Jean-Paul II de A à Z

Morale - Ethique

1980

 

2 juin 1980 –  Discours à l’UNESCO

Monsieur le Président de la Conférence générale,
Monsieur le Président du Conseil exécutif,
Monsieur le Directeur général,
Mesdames, Messieurs,

1. Je désire d'abord exprimer mes remerciements très cordiaux pour l’invitation que Monsieur Amadou Mahtar-M’Bow, Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture, m’a adressée à plusieurs reprises, et déjà dès la première des visites qu'il m’a fait l’honneur de me rendre. Nombreuses sont les raisons pour lesquelles je suis heureux de pouvoir répondre aujourd’hui à cette invitation, que j’ai aussitôt hautement appréciée.

Pour les aimables paroles de bienvenue qu’ils viennent de prononcer à mon intention, je remercie Monsieur Napoléon Leblanc, Président de la Conférence générale, Monsieur Chams Eldine ElWakil, Président du Conseil exécutif, et Monsieur Amadou Mahtar-M’Bow, Directeur général de l’Organisation. Je veux saluer aussi tous ceux qui sont rassemblés ici pour la cent neuvième session du Conseil exécutif de l’UNESCO. Je ne saurais cacher ma joie de voir réunis en cette occasion tant de délégués des Nations du monde entier, tant de personnalités éminentes, tant de compétences, tant d’illustres représentants du monde de la culture et de la science.

Par mon intervention, j’essaierai d’apporter ma modeste pierre à l’édifice que vous construisez avec assiduité et persévérance, Mesdames et Messieurs, par vos réflexions et vos résolutions dans tous les domaines qui sont de la compétence de l’UNESCO.

2. Qu’il me soit permis de commencer en me rapportant aux origines de votre Organisation. Les événements qui ont marqué la fondation de l’UNESCO m’inspirent joie et gratitude envers la Providence: la signature de sa constitution le 16 novembre 1945; l’entrée en vigueur de cette constitution et l’établissement de l’Organisation le 4 novembre 1946; l’accord entre l’UNESCO et l’Organisation des Nations Unies approuvé par l’Assemblée Générale de l’ONU en la même année. Votre Organisation est en effet l’½uvre des Nations qui furent, après la fin de la terrible deuxième guerre mondiale, poussées par ce qu’on pourrait appeler un désir spontané de paix, d’union et de réconciliation. Ces Nations cherchèrent les moyens et les formes d’une collaboration capable d’établir, d’approfondir et d’assurer de manière durable cette nouvelle entente.

L’UNESCO est donc née, comme l’Organisation des Nations Unies, parce que les peuples savaient qu’à la base des grandes entreprises destinées à servir la paix et le progrès de l’humanité sur l’ensemble du globe, il y avait la nécessité de l’union des nations, du respect réciproque, et de la coopération internationale.

3. Prolongeant l’action, la pensée et le message de mon grand prédécesseur le Pape Paul VI, j’ai eu l’honneur de prendre la parole devant l’Assemblée Générale des Nations Unies, au mois d’octobre dernier, à l’invitation de Monsieur Kurt Waldheim, Secrétaire général de l’ONU. Peu après, le 12 novembre 1979, j’ai été invité par Monsieur Edouard Saouma, Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture à Rome. En ces circonstances, il m’a été donné de traiter de questions profondément liées à l’ensemble des problèmes qui se rapportent à l’avenir pacifique de l’homme sur la terre. En effet, tous ces problèmes sont intimement liés. Nous nous trouvons en présence, pour ainsi dire, d’un vaste système de vases communicants: les problèmes de la culture, de la science et de l’éducation ne se présentent pas, dans la vie des nations et dans les relations internationales, de manière indépendante des autres problèmes de l’existence humaine, comme ceux de la paix ou de la faim. Les problèmes de la culture sont conditionnés par les autres dimensions de l’existence humaine, tout comme, à leur tour, ceux-ci les conditionnent.

4. Il y quand même ― et je l’ai souligné dans mon discours à l’ONU en me référant à la Déclaration Universelle des droits de l’homme ― une dimension fondamentale, qui est capable de bouleverser jusque dans leurs fondements les systèmes qui structurent l’ensemble de l’humanité et de libérer l’existence humaine, individuelle et collective, des menaces qui pèsent sur elle. Cette dimension fondamentale, c’est l’homme, l’homme dans son intégralité, l’homme qui vit en même temps dans la sphère des valeurs matérielles et dans celle des valeurs spirituelles. Le respect des droits inaliénables de la personne humaine est à la base de tout [1].

Toute menace contre les droits de l’homme, que ce soit dans le cadre de ses biens spirituels ou dans celui de ses biens matériels, fait violence à cette dimension fondamentale. C’est pourquoi, dans mon discours à la FAO, j’ai souligné qu’aucun homme, aucun pays ni aucun système du monde ne peut rester indifférent devant la « géographie de la faim » et les menaces gigantesques qui en suivront si l’orientation entière de la politique économique, et en particulier la hiérarchie des investissements, ne changent pas de manière essentielle et radicale. C’est pourquoi aussi j’insiste, en me référant aux origines de votre Organisation, sur la nécessité de mobiliser toutes les forces qui orientent la dimension spirituelle de l’existence humaine, qui témoignent du primat du spirituel dans l’homme ― de ce qui correspond à la dignité de son intelligence, de sa volonté et de son c½ur ― pour ne pas succomber de nouveau à la monstrueuse aliénation du mal collectif qui est toujours prêt à utiliser les puissances matérielles dans la lutte exterminatrice des hommes contre les hommes, des nations contre les nations.

5. A l’origine de l’UNESCO, comme aussi à la base de la Déclaration Universelle des droits de l’homme, se trouvent donc ces premières nobles impulsions de la conscience humaine, de l’intelligence et de la volonté. J’en appelle à cette origine, à ce commencement, à ces prémisses et à ces premiers principes. C’est en leur nom que je viens aujourd’hui à Paris, au siège de votre Organisation, avec une prière: qu’au terme d’une étape de plus de trente ans de vos activités, vous vouliez vous unir encore davantage autour de ces idéaux et des principes qui se trouvèrent au commencement. C’est en leur nom aussi que je me permettrait maintenant de vous proposer quelques considérations vraiment fondamentales, car c’est seulement à leur lumière que resplendit pleinement la signification de cette institution qui a pour nom UNESCO, Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture.

6. Genus humanum arte et ratione vivit [2]. Ces paroles d’un des plus grands génies du christianisme, qui fut en même temps un continuateur fécond de la pensée antique, portent au-delà du cercle et de la signification contemporaine de la culture occidentale, qu’elle soit méditerranéenne ou atlantique. Elles ont une signification qui s’applique à l’ensemble de l’humanité où se rencontrent les diverses traditions qui constituent son héritage spirituel et les diverses époques de sa culture. La signification essentielle de la culture consiste, selon ces paroles de saint Thomas d’Aquin, dans le fait qu’elle est une caractéristique de la vie humaine comme telle. L’homme vit d’une vie vraiment humaine grâce à la culture. La vie humaine est culture en ce sens aussi que l’homme se distingue et se différencie à travers elle de tout ce qui existe par ailleurs dans le monde visible: l’homme ne peut pas se passer de culture.

La culture est un mode spécifique de l’« exister » et de l’« être » de l’homme. L’homme vit toujours selon une culture qui lui est propre, et qui, à son tour, crée entre les hommes un lien qui leur est propre lui aussi, en déterminant le caractère inter-humain et social de l’existence humaine. Dans l’unité de la culture comme mode propre de l’existence humaine, s’enracine en même temps la pluralité des cultures au sein de laquelle l’homme vit. Dans cette pluralité, l’homme se développe sans perdre cependant le contact essentiel avec l’unité de la culture en tant que dimension fondamentale et essentielle de son existence et de son être.

7. L’homme qui, dans le monde visible, est l’unique sujet ontique de la culture, est aussi son unique objet et son terme. La culture est ce par quoi l’homme en tant qu’homme devient davantage homme, « est » davantage, accède davantage à l’« être ». C’est là aussi que se fonde la distinction capitale entre ce que l’homme est et ce qu’il a, entre l’être et l’avoir. La culture se situe toujours en relation essentielle et nécessaire à ce qu’est l’homme, tandis que sa relation à ce qu’il a, à son « avoir », est non seulement secondaire, mais entièrement relative.

Tout l’« avoir » de l’homme n’est important pour la culture, n’est un facteur créateur de la culture, que dans la mesure où l’homme, par l’intermédiaire de son « avoir », peut en même temps « être plus pleinement comme homme, devenir plus pleinement homme dans toutes les dimensions de son existence, dans tout ce qui caractérise son humanité. L’expérience des diverses époques, sans en exclure l’époque présente, démontre qu’on pense à la culture et qu’on en parle d’abord en relation avec la nature de l’homme, puis seulement de manière secondaire et indirecte en relation avec le monde de ses produits.

Ceci n’enlève rien au fait que nous jugions le phénomène de la culture à partir de ce que l’homme produit, ou que nous tirions de cela en même temps des conclusions sur l’homme. Une telle approche ― mode typique du processus de connaissance « a posteriori » ― contient en elle-même la possibilité de remonter, en sens inverse, vers les dépendances ontico-causales. L’homme, et l’homme seul, est « acteur », ou « artisan », de la culture; l’homme, et l’homme seul, s’exprime en elle et trouve en elle son propre équilibre.

L'homme intégral, sujet de la culture

8. Nous tous ici présents, nous nous rencontrons sur le terrain de la culture, réalité fondamentale qui nous unit et qui est à la base de l’établissement et des finalités de l’UNESCO. Nous nous rencontrons par le fait même autour de l’homme et, en un certain sens, en lui, en l’homme. Cet homme, qui s’exprime et s’objective dans et par la culture, est unique, complet et indivisible. Il est à la fois sujet et artisan de la culture. On ne peut dès lors l’envisager uniquement comme la résultante de toutes les conditions concrètes de son existence, comme la résultante ― pour ne citer qu’un exemple ― des relations de production qui prévalent à une époque déterminée. Ce critère des relations de production ne serait-il alors aucunement une clé pour la compréhension de l’historicité de l’homme, pour la compréhension de sa culture et des multiples formes de son développement?

Certes, ce critère constitue bien une clé, et une clé précieuse même, mais il n’est pas la clé fondamentale, constitutive. Les cultures humaines reflètent, cela ne fait aucun doute, les divers systèmes de relations de production; cependant, ce n’est pas tel ou tel système qui est à l’origine de la culture, mais c’est bien l’homme, l’homme qui vit dans le système, qui l’accepte ou qui cherche à le changer. On ne peut penser une culture sans subjectivité humaine et sans causalité humaine; mais dans le domaine culturel, l’homme est toujours le fait premier: l’homme est le fait primordial et fondamental de la culture.

Et cela, l’homme l’est toujours: dans l’ensemble intégral de sa subjectivité spirituelle et matérielle.

Si la distinction entre culture spirituelle et culture matérielle est juste en fonction du caractère et du contenu des produits dans lesquels la culture se manifeste, il faut constater en même temps que, d’une part, les ½uvres de la culture matérielle font apparaître toujours une « spiritualisation » de la matière, une soumission de l’élément matériel aux forces spirituelles de l’homme, c’est-à-dire à son intelligence et à sa volonté, ― et que, d’autre part, les ½uvres de la culture spirituelle manifestent, d’une manière spécifique, une « matérialisation » de l’esprit, une incarnation de ce qui est spirituel.

Dans les ½uvres culturelles, cette double caractéristique semble être également primordiale et également permanente.

Voici donc, en guise de conclusion théorique, une base suffisante pour comprendre la culture à travers l’homme intégral, à travers toute la réalité de sa subjectivité. Voici aussi ― dans le domaine de l’agir ― la base suffisante pour chercher toujours dans la culture l’homme intégral, l’homme tout entier, dans toute la vérité de sa subjectivité spirituelle et corporelle; la base qui est suffisante pour ne pas superposer à la culture ― système authentiquement humain, synthèse splendide de l’esprit et du corps ― des divisions et des oppositions préconçues. En effet, qu’il s’agisse d’une absolutisation de la matière dans la structure du sujet humain, ou, inversement, d’une absolutisation de l’esprit dans cette même structure, ni l’une ni l’autre n’expriment la vérité de l’homme et ne servent sa culture.

9. Je voudrais m’arrêter ici à une autre considération essentielle, à une réalité d’un ordre bien divers. Nous pouvons l’aborder en notant le fait que le Saint-Siège est représenté à l'UNESCO par son Observateur permanent, dont la présence se situe dans la perspective de la nature même du Siège Apostolique. Cette présence est. d’une façon plus large encore, en consonance avec la nature et la mission de l’Église catholique et, indirectement, avec celle de tout le christianisme. Je saisis l’occasion qui m’est offerte aujourd’hui pour exprimer une conviction personnelle profonde.

La présence du Siège Apostolique auprès de votre Organisation ― bien que motivée aussi par la souveraineté spécifique du Saint-Siège ― trouve, par-dessus tout, sa raison d’être dans le lien organique et constitutif qui existe entre la religion en général et le christianisme en particulier, d’une part, et la culture, d’autre part. Cette relation s’étend aux multiples réalités qu’il faut définir comme des expressions concrètes de la culture aux diverses époques de l’histoire et dans tous les points du globe. Il ne sera certainement pas exagéré d’affirmer en particulier que, à travers une multitude de faits, l’Europe tout entière ― de l’Atlantique à l’Oural ― témoigne, dans l’histoire de chaque nation comme dans celle de la communauté entière, du lien entre la culture et le christianisme.

En rappelant cela, je ne veux en aucune manière diminuer l’héritage des autres continents, ni la spécificité et la valeur de ce même héritage qui dérive des autres sources de l’inspiration religieuse, humaniste et éthique. Bien plus, à toutes les cultures de l’ensemble de la famille humaine, des plus anciennes à celles qui nous sont contemporaines, je désire rendre l’hommage le plus profond et sincère. C’est en pensant à toutes les cultures que je veux dire à haute voix ici, à Paris, au siège de l’UNESCO, avec respect et admiration: « Voici l’homme! ». Je veux proclamer mon admiration devant la richesse créatrice de l'esprit humain, devant ses efforts incessants pour connaître et pour affermir l’identité de l’homme: de cet homme qui est présent toujours dans toutes les formes particulières de culture.

10. En parlant au contraire de la place de l’Église et du Siège Apostolique auprès de votre Organisation, je ne pense pas seulement à toutes les ½uvres de la culture dans lesquelles, au cours des deux derniers millénaires, s’exprimait l’homme qui avait accepté le Christ et l’Évangile, ni aux institutions de différentes sortes qui sont nées de la même inspiration dans les domaines de l’éducation, de l’instruction, de la bienfaisance, de l’assistance sociale et en tant d’autres. Je pense surtout, Mesdames et Messieurs, au lien fondamental de l’Évangile, c’est-à-dire du message du Christ et de l’Église, avec l’homme dans son humanité même. Ce lien est en effet créateur de culture dans son fondement même. Pour créer la culture, il faut considérer, jusqu’en ses dernières conséquences et intégralement, l’homme comme une valeur particulière et autonome, comme le sujet porteur de la transcendance de la personne. Il faut affirmer l’homme pour lui-même, et non pour quelque autre motif ou raison: uniquement pour lui-même! Bien plus, il faut aimer l’homme parce qu’il est homme, il faut revendiquer l’amour pour l’homme en raison de la dignité particulière qu’il possède. L’ensemble des affirmations concernant l’homme appartient à la substance même du message du Christ et de la mission de l’Église, malgré tout ce que les esprits critiques ont pu déclarer en la matière, et tout ce qu’ont pu faire les divers courants opposés à la religion en général et au christianisme en particulier.

Au cours de l’histoire, nous avons déjà été plus d’une fois, et nous sommes encore, les témoins d’un processus, d’un phénomène très significatif. Là où ont été supprimées les institutions religieuses, là où les idées et les ½uvres nées de l’inspiration religieuse, et en particulier de l’inspiration chrétienne, on été privées de leur droit de cité, les hommes retrouvent à nouveau ces mêmes données hors des chemins institutionnels, par la confrontation qui s’opère, dans la vérité et l’effort intérieur, entre ce qui constitue leur humanité et ce qui est contenu dans le message chrétien.

Mesdames et Messieurs, vous voudrez bien me pardonner cette affirmation. En la proposant, je n’ai voulu offenser absolument personne. Je vous prie de comprendre que, au nom de ce que je suis, je ne pouvais m’abstenir de donner ce témoignage. Il porte aussi en lui cette vérité ― qui ne peut être passée sous silence ― sur la culture, si l’on cherche en elle tout ce qui est humain, ce en quoi l’homme s’exprime ou par quoi il veut être le sujet de son existence. Et en parlant, je voulais en même temps manifester d’autant plus ma gratitude pour les liens qui unissent l’UNESCO au Siège Apostolique, ces liens dont ma présence aujourd’hui veut être une expression particulière.

11. De tout cela se dégage un certain nombre de conclusions capitales. En effet, les considérations que je viens de faire montrent à l’évidence que la tâche première et essentielle de la culture en général, et aussi de toute culture, est l’éducation. L’éducation consiste en effet à ce que l’homme devienne toujours plus homme, qu’il puisse « être » davantage et pas seulement qu’il puisse « avoir » davantage, et que par conséquent, à travers tout ce qu’il « a », tout ce qu’il « possède », il sache de plus en plus pleinement « être » homme. Pour cela il faut que l’homme sache « être plus » non seulement « avec les autres », mais aussi « pour les autres ».

L’éducation a une importance fondamentale pour la formation des rapports inter-humains et sociaux. Ici aussi, j’aborde un ensemble d’axiomes sur le terrain duquel les traditions du christianisme issues de l’Évangile rencontrent l’expérience éducative de tant d’hommes bien disposés et profondément sages, si nombreux dans tout les siècles de l’histoire. Ils ne manquent pas non plus à notre époque, ces hommes qui se révèlent grands, simplement par leur humanité qu’ils savent partager avec les autres, en particulier avec les jeunes.

En même temps, les symptômes des crises de tous genres auxquelles succombent les milieux et les sociétés par ailleurs les mieux pourvus ― crises qui affectent avant tout les jeunes générations ― témoignent à l’envi que l’½uvre d’éducation de l’homme ne s’accomplit pas seulement à l’aide des institutions, à l’aide des moyens organisés et matériels, fussent-ils excellents. Ils manifestent aussi que le plus important est toujours l’homme, l’homme et son autorité morale qui provient de la vérité de ses principes et de la conformité de ses actions avec ces principes.

12. En tant que l’Organisation mondiale la plus compétente dans tous les problèmes de la culture, l’UNESCO ne peut pas négliger cette autre question absolument primordiale: que faire pour que l’éducation de l’homme se réalise surtout dans la famille?

Quel est l’état de la moralité publique qui assurera à la famille, et surtout aux parents, l’autorité morale nécessaire à cette fin? Quel type d’instruction? Quelles formes de législation soutiennent cette autorité ou, au contraire, l’affaiblissent ou la détruisent? Les causes de succès et d’insuccès dans la formation de l’homme par sa famille se situent toujours à la fois à l’intérieur même du milieu créateur fondamental de la culture qu’est la famille, et aussi à un niveau supérieur, celui de la compétence de l’État et de ses organes, dont elles demeurent dépendantes. Ces problèmes ne peuvent pas ne pas provoquer réflexion et sollicitude dans le forum où se rencontrent les représentants qualifiés des États.

Il n’y a pas de doute que le fait culturel premier et fondamental est l’homme spirituellement mûr, c’est-à-dire l’homme pleinement éduqué, l’homme capable de s’éduquer lui-même et d’éduquer les autres. Il n’y a pas de doute non plus que la dimension première et fondamentale de la culture est la saine moralité: la culture morale.

13. Certes, on trouve dans ce domaine de nombreuses questions particulières, mais l’expérience montre que tout se tient, et que ces questions se situent dans des systèmes évidents de dépendance réciproque. Par exemple, dans l’ensemble du processus de l’éducation, de l’éducation scolaire en particulier, un déplacement unilatéral vers l’instruction au sens étroit du mot n’est-il pas intervenu?

Si l’on considère les proportions prises par ce phénomène, ainsi que l’accroissement systématique de l’instruction qui se réfère uniquement à ce que possède l’homme, n’est-ce pas l’homme lui-même qui se trouve de plus en plus obscurci? Cela entraîne alors une véritable aliénation de l’éducation: au lieu d’½uvrer en faveur de ce que l’homme doit « être », elle travaille uniquement en faveur de ce dont l’homme peut se prévaloir dans le domaine de l’« avoir », de la « possession ».

L’étape ultérieure de cette aliénation est d’habituer l’homme, en le privant de sa propre subjectivité, à être objet de manipulations multiples: les manipulations idéologiques ou politiques qui se font à travers l’opinion publique; celles qui s’opèrent à travers le monopole ou le contrôle, par les forces économiques ou par les puissances politiques, des moyens de communication sociale; la manipulation, enfin, qui consiste à enseigner la vie en tant que manipulation spécifique de soi-même.

Les impératives apparents de notre société  

Il semble que de tels dangers en matière d’éducation menacent surtout les sociétés à civilisation technique plus développée. Ces sociétés se trouvent devant la crise spécifique de l’homme qui consiste en un manque croissant de confiance à l’égard de sa propre humanité, de la signification du fait d’être homme, et de l’affirmation et de la joie qui en dérivent et qui sont source de création.

La civilisation contemporaine tente d’imposer à l’homme une série d’impératifs apparents, que ses porte-parole justifient par le recours au principe du développement et du progrès. Ainsi, par exemple, à la place du respect de la vie, « l’impératif » de se débarrasser de la vie et de la détruire; à la place de l’amour qui est communion responsable des personnes, « l’impératif » du maximum de jouissance sexuelle en dehors de tout sens de la responsabilité; à la place du primat de la vérité dans les actions, le « primat » du comportement en vogue, du subjectif, et du succès immédiat.
En tout cela s’exprime indirectement une grande renonciation systématique à la saine ambition qu’est l’ambition d’être homme. N’ayons pas d’illusions: le système formé sur la base de ces faux impératifs, de ces renoncements fondamentaux, peut déterminer l’avenir de l’homme et l’avenir de la culture.

14. Si, au nom de l’avenir de la culture, il faut proclamer que l’homme a le droit d’« être » plus, et si pour la même raison il faut exiger un sain primat de la famille dans l’ensemble de l’½uvre de l’éducation de l’homme à une véritable humanité, il faut aussi situer dans la même ligne le droit de la Nation; il faut le placer lui aussi à la base de la culture et de l’éducation.

La Nation est en effet la grande communauté des hommes qui sont unis par des liens divers, mais surtout, précisément, par la culture. La Nation existe « par » la culture et « pour » la culture, et elle est donc la grande éducatrice des hommes pour qu’ils puissent « être davantage » dans la communauté.

Elle est cette communauté qui possède une histoire dépassant l’histoire de l’individu et de la famille.

C’est aussi dans cette communauté, en fonction de laquelle toute famille éduque, que la famille commence son ½uvre d’éducation par ce qui est le plus simple, la langue, permettant ainsi à l’homme qui en est à ses débuts d’apprendre à parler pour devenir membre de la communauté qu’est sa famille et sa Nation. En tout ce que je proclame maintenant et que je développerai encore davantage, mes mots traduisent une expérience particulière, un témoignage particulier en son genre.

Je suis fils d’une Nation qui a véçu les plus grandes expériences de l’histoire, que ses voisins ont condamnée à mort à plusieurs reprises, mais qui a survécu et qui est restée elle-même. Elle a conservé son identité, et elle a conservé, malgré les partitions et les occupations étrangères, sa souveraineté nationale, non en s’appuyant sur les ressources de la force physique, mais uniquement en s’appuyant sur sa culture. Cette culture s’est révélée en l’occurrence d’une puissance plus grande que toutes les autres forces.

Ce que je dis ici concernant le droit de la Nation au fondement de sa culture et de son avenir n’est donc l’écho d’aucun « nationalisme », mais il s’agit toujours d’un élément stable de l’expérience humaine et des perspectives humanistes du développement de l’homme. Il existe une souveraineté fondamentale de la société qui se manifeste dans la culture de la Nation. Il s’agit de la souveraineté par laquelle, en même temps, l’homme est suprêmement souverain. Et quand je m’exprime ainsi, je pense également, avec une émotion intérieure profonde, aux cultures de tant de peuples antiques qui n’ont pas cédé lorsqu’ils se sont trouvés confrontés aux civilisations des envahisseurs: et elles restent encore pour l’homme la source de son « être » d’homme dans la vérité intérieure de son humanité.

Je pense aussi avec admiration aux cultures des nouvelles sociétés, de celles qui s’éveillent à la vie dans la communauté de la propre Nation, ― tout comme ma Nation s’est éveillée à la vie il y a dix siècles ― et qui luttent pour maintenir leur propre identité et leurs propres valeurs contre les influences et les pressions de modèles proposés de l’extérieur.

15. En m’adressant à vous, Mesdames et Messieurs, vous qui vous réunissez en ce lieu depuis plus de trente ans maintenant au nom de la primauté des réalités culturelles de l’homme, des communautés humaines, des peuples et des Nations, je vous dis: veillez, par tous les moyens à votre disposition, sur cette souveraineté fondamentale que possède chaque Nation en vertu de sa propre culture.

Protégez-la comme la prunelle de vos yeux pour l’avenir de la grande famille humaine. Protégez-la! Ne permettez pas que cette souveraineté fondamentale devienne la proie de quelque intérêt politique ou économique. Ne permettez pas qu’elle devienne victime des totalitarismes, impérialismes ou hégémonies, pour lesquels l’homme ne compte que comme objet de domination et non comme sujet de sa propre existence humaine.

Pour ceux-là aussi, la Nation ― leur propre Nation ou les autres ― ne compte que comme objet de domination et appât d’intérêts divers, et non comme sujet: le sujet de la souveraineté provenant de la culture authentique qui lui appartient en propre. N’y a-t-il pas, sur la carte de l’Europe et du monde, des Nations qui ont une merveilleuse souveraineté historique provenant de leur culture, et qui sont pourtant en même temps privées de leur pleine souveraineté? N’est-ce pas un point important pour l’avenir de la culture humaine, important surtout à notre époque, quand il est tellement urgent d’éliminer les restes du colonialisme?

16. Cette souveraineté qui existe et qui tire son origine de la culture propre de la Nation et de la société, du primat de la famille dans l’½uvre de l’éducation, et enfin de la dignité personnelle de tout homme, doit rester le critère fondamental dans la manière de traiter ce problème important pour l’humanité d’aujourd’hui qu’est le problème de moyens de communication sociale (de l’information qui leur est liée, et aussi de ce qu’on appelle la « culture de masse »).

Vu que ces moyens sont les moyens « sociaux » de la communication, ils ne peuvent être des moyens de domination sur les autres, de la part des agents du pouvoir politique comme de celle des puissances financières qui imposent leur programme et leur modèle.

Ils doivent devenir le moyen ― et quel important moyen! ― d’expression de cette société qui se sert d’eux, et qui en assure aussi l’existence. Ils doivent tenir compte des vrais besoins de cette société. Ils doivent tenir compte de la culture de la Nation et de son histoire. Ils doivent respecter la responsabilité de la famille dans le domaine de l’éducation. Ils doivent tenir compte du bien de l’homme, de sa dignité. Ils ne peuvent pas être soumis au critère de l’intérêt, du sensationnel et du succès immédiat, mais, en tenant compte des exigences de l’éthique, ils doivent servir à la construction d’une vie « plus humaine ».

17. Genus humanum arte et ratione vivit. On affirme au fond que l’homme est lui-même par la vérité, et devient davantage lui-même par la connaissance toujours plus parfaite de la vérité. Je voudrais ici rendre hommage, Mesdames et Messieurs, à tous les mérites de votre Organisation, et en même temps à l’engagement et à tous les efforts des États et des Institutions que vous représentez, sur la voie de la popularisation de l’instruction à tous les degrés et à tous les niveaux, sur la voie de l’élimination de l’analphabétisme qui signifie le manque de toute instruction même la plus élémentaire, manque douloureux non seulement du point de vue de la culture élémentaire des individus et des milieux, mais aussi du point de vue du progrès socio-économique.

Il y a des indices inquiétants de retard en ce domaine, lié à une distribution des biens souvent radicalement inégale et injuste: pensons aux situations dans lesquelles il existe, à côté d’une oligarchie ploutocratique peu nombreuse, des multitudes de citoyens affamés vivant dans la misère. Ce retard peut être éliminé non pas par la voie de luttes sanguinaires pour le pouvoir, mais surtout par la voie de l’alphabétisation systématique à travers la diffusion et la popularisation de l’instruction. Un effort ainsi orienté est nécessaire si on désire opérer ensuite les changements qui s’imposent dans le domaine socio-économique.

L’homme, qui « est plus » grâce aussi à ce qu’il « a », et à ce qu’il « possède », doit savoir posséder, c’est-à-dire disposer et administrer les moyens qu’il possède, pour son bien propre et pour le bien commun. A cet effet, l’instruction est indispensable.

18. Le problème de l’instruction a toujours été étroitement lié à la mission de l’Église. Au cours des siècles, elle a fondé des écoles à tous les niveaux; elle a donné naissance aux Universités médiévales en Europe: à Paris comme à Sologne, à Salamanque comme à Heidelberg, à Cracovie comme à Louvain. A notre époque aussi elle offre la même contribution partout où son activité en ce domaine est demandée et respectée. Qu’il me soit permis de revendiquer en ce lieu pour les familles catholiques le droit qui appartient à toutes les familles d’éduquer leurs enfants en des écoles qui correspondent à leur propre vision du monde, et en particulier le droit strict des parents croyants à ne pas voir leurs enfants soumis, dans les écoles, à des programmes inspirés par l’athéisme. Il s’agit là en effet d’un des droits fondamentaux de l’homme et de la famille.

19. Le système de l’enseignement est lié organiquement au système des diverses orientations données à la façon de pratiquer et de populariser la science, ce à quoi servent les établissements d’enseignement de haut niveau, les universités et aussi, vu le développement actuel de la spécialisation et des méthodes scientifiques, les instituts spécialisés. Il s’agit là d’institutions dont il serait difficile de parler sans une émotion profonde. Ce sont les bancs de travail, auprès desquels la vocation de l’homme à la connaissance, ainsi que le lien constitutif de l’humanité avec la vérité comme but de la connaissance, deviennent une réalité quotidienne, deviennent, en un certain sens, le pain quotidien de tant de maîtres, coryphées vénérés de la science, et autour d’eux, des jeunes chercheurs voués à la science et à ses applications, comme aussi de la multitude des étudiants qui fréquentent ces centres de la science et de la connaissance.

Nous nous trouvons ici comme aux degrés les plus élevés de l’échelle que l’homme, depuis le début, gravit vers la connaissance de la réalité du monde qui l’entoure, et vers celle des mystères de son humanité. Ce processus historique a atteint à notre époque des possibilités inconnues autrefois; il a ouvert à l’intelligence humaine des horizons insoupçonnés jusque-là. Il serait difficile d’entrer ici dans le détail car, sur le chemin de la connaissance, les orientations de la spécialisation sont aussi nombreuses qu’est riche le développement de la science.

L’UNESCO lieu de rencontre de la culture humaine

20. Votre Organisation est un lieu de rencontre, d’une rencontre qui englobe, dans son sens le plus large, tout le domaine si essentiel de la culture humaine. Cet auditoire est donc l’endroit tout indiqué pour saluer tous les hommes de science, et rendre hommage particulièrement à ceux qui sont ici présents, et qui ont obtenu pour leurs travaux la plus haute reconnaissance et les plus éminentes distinctions mondiales. Qu’il me soit permis dès lors d’exprimer aussi certains souhaits qui, je n’en doute pas, rejoignent la pensée et le c½ur des membres de cette auguste assemblée.

Autant nous édifie dans le travail scientifique ― nous édifie et aussi nous réjouit profondément ― cette marché de la connaissance désintéressée de la vérité que le savant sert avec le plus grand dévouement et parfois au risque de sa santé et même de sa vie, autant doit nous préoccuper tout ce qui est en contradiction avec les principes de désintéressement et d’objectivité, tout ce qui ferait de la science un instrument pour atteindre des buts qui n’ont rien à voir avec elle. Oui, nous devons nous préoccuper de tout ce qui propose et présuppose ces seuls buts scientifiques en exigeant des hommes de science qu’ils se mettent à leur service sans leur permettre de juger et de décider, en toute indépendance d’esprit, de l’honnêteté humaine et éthique de tels buts, ou en les menaçant d’en porter les conséquences quand ils refusent d’y contribuer.

Ces buts non scientifiques dont je parle, ce problème que je pose, ont-ils besoin de preuves ou de commentaires? Vous savez à quoi je me réfère; qu’il suffise de faire allusion au fait que parmi ceux qui furent cités devant les tribunaux internationaux, à la fin de la dernière guerre mondiale, il y avait aussi des hommes de science. Mesdames et Messieurs, je vous prie de me pardonner ces paroles, mais je ne serais pas fidèle aux devoirs de ma charge si je ne les prononçais pas, non pas pour revenir sur le passé, mais pour défendre l’avenir de la science et de la culture humaine; plus encore, pour défendre l’avenir de l’homme et du monde! Je pense que Socrate qui, dans sa rectitude peu commune, a pu soutenir que la science est en même temps vertu morale, devrait en rabattre de sa certitude s’il pouvait considérer les expériences de notre temps.

Adresser la science en défense de la vie de l'homme 

21. Nous nous en rendons compte, Mesdames et Messieurs, l’avenir de l’homme et du monde est menacé, radicalement menacé, en dépit des intentions, certainement nobles, des hommes de savoir, des hommes de science. Et il est menacé parce que les merveilleux résultats de leurs recherches et de leurs découvertes, surtout dans le domaine des sciences de la nature, ont été et continuent d’être exploités ― au préjudice de l’impératif éthique ― à des fins qui n’ont rien à voir avec les exigences de la science, et jusqu’à des fins de destruction et de mort, et ceci à un degré jamais connu jusqu’ici, causant des dommages vraiment inimaginables.

Alors que la science est appelée à être au service de la vie de l’homme, on constate trop souvent qu’elle est asservie à des buts qui sont destructeurs de la vraie dignité de l’homme et de la vie humaine. C’est le cas lorsque la recherche scientifique elle-même est orientée vers ces buts ou quand ses résultats sont appliqués à des fins contraires au bien de l’humanité. Ceci se vérifie aussi bien dans le domaine des manipulations génétiques et des expérimentations biologiques que dans celui des armements chimiques, bactériologiques ou nucléaires.

Deux considérations m’amènent à soumettre particulièrement à votre réflexion la menace nucléaire que pèse sur le monde d’aujourd’hui et qui, si elle n’est pas conjurée, pourrait conduire à la destruction des fruits de la culture, des produits de la civilisation élaborée à travers des siècles par les générations successives d’hommes qui ont cru dans la primauté de l’esprit et qui n’ont ménagé ni leurs efforts ni leurs fatigues. La première considération est celle-ci. Des raisons de géopolitique, des problèmes économiques de dimension mondiale, de terribles incompréhensions, des orgueils nationaux blessés, le matérialisme de notre époque et la décadence des valeurs morales ont mené notre monde à une situation d’instabilité, à un équilibre fragile qui risque d’être détruit d’un moment à l’autre à la suite d’erreurs de jugement, d’information ou d’interprétation.

Une autre considération s’ajoute à cette inquiétante perspective. Peut-on, de nos jours, être encore sûr que la rupture de l’équilibre ne porterait pas à la guerre, et à une guerre qui n’hésiterait pas à recourir aux armes nucléaires? Jusqu’à présent on a dit que les armes nucléaires ont constitué une force de dissuasion qui a empêché l’éclatement d’une guerre majeure, et c’est probablement vrai.

Mais on peut en même temps se demander s’il en sera toujours ainsi. Les armes nucléaires, de quelque ordre de grandeur ou de quelque type qu’elles soient, se perfectionnent chaque année davantage, et elles s’ajoutent à l’arsenal d’un nombre croissant de pays. Comment pourra-t-on être sûr que l’usage d’armes nucléaires, même à des fins de défense nationale ou dans des conflits limités, n’entraînera pas une escalade inévitable, portant à une destruction que l’humanité ne pourra ni envisager, ni accepter? Mais ce n’est pas à vous, hommes de science et de culture, que je dois demander de ne pas fermer les yeux sur ce qu’une guerre nucléaire peut représenter pour l’humanité entière [3].

22. Mesdames et Messieurs, le monde ne pourra pas poursuivre longtemps sur cette voie. A l’homme qui a pris conscience de la situation et de l’enjeu, qui s’inspire aussi du sens élémentaire des responsabilités qui incombent à chacun, une conviction s’impose, qui est en même temps un impératif moral: il faut mobiliser les consciences! Il faut augmenter les efforts des consciences humaines à la mesure de la tension entre le bien et le mal à laquelle sont soumis les hommes à la fin du vingtième siècle. Il faut se convaincre de la priorité de l’éthique sur la technique, du primat de la personne sur les choses, de la supériorité de l’esprit sur la matière [4]. La cause de l’homme sera servie si la science s’allie à la conscience. L’homme de science aidera vraiment l’humanité s’il conserve « le sens de la transcendance de l’homme sur le monde et de Dieu sur l’homme » [5].

Ainsi, saisissant l’occasion de ma présence aujourd’hui au siège de l’UNESCO, moi, fils de l’humanité et Évêque de Rome, je m’adresse directement à vous, hommes de science, à vous qui êtes réunis ici, à vous les plus hautes autorités dans tous les domaines de la science moderne. Et je m’adresse, à travers vous, à vos collègues et amis de tous les pays et de tous les continents.

Je m’adresse à vous au nom de cette menace terrible qui pèse sur l’humanité, et, en même temps, au nom de l’avenir et du bien de cette humanité dans le monde entier. Et je vous supplie: déployons « ous nos efforts pour instaurer et respecter, dans tous les domaines de la science, le primat de l’éthique. Déployons surtout nos efforts pour préserver la famille humaine de l’horrible perspective de la guerre nucléaire!

J’ai abordé ce sujet devant l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies, à New York, le 2 octobre de l’année dernière. Je vous en parle aujourd’hui à vous. Je m’adresse à votre intelligence et à votre c½ur, par-dessus les passions, les idéologies et les frontières. Je m’adresse à tous ceux qui, par leur pouvoir politique ou économique, pourraient être et sont souvent amenés à imposer aux hommes de science les conditions de leur travail et son orientation. Je m’adresse avant tout à chaque homme de science individuellement et à toute la communauté scientifique internationale.

Tous ensemble vous êtes une puissance énorme: la puissance des intelligences et des consciences!

Montrez-vous plus puissants que les plus puissants de notre monde contemporain! Décidez-vous à faire preuve de la plus noble solidarité avec l’humanité: celle qui est fondée sur la dignité de la personne humaine. Construisez la paix en commençant par le fondement: le respect de tous les droits de l’homme, ceux qui sont liés à sa dimension matérielle et économique comme ceux qui sont liés à la dimension spirituelle et intérieure de son existence en ce monde. Puisse la sagesse vous inspirer! Puisse l’amour vous guider, cet amour qui étouffera la menace grandissante de la haine et de la destruction! Hommes de science, engagez toute votre autorité morale pour sauver l’humanité de la destruction nucléaire.

23. Il m’a été donné de réaliser aujourd’hui un des désirs les plus vifs de mon c½ur. Il m’a été donné de pénétrer, ici même, à l’intérieur de l’Aréopage qui est celui du monde entier. Il m’a été donné de vous dire à tous, à vous, membres de l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture, à vous qui travaillez pour le bien et pour la réconciliation des hommes et des peuples à travers tous les domaines de la culture, de l’éducation, de la science et de l’information, de vous dire et de vous crier du fond de l’âme: Oui! l’avenir de l’homme dépend de la culture! Oui! la paix du monde dépend de la primauté de l’Esprit! Oui! l’avenir pacifique de l’humanité dépend de l’amour!

Votre contribution personnelle, Mesdames et Messieurs, est importante, elle est vitale. Elle se situe dans l’approche correcte des problèmes à la solution desquels vous consacrez votre service.

Ma parole finale est celle-ci: Ne cessez pas. Continuez. Continuez toujours.

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 [1] Cfr. Discours à l'O.N.U., nn. 7 et 13.

 [2] Cf. Saint Thomas, commentant Aristote, dans Post. Analyt., n.1.

 [3] Cf. Homélie pour la Journée mondiale de la paix, 1er janvier 1980.

 [4] Cf. Redemptor Hominis, n.16.

 [5] Discours à l'Académie Pontificale des Sciences, 10 novembre 1979, n.4.


*AAS 72 (1980), p. 735-752.

Insegnamenti di Giovanni Paolo II, vol. III, 1 p. 1636-1655.

L'Osservatore Romano 3.6.1980 pp.1, 2, 3.

L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n. 21 p. 1, 9-11.

La Documentation Catholique n.1788 p.603-609.

 

 

 

 

1985

 

 

 

15 mai 1985 – Discours de Jean Paul II aux représentants des Institutions et Organismes de la Communauté Européenne, au Luxembourg

     A l’époque actuelle, un perfectionnement du droit, élargi à la dimension d’une vaste communauté, apparaît d’autant plus nécessaire que la société qu’il sert se modifie sous des influences multiples et souvent contradictoires. Les hommes, dont le droit est appelé à favoriser les aspirations fondamentales, tendent à se disperser en poursuivant tant d’objectifs divers qu’il n’est pas facile d’y discerner l’essentiel. L’exagération de certains désirs, amplifiés par leur projection dans les médias, les craintes éprouvées devant toutes les menaces de violence et d’instabilité qui pèsent sur le monde, les séductions ambiguës qu’exercent les possibilités inouïes des sciences de la vie, tout cela expose l’homme contemporain à ne plus savoir tracer sa route dans la clarté, à se laisser saisir par les vertiges du doute et finalement à perdre de vue les bases d’une saine éthique.   C’est dire la gravité du devoir qui incombe à tous ceux qui doivent exprimer les règles de la vie sociale. Il leur faut une grande probité intellectuelle, il leur faut un grand courage pour pratiquer un discernement ardu mais indispensable. L’Eglise, pour sa part, ne ménage pas ses efforts pour défendre les valeurs primordiales du respect de la vie à toutes ses étapes, les biens inaliénables de l’institution familiale, l’exercice des droits humains fondamentaux, la liberté de conscience et de pratique religieuse, l’épanouissement de la personne dans une libre communion avec ses frères. J’ai confiance que cette intention vous anime. Et je formule le v½u ardent que l’Europe saura réagir à tout ce qui affaiblirait les bienfaits d’une juste éthique, afin de mettre en lumière la vérité de l’homme. Et comment ne pas souhaiter que, grâce à des échanges culturels élargis, tous les pays de l’Europe puissent promouvoir les valeurs qu’ils ont en commun?

 

 

 

 

 

20 mai 1985 – Discours de Jean Paul II au Siège de la Communauté Economique Européenne

     L’accroissement des richesses de toute nature n’entraîne que bien peu de progrès dans l’équité. Les particularismes nationaux s’accusent, les luttes pour la prépondérance jalonnent l’histoire des puissances. Au cours de ces périodes, une certaine ivresse saisit l’homme conscient de ses capacités de progrès. L’optimisme rationaliste que lui inspirent ses conquêtes le conduit à la négation de tout idéal transcendant qui échapperait à la maîtrise de son propre génie. Divers courants de pensée, philosophiques et idéologiques, discréditent l’adhésion à une foi, et ils mènent à un soupçon sur Dieu qui rejaillit sur l’homme lui-même, en le privant d’une pleine conscience de ses raisons de vivre. On essaie d’ériger en absolu la puissance de l’homme ou le dynamisme de son histoire, mais avec comme conséquence l’émergence d’idéologies et de systèmes politiques qui entravent la liberté de l’homme et amoindrissent sa générosité. La négation pratique de beaucoup de valeurs spirituelles entraîne l’homme à vouloir à tout prix la satisfaction de son affectivité et à méconnaître les fondements de l’éthique. Il demande la liberté et fuit les responsabilités ; il aspire à l’opulence et ne parvient pas à effacer la pauvreté à côté de lui; il professe l’égalité de tous et cède trop souvent à l’intolérance raciale. En dépit de tout ce qu’il revendique pour lui-même, et de tout ce qui lui est en effet accessible, l’homme contemporain est tenté par le doute sur le sens de sa vie, par l’angoisse et le nihilisme. …

    Nous nous trouvons face à un ébranlement moral et spirituel de l’homme, particulièrement sensible en vos pays. On dirait qu’il joue avec la vie, quand il ne se laisse pas saisir par la désespérance. L’aisance avec laquelle la science intervient dans les processus biologiques peut entraîner des égarements mortifères. L’acte merveilleux de transmettre la vie se voit privé d’une part de son sens ; la coulpe se ferme sur lui-même ; avec le consentement de la société, il en vient trop souvent à refuser à l’être sans défense la dignité d’homme et le droit de vivre. Ou bien, la volonté de posséder un enfant justifie des manipulations qui font violence à la nature de l’être humain. Une certaine priorité donnée aux satisfactions affectives de l’individu compromet la stabilité du couple et de la famille et fait perdre de vue les vraies finalités du mariage.        

     Ces graves altérations dans l’éthique chez une part de nos contemporains ne sont-elles pas liées à l’absence d’un idéal, à l’étroitesse du projet humain quand il lui manque l’ouverture de la foi ?      Mesure-t-on les conséquences d'une diminution du nombre des naissances qui provoque le vieillissement de la population ? L’homme aurait-il perdu confiance dans une libre et fidèle communion avec l’autre, dans le développement de toutes ses possibilités, à commencer par celle de donner le meilleur de soi-même à ceux qui poursuivront les réussites de la civilisation et feront croître sa beauté ? D’avoir renoncé aux aspirations généreuses et désintéressées, cela entraîne les maux de la solitude et durcit les écarts entre les générations. Les jeunes sont déçus du monde où nous les plaçons. Nos manières de vivre leur permettront-elles de respecter leur propre dignité d’hommes, de découvrir un idéal, de s’épanouir dans une communion d’êtres heureux dans leur dignité ? Il est de notre responsabilité à tous de mesurer l’enjeu de ces questions. L’homme a assez de pouvoir sur lui-même pour reprendre sa route, se relever s’il est tombé, et répondre à la vocation de se dépasser sans cesse.

 

 

 

1986

25 janvier 1986 – Discours de Jean Paul II aux représentants du Mouvement Italien pour la Vie.

     Chers frères et s½urs du mouvement pro-vie

     1. Je vous souhaite la bienvenue ! Je vous salue avec une joie particulière et je vous remercie de cette visite qui me donne, entre autres, l'occasion de revenir sur un sujet qui mérite une attention constante en raison de son importance exceptionnelle. Je salue en particulier votre président, ainsi que M. Casini, l'infatigable animateur du Mouvement ; et je salue chacun d'entre vous, Messieurs les membres de l'Exécutif national et les délégués régionaux.

     Je veux vous dire d'emblée que la vie constitue l'une de ces valeurs essentielles, pour la protection et la promotion desquelles la société elle-même existe et s'articule dans ses structures. Personne ne peut apprécier cette valeur autant que le chrétien, qui croit en un Dieu qui se révèle non pas comme le « Dieu des morts, mais des vivants, car tous vivent pour lui » (Lc 20, 38) ; un Dieu qui, pour renouveler le visage et le c½ur de l'humanité, a envoyé sur terre son propre Fils, en qui se trouve la source même de la vie (cf. Jn 1, 4 ; 16, 6, etc.). Pour ces raisons, l'Église, à une époque où la culture de la mort semble prévaloir, s'engage à éclairer et à exhorter l'opinion publique de tous les pays avec une insistance pastorale afin de favoriser un renversement de la tendance.

     2. Depuis sa création, votre Mouvement a généreusement collaboré avec d'autres forces de bonne volonté, d'abord pour s'opposer à la promulgation, puis pour atténuer les effets d'une loi qui autorise le meurtre d'innocents et qui est de plus en plus utilisée comme moyen de contrôle des naissances. Aujourd'hui, elle apporte son aide bienveillante aux mères en détresse et aux familles en danger, rappelant à chacun ses responsabilités, afin que les établissements de santé et surtout les centres de consultation familiale soient des lieux où la vie est valablement défendue et non pas prématurément supprimée. Un travail qui mérite tous les encouragements de ceux qui se préoccupent de l'avenir moral et civil de l'histoire.

     3. L'élimination de la vie de l'enfant à naître est aujourd'hui, malheureusement, un phénomène répandu dans le monde, même dans les nations de tradition chrétienne millénaire, comme l'Italie, financé par l'apport de fonds publics, facilité par les lois humaines avec un ensemble d'arguments dont l'incohérence et la captivité ne sont, en vérité, pas difficiles à démêler. En réalité, l'avortement est une grave défaite de l'homme et de la société civilisée. Avec lui, la vie d'un être humain est sacrifiée à des biens de moindre valeur, pour des raisons souvent inspirées par un manque de courage et de foi en la vie et parfois par le désir d'un bien-être mal compris. Et l'Etat, au lieu d'intervenir comme c'est sa mission pour défendre l'innocent en danger, de prévoir sa suppression et d'assurer, avec des moyens adéquats, son existence et sa croissance, autorise et même contribue à l'exécution d'une sentence de mort. C'est l'une des conséquences les plus inquiétantes du matérialisme théorique et pratique qui, en niant Dieu, finit par nier même l'homme dans sa dimension transcendante essentielle, et qui est le fruit de l'hédonisme consumériste qui place l'intérêt immédiat comme finalité de l'activité humaine.

     L'Église n'a pas manqué d'intervenir clairement et vigoureusement pour dénoncer l'avortement à la fois comme une grave offense à la loi de Dieu, unique Seigneur de la vie, et comme une violation du droit premier et intouchable de la personne humaine à exister. Elle continuera à intervenir pour convaincre de remettre les valeurs morales fondamentales à la base de la société, sans lesquelles une coexistence véritablement civilisée ne peut se construire. La civilisation, en effet, se mesure avant tout par le respect et la promotion de la vie tout au long de l'existence humaine.

     4. Chers amis, le 2 février prochain, vous célébrerez la huitième Journée pour la vie. A cette occasion, je désire vous adresser, ainsi qu'à vos collaborateurs, mes vifs encouragements à poursuivre sans relâche votre travail, à l'améliorer en qualité et en rayonnement, à le développer dans toute l'étendue de ses articulations.

     Vous savez que la bataille est difficile. Ne perdez jamais la clarté des idées, ni l'élan de l'idéal, ni le dynamisme propulsif nécessaire. Ne vous laissez pas décourager par la complexité et la longueur de l'affrontement. La vérité et le bien, même s'ils ne sont pas rapides, finiront par triompher.

     Efforcez-vous de trouver une collaboration entre toutes les énergies disponibles, qui sont nombreuses et doivent être réveillées. Sensibilisez les secteurs qui se réfugient dans l'agnosticisme ou le désengagement. Faites appel à la réserve inépuisable du secteur associatif. Dans ce domaine qui dépasse les forces humaines, ne manquez pas d'invoquer la protection de la Vierge Mère, Marie la Très Sainte. Et, en signe d'aide divine, recevez ma bénédiction apostolique.

 

18 octobre 1986 – Discours aux Parlementaires européens du parti populaire, à Florence, en Italie.

     Vous avez un sens aigu de la dignité de l’homme, de tout l’homme, compatriote ou travailleur immigré, des conditions équitables de sa vie, de son travail, avec la préoccupation de mettre le progrès économique au service de l’homme. Vous êtes soucieux de faciliter aux familles – cellules de base de la société – leur vie dans la paix et l’union, et l’accomplissement de leurs tâches essentielles d’époux, de parents, d’éducateurs. Vous êtes au premier rang de ceux qui protègent le droit à la vie, dès la conception, et à tous les âges de la vie, et de même tout ce qui concourt à la dignité éthique de la vie.

Votre action dans le cadre de la démocratie vise à promouvoir de tels biens dans le texte de lois que vous préparez et discutez, en gardant le souci de ce que l’application des lois entraîne concrètement dans les m½urs.

 

 

 

24 octobre 1986 – Discours de Jean Paul II lors d’une conférence internationale sur les médicaments

     1. C’EST AVEC JOIE que je vous salue, vous tous, participants à cette Conférence internationale qui témoigne une fois de plus de l’importance que l’Eglise accorde au service des malades, de ceux qui souffrent, et à tous ceux qui ½uvrent dans le vaste domaine – délicat et complexe – de la santé et de l’hygiène. C’est un champ d’apostolat qui fait partie intégrante de la mission de l’Eglise.

     Cette Conférence est bien représentative de l’activité de la Commission pontificale pour la pastorale des services de la santé, et remercier son président, le Cardinal Eduardo Pironio, son Pro-Président, Monseigneur Fiorenzo Angelini, et leurs collaborateurs. Dans un monde où la conception même des services sociaux-sanitaires évolue considérablement, et où l’on s’aperçoit qu’ils ont des implications toujours plus complexes, il était devenu indispensable de coordonner et de promouvoir la présence de l’Eglise. Cette Conférence en est la preuve, comme aussi les autres initiatives qui ont été prises ou sont en cours de réalisation, parmi lesquelles je veux mentionner le vaste recensement de toutes les structures sanitaires de l’Eglise ; nous prenons ainsi mieux conscience de l’extension et des ramifications capillaires de cette présence et de ce service en faveur de la personne humaine soumise à l’épreuve particulière de la maladie psychophysique.

     2. Le choix du thème central de cette Conférence me semble lui aussi très approprié. Les médicaments sont en effet le moyen par lequel le médecin peut non seulement soigner mais aussi prévenir certaines maladies. Un grand nombre de celles-ci qui, dans le passé, décimaient les populations, ont aujourd’hui en grande partie disparu. D’autres peuvent être soignées beaucoup plus efficacement. Les enfants sont plus rarement marqués par les terribles déformations de la poliomyélite et du rachitisme. La chirurgie, grâce à un apport pharmacologique toujours mieux adapté, a pu connaître des progrès extraordinaires. La durée moyenne de la vie est notablement accrue. Tout cela, nous le devons surtout aux sérums, aux vaccins et à tant d’autres médicaments, aujourd’hui à notre disposition. Du moins cela vaut-il pour les pays développés.

     3. Cependant, s’il est vrai que les médicaments ont apporté d’immenses bienfaits à l’humanité, ils ont par ailleurs soulevé de graves problèmes, en partie non résolus, au sujet de leur élaboration, de leur diffusion, de leur usage et de leur accessibilité pour tous les malades quels que soient le milieu social ou le pays auquel ils appartiennent. La mise au point et la fabrication des médicaments est toujours plus complexe et plus coûteuse, et cela a des conséquences économiques et sociales évidentes. Les médicaments peuvent stimuler, ou au contraire réprimer, les fonctions de divers organes ou tissus, ou encore l’activité mentale. Ces caractéristiques les rendent utiles pour accroître la résistance à certaines maladies ou pour freiner le développement de certaines autres. Il est vrai que l’on peut s’interroger parfois sur l’opportunité, pour l’équilibre de l’organisme humain, d’une surconsommation de ces produits artificiels, en certains pays et selon la tendance de certains praticiens. Mais surtout des médicaments peuvent aussi être employés dans un but non plus thérapeutique mais pour altérer les lois de la nature au détriment de la dignité de la personne humaine. Il est donc clair que l’élaboration, la distribution et l’usage des médicaments doivent être soumis à un code de morale particulièrement rigoureux. Le respecter est le seul moyen d’éviter que les exigences liées à la production et au coût des médicaments, en soi légitimes et importantes pour leur diffusion, ne les détournent de leur sens et de leur fin.

     4. Vous vous penchez aussi, au cours de ce Congrès, sur le problème de l’expérimentation des médicaments. Dans l’état actuel des connaissances scientifiques, il n’est pas possible de prévoir avec une précision suffisante les propriétés et les caractéristiques des nouveaux médicaments. Avant donc d’être utilisés en thérapie, ils doivent être testés sur des animaux de laboratoire.   M’adressant aux participants à la Semaine d’Etudes sur l’expérimentation biologique, qui s’est déroulée en 1982 auprès de l’Académie pontificale des Sciences, j’avais déjà souligné que cette expérimentation est délicate et qu’elle doit s’effectuer dans le respect de l’animal, sans lui infliger d’inutiles souffrances. Dans un deuxième stade, avant de pouvoir être utilisés normalement, il faut encore que les médicaments soient testés sur l’homme, sur le malade et quelquefois aussi sur la personne en bonne santé. L’expérimentation clinique est désormais soumise à des lois et des normes sévères qui la réglementent et veulent offrir toutes les garanties possibles. Un jour viendra où, grâce au progrès des connaissances scientifiques, les risques et les inconnues en matière d’expérimentation des médicaments, seront notablement réduits, on peut du moins l’espérer. Mais, de toute façon, une grande prudence s’avère nécessaire pour ne jamais faire de l’homme un objet d’expérimentation, pour éviter à tout prix de mettre en danger sa vie, son équilibre, sa santé, ou aggraver son mal.

     5. Il est urgent, en même temps, de promouvoir une réelle collaboration internationale, non seulement sur le plan normatif, mais aussi dans le but de réduire et d’éliminer les différences qui existent d’un pays à l’autre.

     Parmi les problèmes restés, aujourd’hui encore, sans solution, je voudrais mentionner ceux qui concernent la situation de certains pays en voie de développement. Alors que l’accès à l’assistance sanitaire est reconnu comme un droit fondamental de l’homme, de larges portions de l’humanité sont encore privées des soins médicaux même les plus élémentaires. C’est un problème d’une telle envergure que les efforts individuels – tout aussi précieux et irremplaçables qu’ils soient – apparaissent comme insuffisants. A l’heure actuelle, il faut absolument chercher à travailler ensemble, à coordonner, au niveau international, la politique d’intervention et donc les initiatives concrètes. Nous savons combien l’Organisation Mondiale de la Santé s’y emploie et beaucoup d’autres associations et initiatives qui manifestent une solidarité sans frontières.

     Les pays développés ont le devoir de mettre à la disposition de ceux qui le sont moins, leur expérience, leur technologie et une part de leurs richesses économiques. Mais cela ne peut se faire que dans le respect de la dignité humaine des autres, sans jamais vouloir s’imposer. La protection de la santé est étroitement liée aux différents aspects de la vie : qu’il s’agisse des aspects sociaux ou économiques, de ceux qui ont trait à l’environnement ou à la culture. Elle requiert par là même une approche prudente et responsable, dans une collaboration ouverte et réciproque. Car il arrive fréquemment que les traditions locales offrent des points d’appui précieux qu’il est bon de prendre en compte et de mettre en valeur. Les chrétiens comprennent qu’il y a là un terrain capital d’entraide fraternelle, de service humble et respectueux.

     6. Dans ce contexte, nous ne pouvons oublier qu’il existe encore des médicaments qui, pour des raisons presque uniquement commerciales, ne sont pas sérieusement pris en charge et ne bénéficient pas des recherches et progrès scientifiques. Or ils sont nécessaires non seulement pour le traitement de certaines maladies rares, mais aussi pour celles qui, surtout dans les zones tropicales et pauvres, frappent des millions de personnes. A cet égard, il faut en premier lieu discerner les objectifs et leur ordre de priorité, puis voir comment les barrières économiques et politiques qui entravent la recherche, l’élaboration et la production de tels médicaments pourraient être surmontées.

     7. A tous ceux qui ½uvrent dans les services de la santé et qui doivent affronter ces problèmes difficiles et complexes, je voudrais redire ici l’encouragement de l’Eglise. La doctrine chrétienne apporte en effet en ces domaines – c’est notre conviction – une contribution très importante. Elle offre des principes sûrs pour orienter vers des solutions qui garantissent la dignité de la personne, soutiennent son progrès moral et social, développent la solidarité et, en ce sens, elle apporte une lumière et une espérance à ceux qui éprouvent des doutes, des questions angoissantes ou le découragement au regard de la pénible situation des malades et des infirmes.

     D’une part, l’Eglise partage avec les malades leur désir de guérison, de soulagement et leur espérance d’une plénitude de Vie. Elle respecte aussi le mystère de leur souffrance et les invite, surtout s’ils ont la foi, à situer leur épreuve dans le plan de Dieu, dans le plan de la Rédemption, en union avec le Christ Sauveur, qui offre une occasion d’élévation spirituelle et d’offrande dans l’amour, pour le salut du monde. C’est un mystère dont peuvent bénéficier aussi ceux qui les soignent. J’ai souvent l’occasion d’en parler aux malades.

     D’autre part, ce monde immense de la maladie est en même temps un défi offert à vos capacités de médecins, de pharmaciens, d’hommes de science, pour que vous sachiez trouver une solution scientifique et humaine au problème de la santé, sous tous les angles sous lesquels il se pose. En visitant récemment les malades et ceux qui leur prodiguent les soins dans l’église primatiale Saint-Jean, à Lyon (5 octobre 1986), j’ai encouragé en ce sens la recherche scientifique et j’ai félicité tous ceux qui sont les coopérateurs de Dieu pour la défense de la vie de leurs frères et s½urs, comme le bon Samaritain de l’Evangile. Oui, non seulement l’Eglise a constamment stimulé, dans l’esprit de l’enseignement de Jésus, la création d’½uvres de miséricorde pour les malades, mais elle tient à favoriser le progrès technique, l’amplification des connaissances, leur sage emploi ou service de l’homme. Loin de se fermer aux légitimes attentes du monde contemporain, le christianisme les met en valeur, et contribue à leur donner une réponse.

     Que cette certitude vous accompagne toujours et renforce votre engagement, quel que soit le niveau de votre activité dans les services de la santé ! C’est Dieu qui nous a donné l’intelligence et le c½ur pour mieux découvrir et mettre en ½uvre ce qui soutient et développe la vie de l’organisme humain, expression de la personne : qu’il vous affermisse dans votre recherche, dans votre service professionnel, et qu’il comble de ses Bénédictions vos personnes, vos familles et ceux qui vous sont chers !

 

 

 

 

 

24 octobre 1986 – Discours de Jean Paul II lors d’une conférence internationale sur les médicaments

     1. C’EST AVEC JOIE que je vous salue, vous tous, participants à cette Conférence internationale qui témoigne une fois de plus de l’importance que l’Eglise accorde au service des malades, de ceux qui souffrent, et à tous ceux qui ½uvrent dans le vaste domaine – délicat et complexe – de la santé et de l’hygiène. C’est un champ d’apostolat qui fait partie intégrante de la mission de l’Eglise.

     Cette Conférence est bien représentative de l’activité de la Commission pontificale pour la pastorale des services de la santé, et remercier son président, le Cardinal Eduardo Pironio, son Pro-Président, Monseigneur Fiorenzo Angelini, et leurs collaborateurs. Dans un monde où la conception même des services sociaux-sanitaires évolue considérablement, et où l’on s’aperçoit qu’ils ont des implications toujours plus complexes, il était devenu indispensable de coordonner et de promouvoir la présence de l’Eglise. Cette Conférence en est la preuve, comme aussi les autres initiatives qui ont été prises ou sont en cours de réalisation, parmi lesquelles je veux mentionner le vaste recensement de toutes les structures sanitaires de l’Eglise ; nous prenons ainsi mieux conscience de l’extension et des ramifications capillaires de cette présence et de ce service en faveur de la personne humaine soumise à l’épreuve particulière de la maladie psychophysique.

     2. Le choix du thème central de cette Conférence me semble lui aussi très approprié. Les médicaments sont en effet le moyen par lequel le médecin peut non seulement soigner mais aussi prévenir certaines maladies. Un grand nombre de celles-ci qui, dans le passé, décimaient les populations, ont aujourd’hui en grande partie disparu. D’autres peuvent être soignées beaucoup plus efficacement. Les enfants sont plus rarement marqués par les terribles déformations de la poliomyélite et du rachitisme. La chirurgie, grâce à un apport pharmacologique toujours mieux adapté, a pu connaître des progrès extraordinaires. La durée moyenne de la vie est notablement accrue. Tout cela, nous le devons surtout aux sérums, aux vaccins et à tant d’autres médicaments, aujourd’hui à notre disposition. Du moins cela vaut-il pour les pays développés.

     3. Cependant, s’il est vrai que les médicaments ont apporté d’immenses bienfaits à l’humanité, ils ont par ailleurs soulevé de graves problèmes, en partie non résolus, au sujet de leur élaboration, de leur diffusion, de leur usage et de leur accessibilité pour tous les malades quels que soient le milieu social ou le pays auquel ils appartiennent. La mise au point et la fabrication des médicaments est toujours plus complexe et plus coûteuse, et cela a des conséquences économiques et sociales évidentes. Les médicaments peuvent stimuler, ou au contraire réprimer, les fonctions de divers organes ou tissus, ou encore l’activité mentale. Ces caractéristiques les rendent utiles pour accroître la résistance à certaines maladies ou pour freiner le développement de certaines autres. Il est vrai que l’on peut s’interroger parfois sur l’opportunité, pour l’équilibre de l’organisme humain, d’une surconsommation de ces produits artificiels, en certains pays et selon la tendance de certains praticiens. Mais surtout des médicaments peuvent aussi être employés dans un but non plus thérapeutique mais pour altérer les lois de la nature au détriment de la dignité de la personne humaine. Il est donc clair que l’élaboration, la distribution et l’usage des médicaments doivent être soumis à un code de morale particulièrement rigoureux. Le respecter est le seul moyen d’éviter que les exigences liées à la production et au coût des médicaments, en soi légitimes et importantes pour leur diffusion, ne les détournent de leur sens et de leur fin.

     4. Vous vous penchez aussi, au cours de ce Congrès, sur le problème de l’expérimentation des médicaments. Dans l’état actuel des connaissances scientifiques, il n’est pas possible de prévoir avec une précision suffisante les propriétés et les caractéristiques des nouveaux médicaments. Avant donc d’être utilisés en thérapie, ils doivent être testés sur des animaux de laboratoire.   M’adressant aux participants à la Semaine d’Etudes sur l’expérimentation biologique, qui s’est déroulée en 1982 auprès de l’Académie pontificale des Sciences, j’avais déjà souligné que cette expérimentation est délicate et qu’elle doit s’effectuer dans le respect de l’animal, sans lui infliger d’inutiles souffrances. Dans un deuxième stade, avant de pouvoir être utilisés normalement, il faut encore que les médicaments soient testés sur l’homme, sur le malade et quelquefois aussi sur la personne en bonne santé. L’expérimentation clinique est désormais soumise à des lois et des normes sévères qui la réglementent et veulent offrir toutes les garanties possibles. Un jour viendra où, grâce au progrès des connaissances scientifiques, les risques et les inconnues en matière d’expérimentation des médicaments, seront notablement réduits, on peut du moins l’espérer. Mais, de toute façon, une grande prudence s’avère nécessaire pour ne jamais faire de l’homme un objet d’expérimentation, pour éviter à tout prix de mettre en danger sa vie, son équilibre, sa santé, ou aggraver son mal.

     5. Il est urgent, en même temps, de promouvoir une réelle collaboration internationale, non seulement sur le plan normatif, mais aussi dans le but de réduire et d’éliminer les différences qui existent d’un pays à l’autre.

     Parmi les problèmes restés, aujourd’hui encore, sans solution, je voudrais mentionner ceux qui concernent la situation de certains pays en voie de développement. Alors que l’accès à l’assistance sanitaire est reconnu comme un droit fondamental de l’homme, de larges portions de l’humanité sont encore privées des soins médicaux même les plus élémentaires. C’est un problème d’une telle envergure que les efforts individuels – tout aussi précieux et irremplaçables qu’ils soient – apparaissent comme insuffisants. A l’heure actuelle, il faut absolument chercher à travailler ensemble, à coordonner, au niveau international, la politique d’intervention et donc les initiatives concrètes. Nous savons combien l’Organisation Mondiale de la Santé s’y emploie et beaucoup d’autres associations et initiatives qui manifestent une solidarité sans frontières.

     Les pays développés ont le devoir de mettre à la disposition de ceux qui le sont moins, leur expérience, leur technologie et une part de leurs richesses économiques. Mais cela ne peut se faire que dans le respect de la dignité humaine des autres, sans jamais vouloir s’imposer. La protection de la santé est étroitement liée aux différents aspects de la vie : qu’il s’agisse des aspects sociaux ou économiques, de ceux qui ont trait à l’environnement ou à la culture. Elle requiert par là même une approche prudente et responsable, dans une collaboration ouverte et réciproque. Car il arrive fréquemment que les traditions locales offrent des points d’appui précieux qu’il est bon de prendre en compte et de mettre en valeur. Les chrétiens comprennent qu’il y a là un terrain capital d’entraide fraternelle, de service humble et respectueux.

     6. Dans ce contexte, nous ne pouvons oublier qu’il existe encore des médicaments qui, pour des raisons presque uniquement commerciales, ne sont pas sérieusement pris en charge et ne bénéficient pas des recherches et progrès scientifiques. Or ils sont nécessaires non seulement pour le traitement de certaines maladies rares, mais aussi pour celles qui, surtout dans les zones tropicales et pauvres, frappent des millions de personnes. A cet égard, il faut en premier lieu discerner les objectifs et leur ordre de priorité, puis voir comment les barrières économiques et politiques qui entravent la recherche, l’élaboration et la production de tels médicaments pourraient être surmontées.

     7. A tous ceux qui ½uvrent dans les services de la santé et qui doivent affronter ces problèmes difficiles et complexes, je voudrais redire ici l’encouragement de l’Eglise. La doctrine chrétienne apporte en effet en ces domaines – c’est notre conviction – une contribution très importante. Elle offre des principes sûrs pour orienter vers des solutions qui garantissent la dignité de la personne, soutiennent son progrès moral et social, développent la solidarité et, en ce sens, elle apporte une lumière et une espérance à ceux qui éprouvent des doutes, des questions angoissantes ou le découragement au regard de la pénible situation des malades et des infirmes.

     D’une part, l’Eglise partage avec les malades leur désir de guérison, de soulagement et leur espérance d’une plénitude de Vie. Elle respecte aussi le mystère de leur souffrance et les invite, surtout s’ils ont la foi, à situer leur épreuve dans le plan de Dieu, dans le plan de la Rédemption, en union avec le Christ Sauveur, qui offre une occasion d’élévation spirituelle et d’offrande dans l’amour, pour le salut du monde. C’est un mystère dont peuvent bénéficier aussi ceux qui les soignent. J’ai souvent l’occasion d’en parler aux malades.

     D’autre part, ce monde immense de la maladie est en même temps un défi offert à vos capacités de médecins, de pharmaciens, d’hommes de science, pour que vous sachiez trouver une solution scientifique et humaine au problème de la santé, sous tous les angles sous lesquels il se pose. En visitant récemment les malades et ceux qui leur prodiguent les soins dans l’église primatiale Saint-Jean, à Lyon (5 octobre 1986), j’ai encouragé en ce sens la recherche scientifique et j’ai félicité tous ceux qui sont les coopérateurs de Dieu pour la défense de la vie de leurs frères et s½urs, comme le bon Samaritain de l’Evangile. Oui, non seulement l’Eglise a constamment stimulé, dans l’esprit de l’enseignement de Jésus, la création d’½uvres de miséricorde pour les malades, mais elle tient à favoriser le progrès technique, l’amplification des connaissances, leur sage emploi ou service de l’homme. Loin de se fermer aux légitimes attentes du monde contemporain, le christianisme les met en valeur, et contribue à leur donner une réponse.

     Que cette certitude vous accompagne toujours et renforce votre engagement, quel que soit le niveau de votre activité dans les services de la santé ! C’est Dieu qui nous a donné l’intelligence et le c½ur pour mieux découvrir et mettre en ½uvre ce qui soutient et développe la vie de l’organisme humain, expression de la personne : qu’il vous affermisse dans votre recherche, dans votre service professionnel, et qu’il comble de ses Bénédictions vos personnes, vos familles et ceux qui vous sont chers !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1er décembre 1986- Homélie de la Messe à Victoria

     Approfondissez votre foi. N’en restez pas aux éléments sommaires du catéchisme reçu dans l’enfance. Vous ne pourriez pas résister à l’interpellation de groupes sectaires, ni aux questions susurrées par la science ou les m½urs nouvelles.

     Mais il vous faut vous-mêmes approfondir votre foi, pour qu’elle devienne une conviction, un choix personnel. L’instruction que vous recevez dans les différents établissements scolaires représente une chance pour votre avenir, pour l’avenir des Seychelles. Elle doit s’accompagner d’un effort semblable pour connaître ce que Dieu a révélé aux hommes tout au long de la Bible et de l’histoire de l’Eglise. Cette révélation n’explique pas, comme les sciences, les “comment” de la nature, mais elle répond à nos “pourquoi”: elle montre le sens de l’existence dans le plan de Dieu. Ainsi vous serez capables de rendre compte de l’espérance qui est en vous et de répondre sans crainte aux interrogations nouvelles qui surgissent au cours de vos études. C’est pourquoi l’Eglise désire avoir toujours la possibilité de rendre aux jeunes ce service qui, à ses yeux, est primordial: leur proposer, dans le respect de leur conscience, le message chrétien, l’expérience de la vie en Eglise et le sens d’une vie à bâtir à la lumière de Jésus-Christ.

      …  Préparez votre avenir, en développant aussi les valeurs morales de droiture du c½ur, de loyauté, d’endurance dans l’effort, d’amitié. Préparez-vous à l’amour humain sur lequel sera fondé votre foyer, si telle est votre vocation. Il y a un apprentissage du respect de l’autre, de la connaissance réciproque, de la maîtrise de soi, du don de soi. L’amour est beaucoup plus que les satisfactions superficielles de la sensibilité. Il est une réponse à une vocation merveilleuse que Dieu a inscrite dans vos c½urs, et pour laquelle vous devez être simples, forts, généreux, capables d’assurer ensemble les responsabilités du mariage.

 

1987

 

 

 

18 décembre 1987 – Discours de Jean Paul II aux participants au Congrès d’étude sur le droit à la vie et l’Europe

     1. Je me réjouis que cette réunion ait lieu à l'occasion de la conférence d'étude sur « Le droit à la vie et l'Europe ». Je vous salue cordialement.

     Le thème sur lequel vous avez centré vos réflexions est d'une importance décisive pour l'avenir de l'Europe, voire de chaque peuple et de chaque nation. Le respect inconditionnel du droit à la vie de la personne humaine déjà conçue et pas encore née est l'un des piliers sur lesquels repose toute société civile. Lorsqu'un État met à disposition ses institutions pour que quelqu'un puisse traduire en actes la volonté de supprimer la conception, il renonce à l'un de ses devoirs premiers et à sa dignité même d'État. Saint Thomas d'Aquin, l'un des plus grands maîtres de la conscience européenne, enseigne que la loi civile « a force de loi dans la mesure de sa justice » (S. Thomae, Summa theologiae, I-II, q. 95, a. 2). Cette justice - comme l'explique immédiatement le Docteur Angélique - est fondée sur la loi naturelle elle-même, de sorte qu'une loi qui ne s'y conforme pas, conclut-il, « n'est pas une loi, mais la corruption de la loi » (Ibid).

     Il n'est pas nécessaire de se tourner vers la lumière de la foi chrétienne pour comprendre ces vérités fondamentales. Lorsque l'Église les rappelle, elle ne veut pas instaurer un État chrétien : elle veut simplement promouvoir un État humain. Un État qui reconnaît comme son premier devoir la défense des droits fondamentaux de la personne humaine, en particulier des plus faibles. Et qui est plus faible que la personne conçue et pas encore née ?

     2. Mais vous avez voulu réfléchir en particulier au droit à la vie des personnes conçues et au destin de l'Europe. On voit bien la contradiction flagrante entre la légalisation de l'avortement, malheureusement en cours dans presque toute l'Europe, et ce qui constitue la grandeur de la culture européenne. Celle-ci, qui puise ses sources majeures dans les héritages grec et latin, a trouvé dans le christianisme l'apport éclairant qui lui a permis de se propulser vers des objectifs de grandeur supérieure. Avec le christianisme, l'Europe a découvert la dignité de chaque personne humaine en tant que telle : une découverte qui a fait de la culture européenne une culture éminemment humaniste. Enracinée dans la latinité, elle a été l'école du droit, entendu comme l'organisation rationnelle de la vie sociale sur la base de la justice. Héritière de la culture grecque, la culture européenne a vu dans le bont usage de la raison - conçue comme la capacité d'appréhender la réalité sans se laisser dominer par ses intérêts particuliers - l'un des signes les plus clairs de la grandeur de l'homme.

     À présent, dans ce patrimoine culturel incomparable, la légalisation de l'avortement s'est insérée comme un élément étranger, portant en lui le germe de la corruption. Comment peut-on encore parler de la dignité de chaque personne humaine, alors que l'on se permet de tuer la plus fragile et la plus innocente ? Au nom de quelle justice s'opère la discrimination la plus injuste entre les personnes, déclarant certaines dignes d'être défendues, tandis que d'autres se voient refuser cette dignité ? Quelle raison est mise en place ici, si même pour des raisons utilitaires ou hédonistes, l'élimination d'une personne innocente est permise ? En vérité, c'est là que l'Europe joue son destin futur, car elle montre des signes de décadence morale et même d'appauvrissement démographique, risquant ainsi de dilapider un patrimoine culturel qui lui a été légué par d'éminents penseurs, de grands juristes et d'admirables saints.

     3. Votre présence, l'engagement avec lequel vous avez suivi ces journées d'étude, démontrent cependant le sérieux et la profondeur de votre désir de changer de cap sur cette voie. Ne soyez pas effrayés par la difficulté de la tâche. Ne vous laissez pas freiner par le fait que vous êtes une minorité. L'histoire de l'Europe montre qu'il n'est pas rare que les grands sauts qualitatifs de sa culture aient été propitiés par le témoignage, souvent payé de sacrifices personnels, de personnes seules. La force est dans la vérité elle-même et non dans le nombre. L'Europe de demain est entre vos mains. Soyez dignes de cette tâche. Vous travaillez à rendre à l'Europe sa véritable dignité : celle d'être un lieu où la personne, chaque personne, est affirmée dans son incomparable dignité.

     En invoquant sur votre engagement le réconfort de l'assistance divine, je vous bénis de tout c½ur.

 

 

 

1989

 

 

 

 

 

17 octobre 1989 – Aux participants du VIIème symposium des Evêques d’Europe

     …

     Servir le peuple de Dieu est l’aiguillon qui stimule notre engagement quotidien, conduisant chacun de nous à s’interroger sur les moyens et les modes les plus adaptés pour atteindre ce but. Au cours de ce Symposium, vénérés Frères, vous vous êtes également posés cette même et toujours centrale question, y faisant face sous un angle particulier, de première actualité dans l’Europe d’aujourd’hui. Vous avez choisi de réfléchir sur « Les attitudes contemporaines devant la naissance et la mort », y voyant à bon droit « un défi pour l’évangélisation ».

     Votre choix a été courageux de décider d’examiner, à la lumière du message évangélique, les situations cruciales et parfois profondément dramatiques qui perturbent l’homme du monde contemporain.

     2. Le thème du Symposium, tel qu’il est formulé, pose un problème essentiel à l’évangélisation et à la pastorale de l’Église. Celle-ci se trouve en effet aujourd’hui, plus qu’en tout autre temps, devant un défi véritable et spécifique, posé par la naissance et par la mort.

     Si la naissance et la mort de l’homme ont toujours constitué, en un certain sens, un défi pour l’Église, en raison de l’inconnu et des risques qu’elles comportent, elles le sont devenues davantage encore aujourd’hui. Autrefois, l’homme regardait la mort et la vie avec un sentiment d’étonnement mystérieux, de crainte révérencielle, de respect qui, au fond, naissait du sentiment du sacré inscrit en l’homme. Aujourd’hui le défi de toujours se présente d’une manière beaucoup plus vive et radicale en raison du contexte culturel créé par le progrès scientifique et technologique de notre siècle. La civilisation unilatérale – technocentrique — dans laquelle nous vivons pousse l’homme à avoir une vision réductrice de la naissance et de la mort, dans laquelle la dimension transcendante de la personne apparaît obscurcie, quand elle n’est pas tout simplement ignorée et niée.

Au cours de vos travaux, vénérés Frères, vous avez analysé attentivement les comportements par lesquels l’Europe d’aujourd’hui vit les événements de la naissance et de la mort, et vous avez relevé de profondes différences par rapport au passé. La « médicalisation » croissante des phases initiale et terminale de la vie, leur déplacement de la maison vers les institutions hospitalières, la remise de leur gestion aux décisions des experts ont conduit beaucoup d’Européens à perdre la dimension de mystère qui entoure depuis toujours ces moments et à n’en plus percevoir que la dimension scientifiquement contrôlable. « L’expérience de la vie, avez-vous dit, n’est plus ontologique, mais technologique. » Si ce diagnostic s’avère exact, il faut alors dire que de nombreuses personnes évoluent aujourd’hui à l’intérieur d’un horizon cognitif privé de cette lueur de transcendance qui ouvre le chemin de la foi.

     À cet aspect préoccupant d’une technicisation croissante des moments fondamentaux de la vie humaine, s’ajoute le poids qu’a acquis devant l’opinion publique la législation en vigueur en différents pays — et qui tente de pénétrer d’autres pays non encore atteints — à l’égard de la pratique de l’avortement : si bien qu’en différentes couches de la population, déjà attirées par les faux mirages de l’hédonisme d’une société de consommation permissive, se consolide l’opinion que, désormais, est licite ce qui est rendu possible et est autorisé par la loi.

     3. Il est évident que tout ceci constitue un grave problème pour l’action pastorale de l’Église, dont la tâche est d’annoncer la présence d’amour de Dieu dans la vie de l’homme, présence qui non seulement crée la vie à son commencement, mais aussi la recrée tout au long de son cours par la grâce rédemptrice, pour l’accueillir, à son terme, dans l’embrassement béatifiant de la communion trinitaire. Par conséquent, s’impose, aussi et surtout de ce point de vue, l’urgente nécessité d’une ½uvre de profonde réévangélisation de notre Europe, qui semble parfois avoir perdu contact avec ses origines chrétiennes.

     À la vérité, dans le contexte socioculturel d’aujourd’hui, des indices précis d’une nouvelle réflexion sur la façon dont la naissance et la mort sont parquées et considérées ne manquent pas : dans des cercles de plus en plus larges de l’opinion publique, on remarque une perplexité face à la technicisation croissante à laquelle est soumise l’éclosion de la vie et on enregistre des réactions face à l’envahissement de la médecine à sa phase ultime, qui finit par soustraire au mourant sa propre mort.

     L’homme, en effet, quoi qu’il fasse, ne réussira jamais à se détacher « fondamentalement », de la réalité antique de sa nature d’être créé, il ne pourra donc pas annuler le fait de la rédemption opérée par le Christ ni de l’appel qui en découle à participer avec Lui à la plénitude de la vie après la mort. Cependant, il peut chercher à vivre et à se comporter comme s’il n’avait pas été créé et racheté (ou, simplement, comme si Dieu n’existait pas). Voilà précisément la situation à laquelle doit se mesurer l’Église dans le cadre de la civilisation occidentale ; et le contexte humain dans lequel elle doit affronter sa tâche de l’annonce évangélique.

     La question de la naissance et de la mort a, ici, une importance- clef. Et c’est justement pour cela que le « défi » lancé à l’évangélisation qu’elles contiennent doit être retenu comme décisif. La façon de considérer, aujourd’hui, les réalités de la naissance et de la mort se projette, en effet, sur l’ensemble de la vie de l’homme, sur sa conception même de l’être et de l’agir en relation à une norme morale sûre et objective.

     4. En conséquence, pour affronter un tel « défi », l’évangélisation ne pourra que se mettre dans la perspective globale de l’événement humain. Certes, la naissance et la mort gardent toujours leur dimension concrète et qui ne se répète jamais, mais elles prennent place dans tout l’ensemble de l’existence de l’homme, et c’est dans ce contexte plus vaste qu’elles doivent être comprises et évaluées.

     L’Église a à sa disposition l’unique mesure valide pour interpréter ces moments décisifs de la vie humaine et affronter l’évangélisation d’une façon globale. Et cette mesure est le Christ, le Verbe de Dieu incarné : dans le Christ né, mort et ressuscité, l’Église peut lire le sens véritable, le sens plénier de la naissance et de la mort de tout être humain.

     Pascal remarquait déjà : « Non seulement nous connaissons Dieu à travers Jésus-Christ, mais nous ne nous connaissons nous-mêmes que par Jésus-Christ, et ce n’est que par lui que nous connaissons la vie et la mort. En dehors de Jésus-Christ, nous ne savons pas ce que sont la vie et la mort, Dieu, nous-mêmes. » (Pensées, n. 548.) C’est une intuition que le Concile Vatican II a exprimée dans des paroles à juste titre fameuses : « En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné… Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation. » (Gaudium et spes, 22.)

     Enseignée par le Christ, l’Église a le devoir de porter l’homme d’aujourd’hui à redécouvrir la pleine vérité sur lui-même, pour qu’il retrouve le comportement juste devant la naissance et la mort, les deux événements entre lesquels s’inscrit sa vie sur la terre. De la correcte interprétation de ces événements dépend, en effet, l’orientation que l’homme imprimera à sa vie concrète et, en définitive, la réussite ou l’échec de celle-ci.

     5. L’Église doit, tout d’abord, redire à l’homme d’aujourd’hui la pleine vérité sur son être de créature, venue à l’existence comme le fruit d’un don d’amour. De la part de Dieu, avant tout : l’entrée d’un nouvel être humain dans le monde n’advient pas, en effet, sans que Dieu ne s’implique directement, par la création de l’âme spirituelle : et c’est uniquement l’amour qui le pousse à mettre dans le monde un nouveau sujet personnel, auquel, de fait, il veut offrir la possibilité de partager sa propre vie. On parvient à la même conclusion en regardant les choses d’un point de vue humain : l’éclosion d’une nouvelle vie dépend, en effet, de l’union sexuelle de l’homme et de la femme, et cette vie trouve sa pleine vérité dans le don interpersonnel que les conjoints font réciproquement d’eux-mêmes. Le nouvel être se présente à la porte de la vie grâce à un acte de donation interpersonnelle, dont il constitue le couronnement : couronnement possible, mais qui n’est pas un dû. L’écho psychologique de cela se trouve dans le sentiment d’attente des parents, qui est de pouvoir espérer, mais non pas de prétendre à un enfant. Celui-ci, s’il est le fruit de leur don réciproque d’amour devient, à son tour, un don pour tous les deux: un don qui jaillit du don !

À regarder de plus près, cela, et cela seulement, représente le contexte adéquat à la dignité de la personne, qui ne peut jamais être réduite à un objet dont on dispose. Seule la logique de l’amour qui se donne, et non pas celle de la technique qui fabrique un produit, convient à la personne, car, seule, elle en respecte la dignité éminente. La logique de la production, en effet, établit une différence de qualité essentielle entre celui qui préside au processus de production et ce qui résulte de ce processus : si le « résultat » est, de fait, une personne, et non pas une chose, il faut en déduire que la personne elle-même n’est pas, dans une telle optique, reconnue dans sa dignité personnelle spécifique et irréductible.

     Cette vérité, l’Église doit la rappeler avec une sollicitude maternelle à l’homme d’aujourd’hui. En effet, les surprenants progrès scientifiques de la génétique et de la biogénétique sont, pour l’homme, une tentation avec leur perspective de résultats extraordinaires dûs à la perfection de la technique, mais viciés à la racine par le fait qu’ils prennent place dans la logique de la fabrication d’un produit et non de la procréation d’une personne.

     C’est cela que l’Église doit rappeler à l’homme contemporain avec d’autant plus d’énergie qu’elle sait que Dieu appelle le nouvel être non seulement à naître à la dignité d’homme, mais aussi à renaître à celle de fils, dans le Fils unique. La perspective de l’adoption divine, qui est réservée à tout être humain dans l’actuelle économie du salut, souligne d’une façon particulièrement éloquente la très haute dignité de la personne, et interdit toute espèce d’instrumentalisation qui la réduirait au rang de simple objet, contrevenant à la destinée transcendante qui est la sienne.

     6. En ce qui concerne la mort, l’Église a elle aussi une parole, capable de jeter une lumière sur ce passage obscur qui suscite tant d’appréhension en l’homme : et cela, parce qu’elle a la Parole, le  Verbe de Dieu incarné, qui a assumé lui-même non seulement la vie, mais aussi la mort de l’homme. Le Christ est allé par-delà ce passage, et il se trouve déjà, avec son corps de ressuscité, sur l’autre rive, la rive d’éternité. Regardant vers Lui, l’Église peut proclamer avec une joyeuse certitude : « Le Fils de Dieu, dans la nature humaine qu’il s’est unie, a racheté l’homme en triomphant de la mort par sa mort et sa résurrection, et il l’a transformé en une créature nouvelle. » (Lumen gentium, 7.)

     Jusqu’à la fin des siècles, la mort du Christ, en même temps que sa résurrection, sera désormais au centre de l’annonce missionnaire, transmise de bouche en bouche à partir de la première génération chrétienne : « Je vous ai transmis — ce sont des paroles de Paul — ce que j’ai moi-même reçu, à savoir que le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures, qu’il a été mis au tombeau, qu’il est ressuscité… » (1 Co 15, 3-4.) La mort de Jésus a été une mort librement assumée, et un acte de suprême oblation de soi-même au Père, pour la rédemption du monde (cf. Jn 15, 13 ; 1 Jn 3, 16).

     Dans la lumière du mystère pascal, le chrétien est désormais en mesure d’interpréter et de vivre sa mort dans une perspective d’espérance : la mort du Christ a retourné la signification aussi de sa mort. Celle-ci, tout en étant lé fruit du péché, peut être accueillie par lui dans une attitude d’amoureuse — et en tant que telle, libre — adhésion à la volonté du Père, et donc comme une preuve suprême d’obéissance, en conformité avec l’obéissance même du Christ: un acte capable d’expier, en union à sa mort à lui, les multiples formes de rébellion survenues au cours de la vie.

Le chrétien qui accueille ainsi sa propre mort, reconnaissant sa condition de créature comme, aussi, ses responsabilités de pécheur, se remet avec confiance dans les mains miséricordieuses du Père (« In manus tuas, Domine… »), atteint le sommet de son identité humaine et chrétienne, et réalise l’achèvement définitif de sa destinée.

     7. Vénérés Frères ! L’Église, appelée à témoigner du Christ en Europe au seuil du troisième millénaire, doit trouver les façons concrètes de porter cette bonne nouvelle à tous ceux qui, sur le vieux continent, montrent qu’ils l’ont égarée. Les enseignements de saint Paul sur le baptême, et sur le mystère de mort et de vie qui s’accomplit en lui, offrent des points éclairants pour une action évangélisatrice, sur l’urgence de laquelle il n’est pas besoin d’insister.

     Il faut revenir à l’explication de cette doctrine, la faire comprendre et vivre, surtout aux nouvelles générations, et en tirer les conséquences pour la vie chrétienne de tous les jours, comme aux premiers siècles l’ont fait les Pères de l’Église dans des catéchèses toujours riches et toujours actuelles.

     En même temps, il sera important de faire comprendre à tous que, si l’Église défend la vie humaine depuis son premier moment jusqu’à son terme naturel, elle ne le fait pas seulement pour obéir aux exigences de la foi chrétienne, mais parce qu’elle se sait l’interprète d’une obligation qui trouve écho dans la conscience morale de l’humanité tout entière. C’est pour cela que la société civile, qui est responsable du bien commun, a le devoir de garantir, au moyen de la loi, le droit à la vie pour tous et le respect de toute vie humaine jusqu’à son dernier instant.

     Une aide efficace en ce domaine pourra venir des « Mouvements pour la vie » qui se multiplient providentiellement dans toutes les parties d’Europe et du monde. Leur contribution, déjà très méritoire, pourra être encore mise en valeur par nous, Pasteurs, si ces Mouvements savent diriger leur activité d’animation et d’illustration non seulement en faveur du moment initial mais aussi du moment final de la vie. Cela permettra de trouver en eux un précieux allié pour répondre d’une façon toujours plus décisive à ce « défi » que la naissance et la mort posent aujourd’hui à l’évangélisation.

     Vous le voyez bien, vénérés Frères, l’engagement qui se présente à nous en cette fin de millénaire est ardu, mais aussi exaltant. L’Église a le devoir historique d’aider l’homme contemporain à retrouver le sens de la vie et de la mort, qui semble très souvent lui échapper aujourd’hui. Encore une fois, l’effort d’évangélisation en vue du salut éternel se révèle déterminant pour l’authentique promotion de l’homme sur la terre. Le christianisme qui, un temps, a offert à l’Europe en formation les valeurs idéales sur lesquelles bâtir sa propre unité, a aujourd’hui la responsabilité de re-vitaliser de l’intérieur une civilisation qui montre des symptômes d’une préoccupante décrépitude.

     À nous, Évêques, avant tout autres, il revient de nous faire les animateurs et les guides de cette reprise spirituelle : en annonçant le Christ, Seigneur de la vie, nous combattons pour l’homme, pour la défense de sa dignité, pour la sauvegarde de ses droits. Notre bataille n’est pas seulement pour la foi, mais pour la civilisation.

     Fortifiés par cette conscience, vénérés Frères, poursuivons avec un élan renouvelé dans notre engagement apostolique. Le Seigneur ne manquera pas d’être à nos côtés, avec son aide, lui vers qui j’élève ma prière constante pour vous et pour vos Églises, et au nom duquel je vous donne, en signe de sincère communion, mon affectueuse bénédiction.

 

 

 

 

 

 

 

1995

 

 

 

5 octobre 1995 – Discours de Jean Paul II à l’ONU.

     Liberté et vérité morale

     12. Mesdames, Messieurs, la liberté est la mesure de la dignité et de la grandeur de l'homme. Pour les individus et les peuples, vivre libre est un grand défi pour le progrès spirituel de l'homme et pour la vigueur morale des nations. La question fondamentale à laquelle nous devons tous faire face aujourd'hui est celle de l'usage responsable de la liberté, tant dans sa dimension personnelle que dans sa dimension sociale. Il convient donc que notre réflexion se porte sur la question de la structure morale de la liberté, qui est l'armature intérieure de la culture de la liberté.

     La liberté n'est pas seulement l'absence de tyrannie ou d'oppression, ni la licence de faire tout ce que l'on veut. La liberté possède une "logique" interne qui la qualifie et l'ennoblit : elle est ordonnée à la vérité et elle se réalise dans la recherche et la mise en ½uvre de la vérité. Séparée de la vérité de la personne humaine, elle se dégrade en licence dans la vie individuelle et, dans la vie politique, en arbitraire des plus forts ou en arrogance du pouvoir. C'est pourquoi, loin d'être une limitation ou une menace pour la liberté, la référence à la vérité de l'homme - vérité universellement connaissable par la loi morale inscrite dans le c½ur de chacun - est réellement la garantie de l'avenir de la liberté.

     13. Sous cet éclairage, on comprend que l'utilitarisme, doctrine qui ne définit pas la moralité à partir de ce qui est bon mais à partir de ce qui est profitable, soit une menace pour la liberté des individus et des nations, et qu'il empêche la construction d'une véritable culture de la liberté. Il a des conséquences politiques souvent dévastatrices, parce qu'il inspire un nationalisme agressif, qui, par un détournement de sens, peut considérer comme un bien de soumettre une nation plus petite ou plus faible, par exemple, au seul motif que cela répond aux intérêts nationaux. Les retombées de l'utilitarisme économique ne sont pas moins graves, car il pousse les pays les plus puissants à conditionner et à exploiter les plus faibles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1999

 

1er décembre 1999 – Enseignement de Jean Paul II – Audience Générale

Lecture:  Jn 17, 20-21
     1. Pour une préparation appropriée au grand Jubilé, un sérieux engagement pour redécouvrir la valeur de la famille et du mariage ne peut pas manquer dans la communauté chrétienne (cf. Tertio millennio adveniente, n. 51). Cela est d'autant plus urgent que cette valeur est aujourd'hui mise en discussion par une grande partie de la culture et de la société.
     Les modèles contestés ne sont pas seulement certains modèles de vie familiale, qui changent sous la pression des transformations sociales et des nouvelles conditions de travail. C'est la conception même de la famille, en tant que communauté fondée sur le mariage entre un homme et une femme, qui est visée au nom d'une éthique relativiste qui se diffuse dans de vastes couches de l'opinion publique et de la législation civile elle-même.
     La crise de la famille devient, à son tour, la cause de la crise de la société. De nombreux phénomènes pathologiques - allant de la solitude à la violence et à la drogue - s'expliquent également du fait que les cellules familiales ont perdu leur identité et leur fonction. Là où la famille se désagrège, le tissu conjonctif de la société tend à disparaître, avec des conséquences désastreuses sur les personnes, en particulier les plus faibles:  des enfants aux adolescents, aux porteurs de handicap, aux malades, aux personnes âgées...

     2. Il faut donc promouvoir une réflexion  qui  aide  non  seulement  les croyants, mais tous les hommes de bonne volonté à redécouvrir la valeur du mariage et de la famille. Dans le Catéchisme de l'Eglise catholique on lit:  "La famille est la cellule originelle de la vie sociale. Elle est la société naturelle où l'homme et la femme sont appelés au don de soi dans l'amour et dans le don de la vie.   L'autorité, la stabilité et la vie de relations au sein de la famille constituent les fondements de la liberté, de la sécurité, de la fraternité au sein de la société" (n. 2207).
     La raison elle-même peut arriver à la redécouverte de la famille en écoutant la loi morale inscrite dans le coeur humain. Communauté "fondée et vivifiée par l'amour" (cf. Exhort. apos. Familiaris consortio, n. 18), la famille tire sa force de l'alliance d'amour définitive à travers laquelle un homme et une femme se donnent réciproquement, devenant ensemble des collaborateurs de Dieu dans le don de la vie.
     Sur la base de ce rapport fondamental d'amour, les relations qui s'établissent avec et entre les autres membres de la famille doivent elles aussi s'inspirer de l'amour et être caractérisées par une affection et un soutien réciproque. Loin de refermer la famille sur elle-même, l'amour authentique l'ouvre à la société tout entière, car la petite famille domestique et la grande famille de tous les êtres humains ne se trouvent pas en opposition, mais dans une relation intime et originelle. A la racine de tout cela se trouve le mystère même de Dieu, que la famille évoque précisément de façon particulière. Comme je l'écrivais, en effet, il y a quelques années dans la Lettre aux familles, "à la lumière du Nouveau Testament il est possible d'entrevoir comment le modèle originel de la famille doit être recherché dans Dieu lui-même, dans le mystère trinitaire de sa vie. Le "Nous" divin constitue le modèle éternel du "nous" humain; de ce "nous" qui est tout d'abord formé par l'homme et par la femme, créés à l'image et à la ressemblance divine" (n. 6:  Insegnamenti XVII/ [1994], 332).

     3. La paternité de Dieu est la source transcendante de chaque autre paternité et maternité humaine. En la contemplant avec amour, nous devons nous sentir engagés à redécouvrir cette richesse de communion, de procréation et de vie qui caractérise le mariage et la famille.
     En elle se développent les relations interpersonnelles où une tâche spécifique est confiée à chacun, sans cadres rigides. Je n'entends pas ici faire référence aux rôles sociaux et aux fonctions qui sont l'expression de contextes historiques et culturels particuliers. Je pense plutôt à l'importance que revêtent, dans la relation sponsale réciproque et dans l'engagement commun de parents, la figure de l'homme et de la femme en tant que personnes appelées à développer leurs caractéristiques naturelles dans le cadre d'une communion profonde, enrichissante et respectueuse. "A cette "unité des deux" est confiée par Dieu non seulement l'oeuvre de procréation et la vie de la famille, mais également la construction même de l'histoire" (Lettre aux femmes, 8:  Insegnamenti XVIII/1 [1995], 1878).

     4. Un enfant doit en outre être considéré comme la plus haute expression de la communion de l'homme et de la femme, c'est-à-dire de l'accueil/don réciproque qui se réalise et se transcende en un "tiers", précisément dans l'enfant. Les enfants sont la bénédiction de Dieu. Ils transforment le mari et la femme en père et en mère (cf. Exhort. apos. Familiaris consortio, n. 21). Tous deux "sortent de soi" et s'expriment dans une personne, qui, bien qu'étant le fruit de leur amour, va au-delà d'eux-mêmes.
     On peut appliquer de façon particulière à la famille l'idéal exprimé dans la prière sacerdotale, dans laquelle Jésus demande que son unité avec le Père interpelle les disciples (cf. Jn 17, 11) et ceux qui croiront à leur parole (cf. Jn 17, 20-21). La famille chrétienne, "église domestique" (cf. Lumen gentium, n. 11), est appelée à réaliser de façon particulière cet idéal de communion parfaite.

     5. En avançant vers la conclusion de cette année consacrée à la méditation sur Dieu le Père, nous redécouvrons donc la famille à la lumière de la paternité divine. De la contemplation de Dieu le Père, nous pouvons nous rendre compte d'une urgence qui correspond de manière particulière aux défis du moment historique actuel.
     Tourner son regard vers Dieu le Père signifie concevoir la famille comme le lieu de l'accueil et de la promotion de la vie, atelier de fraternité où, avec l'aide de l'Esprit du Christ, se crée entre les hommes "une fraternité et une solidarité nouvelles, véritable reflet du mystère de don et d'accueil mutuels de la Très Sainte Trinité" (Evangelium vitae, n. 76). 
    De l'expérience de familles chrétiennes renouvelées, l'Eglise elle-même pourra apprendre, à tous les membres de la communauté, à cultiver une dimension plus familiale, en adoptant et en promouvant un style de relations plus  humaines  et  fraternelles  (cf. FC, n. 64).

 

 

 

 

 

 

 

2005

 

 

 

1er février 2005 – Message de Jean Paul II aux membres de l’Académie Pontificale des Sciences

Mesdames, Messieurs!

     1. J'adresse à tous mon salut cordial, exprimant ma satisfaction pour l'oeuvre de l'Académie pontificale des Sciences, qui poursuit son traditionnel engagement d'étude et de réflexion sur les délicates questions scientifiques qui interpellent la société aujourd'hui.

L'Académie pontificale a voulu consacrer cette Session du Groupe d'étude - comme elle l'avait déjà fait à deux reprises au cours des années quatre-vingts - à un thème d'une complexité et d'une importance particulières :  celui des "signes de la mort", dans le contexte de la pratique des transplantations d'organes prélevés sur des personnes décédées.

     2. Vous savez que le Magistère de l'Eglise a suivi dès le début, avec constance et conscience, le développement de la pratique chirurgicale de la transplantation d'organes, visant à sauver des vies humaines d'une mort imminente et à permettre aux malades de continuer à vivre pendant plusieurs années encore.

     Depuis l'époque de mon vénéré prédécesseur, Pie XII, sous le Pontificat duquel a commencé la pratique chirurgicale de la transplantation d'organes, l'Eglise a sans cesse apporté la contribution de son Magistère dans ce domaine.

     D'une part, l'Eglise a encouragé le libre don des organes et, de l'autre, elle a souligné les conditions éthiques de ces dons d'organe, soulignant l'obligation de défendre la vie et la dignité du donateur et du receveur ; elle a également indiqué les devoirs des spécialistes qui accomplissent cette transplantation. Il s'agit de permettre un service complexe à la vie, en conjuguant le progrès technique et la rigueur éthique, en humanisant les rapports interpersonnels et en informant correctement le public.

     3. En raison du progrès constant des connaissances scientifiques expérimentales, pour tous ceux qui pratiquent la chirurgie de la transplantation se présente la nécessité de poursuivre sans cesse la recherche sur le plan technique et scientifique, afin d'assurer le meilleur succès de l'intervention et une plus longue espérance de vie du patient. Dans le même temps, un dialogue incessant avec les spécialistes des disciplines anthropologiques et éthiques s'impose, afin de garantir le respect de la vie et de la personne humaine et de fournir aux législateurs les informations nécessaires pour établir des normes rigoureuses dans ce domaine.

     Dans cette perspective, vous avez voulu approfondir encore une fois, au cours d'une étude sérieuse et interdisciplinaire, le domaine particulier des "signes de mort", sur la base desquels peut être établie avec certitude morale la mort clinique d'une personne pour procéder au prélèvement d'organes à transplanter.

     4. Dans le cadre de l'anthropologie chrétienne, on sait que le moment de la mort de chaque personne consiste dans la perte définitive de son unité constitutive du corps et de l'esprit. En effet, chaque être humain est vivant précisément en tant que "corpore et anima unus" (Gaudium et spes, n. 14), et il l'est tant que subsiste cette unitotalité substantielle. A la lumière de cette vérité anthropologique, il apparaît clairement, comme j'ai déjà eu l'occasion de le rappeler, que "la mort de la personne comprise dans son sens premier, est un événement qu'aucune technique scientifique ni empirique ne peut identifier directement" (Discours du 29 août 2000, n. 4).

     Du point de vue clinique, toutefois, l'unique manière correcte - et également la seule possible - d'affronter le problème de la vérification de la mort d'un être humain est celle d'orienter l'attention et la recherche vers la détermination de "signes de mort" adéquats, reconnus à travers leur manifestation physique chez chaque sujet. Il s'agit évidemment d'un thème d'une importance fondamentale, au sujet duquel la position de la science, attentive et rigoureuse, doit donc être écoutée en première instance, selon ce qu'enseignait déjà Pie XII, lorsqu'il affirmait que "c'est au médecin qu'il revient de donner une définition claire et précise de la "mort" et du "moment de la mort" d'un patient qui expire dans un état d'inconscience" (Discours du 24 novembre 1957).

     5. A partir des données fournies par la science, les considérations anthropologiques et la réflexion éthique ont le devoir d'intervenir en effectuant une analyse tout aussi rigoureuse, et en prêtant attention au Magistère de l'Eglise. Je désire vous assurer que votre travail est digne d'éloges, et qu'il se révélera assurément utile pour les dicastères compétents du Siège apostolique - en particulier la Congrégation pour la Doctrine de la Foi - qui ne manqueront pas d'évaluer les résultats de votre réflexion en offrant ensuite les éclaircissements nécessaires pour le bien de la communauté, en particulier celui des patients et des spécialistes qui sont appelés à placer leur professionnalisme au service de la vie.

     En vous exhortant à persévérer dans cet engagement commun à poursuivre le bien véritable de l'homme, j'invoque du Seigneur d'abondants dons de lumière sur vous et sur votre recherche, en gage desquels je vous donne à tous avec affection ma Bénédiction.

Du Vatican, le 1 février 2005

IOANNES PAULUS II

 

 

 


 

 

publié le : 20 octobre 2024

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