au cours duquel écouter davantage la voix de Dieu et également démasquer les tentations qui s’expriment en nous. À l’horizon de ce désert, se profile la Croix. Jésus sait qu’elle est le point culminant de sa mission : en effet, la Croix du Christ est le sommet de l’amour, qui nous donne le salut. Il le dit lui-même dans l’Évangile d’aujourd’hui : « Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l'homme, afin que quiconque croit ait par lui la vie éternelle » (Jn 3, 14-15). Il est fait référence à l’épisode au cours duquel, pendant l’exode d’Égypte, les juifs furent attaqués par des serpents venimeux, et beaucoup moururent. Dieu commanda alors à Moïse de fabriquer un serpent de bronze et de le dresser au sommet d’un mât : si quelqu’un était mordu par les serpents, en regardant le serpent de bronze, il était guéri (Nb 21, 4-9). Jésus aussi sera élevé sur la Croix, afin que quiconque qui est en danger de mort à cause du péché, en se tournant avec foi vers Lui, qui est mort pour nous, soit sauvé. « Car Dieu — écrit saint Jean — n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3, 17).
Saint Augustin commente : « Ainsi le médecin s’approche du malade, pour lui rendre, autant que possible, la santé. Mais le malade se donne à lui-même la mort, s’il refuse d’observer les prescriptions du médecin. Le Sauveur est venu en ce monde […] Tu refuses le salut qu’il t’apporte ? Tu seras jugé d’après ta conduite » (Traité sur l’Évangile de saint Jean, 12, 12 : PL 35, 1190). Donc, si l’amour miséricordieux de Dieu, qui est allé jusqu’à donner son Fils unique en rançon pour notre vie, est infini, notre responsabilité elle aussi est grande : chacun, en effet, doit reconnaître qu’il est malade, pour pouvoir être guéri ; chacun doit confesser son péché, afin que le pardon de Dieu, déjà donné sur la Croix, puisse avoir un effet dans son c½ur et dans sa vie. Saint Augustin écrit encore : « Dieu accuse tes péchés ; si tu en fais autant, tu te joins à lui […] quand ce que tu as fait commencera à te déplaire, alors tu commenceras à faire le bien, puisque tu accuses tes mauvaises ½uvres. Le commencement du bien n’est autre chose que la confession du mal » (ibid., 13 : PL 35, 1191). Parfois, l’homme aime davantage les ténèbres que la lumière, parce qu’il est lié à ses péchés. Mais ce n’est qu’en s’ouvrant à la lumière, et en confessant sincèrement ses fautes à Dieu, que l’on trouve la vraie paix et la vraie joie. Il est alors important de s’approcher avec régularité du sacrement de la pénitence, en particulier durant le carême, pour recevoir le pardon du Seigneur et accentuer notre chemin de conversion.
Message pour le Carême 2013 – Benoit XVI
la célébration du Carême, dans le contexte de l'Année de la foi, nous offre une occasion précieuse pour méditer sur le rapport entre foi et charité: entre le fait de croire en Dieu, dans le Dieu de Jésus Christ, et l'amour qui est le fruit de l'action de l'Esprit Saint et qui nous guide sur un chemin de consécration à Dieu et aux autres.
1. La foi comme réponse à l'amour de Dieu.
Dans ma première encyclique, j’ai déjà offert certains éléments pour saisir le lien étroit entre ces deux vertus théologales, la foi et la charité. En partant de l'affirmation fondamentale de l'apôtre Jean: « Nous avons reconnu et nous avons cru que l'amour de Dieu est parmi nous » (1 Jn 4, 16), je rappelais qu'« à l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive... Comme Dieu nous a aimés le premier (cf. 1 Jn 4, 10), l’amour n’est plus seulement « un commandement », mais il est la réponse au don de l'amour par lequel Dieu vient à notre rencontre » (Deus caritas est, n. 1). La foi constitue l'adhésion personnelle – qui inclut toutes nos facultés – à la révélation de l'amour gratuit et « passionné » que Dieu a pour nous et qui se manifeste pleinement en Jésus Christ ; la rencontre avec Dieu Amour qui interpelle non seulement le c½ur, mais également l'esprit: « La reconnaissance du Dieu vivant est une route vers l’amour, et le oui de notre volonté à la sienne unit intelligence, volonté et sentiment dans l’acte totalisant de l’amour. Ce processus demeure cependant constamment en mouvement: l’amour n’est jamais "achevé" ni complet » (ibid., n. 17). De là découle pour tous les chrétiens, et en particulier, pour les « personnes engagées dans les services de charité », la nécessité de la foi, de la « rencontre avec Dieu dans le Christ, qui suscite en eux l’amour et qui ouvre leur esprit à l’autre, en sorte que leur amour du prochain ne soit plus imposé pour ainsi dire de l’extérieur, mais qu’il soit une conséquence découlant de leur foi qui devient agissante dans l’amour » (ibid. n. 31a). Le chrétien est une personne conquise par l'amour du Christ et donc, mû par cette amour – « caritas Christi urget nos » (2 Co 5, 14) –, il est ouvert de façon concrète et profonde à l'amour pour le prochain (cf. ibid., n. 33). Cette attitude naît avant tout de la conscience d'être aimés, pardonnés, et même servis par le Seigneur, qui se penche pour laver les pieds des Apôtres et s'offre lui-même sur la croix pour attirer l'humanité dans l'amour de Dieu.
« La foi nous montre le Dieu qui a donné son Fils pour nous et suscite ainsi en nous la certitude victorieuse qu’est bien vraie l’affirmation: Dieu est Amour... La foi, qui prend conscience de l’amour de Dieu qui s’est révélé dans le c½ur transpercé de Jésus sur la croix, suscite à son tour l’amour. Il est la lumière – en réalité l’unique – qui illumine sans cesse à nouveau un monde dans l’obscurité et qui nous donne le courage de vivre et d’agir » (ibid., n. 39). Tout cela nous fait comprendre que l'attitude principale qui distingue les chrétiens est précisément « l’amour fondé sur la foi et modelé par elle » (ibid., n. 7).
2. La charité comme vie dans la foi
Toute la vie chrétienne est une réponse à l’amour de Dieu. La première réponse est précisément la foi comme accueil, plein d’émerveillement et de gratitude, d’une initiative divine inouïe qui nous précède et nous interpelle. Et le « oui » de la foi marque le début d’une histoire lumineuse d’amitié avec le Seigneur, qui remplit et donne son sens plénier à toute notre existence. Mais Dieu ne se contente pas que nous accueillions son amour gratuit. Il ne se limite pas à nous aimer, mais il veut nous attirer à lui, nous transformer de manière profonde au point que nous puissions dire avec saint Paul: ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi (cf. Ga 2, 20).
Quand nous laissons place à l’amour de Dieu, nous devenons semblables à lui, nous participons de sa charité même. Nous ouvrir à son amour signifie le laisser vivre en nous, et nous conduire à aimer avec lui, en lui et comme lui; ce n’est qu’alors que notre foi devient vraiment opérante par la charité (cf. Ga 5, 6) et qu’il prend demeure en nous (cf. 1 Jn 4, 12).
La foi, c’est connaître la vérité et y adhérer (cf. 1 Tm 2, 4); la charité, c’est « cheminer » dans la vérité (cf. Ep 4, 15). Avec la foi, on entre dans l’amitié avec le Seigneur; avec la charité, on vit et on cultive cette amitié (cf. Jn 15, 14s). La foi nous fait accueillir le commandement du Seigneur et Maître; la charité nous donne la béatitude de le mettre en pratique (cf. Jn 13, 13-17). Dans la foi, nous sommes engendrés comme fils de Dieu (cf. Jn 1, 12s); la charité nous fait persévérer concrètement dans la filiation divine en apportant le fruit de l’Esprit Saint (cf. Ga 5, 22). La foi nous fait reconnaître les dons que le Dieu bon et généreux nous confie; la charité les fait fructifier (cf. Mt 25, 14-30).
3. Le lien indissoluble entre foi et charité
A la lumière de ce qui a été dit, il apparaît clairement que nous ne pouvons jamais séparer, voire opposer, foi et charité. Ces deux vertus théologales sont intimement liées et il est erroné de voir entre celles-ci une opposition ou une « dialectique ». En effet, d’un côté, l’attitude de celui qui place d’une manière aussi forte l’accent sur la priorité et le caractère décisif de la foi au point d’en sous-évaluer et de presque en mépriser les ½uvres concrètes de la charité et de la réduire à un acte humanitaire générique, est limitante. Mais, de l’autre, il est tout aussi limitant de soutenir une suprématie exagérée de la charité et de son activité, en pensant que les ½uvres remplacent la foi. Pour une vie spirituelle saine, il est nécessaire de fuir aussi bien le fidéisme que l’activisme moraliste.
L’existence chrétienne consiste en une ascension continue du mont de la rencontre avec Dieu pour ensuite redescendre, en portant l’amour et la force qui en dérivent, de manière à servir nos frères et s½urs avec le même amour que Dieu. Dans l’Ecriture Sainte nous voyons que le zèle des Apôtres pour l’annonce de l’Évangile que suscite la foi est étroitement lié à l’attention charitable du service envers les pauvres (cf. Ac 6, 1-4). Dans l’Église, contemplation et action, symbolisées d’une certaine manière par les figures évangéliques des s½urs Marie et Marthe, doivent coexister et s’intégrer (cf. Lc 10, 38-42). La priorité va toujours au rapport avec Dieu et le vrai partage évangélique doit s’enraciner dans la foi (cf. Catéchèse lors de l’Audience générale du 25 avril 2012). Parfois, on tend en effet à circonscrire le terme de « charité » à la solidarité ou à la simple aide humanitaire. Il est important, en revanche, de rappeler que la plus grande ½uvre de charité est justement l’évangélisation, c’est-à-dire le « service de la Parole ». Il n’y a pas d’action plus bénéfique, et donc charitable, envers le prochain que rompre le pain de la Parole de Dieu, le faire participer de la Bonne Nouvelle de l’Évangile, l’introduire dans la relation avec Dieu: l’évangélisation est la promotion la plus élevée et la plus complète de la personne humaine. Comme l’écrit le Serviteur de Dieu le Pape Paul VI dans l’Encyclique Populorum progressio, le premier et principal facteur de développement est l’annonce du Christ (cf. n. 16). C’est la vérité originelle de l’amour de Dieu pour nous, vécue et annoncée, qui ouvre notre existence à accueillir cet amour et rend possible le développement intégral de l’humanité et de tout homme (cf. Enc. Caritas in veritate, n. 8).
En somme, tout part de l’Amour et tend à l’Amour. L’amour gratuit de Dieu nous est communiqué à travers l’annonce de l’Évangile. Si nous l’accueillons avec foi, nous recevons ce premier et indispensable contact avec le divin en mesure de nous faire « aimer l’Amour », pour ensuite demeurer et croître dans cet Amour et le communiquer avec joie aux autres.
A propos du rapport entre foi et ½uvres de charité, une expression de la Lettre de saint Paul aux Ephésiens résume peut-être leur corrélation de la meilleure des manières : « C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, à cause de votre foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas de vos ½uvres, il n’y a pas à en tirer orgueil. C’est Dieu qui nous a faits, il nous a créés en Jésus-Christ, pour que nos ½uvres soient vraiment bonnes, conformes à la voie que Dieu a tracée pour nous et que nous devons suivre » (2, 8-10). On perçoit ici que toute l’initiative salvifique vient de Dieu, de sa Grâce, de son pardon accueilli dans la foi; mais cette initiative, loin de limiter notre liberté et notre responsabilité, les rend plutôt authentiques et les orientent vers les ½uvres de charité. Celles-ci ne sont pas principalement le fruit de l’effort humain, dont tirer gloire, mais naissent de la foi elle-même, elles jaillissent de la Grâce que Dieu offre en abondance. Une foi sans ½uvres est comme un arbre sans fruits: ces deux vertus s’impliquent réciproquement. Le Carême nous invite précisément, avec les indications traditionnelles pour la vie chrétienne, à alimenter la foi à travers une écoute plus attentive et prolongée de la Parole de Dieu et la participation aux Sacrements, et, dans le même temps, à croître dans la charité, dans l’amour de Dieu et envers le prochain, également à travers les indications concrètes du jeûne, de la pénitence et de l’aumône.
4. Priorité de la foi, primat de la charité
Comme tout don de Dieu, foi et charité reconduisent à l’action de l’unique et même Esprit Saint (cf. 1 Co 13), cet Esprit qui s’écrie en nous « Abbà ! Père » (Gal 4, 6), et qui nous fait dire: « Jésus est Seigneur » (1 Co 12, 3) et « Maranatha ! » (1 Co 16, 22; Ap 22, 20).
La foi, don et réponse, nous fait connaître la vérité du Christ comme Amour incarné et crucifié, adhésion pleine et parfaite à la volonté du Père et miséricorde divine infinie envers le prochain; la foi enracine dans le c½ur et dans l’esprit la ferme conviction que précisément cet Amour est l’unique réalité victorieuse sur le mal et sur la mort. La foi nous invite a regarder vers l’avenir avec la vertu de l'espérance, dans l’attente confiante que la victoire de l’amour du Christ atteigne sa plénitude. De son côté, la charité nous fait entrer dans l’amour de Dieu manifesté dans le Christ, nous fait adhérer de manière personnelle et existentielle au don total de soi et sans réserve de Jésus au Père et à nos frères. En insufflant en nous la charité, l’Esprit Saint nous fait participer au don propre de Jésus: filial envers Dieu et fraternel envers chaque homme (cf. Rm 5, 5).
La relation qui existe entre ces deux vertus est semblable à celle entre les deux sacrements fondamentaux de l'Église : le Baptême et l’Eucharistie. Le Baptême (sacramentum fidei) précède l'Eucharistie (sacramentum caritatis), mais il est orienté vers celle-ci, qui constitue la plénitude du cheminement chrétien. De manière analogue, la foi précède la charité, mais se révèle authentique seulement si elle est couronnée par celle-ci. Tout part de l’humble accueil de la foi (« se savoir aimé de Dieu »), mais doit arriver à la vérité de la charité (« savoir aimer Dieu et son prochain »), qui demeure pour toujours, comme accomplissement de toutes les vertus (cf. 1 Co 13, 13).
Chers frères et s½urs, en ce temps de Carême, où nous nous préparons à célébrer l’événement de la Croix et de la Résurrection, dans lequel l'Amour de Dieu a racheté le monde et illuminé l’histoire, je vous souhaite à tous de vivre ce temps précieux en ravivant votre foi en Jésus Christ, pour entrer dans son parcours d’amour envers le Père et envers chaque frère et s½ur que nous rencontrons dans notre vie. A cette fin j’élève ma prière à Dieu, tandis que j’invoque sur chacun et sur chaque communauté la Bénédiction du Seigneur!
Du Vatican, le 15 octobre 2012
13 février 2013 – Homélie de la Messe des Cendres
Aujourd’hui, Mercredi des Cendres, nous commençons un nouveau chemin de Carême, un chemin qui se déroule pendant quarante jours et qui nous conduit à la joie de la Pâque du Seigneur, à la victoire de la Vie sur la mort. Suivant l’antique tradition romaine des stations de Carême, nous nous sommes réunis aujourd’hui pour la Célébration de l’Eucharistie. Cette tradition prévoit que la première statio ait lieu dans la Basilique Sainte Sabine sur la colline de l’Aventin. Les circonstances ont suggéré de se rassembler dans la Basilique vaticane. Ce soir, nous sommes nombreux autour de la Tombe de l’apôtre Pierre, pour demander aussi son intercession pour la marche de l’Église en ce moment particulier, renouvelant notre foi dans le Pasteur Suprême, le Christ Seigneur. Pour moi, c’est une occasion propice pour vous remercier tous, spécialement les fidèles du Diocèse de Rome, tandis que je m’apprête à conclure mon ministère pétrinien, et pour demander un souvenir particulier dans la prière.
Les lectures qui ont été proclamées nous offrent des aspects qu’avec la grâce de Dieu nous sommes appelés à faire devenir des attitudes et des comportements concrets au cours de ce Carême. L’Église nous propose à nouveau, surtout, le rappel fort que le prophète Joël adresse au peuple d’Israël : « Parole du Seigneur : revenez à moi de tout votre c½ur, dans le jeûne les larmes et le deuil ! » (2,12). L’expression « de tout votre c½ur » est soulignée. Elle signifie : du centre de nos pensées et sentiments, de la racine de nos décisions, de nos choix, de nos actions, dans un geste de liberté totale et radicale. Mais ce retour à Dieu est-il possible ? Oui, parce qu’il y a une force qui ne réside pas dans notre c½ur, mais qui se dégage du c½ur même de Dieu. C’est la force de sa miséricorde. Le prophète dit encore : « Revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment » (v.13). Le retour au Seigneur est possible comme « grâce », parce qu’il est ½uvre de Dieu et fruit de la foi que nous mettons dans sa miséricorde. Ce retour à Dieu devient réalité concrète dans notre vie seulement lorsque la grâce du Seigneur pénètre dans l’intime et le secoue, nous donnant la force de « déchirer notre c½ur ». C’est encore le prophète qui fait résonner de la part de Dieu ces paroles : « Déchirez vos c½urs et non pas vos vêtements » (v. 13). En effet, de nos jours aussi, beaucoup sont prêts à « déchirer leurs vêtements » devant les scandales et les injustices – naturellement commis par les autres –, mais peu semblent disponibles à agir sur leur propre « c½ur », sur leur propre conscience et sur leurs intentions, laissant au Seigneur de transformer, renouveler et convertir.
Ce « revenez à moi de tout votre c½ur », ensuite, est un rappel qui implique non seulement chacun mais la communauté. Toujours dans la première lecture, nous avons écouté : « Sonnez de la trompette dans Jérusalem : prescrivez un jeûne sacré, annoncez une solennité, réunissez le peuple, tenez une assemblée sainte, rassemblez les anciens, réunissez petits enfants et nourrissons ! Que le jeune époux sorte de sa maison, que la jeune mariée quitte sa chambre ! » (v. 15.16). La dimension communautaire est un élément essentiel dans la foi et dans la vie chrétienne. Le Christ est venu « afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (cf. Jn 11,52). Le « Nous » de l’Église est la communauté dans laquelle Jésus nous réunit tous ensemble (cf. Jn 12,32) : la foi est nécessairement ecclésiale. Et il est important de le rappeler et de le vivre en ce temps du Carême : que chacun soit conscient qu’il n’affronte pas seul le chemin de pénitence, mais avec beaucoup de frères et de s½urs, dans l’Église.
Le prophète, enfin, s’arrête sur la prière des prêtres, qui, les larmes aux yeux, se tournent vers Dieu en disant : « N’expose pas ceux qui t’appartiennent à l’insulte et à la moquerie des païens ! Faudra-t-il qu’on dise : “Où donc est leur Dieu ?” » (v. 17). Cette prière nous fait réfléchir sur l’importance du témoignage de foi et de vie chrétienne de chacun de nous et de nos communautés pour manifester le visage de l’Église et comment ce visage est, parfois, défiguré. Je pense en particulier aux coups portés contre l’unité de l’Église, aux divisions dans le corps ecclésial. Vivre le Carême dans une plus intense et évidente communion ecclésiale, dépassant les individualismes et les rivalités, est un signe humble et précieux pour ceux qui sont loin de la foi ou indifférents.
« C’est maintenant le moment favorable, c’est maintenant le jour du salut ! » (2 Co 6,2). Les paroles de l’apôtre Paul aux chrétiens de Corinthe résonnent aussi pour nous avec une urgence qui n’admet ni absence ni inertie. Le terme “maintenant” répété plusieurs fois dit que ce moment ne peut être manqué, il nous est offert comme une occasion unique et qui ne se répète pas. Et le regard de l’Apôtre se concentre sur le partage par lequel le Christ a voulu caractériser son existence, assumant tout l’humain jusqu’à se charger du péché même des hommes. La phrase de saint Paul est très forte : Dieu « l’a fait péché pour nous ». Jésus, l’Innocent, le Saint, « Celui qui n’avait pas connu le péché » (2 Co 5,21), se charge du poids du péché en en partageant avec l’humanité l’issue de la mort, et de la mort de la croix. La réconciliation qui nous est offerte a eu un prix très élevé, celui de la croix élevée sur le Golgotha, où le Fils de Dieu fait homme a été suspendu. Dans cette immersion de Dieu dans la souffrance humaine et dans l’abime du mal se trouve la racine de notre justification. Le « revenir à Dieu de tout votre c½ur », sur notre chemin de Carême, passe par la Croix, le fait de suivre le Christ sur la route qui conduit au Calvaire, au don total de soi. C’est un chemin sur lequel on apprend chaque jour à sortir toujours plus de notre égoïsme et de nos fermetures, pour faire place à Dieu qui ouvre et transforme le c½ur. Et saint Paul rappelle comment l’annonce de la Croix résonne jusqu’à nous grâce à la prédication de la Parole dont l’Apôtre lui-même est ambassadeur ; un rappel pour nous afin que ce chemin de Carême soit caractérisé par une écoute plus attentive et assidue de la Parole de Dieu, lumière qui éclaire nos pas.
Dans la page de l’évangile de Matthieu, qui appartient à ce qu’on appelle le Discours sur la montagne, Jésus fait référence à trois pratiques fondamentales prévues par la Loi mosaïque : l’aumône, la prière et le jeûne ; ce sont aussi des indications traditionnelles du chemin de Carême pour répondre à l’invitation à « revenir à Dieu de tout son c½ur ». Mais Jésus souligne comment c’est la qualité et la vérité du rapport à Dieu qui qualifie l’authenticité de chaque geste religieux. Par là il dénonce l’hypocrisie religieuse, le comportement qui veut paraître, les attitudes qui cherchent les applaudissements et l’approbation. Le vrai disciple ne sert pas lui-même ou le “public”, mais son Seigneur, dans la simplicité et la générosité : « Ton Père voit ce que tu fais dans le secret : il te le revaudra » (Mt 6, 4.6.18). Alors, notre témoignage sera toujours d’autant plus incisif que nous rechercherons moins notre gloire et serons conscients que la récompense du juste est Dieu Lui-même, le fait d’être unis à Lui, ici-bas, sur le chemin de la foi, et, au terme de la vie, dans la paix et dans la lumière de la rencontre face à face avec Lui pour toujours (cf. 1 Co 13,12).
Chers frères et s½urs, commençons confiants et pleins de joie l’itinéraire du Carême. Que résonne en nous avec force l’invitation à la conversion, à « revenir à Dieu de tout notre c½ur », en accueillant sa grâce qui fait de nous des hommes nouveaux, avec cette nouveauté surprenante qui est participation à la vie-même de Jésus. Qu’aucun de nous, donc, ne soit sourd à cet appel, qui nous est aussi adressé dans le rite austère, à la fois si simple et si suggestif, de l’imposition des cendres, que nous allons accomplir. Que durant ce temps la Vierge Marie, Mère de l’Église et modèle de chaque disciple authentique du Seigneur, nous accompagne. Amen !
17 février 2013 – Angelus
Mercredi dernier, avec le traditionnel rite des cendres, nous sommes entrés dans le Carême, temps de conversion et de pénitence en préparation à Pâques. L’Église, qui est mère et maîtresse, appelle tous ses membres à se renouveler dans l’esprit, à se réorienter résolument vers Dieu, en reniant l’orgueil et l’égoïsme pour vivre dans l’amour. En cette Année de la foi, le Carême est un temps favorable pour redécouvrir la foi en Dieu comme critère de base de notre vie et de la vie de l’Église. Ceci comporte toujours une lutte, un combat spirituel, parce que l’esprit du mal, naturellement, s’oppose à notre sanctification et cherche à nous faire dévier de la voie de Dieu. C’est la raison pour laquelle, chaque année, est proclamé l’Évangile des tentations de Jésus dans le désert, lors du premier dimanche de Carême.
En effet, après avoir reçu l’« investiture » comme Messie — « Oint » de l’Esprit Saint — lors du baptême dans le Jourdain, Jésus fut conduit par le même Esprit dans le désert pour être tenté par le diable. Au moment de commencer son ministère public, Jésus a dû démasquer et repousser les fausses images de Messie que le tentateur lui proposait. Mais ces tentations sont aussi de fausses images de l’homme, qui en tout temps tendent des pièges à la conscience, en prenant la forme de propositions avantageuses et efficaces, voire bonnes. Les évangélistes Matthieu et Luc présentent trois tentations de Jésus, qui ne se distinguent en partie que par leur ordre. Leur noyau central consiste toujours à instrumentaliser Dieu pour ses propres intérêts, en accordant plus d’importance au succès ou aux biens matériels. Le tentateur est sournois: il ne pousse pas directement au mal, mais à un faux bien, en faisant croire que les vraies réalités sont le pouvoir et ce qui satisfait les besoins fondamentaux. De cette façon, Dieu devient secondaire, il se réduit à un moyen, en définitive il devient irréel, il ne compte plus, il disparaît. En ultime analyse, dans les tentations, c'est la foi qui est en jeu parce que c’est Dieu qui est en jeu. Dans les moments décisifs de la vie, mais aussi, à bien y regarder, à chaque instant, nous nous trouvons face à un carrefour: est-ce que nous voulons suivre notre « moi » ou Dieu ? L’intérêt individuel ou bien le vrai Bien, c’est-à-dire ce qui est réellement bon ?
Comme nous l’enseignent les Pères de l’Église, les tentations font partie de la « descente » de Jésus dans notre condition humaine, dans l’abîme du péché et de ses conséquences. Une «descente» que Jésus a parcourue jusqu’à la fin, jusqu’à la mort sur la croix et les enfers de l’éloignement suprême de Dieu. De cette façon, Il est la main que Dieu a tendue à l’homme, à la brebis égarée, pour la sauver. Comme l’enseigne saint Augustin, Jésus a pris nos tentations, pour nous donner sa victoire (cf. Enarr. in Psalmos, 60, 3: pl 36, 724). N’ayons donc pas peur d’affronter nous aussi le combat contre l’esprit du mal: l’important est que nous le fassions avec Lui, avec le Christ, le Vainqueur. Et pour rester avec Lui, adressons-nous à sa Mère, Marie : invoquons-la avec une confiance filiale au moment de l’épreuve, et elle nous fera sentir la présence puissante de son Fils divin, pour repousser les tentations avec la Parole du Christ et ainsi, replacer Dieu au centre de notre vie.
24 février 2013 – Angelus
Aujourd’hui, deuxième dimanche de Carême, nous avons un Évangile particulièrement beau, celui de la Transfiguration du Seigneur. L’évangéliste Luc met tout particulièrement en évidence le fait que Jésus se transfigura pendant qu’il priait : il fait une expérience profonde de relation avec le Père au cours d’une sorte de retraite spirituelle que Jésus vit sur une haute montagne en compagnie de Pierre, Jacques et Jean, les trois disciples toujours présents dans les moments de la manifestation divine du Maître (Lc 5, 10 ; 8, 51 ; 9, 28). Le Seigneur, qui avait peu avant préannoncé sa mort et sa résurrection (9, 22), offre aux disciples une anticipation de sa gloire. Et dans la Transfiguration également, comme dans le baptême, retentit la voix du Père céleste : « Celui-ci est mon Fils, l’Élu, écoutez-le » (9, 35). Par ailleurs, la présence de Moïse et Élie, qui représentent la Loi et les Prophètes de l’ancienne Alliance, est plus que jamais significative : toute l’histoire de l’Alliance est orientée vers Lui, le Christ, qui accomplit un nouvel « exode » (9, 31), non pas vers la Terre promise comme au temps de Moïse, mais vers le Ciel. L’intervention de Pierre : « Maître, il est heureux que nous soyons ici » (9, 33) représente la tentative impossible de prolonger cette expérience mystique. Saint Augustin commente : « [Pierre] […] sur la montagne […] avait le Christ comme une nourriture de l’âme. Pourquoi aurait-il dû descendre et retourner aux fatigues et aux douleurs, alors que là-haut il était empli de sentiments d’amour saint envers Dieu et qui lui inspirait ainsi une sainte conduite ? » (Discours 78, 3 : PL 38, 491).
En méditant ce passage de l’Évangile, nous pouvons en tirer un enseignement très important. Tout d’abord, le primat de la prière, sans laquelle tout l’engagement de l’apostolat et de la charité se réduit à de l’activisme. Pendant le Carême, nous apprenons à donner le temps juste à la prière personnelle et communautaire, qui donne un souffle à notre vie spirituelle. En outre, la prière n’est pas une façon de s’isoler du monde et de ses contradictions, comme aurait voulu le faire Pierre sur le Thabor, mais l’oraison ramène sur le chemin, à l’action. « L’existence chrétienne — ai-je écrit dans le Message pour ce Carême — consiste en une ascension continue du mont de la rencontre avec Dieu pour ensuite redescendre, en portant l’amour et la force qui en dérivent, de manière à servir nos frères et s½urs avec le même amour que Dieu » (n. 3).
Chers frères et s½urs, je sens que cette Parole de Dieu m’est tout particulièrement adressée, en ce moment de ma vie. Merci ! Le Seigneur m’appelle à cette «ascension du mont», à me consacrer encore davantage à la prière et à la méditation. Mais cela ne signifie pas abandonner l’Église, au contraire, si Dieu me demande cela c’est précisément pour que je puisse continuer à la servir avec le même dévouement et le même amour avec lesquels j’ai essayé de le faire jusqu’à présent, mais de manière plus adaptée à mon âge et à mes forces. Invoquons l’intercession de la Vierge Marie : qu’elle nous aide tous à suivre toujours le Seigneur Jésus, dans la prière et dans la charité des ½uvres.